Tribunal de première instance, 30 avril 2025, r B c/ La société anonyme monégasque dénommée C E

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TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2021/000143 (assignation du 27 octobre 2020)

JUGEMENT DU 30 AVRIL 2025

En la cause de :

  • - r B, né le jma à Boulogne-Billancourt (France), de nationalité française, demeurant X2 ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur, substitué par Maître Charles LECUYER avocat-défenseur près la même cour ;

d'une part ;

Contre :

  • - La société anonyme monégasque dénommée C E, dont le siège social se trouve X1, prise en la personne de son Président Délégué et/ou Directeur Général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 27 octobre 2020, enregistré (n° 2021/000143) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de r B, en date du 9 avril 2024 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM C E, en date du 5 juillet 2024 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 21 février 2025 ;

À l'audience publique du 27 février 2025, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 30 avril 2025, par mise à disposition au Greffe.

Motifs🔗

FAITS ET PROCÉDURE :

Par l'exploit susvisé du 27 octobre 2020, r B a fait assigner devant ce Tribunal la SAM C E aux fins de voir :

  • - Accueillir r B des fins de son exploit introductif d'instance ;

  • -Le déclarer recevable et bienfondé ;

Par jugement avant-dire-droit,

  • -Ordonner la production par le SAM C E des relevés de compte titres de r B sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Sur le fond,

  • -Dire et juger la SAM C E responsable des agissements dommageables commis par son préposé j.D en application des dispositions de l'article 1231 du Code civil ;

  • -Dire et juger que la SAM C INDOSUEZ WEATH a manqué à son obligation de contrôle et de vigilance en application des dispositions des articles 997 et suivants du Code civil ;

En conséquence,

  • -Condamner la SAM C E, à payer à r B la somme de 602.387,22 euros au titre des sommes directement détournées par j.D outre intérêts au taux légal ;

  • -Condamner la SAM C E à payer à r B la somme de 289.292,95 euros au titre de la perte de gain ;

  • -Condamner la SAM C E à payer à r B la somme de 100.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

  • -Condamner la SAM C E à payer à r B la somme de 50.000 euros à titre de légitimes dommages-intérêts en réparation des frais qu'il s'est vu contraint d'exposer pour la reconnaissance de ses droits ;

  • -Dire et juger que les intérêts produiront eux-mêmes des intérêts, en application de l'article 1009 du Code civil ;

  • -Condamner la SAM C E aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, frais d'huissier, d'expertises et de traduction éventuels dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Au soutien de ses demandes, il a fait valoir pour l'essentiel que :

  • - il a ouvert un compte à vue dans les livres de la SAM C E le 30 juillet 2011 auquel se greffait un compte titre sous le numéro racine 1800309 ;

  • - ces comptes étaient gérés par j.D en qualité de chargé de clientèle par la SAM C E du 23 septembre 1991 au 31 décembre 2015 ; ce dernier était spécialement en charge de la clientèle française et étrangère résidant en Afrique ;

  • - j.D lui a fait signer divers documents sans lui en remettre copie ;

  • - il a été décidé que les relevés de compte et toute la correspondance bancaire seraient conservés à la banque ; de ce fait, il n'avait connaissance des positions de ses avoirs et de ses investissements qu'à travers les extraits et relevés de situation que lui remettait j.D lors des visites annuelles qu'il effectuait à la banque ;

  • - jusqu'en 2007, il a versé sur son compte à vue les revenus procurés par les différentes sociétés dans lesquelles il était associé ;

  • - fin 2010, début 2011, j.D lui a proposé de placer ses actifs sur un compte bancaire rémunéré 10 % l'an ; ces actifs devaient être bloqués 4 ans mais il devait pouvoir percevoir les intérêts chaque année ;

  • - il a remis à j.D une somme de 378.086,50 euros ;

  • - en juillet 2016, il a informé son conseiller de son départ aux Etats-Unis et de sa volonté de clôturer les comptes ouverts à la SAM C E puis de transférer les fonds en France ;

  • - d'après les informations communiquées par j.D ses avoirs s'élevaient au 31 décembre 2016 à la somme de 533.155,26 euros ;

  • - c'est en mars 2017 en cherchant à contacter j.D qu'il a appris qu'il n'était plus salarié de la banque ;

  • - il a alors consulté un conseil qui a sollicité la communication des éléments relatifs au compte racine 1800309 ;

  • - le 11 juillet 2017, le conseil de la banque lui a adressé le formulaire d'ouverture de compte (et non la convention), les relevés du compte 1800309 pour les années 2012, 2013 et 2014, les conditions générales de la SAM C E de mars 2008, juillet 2009, octobre 2010, janvier 2014, mars 2014, janvier 2016 et juin 2016 ;

  • - au vu des anomalies constatées, il a sollicité la communication de l'ensemble des relevés pour les années 2001 à juillet 2012 ;

  • - le 16 octobre 2017, il lui a été adressé les relevés du compte à vue pour les années 2007, 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 en précisant que la documentation antérieure n'avait pas été conservée ;

  • - les relevés du compte titre ne lui ont pas été communiqués ;

  • - il est ressorti l'existence de graves irrégularités commises dans la gestion du compte à vue outre la commission d'infractions liées à des détournements de fonds ; il a découvert que son compte à vue présentait un solde nul le 31 juillet 2014 alors que le relevé du 31 novembre 2015 présenté par son conseiller mentionnait un solde de 484.687,25 euros ;

  • - il a noté l'existence de nombreux virements au débit de son compte réalisés sans instruction de sa part et au profit d'autres clients dont le conseiller était j.D ;

  • - une procédure pénale est en cours concernant j.D et il est constitué partie-civile dans cette procédure ;

  • - il n'a obtenu aucune proposition d'indemnisation de la banque ;

  • - les documents dont la communication est demandée sont indispensables pour établir la réalité et l'étendue de son préjudice ;

  • - la banque en sa qualité de commettant est responsable de son préposé conformément aux dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil ; elle doit répondre des dommages causés par son salarié sur les lieux et au temps de son travail ;

