Tribunal de première instance, 17 octobre 2024, La Société Anonyme Monégasque dénommée F c/ La Société Anonyme Monégasque dénommée D

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Abstract🔗

Banques - Ouverture d'un compte courant - Rejet de la demande - Motivation obligatoire (non) - Bien-fondé (oui) - Impossibilité de remplir l'obligation de vigilance - Doute sur l'identification des bénéficiaires effectifs

Résumé🔗

Les dispositions de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte ne mentionnent aucune obligation de motivation de la décision de rejet à l'égard du demandeur. En tout état de cause, et à la faveur de la procédure judiciaire que le demandeur a engagée à l'encontre de ce refus, la société a incontestablement obtenu connaissance des motifs bien réels du rejet qui lui a été opposé.

La société défenderesse a fondé son refus d'ouverture de compte sur l'impossibilité de remplir son obligation de vigilance, au regard d'une approche globale fondée sur l'évaluation des risques. Elle se prévaut du caractère discrétionnaire de son appréciation du risque, fondée sur le contexte géopolitique avec la Russie, en lien avec les mesures restrictives mises en place par le Règlement UE n°833/2014. Elle fait état de la nature même de l'activité exercée par la demanderesse, au vu d'une note de l'Association Monégasque des Activités Financières, relative à une suspicion de contournement desdites sanctions par une société ayant une activité similaire. Ce contexte impliquait pour elle une obligation de vigilance renforcée, impliquant, au-delà de la simple collecte d'informations, une analyse objective et globale de la situation du client. L'ensemble des éléments concernant la demanderesse, pris en leur globalité, apparaît de nature à susciter de sérieux doutes quant à l'identification des bénéficiaires effectifs. Compte tenu de ces circonstances et de l'analyse des risques à laquelle elle a procédé, la défenderesse était fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 afin de refuser l'ouverture d'un compte à la demanderesse, rejoignant ainsi la décision d'autres banques.


TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2023/000317 (assignation du 23 mars 2023)

JUGEMENT DU 17 OCTOBRE 2024

En la cause de :

  • La Société Anonyme Monégasque dénommée F, dont le siège social se trouve x1 à Monaco, représentée par s.B en sa qualité de Président Administrateur Délégué de la société ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Anonyme Monégasque dénommée D (MONACO) S. A. M., dont le siège social se trouve x3 / x2 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 23 mars 2023, enregistré (n° 2023/000317) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SAM F, en date du 29 novembre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO avocat-défenseur, au nom de la SAM D (MONACO) S. A. M., en date du 9 janvier 2024 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 juin 2024 ;

À l'audience publique du 20 juin 2024, les conseils des parties ont déposé leur dossier et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 17 octobre 2024, par mise à disposition au Greffe.

Motifs🔗

FAITS ET PROCÉDURE :

Confrontée à la clôture de ses comptes ouverts dans les livres de la C, la SAM F, s'est vue refuser l'ouverture d'un compte bancaire par deux autres établissements bancaires exerçant en Principauté de Monaco.

Ce contexte l'a conduite à saisir, le 9 janvier 2023, la Direction du Trésor et du Budget aux fins de désignation d'office d'un établissement de crédit monégasque pour procéder à l'ouverture d'un compte de dépôt dans un délai de 15 jours ouvrés, en application des dispositions de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte.

Par courrier en date du 11 janvier 2023, la SAM F était avisée de ce que la SAM D (Monaco) S. A. M. était désignée à ce titre par la Direction du Budget et du Trésor.

Après avoir transmis les documents requis en vue de l'ouverture d'un compte, la SAM F était néanmoins informée, par courriel de m.M, conseiller de l'établissement bancaire, en date du 25 janvier 2023, du rejet de sa demande.

En réponse au conseil de la SAM F, la SAM D (Monaco) S. A. M. précisait que ce rejet était motivé par les dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.492.