  • - de nombreux virements ont été débités de son compte et sont contestés pour une somme totale de 390.984,11 euros ; les intitulés suggèrent qu'il aurait par exemple acquis du matériel de chantier ou du matériel électrique et d'autres opérations dont il n'est pas à l'origine ; une somme de 403.782,42 euros a été prélevée sur son compte à son préjudice ;

  • - il n'a pu obtenir le relevé du compte titres malgré plusieurs demandes ; selon les situations de compte établies par j.D au 31 décembre 2015, le solde de son compte titres était de 484.687,26 euros ;

  • - or, à la lecture des relevés de compte émanant de la banque, il apparaît que son compte a été clôturé en juillet 2014 sans qu'il en ait donné l'ordre et sans qu'il en soit informé et il a continué à recevoir des relevés manuscrits jusqu'en novembre 2015 ; il semble que la demande de clôture du compte a été écrite de la main de j.D sur du papier blanc signé par r B ; au 16 juillet 2014, son compte à vue présentait un solde de 142,96 euros prélevé au titre des frais de clôture et le solde était nul au 31 juillet 2014 ; le compte titres a nécessairement été clôturé en même temps ;

  • - il ressort des documents reçus de la banque que le 1er janvier 2011 sa fortune s'élevait à 437.063,70 euros et au 31 décembre 2011 à 6.904 euros, soit une perte de 98 % en un an ;

  • - les détournements ont été commis par j.D à l'occasion de ses fonctions et avec les moyens mis à sa disposition ; il a émis de faux ordres de virement et généré de faux relevés de compte d'opérations ;

  • - la responsabilité de la banque est également engagée sur le fondement du manquement à son obligation de contrôle et de vigilance ; elle a manqué à ses obligations contractuelles envers lui ; elle aurait dû s'inquiéter des positions de ses comptes parfois débitrices ; le fonctionnement anormal aurait dû alerter la banque ;

  • - il a été spolié de la somme de 602.387,22 euros qui aurait pu être placée avec un rendement de 4 % par an ; il aurait pu réaliser un bénéfice et son solde aurait dû être au 31 décembre 2020 de 891.680,17 euros soit une perte de gain de 289.292,95 euros.

Dans le dernier état de ses écritures judiciaires en date du 5 juillet 2024, la SAM C E entend voir la juridiction :

« Vu l'article 2044 du Code civil ;

Vu l'article 11 de la loi n°1.401 du 5 décembre 2013 ;

Vu les articles 278-1, 277-1, 277-2 et 238-1 du Code de procédure civile (dans leurs versions issues de la Loi n°1.511 du 2 décembre 2021) ;

Vu l'article 177 du Code de procédure pénale ;

Vu la jurisprudence et les pièces versées au débat ;

II est demandé au Tribunal de Première Instance de :

  • 1. IN LIMINE LITIS

DIRE ET JUGER que Monsieur B souhaite engager la responsabilité de la Banque pour des opérations réalisées sur une période comprise entre 2007 et le 23 juillet 2012 ;

DIRE ET JUGER que toute demande relative à ces opérations étaient atteintes, par la prescription, au plus tard le 21 décembre 2018 par application des règles de prescription issues de la loi n°1.401 du 5 décembre 2013 ;

DIRE ET JUGER que la présente action a été introduite par Monsieur B postérieurement à l'expiration du délai de prescription applicable à ses demandes ;

En conséquence,

DÉCLARER IRRECEVABLE l'action de Monsieur B entreprise à l'encontre de la Banque par l'effet de la prescription définitivement acquise le 21 décembre 2018.

(Si par impossible les demandes de Monsieur B étaient jugées non prescrites)

DIRE ET JUGER que les faits de l'espèce font l'objet d'une procédure pénale et que le sort de l'action pénale exercera manifestement une influence sur l'action civile ;

JUGER qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans la présente instance ;

En conséquence,

SURSEOIR A STATUER sur l'ensemble des demandes adverses dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction pénale compétente.

  • 2. SUBSIDIAIREMENT, SUR LA DEMANDE DOCUMENTAIRE (Si par impossible les demandes de Monsieur B étaient jugées non prescrites et que le sursis à statuer n'était pas prononcé)

DIRE ET JUGER que les documents dont Monsieur B sollicite la communication forcée sont déjà en sa possession ou inexistants ;

DIRE ET JUGER que la demande relative à la communication des justificatifs d'opérations de virement et d'opérations boursières sur le compte de Monsieur B porte sur des opérations d'ores et prescrites et est donc dénuée d'intérêt.

En conséquence,

DÉBOUTER Monsieur B de toutes ses demandes, fins et conclusions à cet égard.

  • 3. EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

RÉSERVER à la Banque le droit de conclure au fond si par impossible le Tribunal considérait que l'action de Monsieur B n'était pas prescrite et qu'il n'y avait pas lieu à surseoir à statuer.

DÉBOUTER Monsieur B de toutes ses demandes, fins et conclusions.

CONDAMNER Monsieur B au versement d'une somme de 35.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur B aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat-défenseur, sous sa due affirmation. »

À l'appui de ses prétentions, la SAM C E argue pour l'essentiel que :

  • - r B a occupé différentes fonctions de direction et est un homme d'affaires averti ;

  • - il a ouvert le 30 juillet 2001 dans ses livres un compte bancaire unique sous le numéro 1800309 ; il s'agit du seul compte du demandeur ;

  • - à partir du 28 août 2003, il a décidé de recourir à un service dit de « banque restante » consistant en la conservation de son courrier bancaire à la banque à charge pour lui de venir y relever son courrier ;

  • - c'est ce qu'il a fait le 3 février 2011, il lui a été remis ses relevés bancaires et estimatifs de portefeuille pour la période du 3 février 2009 au 3 février 2011 ;

  • - il n'a formé alors aucune réclamation ;

  • - le compte a été utilisé par r B jusqu'au 16 juillet 2014, date à laquelle il a été clôturé à sa demande expresse par courrier du 10 juillet 2014 ; il prétend aujourd'hui que ce courrier est un faux mais l'a versé lui-même aux débats lors de son assignation ;

  • - depuis l'ouverture du compte, le responsable du suivi de ce compte était j.D qui a quitté les effectifs de la banque le 31 décembre 2015 ;

  • - pendant 13 ans, de 2001 à 2014, elle n'a reçu aucune réclamation du demandeur ; ce dernier affirme plus de 7 ans après la clôture de son compte que j.D aurait effectué des opérations bancaires et boursières sur son compte sans instruction, qu'il lui aurait fait signer de nombreux documents en blanc et qu'il lui aurait conseillé d'investir dans des produits financiers très rémunérateurs ;

  • - depuis la clôture du compte le 16 juillet 2014 jusqu'au 2 juin 2017, elle n'a reçu aucune réclamation de r B ; ce n'est que le 2 juin 2017 qu'il a, par l'intermédiaire de son conseil, fait état d'un différend avec la banque ; la banque a communiqué les documents demandés par courriers des 11 juillet 2017 et 16 octobre 2017 conformément aux règles de conservation des documents ;

  • - le 22 février 2019, r B a déposé une plainte avec constitution de partie-civile pour des faits d'abus de confiance imputés à j.D ; elle est instruite avec d'autres ; la banque a également déposé plainte et la procédure pénale est en cours ;

  • - au cours de ses différents jeux de conclusions, r B a modifié plusieurs fois ses demandes et a renoncé à sa demande de production forcée de documents ;

  • - l'action du demandeur est irrecevable car prescrite ; il sollicite son indemnisation par la banque pour 11 virements sur une période courant du 2 mars 2011 au 25 juillet 2012 ; il sollicite aussi désormais une indemnisation non plus pour les détournements sur un supposé compte titres au cours de l'année 2011 mais pour l'exécution d'ordres de bourse par la banque sans instruction courant 2007 à 2011 ;

  • - la réforme de la prescription par la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013 a ramené le délai de prescription à 5 ans ; à titre transitoire, la loi a prévu que les prescriptions courant au jour de sa promulgation continuent à courir dans la limite de 5 ans à compter du lendemain de la publication au Journal de Monaco de la loi, soit le 21 décembre 2013 ; en conséquence, les prescriptions qui n'étaient pas expirées à la date d'entrée en vigueur de ladite loi se sont poursuivies jusqu'au 21 décembre 2018 ;

  • - le point de départ de la prescription concerne l'action de r B en dernier lieu 11 opérations entre le 2 mars 2011 et le 25 juillet 2012 ;

  • - r B a pris connaissance de ses relevés de compte sans émettre la moindre contestation et en signant l'accusé de réception du courrier le 3 février 2011 ; il s'est rendu physiquement à la banque ce jour-là comme le démontre l'existence d'un retrait d'espèces qui ne peut être opéré que par la présentation du client à la banque ; il ne peut arguer que l'accusé de réception serait un faux ;

  • - les opérations de virement litigieuses se seraient déroulées entre le 2 mars 2011 et le 25 juillet 2012 selon les opérations contestées ; les opérations sur titres se seraient déroulées sur une période de 2007 à 2011 sans autre précision selon le demandeur ; l'ensemble des opérations ont été réalisées avant l'entrée en vigueur de la réforme de la prescription ;

  • - le point de départ de la prescription est le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettaient de l'exercer ; r B prétend n'avoir eu connaissance des opérations que le 16 octobre 2017, date de la communication par la banque des relevés bancaires ; il a été négligent et aurait dû avoir connaissance des faits permettant son action dès 2011 selon les conditions contractuelles applicables, il lui appartenait de retirer les documents conservés à la banque qui sont réputés lui avoir été remis à la date qui y figure ; il s'est engagé à retirer le courrier au moins une fois tous les 15 mois ; la jurisprudence monégasque considère qu'il appartient au titulaire du compte de retirer ses courriers conservés à la banque et qu'il se rend coupable de négligence en ne surveillant pas l'évolution de son compte ; il doit en assumer les conséquences ; la jurisprudence est identique en Suisse et au Luxembourg ;

  • - les relevés bancaires étaient mis à sa disposition en fin de mois le 30 ou le 31 ;

  • - pour les opérations de virement contestées, le point de départ de la prescription à retenir est le :

  • - 31 mars 2011 pour les opérations de virement du 2 mars 2011, 3 mars 2011 et 15 mars 2011,

  • - 31 mai 2011 pour l'opération de virement du 5 mai 2011,

  • - 31 août 2011 pour l'opération de virement du 5 août 2011,

  • - 31 octobre 2011 pour les opérations de virement des 11 et 12 octobre 2011,

  • - 31 juillet 2012 pour l'opération de virement du 25 juillet 2012 ;

  • - pour les opérations sur titres, le point de départ à retenir est :

  • - pour les opérations antérieures au 3 février 2011, le 3 février 2011, date à laquelle les relevés de compte ont été remis au demandeur,

  • - pour les opérations du 4 février 2011 au 13 décembre 2012, il conviendra de se référer au relevé de compte du 31 décembre 2012, la dernière opération sur titres ayant été comptabilisée le 13 décembre 2012 et figurait sur ce relevé ;

  • - r B tente d'expliquer son comportement négligent et en violation des clauses contractuelles par le fait qu'il ne réalisait pas d'opération nécessitant une vigilance ou des vérifications spécifiques et qu'il pouvait se fier aux informations rassurantes et documents délivrés par j.D ; en réalité il se contentait de recevoir des documents particulièrement sommaires sans en-tête, ni logo, ni référence de la banque et qui étaient pour certains manuscrits ; une personne normalement diligente aurait dû réagir ; ces documents loin d'être rassurants auraient dû l'alerter ;

  • - si par extraordinaire, l'action ne devait pas être déclarée prescrite, le sursis à statuer s'impose dans la mesure où l'action pénale aurait nécessairement une influence sur l'action civile ; il y a identité de faits entre la procédure pénale en cours et la présente instance ; le Président du Tribunal peut, au besoin, se faire communiquer le dossier pénal ; l'instruction vise à déterminer le caractère frauduleux ou non des opérations contestées ; les pièces versées dans les deux procédures sont quasi-identiques ;