Par exploit d'huissier en date du 23 mars 2023, la SAM F assignait la SAM D (Monaco) S. A. M., devant le Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives en date du 29 novembre 2023, la SAM F sollicite, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la SAM D (Monaco) S. A. M. à :

  • procéder en urgence, dans les huit jours suivant le prononcé du jugement à intervenir, à l'ouverture d'un compte de dépôt à la SAM F, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard, à compter du 9ème jour suivant la signification de la décision à intervenir :

  • lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, suite à la décision de refus d'ouverture de compte,

  • lui payer la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile,

  • supporter les entiers dépens, distraits au profit de Maître GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

A l'appui de ses demandes, la SAM F fait notamment valoir :

  • que la législation fait obligation aux sociétés commerciales monégasques de détenir un compte de dépôt dans un établissement de crédit établi à Monaco,

  • que la décision de refus d'ouverture de compte, opposée le 25 janvier 2023, souffre de l'absence de toute motivation,

  • que le paragraphe 5 de l'article 8 de la Loi n°1.492, relatif aux cas de refus d'ouverture de compte, ne saurait s'appliquer à sa situation, dès lors qu'elle a fourni l'ensemble des pièces sollicitées par la défenderesse, lui permettant de remplir ses obligations de vigilance prescrites par les articles 4-1 à 4-3 de la Loi 1.362 du 3 août 2009,

  • que les difficultés désormais mentionnées par la SAM D (Monaco) S. A. M. dans ses écritures n'ont jamais été soulevées antérieurement,

  • qu'en tout état de cause, pour répondre aux problématiques soulevées par la défenderesse, elle produit le bordereau valant transfert d'a.A en faveur de d.G, la dernière feuille de présence de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires, l'extrait à jours du registre des inscriptions portées au registre des bénéficiaires effectifs, tout en précisant que la convention de cession d'actions datée du 12 septembre 2022 n'a pas à être enregistrée ni tamponnée par la Direction du Développement Economique,

  • qu'en outre, le motif tiré de l'application de la note de l'Association Monégasque des Activités Financières en date du 8 novembre 2022 ne saurait lui être opposé dès lors que la clientèle russe ne représente que 10 % de son activité, qu'elle procède systématiquement à une vérification approfondie de ses nouveaux clients et qu'aucun de ses associés n'est défavorablement connu, étant précise qu'a.B, épouse de l'associé fondateur et de nationalité russe, a décidé de vendre ses actions le 12 septembre 2022, tout en sollicitant entre temps l'obtention de la nationalité française,

  • qu'en conséquence, la décision infondée et abusive de la SAM D (Monaco) S. A. M. est constitutive d'une faute lui causant un préjudice lié au retrait corrélatif de son autorisation d'exercer, obligeant ainsi à sa dissolution, la législation en vigueur l'empêchant de surcroit de formuler une autre demande d'ouverture de compte au visa de la Loi n°1.492 du 8 juillet 2020,

  • qu'elle subit également un préjudice économique et financier, dans la mesure où elle se trouve contrainte de refuser certains contrats, par peur de ne pouvoir en encaisser les bénéfices, ses transactions demeurant dès lors limitées.

En défense et aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 9 janvier 2024, la SAM D (Monaco) S. A. M. sollicite que soit écartée des débats et déclarée nulle la pièce adverse n°21, faute de respecter les conditions de l'article 324 du Code de procédure civile.

Pour le reste, elle s'oppose à l'ensemble des demandes formées par la SAM F dont elle sollicite la condamnation à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

La SAM D (Monaco) S. A. M. fait notamment valoir :

  • que les attestations adverses versées en pièce n°21 devront être écartées des débats et déclarées nulles pour n'être que partiellement manuscrites, pour indiquer faussement que leurs auteurs n'ont aucun intérêt au litige, alors qu'elles émanent de cédants et de cessionnaires des parts de la SAM F, et pour ne comporter aucun justificatif d'identité comportant une signature,

  • que le droit à l'ouverture d'un compte de dépôt n'est aucunement inconditionnel, la Loi n°1.492 du 8 juillet 2020 comportant des réserves liées au respect de la législation en vigueur, « notamment celle relative à la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux et la corruption » (article 2) et le « respect des dispositions de la Loi n°1.362 du 3 août 2009, modifiée et des textes pris en son application » (article 3), à laquelle fait également référence l'article 8 de la Loi du 8 juillet 2020, relatif aux cas de refus d'ouverture d'un compte,

  • que l'article 7 de la Loi n°1.362 interdit d'établir une relation d'affaires si l'établissement bancaire n'a pas été en mesure de remplir ses obligations de vigilance prescrites par les articles 4-1 et 4-3, dont il ressort que les obligations d'identification et de vérification ne portent pas uniquement sur l'identité du client mais également sur ses mandataires et bénéficiaires effectifs,