  • - il est impossible de communiquer les documents soi-disant manquants ; pour les mois de septembre 2008, août 2010 et du 1er janvier 2011 au 14 janvier 2011, aucun relevé n'a été établi en l'absence de toute opération ; les relevés de compte titres n'existent pas car la banque a comptabilisé sur le compte espèces les opérations et les estimatifs de portefeuille sont communiqués périodiquement ; il n'existe pas de compte titres distinct en l'absence d'instruction du client pour en ouvrir un ; r B a déjà les relevés et il les a lui-même versés aux débats ; la demande de ce chef est dépourvue d'objet ;

  • - la demande concernant les relevés d'opérations exécutées il y a plus de 10 ans sur un compte clôturé depuis plus de 6 ans, est dépourvue d'intérêt car le demandeur en a connaissance ;

  • - r B devra être condamné à verser à la banque une somme de 35.000 euros au titre des frais de procédure non compris dans les dépens du fait de son action tardive et de sa désinvolture ; ses errements ont contraint la banque à des recherches internes approfondies ; il serait inéquitable de laisser à la charge de la défenderesse les frais qu'elle a dû engager dans la présente procédure.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives n° 4 en date du 9 avril 2024, r B a modifié ses demandes et sollicite désormais de voir :

« Vu l'article 2044 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi n°1.401 du 5 décembre 2013,

Vu l'article 11 de la loi n°1.401 du 5 décembre 2013,

Vu l'article 3 du Code de procédure pénale,

Vu les articles 277-1 et 277-2 du Code de procédure civile,

Vu l'article 279 du Code de procédure civile,

Vu l'article 322 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1231 du Code civil,

Vu les articles 989, 990, 997 et suivants du Code civil,

Vu les articles 1004 et suivants du Code civil,

Vu l'article 1 de loi n°1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières et les articles 11

et 12 de son ordonnance d'application n°1.284 en date du 10 septembre 2007,

Vu l'article 1776 du Code civil,

Vu les articles 1094 et 1162 du Code civil,

Vu l'article 1229 du Code civil,

Vu l'article 202 du Code de procédure civile,

Vu l'article 238-1 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

Il est demandé au Tribunal de :

ACCUEILLIR Monsieur r B des fins de son exploit introductif d'instance et de ses demandes,

  • Sur la fin de non-recevoir liée à la prescription de l'action de Monsieur B,

DIRE ET JUGER que l'action engagée par Monsieur B contre la société anonyme monégasque C E S. A. M (le C) par assignation en date du 27 octobre 2020 n'est pas couverte par la prescription,

REJETER par conséquent la fin de non-recevoir opposée par le C E aux demandes de Monsieur B au titre de la prescription de son action en responsabilité contre la Banque,

DÉCLARER Monsieur B recevable et bien fondé en son action,

  • Sur la demande de sursis é statuer,

CONSTATER que l'action pénale à laquelle participe Monsieur B avec sa constitution de partie civile et l'action civile dont se trouve saisie la juridiction de céans procèdent de causes juridiques différentes,

CONSTATER que l'instruction pénale en cours dans le cadre de laquelle Monsieur B intervient en qualité de partie civile est une information suivie contre X pour les chefs d'escroqueries, abus de confiance et de faux et usage de faux,

CONSTATER que dans le cadre de la présente affaire, la juridiction de céans se trouve saisie de diverses demandes indemnitaires présentées par Monsieur D à l'encontre du C en sa qualité de commettant et au titre de sa responsabilité pour les divers manquements à ses obligations légales et contractuelles de dépositaire des fonds et dans le cadre de la réalisation d'opérations sur titres,

DIRE ET JUGER par conséquent qu'il n'y a pas lieu d'ordonner un sursis à statuer dans cette affaire dans l'attente de connaître les résultats de l'instruction pénale,

DÉBOUTER le C de sa demande de sursis à statuer,

Par décision avant-dire-droit

ORDONNER la production par la société C E S. A. M. sous astreinte de mille euros (1 000, 00 €) par jour de retard courant à l'expiration d'un délai de quinzaine à compter de la date du jugement à intervenir :

  • - De l'ensemble des relevés du compte titres de Monsieur B entre l'année 2007 et l'année 2014,

  • - Des justificatifs des instructions sur la base desquelles les opérations d'achat et de cession de titres ont été passées sur le compte bancaire de Monsieur B entre l'année 2007 et l'année 2014,

  • - Des justificatifs des demandes de virements bancaires passés au débit du compte bancaire de Monsieur B en 2011 et 2012 et des avis de débit correspondants.

  • Sur le fond

DIRE ET JUGER la société C E S. A. M. responsable des agissements dommageables commis par son préposé Monsieur D en application des dispositions de l'article 1231 du Code Civil,

DIRE ET JUGER que la société C E S. A. M a manqué à ses obligations légales de dépositaire de fonds et à ses obligations légales et contractuelles en matière d'exécution des ordres portant sur des valeurs mobilières ou des instruments financiers concernant les opérations réalisées sur le compte bancaire de Monsieur B,

DIRE ET JUGER que la société C E S. A. M a manqué à son obligation de contrôle et de vigilance en application des dispositions des articles 989 et suivants et 997 et suivants du Code Civil,

CONSTATER que la société C E S. A. M ne s'est pas régulièrement libéré de son obligation de restitution des fonds qui lui ont été confiés par Monsieur B,

  • En conséquence,

CONDAMNER la société C E S. A. M à payer à r B la somme de cinquante mille euros (50 000, 00 €) Monsieur B en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution d'opérations et de vente de titres sans instruction de sa part, à défaut pour le C de produire les justificatifs des instructions et ordres concernant les opérations sur titres passées sur le compte bancaire de Monsieur B,

CONDAMNER la société C E S. A. M à payer à r B la somme de trois cent quatre-vingt-quatre mille cent quatre-vingt-quatre euros et quarante-six centimes (384 184, 46 €), correspondant à la perte subie du fait des sommes détournées par les virements frauduleux opérés par Monsieur D au débit du compte bancaire de Monsieur B, outre les intérêts au taux légal,

CONDAMNER la société C E S. A. M. à payer à r B la somme de deux cent trente mille neuf cent sept euros (230.907,00 €) euros au titre de la perte de gain,

CONDAMNER la société C E S. A. M à payer à r B la somme de cent mille euros (100.000, 00 €) à titre de légitimes dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral du fait de la résistance abusive du C,

DIRE ET JUGER que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts, en application de l'article 1009 du Code Civil,

DÉBOUTER la société C E S. A. M de sa demande reconventionnelle de condamnation de Monsieur B au paiement de la somme de trente mille euros (30.000,00 €) pour abus du droit d'ester en justice,

DIRE que la décision à intervenir sera assortie de l'exécution provisoire,

  • En tout état de cause,

CONDAMNER la société C E S. A. M à payer à r B la somme de cinquante mille euros (50.000, 00 C), sur la base de l'article 238-1 du Code de procédure civile au titre des frais engagés par Monsieur B pour la défense de ses intérêts,

CONDAMNER la société C E S. A. M aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, frais d'huissier, d'expertises et de traductions éventuelles dont distraction faite au profit de Maître GARDETTO, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation. ».