  • qu'en application de l'article 13 de l'ordonnance souveraine 2.318 du 3 août 2009, prise en application de l'article 4-1 de la Loi n°1.362, la vérification de l'identité du bénéficiaire effectif implique le recueil des informations contenues dans le registre mentionné à l'article 2 de la Loi n°1.362, outre des mesures complémentaires fondées sur une approche par les risques, d'autant plus importantes quand le risque identifié est important,

  • qu'en l'état des pièces produites, elle n'a pas été en mesure de remplir ses obligations de vigilance à l'égard de la SAM F, dont le risque présenté a été jugé élevé, précision étant faite que l'appréciation du risque dans une relation d'affaire est jugée discrétionnairement par la banque, sans contestation possible par le client,

  • qu'en l'occurrence, il doit être tenu compte du contexte géopolitique avec la Russie et des mesures restrictives mises en place par le Règlement UE n°833/2014, la SAM F et ses associés présentant des liens avec ce pays, mais également de la nature de l'activité exercée par cette société, l'attention de la banque ayant été attirée par l'Association Monégasque des Activités Financières au sujet de suspicions de fraude à ce règlement par une société ayant une activité similaire,

  • qu'elle avait en conséquence une obligation de vigilance renforcée, laquelle n'était pas satisfaite par les informations recueillies sur la S. A. M. F, compte tenu de divergences observées dans les informations et pièces fournies au sujet de l'identification des bénéficiaires effectifs,

  • que tous les documents relatifs à une cession d'action intervenue le 12 septembre 2022 n'ont pas été transmis, plus particulièrement le bordereau de transfert des actions d'a.A en faveur de d.G, des divergences significatives étant relevées avec le bordereau de transfert pourtant établi le même jour par a.A au profit de s.R, sans que les attestations désormais produites, et affectées de nullité, ne permettent de rectifier ces incohérences,

  • qu'en outre, si la dernière feuille de présence de l'assemblée générale ordinaire était également manquante, la pièce désormais produite ne permet pas de corroborer l'identification des actionnaires, dans la mesure où elle mentionne une répartition du capital différente de celle indiquée dans la convention de cession d'actions, intervenue un mois plus tard, suggérant ainsi l'existence d'une autre cession, réalisée au cours de ce laps de temps, au sujet de laquelle aucune information n'a été communiquée,

  • que le prix de la cession n'a pas été payé par les cessionnaires au cédant, mais à un tiers, n.N, qui ne fait pas partie de la convention de cession d'actions,

  • que l'absence de revue de la documentation par l'administration n'est pas de nature à la rassurer au sujet des incohérences identifiées,

  • qu'une contradiction était également relevée entre la convention de cession d'actions du 12 septembre 2022 et l'extrait du registre des bénéficiaires effectifs de la société, daté du 16 septembre 2022, qui ne mentionnait ni s.R, ni d.G, pourtant titulaires de plus de 25 % du capital de la société,

  • que la modification du registre des inscriptions au registre des bénéficiaires effectifs, désormais invoquée par la SAM F, n'a pas été portée à la connaissance de la banque, alors qu'il est de la responsabilité exclusive du client de fournir des informations exhaustives et actualisées, laissant ainsi à penser que la documentation versée était à jour, d'autant que l'extrait du registre des bénéficiaires effectifs portait une date postérieure à la cession d'actions,

  • que ces incohérences l'ont conduite à se prévaloir des dispositions de l'article 8 5° de la Loi pour refuser d'ouvrir un compte à la SAM F, la Loi ne l'obligeant pas à motiver sa décision,

  • qu'il n'en est résulté aucune faute de sa part, son refus étant parfaitement fondé eu égard à ses obligations de vigilance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 juin 2024.

À l'audience du 20 juin 2024, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers, l'affaire a alors été mise en délibéré au 17 octobre 2024.

SUR CE,

  • Sur la pièce 21 de la SAM F

L'article 324 du Code de procédure civile dispose que « l'attestation doit, à peine de nullité :

  • 1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;

  • 2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;

  • 3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;

  • 4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;

  • 5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal ;

  • 6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature. »

La pièce n° 21 de la SAM F correspond à 3 attestations, établies par s.R, d.G et a.A, mentionnant non seulement l'absence de lien d'intérêt avec les parties et d'intérêt au procès, alors qu'il est constant qu'il s'agit des actuels ou des anciens actionnaires de la SAM F, et ne comportant en outre aucun justificatif d'identité comportant les signatures des témoins en question.