Au soutien de ses demandes, r B a exposé pour l'essentiel outre ses moyens déjà développés dans l'assignation que :

  • - il a vécu et travaillé en Afrique de 1998 à 2001 et a été démarché sur place par j.D ;

  • - les conditions générales de la SAM C E ne lui ont pas été communiquées lors de l'ouverture de son compte en contradiction avec les mentions types figurant sur le formulaire d'ouverture qu'il a signé ;

  • - j.D a assuré le suivi de son compte et lui a conseillé, comme il voyageait beaucoup, d'opter pour le système de banque restante, ce qu'il a fait le 28 août 2003, et qui a eu pour effet de réduire son accès aux informations relatives au fonctionnement de son compte et de renforcer sa dépendance à l'égard de j.D ; il s'est trouvé tributaire des informations communiquées par ce dernier à l'occasion de rendez-vous à la SAM C E ou de rencontres en Afrique ;

  • - j.D lui a fait signer divers documents sans lui en donner copie et signer une lettre en blanc qui sera manifestement utilisée pour clôturer le compte à son insu ; il a réalisé de nombreuses opérations d'achat et de vente de titres sans instruction de sa part et réalisé de nombreuses opérations frauduleuses sur son compte ayant conduit au détournement de plusieurs centaines de milliers d'euros ; il l'a convaincu sans aucun contrôle interne de la banque de lui confier des sommes importantes en vue de réaliser des placements prétendument fortement rémunérateurs ;

  • - courant 2010 et début 2011 dans le cadre d'un divorce difficile et pour préserver ses actifs, j.D lui a proposé de placer des fonds sur un produit financier « SMIG » ; il lui a fait confiance et a versé courant 2011 la somme de 378.086,50 euros ; j.D l'a tenu régulièrement informé de l'évolution des fonds par des tableaux et notes manuscrites ; il lui a remis un tableau de situation en date du 31 décembre 2014 à jour au 1er octobre 2014 donnant l'évolution du placement par année depuis l'origine ; ces informations étaient corroborées par un tableau signé de j.D mentionnant un solde de 427.311,87 euros au 31 décembre 2013 et un solde de 448.940,20 euros au 31 décembre 2014 et un tableau manuscrit de j.D confirmant le solde au 31 décembre 2014 et annonçant un solde de 484.687,26 euros au 31 décembre 2015 ;

  • - compte tenu de la réputation de sérieux et de professionnalisme de la SAM C E, il n'a nourri aucune inquiétude et s'est contenté des informations fournies par j.D ;

  • - il n'a appris que courant mars 2017 que j.D avait disparu sans laisser de trace en contactant l'épouse de ce dernier ; il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir formé de réclamations pour les opérations sur son compte avant l'année 2017 ;

  • - ce n'est qu'à partir du 16 octobre 2017 qu'il a pu découvrir que ses actifs n'ont pas été placés courant 2011 sur le produit financier mais ont été dilapidés à travers diverses opérations financières à son insu ;

  • - la SAM C E produit une attestation censée démontrer qu'il a eu connaissance de son courrier le 3 février 2011, il n'en a pas souvenir et ce document ne comporte aucune indication sur les détails des documents prétendument remis ; son authenticité questionne ; il ne permet pas d'établir qu'il a eu effectivement connaissance de ses relevés de compte, estimatifs de portefeuille et autres justificatifs des opérations exécutées sur la période ; il conteste avoir reçu quelque documentation bancaire que ce soit le 3 février 2011 ; les dernières opérations ayant été effectuées par ses soins en 2008 et les fonds placés sur le placement « SMIG » en 2011, il n'avait pas de raison de s'inquiéter ;

  • - c'est de mauvaise foi que la SAM C E lui reproche de ne pas avoir contesté la clôture de son compte dans la lettre de son conseil du 2 juin 2017 mais ce courrier avait pour objet de demander divers documents bancaires ; il n'avait alors aucun document probant ;

  • - l'essentiel des opérations frauduleuses sur son compte ont été réalisées en 2011 ;

  • - l'examen de ses relevés de compte ne permet pas de trouver la somme de 378.086,50 euros qui devait être placée sur le produit « SMIG », ce qui démontre qu'il a été trompé par j.D ;

  • - il a découvert des opérations effectuées sans instruction de sa part ; il ne connaît pas les bénéficiaires de celles-ci ; il y a eu aussi des virements au crédit de son compte à son insu fait par j.D pour éviter des rejets d'opérations pour défaut de provision ;

  • - la SAM C E a produit dans la procédure pénale un ordre de virement dactylographié déposé par j.D en fraude de ses droits daté du 20 février 2011 ; la banque dispose bien des documents dont il demande communication ;

  • - il a été contraint d'adapter ses demandes compte tenu de la difficulté à avoir une vision claire des opérations sur son compte et la complexité du dossier ;

  • - la clôture de son compte a été effectuée à son insu et porte la même écriture que celle figurant sur un relevé manuscrit écrit de la main de j.D ; il a dénoncé ce faux et usage de faux dans la procédure pénale ; cette clôture ne lui est pas opposable ;

  • - l'instruction pénale fait suite à plusieurs réclamations de clients en conséquence desquelles la banque a déposé plainte ; elle est en cours des chefs d'escroqueries, abus de confiance, faux et usage de faux et émission de chèque sans provision ; j.D qui n'a plus donné signe de vie depuis mars 2017 s'est présenté à la police le 14 janvier 2023, il a été inculpé et incarcéré ; il a reconnu avoir mis en place un système de transfert d'argent par compensation entre certains de ses clients ; il a indiqué que des contrôles internes auraient pu permettre à la banque de s'interroger sur ces mouvements de fonds ; la banque a manqué à son obligation de vigilance et de contrôle à l'égard de son préposé ainsi qu'à ses obligations de dépositaire de fonds ; r B n'était pas intéressé par le système de compensation et n'y a pas participé ; j.D a reconnu lui avoir fait signer des ordres de virement anonymes qu'il a ensuite remplis à sa place, ce qui explique que le demandeur ne connaissait pas les bénéficiaires ; il a reconnu également lui avoir fait signer des ordres d'achat ou de vente de titres en blanc ; il a déclaré que le produit « SMIG » n'était pas proposé parmi les produits de la banque ;

  • - la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013 a été publiée au Journal de Monaco et était applicable dès le lendemain soit le 21 décembre 2018 ; il résulte de la jurisprudence constante que le point de départ de la prescription est la date à laquelle le dommage s'est révélé à la victime si elle établit qu'elle n'en avait pas précédemment connaissance ; en matière bancaire, le délai de prescription court à compter du jour où l'opération litigieuse et ses connaissances ont été portées à la connaissance du client victime ;

  • - il ressort des éléments de la cause que les opérations réalisées par ses soins se sont limitées à des versements de fonds jusqu'en 2008 représentant plus de 400.000 euros et au débit quelques opérations par carte bancaire, quelques retraits d'espèces de quelques dizaines de milliers d'euros et deux virements ; les opérations sur titres l'ont été sans ordre de sa part ; excepté ces deux virements, les autres ont été effectués à son insu ; la banque ne justifie pas d'un mandat de gestion et d'instructions de sa part ; il n'a pas demandé la clôture de son compte ; il n'avait pas de raison d'être inquiet ; la SAM C E ne délivre aucune information à ses clients sur la nécessité de vérifier régulièrement même en l'absence d'opération bancaire significative la situation du compte pour s'assurer que le chargé de clientèle ne commet pas d'actes frauduleux à leur préjudice ;

  • - il n'a pu réellement découvrir les opérations frauduleuses qu'à réception des documents communiqués par le conseil de la banque par lettres des 11 juillet 2017 et 16 octobre 2017 ; les décisions de jurisprudence citées par la banque ne sont pas pertinentes ;

  • - la banque ne s'est pas assurée qu'il avait bien pris connaissance de manière effective et régulière de la situation de son compte et ne lui a adressé aucun courrier d'alerte ;

  • - il a été de bonne foi ;

  • - le point de départ de la prescription doit être fixé au 16 octobre 2017 ;

  • - le sursis à statuer n'a pas lieu d'être prononcé ; si l'instance pénale et la présente instance portent sur les mêmes faits, elles procèdent de causes juridiques différentes ;

  • - sa demande de communication de pièce est justifiée et résulte des dispositions de l'article 11 de l'ordonnance n° 1.284 du 10 septembre 2007 portant application de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières qui donne aux banques certaines obligations de conservation, de preuve et de contrôle interne des ordres et opérations effectuées ;

  • - compte tenu des explications de la banque sur l'absence de relevés pour les périodes sans opération effectuée, il renonce à sa demande de communication sur ces périodes ;

  • - les conditions générales de la SAM C E prévoient l'obligation d'adresser au client outre l'avis d'opéré correspondant à chaque ordre exécuté pour son compte, un relevé semestriel de ses titres ; il est donc fondé à solliciter communication de la copie des relevés du compte titres ; ces conditions générales ne précisent pas le mode de fonctionnement des comptes à vue ou comptes espèces ;

  • - la SAM C E ne peut se prévaloir pour s'opposer à sa demande de communication des justificatifs d'opération du délai de 10 ans pour la conservation des informations nominatives car il ne justifie pas que ces documents entrent dans cette catégorie ;

  • - la banque est responsable des agissements de son préposé car il a trouvé dans l'exercice de ses fonctions l'occasion et les moyens de sa faute ; un éventuel abus de fonction ne constitue pas un motif d'exonération ; j.D a agi dans le cadre de ses fonctions de conseiller financier au sein de la SAM C E pendant ses heures de travail et avec les moyens mis à disposition par son employeur ;

  • - la banque doit l'indemniser de son entier préjudice puisqu'elle a manqué à son obligation de contrôle et de vigilance par son laxisme et son inertie ; elle a aussi manqué à son obligation légale et contractuelle envers son client en exécutant des opérations sans accord de celui-ci et à ses obligations en tant que dépositaire de fonds ;

  • - la banque doit également l'indemniser pour le gain manqué qui constitue une perte de chance d'investir dans un placement productif d'intérêts depuis l'année 2011 ; il a été spolié de la somme de 384.184,46 euros et sur la base d'un taux d'intérêt de 4 % l'an, il aurait pu constituer une épargne de 615.092 euros entre l'année 2011 et l'année 2023 ; sa perte de gain est de 230.907 euros ;

  • - la banque a fait preuve d'une résistance manifestement abusive face à ses légitimes demandes ; elle ne lui a pas restitué les fonds détournés et doit l'indemniser à hauteur de 100.000 euros pour le préjudice causé ;

  • - l'ancienneté de l'affaire justifie la demande d'anatocisme des intérêts ;

  • - concernant la demande reconventionnelle de la banque, il a engagé à bon droit la présente procédure et la défenderesse doit être déboutée de sa demande ;

  • - l'exécution provisoire doit être ordonnée eu égard à l'ancienneté des faits à l'origine de l'affaire, de l'ampleur de son préjudice et des manquements et défaillances de la banque dans l'exécution de ses obligations qui ont permis la survenance et la majoration de son préjudice ; la banque n'a pas effectué la moindre proposition d'indemnisation et les conditions d'engagement de sa responsabilité sont incontestablement réunies ;

  • - la banque devra être condamnée aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2025 et l'affaire fixée à plaider à l'audience du 27 février 2025 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et informés que l'affaire était mise en délibéré au 30 avril 2025.

SUR CE,

  • - Sur la prescription

En application de l'article 2044 du Code civil, « les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer ».