Faute de respecter les conditions prescrites par l'article 324 du Code de procédure civile, cette pièce est nulle et doit en conséquence être écartée des débats.

  • Sur la décision de rejet, par la SAM D (Monaco) S. A. M., de la demande d'ouverture de compte au nom de la SAM F

L'article 5 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte dispose que « les établissements de crédit désignés par la Direction du Budget et du Trésor en application de l'article 4 sont tenus d'offrir au titulaire du compte les services bancaires de base suivants :

  • 1°) l'ouverture, la tenue et la clôture du compte ;

  • 2°) un changement d'adresse par an ;

  • 3°) la délivrance à la demande de relevés d'identité bancaire ;

  • 4°) la domiciliation de virements bancaires ;

  • 5°) l'envoi mensuel d'un relevé des opérations effectuées sur le compte ;

  • 6°) la réalisation des opérations de caisse ;

  • 7°) l'encaissement de chèques et de virements bancaires ;

  • 8°) les dépôts et les retraits d'espèces au guichet de l'organisme teneur de compte et aux distributeurs automatiques de billets ;

  • 9°) les paiements par prélèvements, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ;

  • 10°) des moyens de consultation à distance du solde du compte, lorsque l'établissement de crédit propose habituellement de tels services à ses clients ;

  • 11°) une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par l'établissement de crédit qui l'a émise ;

  • 12°) deux formules de chèques de banque par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services.

Les tarifs applicables aux services bancaires de base ne peuvent être supérieurs, pour des prestations équivalentes, aux tarifs en vigueur appliqués à ses autres clients par l'établissement de crédit désigné par la Direction du Budget et du Trésor.

Les établissements de crédit procèdent à l'ouverture du compte de dépôt dans les quinze jours ouvrés à compter de la réception de l'ensemble des pièces qui leur sont nécessaires à cet effet ».

En outre, l'article 8 de cette même loi dispose que : « l'établissement de crédit désigné par la Direction du Budget et du Trésor en application de l'article 4 ne peut rejeter la demande d'ouverture de compte que sur le fondement d'un ou de plusieurs des motifs suivants :

  • 1°) en cas de condamnation prononcée sur le fondement des article 218 à 219, 391-1 à 391-12 du Code pénal ;

  • 2°) en cas de condamnation prononcée pour l'une des infractions prévues par la loi n°890 du 1er juillet 1970 ;

  • 3°) en cas de condamnation sur le fondement des article 2 à 12 de l'Ordonnance Souveraine n° 15,320 du 8 avril 2002 ;

  • 4°) si la personne cesse de remplir les conditions figurant aux articles 2 et 6 de la présente loi ;

  • 5°) lorsque l'établissement est dans l'une des situations visées à l'article 7 de la loi n°1.360 du 3 août 2009, modifiée.

Le rejet, par l'établissement de crédit désigné, de la demande d'ouverture de compte est susceptible de recours devant les juridictions compétentes ».

  • Sur l'absence de motivation de la décision de rejet

En l'espèce, la SAM D (Monaco) S. A. M., qui se devait de procéder à une analyse approfondie de la situation de la SAM F, notamment eu égard aux risques encourus et au caractère singulier de la procédure de demande d'ouverture de compte employée, a avisé la Direction du Budget et du Trésor le 18 janvier 2023 de son refus d'ouvrir un compte à la SAM F (pièce 2 de la défenderesse), et ce pour des motifs tirés de l'application des dispositions de l'article 8 de la loi susvisée.

Par courriel en date du 25 janvier 2023 (pièce 3 de la défenderesse), ce refus a par la suite été porté à la connaissance de la SAM F. Il a été confirmé le 6 mars 2023 au conseil de la SAM F (pièce 5 de la défenderesse), au visa de l'article 8 de la loi.

Les dispositions en question visent tout particulièrement à concilier le droit effectif de disposer d'un compte avec le respect des obligations des établissements bancaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, sur lesquelles il ne peut être transigé, y compris pour assurer le droit au compte.

Néanmoins, le texte de l'article 8 ne mentionne aucune obligation de motivation à l'égard du demandeur. Il doit à cet égard être observé que le courrier de la Direction du Budget et du Trésor en date du 11 janvier 2023 (pièce 1 de la demanderesse), ayant désigné la SAM D (Monaco) S. A. M. pour procéder à l'ouverture d'un compte, sollicite très explicitement un retour quant aux suites réservées à cette requête. La défenderesse était donc fondée à en aviser en premier lieu la Direction du Budget et du Trésor, qui l'a sollicitée en ce sens. En tout état de cause, et à la faveur de la procédure judiciaire qu'elle a engagée à l'encontre de ce refus, comme le lui permettent les dispositions de l'article 8 de la Loi, la SAM F a incontestablement obtenu connaissance des motifs bien réels du rejet qui lui a été opposé, motifs au sujet desquels un débat contradictoire s'est ensuite noué, sans que les explications et justificatifs produits en cours de procédure n'aient pour autant conduit la SAM D (Monaco) S. A. M. à infléchir sa position initiale.

Aucun manquement ne saurait dès lors être reproché à la SAM D (Monaco) S. A. M. du fait des conditions dans lesquelles la SAM F a été avisée du refus d'ouverture de compte.

  • Sur le bien-fondé du refus d'ouverture de compte

Le refus d'ouverture de compte est basé sur les dispositions de l'article 7 de la Loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui dispose notamment que "lorsque les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 n'ont pas été en mesure de remplir les obligations de vigilance prescrites aux articles 4-1 et 4-3, ils ne peuvent ni établir, ni maintenir une relation d'affaires, ni exécuter aucune opération, y compris occasionnelle".

Plus précisément, l'article 4-1 de cette loi dispose que : « avant d'établir une relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation de l'une des transactions mentionnées à l'article précédent, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 :

  • 1°) identifient le client, le mandataire et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif ;

  • 2°) vérifient ces éléments d'identification au moyen d'un document justificatif probant, portant leur photographie.

Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également lorsque lesdits organismes ou personnes ont des doutes quant à la véracité ou à l'exactitude des données d'identification au sujet d'un client avec lequel ils sont d'ores et déjà en relation d'affaires.

L'identification et la vérification du client et de son mandataire portent notamment sur le nom, le prénom, et l'adresse pour les personnes physiques.

Pour les personnes morales, les entités juridiques et les trusts, elles portent notamment sur la dénomination sociale, le siège social, la liste et l'identification des dirigeants, ainsi que la connaissance des dispositions régissant le pouvoir d'engager la personne morale, l'entité juridique ou le trust.

Ils doivent identifier le client et vérifier son identité au moyen de documents, données et informations, issus de sources fiables et indépendantes, y compris, le cas échéant, par des moyens d'identification électronique et de services de confiance pertinents dans les conditions définies par ordonnance souveraine.

Ils doivent également prendre toutes les mesures raisonnables pour vérifier l'identité de la ou des personnes au profit de laquelle ou desquelles l'opération ou la transaction est effectuée : identifier les bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructions juridiques. Dans ce dernier cas, les mesures doivent permettre de comprendre la structure de propriété et de contrôle du client.

Avant d'établir une relation d'affaires avec une société, une fondation, une association ou une autre entité juridique, un trust ou une construction juridique présentant une structure ou des fonctions similaires à celles d'un trust, pour lesquels des informations sur les bénéficiaires effectifs doivent être enregistrées au « registre des bénéficiaires effectifs - sociétés et GIE - » en application de l'article 22 ou au registre des trusts en application de l'article 11 de la loi n°214 du 27 février 1936, modifiée, ils doivent recueillir un extrait de l'inscription au registre concerné ».

L'article 4-3 précise que « lorsqu'ils établissent une relation d'affaires, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 recueillent des informations proportionnées relatives à l'objet et à la nature envisagés de la relation d'affaires.

Les informations recueillies sont proportionnées à la nature et à la taille des organismes et des personnes visés aux articles premier et 2, ainsi qu'à l'importance du risque de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive et de corruption.

L'importance du risque visé au précédent alinéa s'apprécie en tenant compte notamment, de l'arrière-plan socio-économique du client et des caractéristiques suivantes de la relation d'affaires :

  • la régularité ou la durée ;

  • l'objet ou la finalité ;

  • la nature de la relation d'affaires ;

  • le volume prévisible des transactions effectuées.