Il ressort des débats du Conseil National lors du vote de la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013 que le choix du législateur a été de fixer le point de départ de la prescription au jour où le titulaire du droit a connu ou « aurait dû connaître », qu'il a été précisé que « le fondement de ce point de départ subjectif se justifie par la nature de la prescription dont la durée du délai correspond au temps utile pour agir. Le point de départ du délai doit, par conséquent, être fixé au jour où l'action peut être exercée car, à défaut, le délai pourrait être prescrit avant que le titulaire ait pu agir. Or, manifestement, il ne peut agir s'il n'a pas connaissance des faits lui permettant d'exercer son action. Néanmoins, pour palier l'éventuelle trop grande négligence de certains titulaires de droit, le caractère subjectif de ce point de départ est limité par le recours à un critère objectif alternatif, celui de la connaissance qu'aurait dû avoir le titulaire ».

Ainsi, la prescription d'une action en responsabilité contractuelle court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance.

S'agissant plus précisément d'une action en responsabilité bancaire pour manquement à l'obligation de vigilance et de conseil, le délai de prescription court à compter du jour de la réalisation du dommage.

Les opérations litigieuses ont eu lieu pour les virements entre le 2 mars 2011 et le 25 juillet 2012 et pour les opérations sur titre, r B ne les date pas précisément mais elles semblent avoir eu lieu avant fin décembre 2012. La clôture du compte ne constituant pas en elle-même un préjudice qui n'est d'ailleurs pas allégué de ce chef, sa date ne peut être retenue comme point de départ de la prescription.

Il n'est pas contesté que r B a souscrit le 28 août 2003 au service de banque restante. A compter de cette date, les courriers et différents documents bancaires ont été conservés à la banque à sa disposition.

Ce document adressé à la banque et signé par r B, ce qu'il ne conteste pas, indique notamment que :

« Compte tenu de la masse de documents que vous conservez ainsi, conformément à notre demande, nous vous autorisons à détruire ces mêmes documents après une conservation en notre dossier de 15 mois de leur date, et vous déchargeons de toute responsabilité quant à cette destruction.

La présente demande impliquant la non récupération par nos soins des relevés de compte et autres avis, vaut par la même approbation définitive de notre compte. ».

Ce délai de conservation de 15 mois est repris dans les conditions générales de la SAM C E produites aux débats par cette dernière et applicables sur la période 2010-2014. Il y est en outre précisé que :

« 1.11.4 Engagements et déclarations du Client

Le Client s'engage à faire tout son possible pour retirer des Documents conservés au moins une fois par période de 15 mois.

Le Client reconnaît et accepte que les Documents conservés soient réputés lui avoir été délivrés à la date y figurant ; il décharge la Banque de recourir à l'envoi en recommandé ou recommandé avec accusé de réception pour les correspondances ou communications particulières telles que les lettres de clôture de compte.

Même en cas de non retrait, le Client accepte que les Documents conservés valent approbation définitive du (des) compte(s) précité(s) et plus généralement valent approbation de leur contenu. Le Client décharge expressément la Banque de toute responsabilité quant à la destruction des Documents conservés et/ou à leur envoi à l'adresse du Client en cas notamment de dénonciation du service de conservation.

En outre, le Client déclare avoir parfaite connaissance et prendre en charge les risques encourus par le fait, en particulier, de ne pas avoir pris connaissance d'un quelconque Document détruit ; il s'interdit de faire grief à la Banque ultérieurement même lorsque l'un des Documents fait courir un délai légal ou contractuel. ».

Il est démontré que r B s'est rendu dans les locaux de la banque le 3 février 2011 et qu'il a signé l'accusé de réception du courrier aux termes duquel il est mentionné « Je (nous) soussigné (s) déclare (ons) que ma (notre) correspondance retenue à la Banque conformément à mes (nos) instructions, m' (nous) est bien présentée, que j' (nous) en prends (prenons) connaissance et possession et donne (donnons) décharge pleine et entière à la Banque de son obligation d'information à mon (notre) égard. ».

Si r B indique ne pas se souvenir avoir pris connaissance et récupéré les documents bancaires conservés par la banque lors de cette visite, il ressort de la réalisation ce jour-là d'un retrait d'espèces de 10.000 euros qu'il s'est bien rendu en personne dans l'établissement dès lors que la banque affirme, sans être démentie sur ce point, que tout retrait d'espèces nécessite la présentation du client dans ses locaux.

Le fait qu'il ne se souvienne pas de la documentation est sans effet sur la régularité de la communication effectuée par la banque ainsi que l'indique l'avis de réception du courrier.

Concernant les opérations de virement et sur titres antérieures au 31 janvier 2011, le point de départ de la prescription peut être fixé au 3 février 2011 puisque les relevés et documents remis devaient avoir été établis en prenant en compte les opérations jusqu'à cette date dans la mesure où la banque indique qu'ils sont mis à disposition le dernier jour du mois.

Pour les opérations postérieures, elles doivent être considérées comme portées à la connaissance du client à la date de l'établissement des relevés et autres documents en faisant état par application des dispositions contractuelles qui sont opposables à r B même s'il allègue ne pas avoir reçu les conditions générales lors de l'ouverture de son compte. En effet, il a accepté de signer le document d'ouverture de compte du 30 juillet 2011 qui fait état de leur remise et il lui appartenait, le cas échéant, de les réclamer et de s'enquérir de leur mise à jour ultérieure.

Pour ce qui concerne les opérations entre le 1er février 2011 et le 13 décembre 2012, le point de départ de la prescription peut être fixé au dernier jour du mois de leur réalisation, étant précisé que pour les opérations sur titres, r B ne les date pas mais qu'elles semblent avoir été réalisées avant le 13 décembre 2012.