Ces informations permettant de déterminer l'importance du risque mentionné au deuxième alinéa, ainsi que des renseignements concernant l'origine du patrimoine du client doivent être étayés au moyen de documents, données ou sources d'informations fiables ».

L'article 13 de l'ordonnance souveraine n°2.318 du 3 août 2009 fixant les conditions d'application de la Loi n° 1.362 du 3 août 2009 précise notamment que « les professionnels identifient le bénéficiaire effectif de la relation d'affaires, au sens de l'article 21 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, et vérifient les éléments d'identification recueillis sur celui-ci par le recueil de tout document ou justificatif probant, issu de sources fiables, compte tenu des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme présentés par la relation d'affaires.

L'identification des bénéficiaires effectifs conformément à l'article 4-1 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, porte sur les éléments suivants :

  • 1°) les nom, nom d'usage, surnom ou pseudonyme, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse personnelle de la ou des personnes physiques ;

  • 2°) les modalités du contrôle exercé sur la société ou le groupement d'intérêt économique mentionnées à l'article 14 ;

  • 3°) la date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif de la société ou du groupement d'intérêt économique concerné.

Lorsque la propriété ou le contrôle du client est exercé par le biais d'une chaîne de propriété ou par toute autre forme de contrôle autre que direct, outre la ou les personnes physiques bénéficiaires effectifs, le professionnel doit identifier l'ensemble des personnes composant cette chaîne.

Pour la vérification de l'identité du bénéficiaire effectif :

  • lorsque le client est une personne mentionnée au troisième alinéa de l'article 21 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 de ladite loi recueillent les informations sur le bénéficiaire effectif contenues dans le registre mentionné à l'article 22 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée ;

  • lorsque le client est trustee ou toute personne occupant une fonction équivalente dans une construction juridique similaire telle que mentionnée à l'article 11 de la loi n° 214 du 27 février 1936, modifiée, susvisée, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, recueillent les informations sur le bénéficiaire effectif dans le registre des trusts mentionné audit article.

Aux mêmes fins de vérification d'identité, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, prennent, le cas échéant, des mesures complémentaires en se fondant sur une approche par les risques.

Les organismes et personnes visés aux articles premier et 2 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, sont en mesure de justifier auprès des autorités de contrôle de la mise en oeuvre de ces mesures et de leur adéquation au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme présenté par la relation d'affaires. Ils sont également en mesure de justifier que les mesures prises pour la détermination du bénéficiaire effectif sont conformes au présent article.

Conformément aux dispositions de l'article 23 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, ils conservent, au titre des documents et informations relatifs à l'identité de leur client, les documents et informations relatifs à l'identification et à la vérification de l'identité du bénéficiaire effectif effectuées conformément au présent article, quel qu'en soit le support. ».

La SAM D (MONACO) S. A. M. évoque l'impossibilité de remplir son obligation de vigilance, au regard d'une approche globale fondée sur l'évaluation des risques. À cet égard, elle se prévaut du caractère discrétionnaire de son appréciation du risque, fondée sur le contexte géopolitique avec la Russie, en lien avec les mesures restrictives mises en place par le Règlement UE n°833/2014. A cet égard, elle fait état de la nature même de l'activité exercée par la SAM F, au vu d'une note de l'Association Monégasque des Activités Financières, relative à une suspicion de contournement desdites sanctions par une société ayant une activité similaire.

Ce contexte impliquait pour elle une obligation de vigilance renforcée, impliquant, au-delà de la simple collecte d'informations, une analyse objective et globale de la situation du client.

En l'occurrence, le capital de la SAM F a fait l'objet d'une convention de cession d'actions en date du 12 septembre 2022 aux termes de laquelle a.A, titulaire de 240 actions représentant 24 % du capital, et a.B, titulaire de 140 actions représentant 14 % du capital, ont cédé leur actions à d.G, s.R et à s.B, portant ainsi la répartition du capital de la SAM F à hauteur de 360 actions pour s.R ainsi que pour d.G et de 280 actions pour s.B.

Or, il n'est pas contesté que le bordereau de transfert au profit de d.G n'était pas joint à la convention. Le bordereau produit en cours d'instance (pièce 11 de la S. A. M. F) laisse apparaître des divergences significatives entre le bordereau signé par a.A au profit de s.R et le bordereau signé par a.A au profit de d.G, chacun d'entre eux portant sur une cession de 120 actions : différence d'encre, absence de mention manuscrite relative au transfert, différences entre les 2 signatures d'a.A.