Concernant les virements, ce point de départ peut être fixé au :

  • - 31 mars 2011 pour les virements des 2 mars 2011, 3 mars 2011 et 15 mars 2011,

  • - 31 mai 2011 pour les virements du 5 mai 2011,

  • - 31 août 2011 pour le virement du 5 août 2011,

  • - 31 octobre 2011 pour les virements des 11 octobre 2011 et 12 octobre 2011,

  • - 31 juillet 2012 pour le virement du 25 juillet 2012.

r B ne peut se retrancher derrière sa négligence à se rendre dans les locaux de la banque pour prendre connaissance de sa documentation bancaire pour prétendre ne pas avoir été informé des opérations litigieuses et ce, alors qu'il aurait dû en avoir connaissance et a accepté les contraintes et risques liés à sa demande de conservation des documents à la banque. L'obligation de retirer les documents persistant même s'il n'avait pas de raison particulière d'être inquiet et s'il n'avait pas effectué d'opération significative.

Il ne peut pas plus arguer qu'il a été trompé par les documents remis par j.D.

En effet, les documents qu'il a produits en pièces 19, 20 et 21 pour étayer cette affirmation et qui auraient été établis par j.D ne peuvent en aucun cas être considérés par une personne normalement diligente et attentive comme des documents émanant réellement de la banque au vu de leur contenu.

La pièce n° 19 est un semblant de relevé au 31 décembre 2015 manuscrit sur papier blanc sans aucune mention d'établissement, d'adresse ou de logo et n'est même pas signé.

La pièce n° 20 est un document établi sur informatique qui ne comporte pas plus d'indication de l'établissement ou autre élément pouvant permettre d'en établir l'auteur et comporte une signature illisible. Il y ait fait état d'un solde au 31 décembre 2014, d'intérêts et d'opérations en 2014 et d'un solde au 31 décembre 2014.

La pièce n° 21 est un document établi sur papier libre ne comportant également aucun signe laissant supposer qu'il émane de la banque et n'est pas signé.

De plus, r B s'est rendu dans les locaux de la banque à au moins une reprise le 3 février 2011 où il a pu prendre connaissance des ses relevés bancaires lesquelles ne ressemblent à l'évidence aucunement à ceux reçus de j.D. Il aurait donc dû s'en étonner.

De plus, le relevé authentique établi par la banque de son compte au 31 janvier 2011 fait état d'un solde créditeur de 45.603,42 euros, ce qui aurait dû l'alerter sur l'état de la situation financière de ce compte eu égard aux versements qu'il y avait effectués et aux opérations qu'il indique avoir lui-même effectuées jusqu'à cette date.

Il ne peut dès lors qu'être considéré que r B aurait dû avoir connaissance des mouvements opérés sur son compte ce qui justifie de ne pas décaler les points de départ de la prescription tels que mentionnés supra.

La loi n° 1.401 du 5 décembre 2013 a toutefois modifié les dispositions en matière de prescription civile, ramenant la prescription des actions réelles mobilières et les actions personnelles de 30 ans à 5 ans.

L'article 11 de la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013 dispose par ailleurs :

« Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Pour les prescriptions dont le délai n'était pas encore expiré à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les dispositions de celle-ci relatives à la suspension ou à l'interruption de la prescription ne s'appliquent qu'aux faits postérieurs à son entrée en vigueur, ceux antérieurs restant soumis à la loi ancienne. Si ces faits sont en cours à cette date, les dispositions de la présente loi sont applicables à compter de cette date.

Les dispositions de la présente loi relatives à l'aménagement conventionnel de la prescription s'appliquent aux conventions relatives à la prescription en cours d'exécution à la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Les dispositions des articles 8 et 10 de la présente loi s'appliquent aux seuls contrats conclus postérieurement à la date de son entrée en vigueur.

Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne, qui s'applique également en appel et en révision » .

En raison des dispositions transitoires énoncées à l'article 11 de la loi n° 1.401 du 5 décembre 2013, r B était ainsi recevable à agir à l'encontre de la SAM C E au plus tard le 21 décembre 2018.

r B a fait assigner la SAM C E par exploit en date du 27 octobre 2020.

Son action est par conséquent prescrite.

Il n'y en conséquence pas lieu d'examiner ses différentes demandes relatives à la communication de pièces, à la responsabilité de la défenderesse et en indemnisation tant de ses préjudices qu'au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile puisque concernant ce dernier chef de demande, il succombe et sera condamné aux dépens.

  • - Sur la demande de la SAM C E au titre des frais engagés pour sa défense non compris dans les dépens

Cette demande est fondée sur les dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile lequel dispose que :

« Le Juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

  • 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens,

  • 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne pourra être inférieure à la part contributive de l'État.

L'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire ne pourra cumuler la somme prévue au titre du 2° du présent article avec la part contributive de l'État. ».

La défenderesse sollicite l'octroi d'une somme de 35.000 euros à ce titre. Elle argue du comportement du demandeur à son encontre et des recherches imposées pour répondre à ses demandes pour justifier de sa demande de ce chef.

Compte tenu de l'équité et de la situation économique des parties et alors que l'action de r B n'était pas abusive puisqu'il a pu se méprendre sur la portée de ses droits, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

  • - Sur l'exécution provisoire

Compte tenu de la solution donnée au litige, cette demande sera rejetée comme étant devenue sans objet.

  • - Sur les dépens

r B qui succombe sera, par application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile, condamné aux dépens de l'instance distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Déclare prescrite l'action engagée par r B contre la SAM C E au titre des détournements qu'il impute à j.D à compter du :

  • - 31 décembre 2012 pour les opérations entre le 1er février 2011 et le 13 décembre 2012 ;

  • - 4 février 2016 pour les opérations de virement et sur titres antérieures au 31 janvier 2011,

  • - 1er avril 2016 pour les virements des 2 mars 2011, 3 mars 2011 et 15 mars 2011,

  • - 1er juin 2016 pour les virements du 5 mai 2011,

  • - 1er septembre 2016 pour le virement du 5 août 2011,

  • - 1er novembre 2016 pour les virements des 11 octobre 2011 et 12 octobre 2011,

  • - 1er août 2017 pour le virement du 25 juillet 2012 ;

Dit en conséquence qu'il n'y a pas lieu d'examiner ses différentes demandes ;

Déboute la SAM C E de sa demande au titre des frais non compris dans les dépens présentés sur le fondement l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne r B aux dépens de l'instance distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 30 AVRIL 2025, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Premier Juge, Monsieur Maxime MAILLET, Juge, assistés de Madame Marine PISANI, Greffier en chef adjoint, en présence du Ministère public.

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