Plus encore, la dernière feuille de présence à l'Assemblée Générale Ordinaire des actionnaires du 26 août 2022 n'a pas été produite à l'appui de la demande d'ouverture de compte. Sa production en cause d'instance (pièce 12 de la SAM F) laisse apparaître une divergence significative avec la répartition du capital telle qu'elle ressort de la convention de cession d'actions intervenue moins d'un mois plus tard (pièce 8 de la SAM D (MONACO) S. A. M.), puisque s.R, a.A, d.G et n.N détenaient chacun 180 actions le 26 août 2022 et qu'au moment de la cession d'actions, le 12 septembre 2022, s.R, a.A et d.G détenaient chacun 240 actions, tandis que n.N n'en détenait aucune, permettant ainsi d'en déduire qu'une autre cession d'actions est nécessairement intervenue entre temps, au sujet de laquelle aucune information n'a été transmise à la SAM D (MONACO) S. A. M.

De plus, il ressort des pièces versées aux débats que le prix de la cession des actions d'a.A, acquises par d.G et par s.R a été payé à un tiers à la relation contractuelle, à savoir n.N (article 3 de la convention de cession d'actions du 12 septembre 2022).

L'extrait du registre des bénéficiaires effectifs daté du 16 septembre 2022, soit 4 jours après la convention de cession d'actions intervenue le 12 septembre 2022, ne mentionnait que s.B et a.B, sans indication relative au capital détenu, tandis que s.R et d.G, pourtant titulaires chacun de plus de 25 % du capital, n'y figuraient pas, sans que la SAM F ne s'en explique lors de la remise de ces pièces, alors qu'elle était censée produire une information actualisée ou tout au moins s'en expliquer si tel n'était pas le cas.

L'ensemble de ces éléments, pris en leur globalité, apparaît de nature à susciter de sérieux doutes quant à l'identification des bénéficiaires effectifs, sans que la SAM F ne parvienne à dissiper les légitimes interrogations élevées par la SAM D (MONACO) S. A. M..

Compte tenu de ces circonstances et de l'analyse des risques à laquelle elle a procédé, la SAM D (MONACO) S. A. M. était fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 8 de la Loi n°1.492 du 8 juillet 2020 afin de refuser l'ouverture d'un compte à la SAM F, rejoignant ainsi la décision de la C, qui a décidé de mettre fin à ses relations avec la demanderesse, ainsi que le position adoptée par la Société Générale (pièce 2 de la SAM F), la BNP (pièce 3 de la SAM F), précédemment saisies de la demande d'ouverture de compte.

La SAM F sera par conséquent déboutée de l'ensemble de ses demandes tirées du refus d'ouverture de compte opposé par la SAM D (MONACO) S. A. M.

  • Sur l'exécution provisoire

Selon les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.

En l'espèce, l'issue du litige ne justifie aucunement l'exécution provisoire, qui sera dès lors rejetée.

  • Sur les frais irrépétibles

Selon l'article 238-1 du Code de procédure civile, « le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

  • 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

  • 2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. »

En l'espèce, l'équité commande de condamner la SAM F à payer sur ce fondement la somme de 5.000 euros à la SAM D (MONACO) S. A. M.

  • Sur les dépens

Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

L'article 232 du Code de procédure civile énonce que les juges pourront compenser les dépens en tout ou en partie, si le demandeur et le défendeur succombent respectivement sur quelques chefs ; Ils pourront aussi ordonner qu'il sera fait une masse des dépens, en indiquant la part que chacun devra supporter.

En l'espèce, la SAM F, qui succombe, sera condamnée aux dépens dont distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Constate la nullité de la pièce n°21, produite par la SAM F, et l'écarte en conséquence des débats,

Déboute la SAM F de sa demande d'ouverture d'un compte de dépôt et de l'intégralité de ses demandes formées de ce chef,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,

Condamne la SAM F à payer la somme de 5.000 euros à la SAM D (MONACO) S. A. M. au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile;

Condamne la SAM F aux dépens, dont distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 17 OCTOBRE 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Catherine OSTENGO, Juge, Monsieur Patrice FEY, Juge, assistés, de Madame Sophie LIOTARD, Greffier, en présence du Ministère public.

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