Tribunal de première instance, 28 mars 2024, La société par actions simplifiée à associé unique de droit français dénommée D. c/ h. j. A.

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Abstract🔗

Jugement étranger – Exequatur – Conditions

Résumé🔗

Selon l'article 14 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé : « Lorsqu'ils sont exécutoires dans l'État dans lequel ils sont intervenus, les jugements rendus par les tribunaux étrangers, passés en force de chose jugée, ainsi que les actes reçus par les officiers publics étrangers, ne sont susceptibles d'exécution dans la Principauté qu'après avoir été déclarés exécutoires par le tribunal de première instance, sauf stipulations contraires des traités ». Aux termes de l'article 18 de la Convention Franco-Monégasque du 21 septembre 1949 applicable à l'espèce, les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie. Il permet au Tribunal saisi d'une demande d'exequatur d'une décision française de déclarer celle-ci exécutoire en Principauté de Monaco, après avoir vérifié, au regard tout d'abord de la loi du pays d'origine, soit en l'espèce, la loi française : l'authenticité de l'expédition de cette décision, la compétence de la juridiction dont elle émane, la régularité des citations délivrées aux parties ainsi que la réalité de sa force de chose jugée. Puis, le Tribunal vérifie si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis.

En l'espèce, à l'appui de sa demande d'exequatur, la SAS D. produit une expédition du jugement du 28 juin 2019, revêtue de la formule exécutoire accompagnée de l'acte de signification duquel il ressort qu'il a été signifié le 21 février 2020 par Maître Frédéric LEFEBVRE huissier qui, n'ayant trouvé personne à l'adresse mentionnée dans le jugement (X à Monaco) a déposé l'acte en mairie et adressé une lettre recommandée sans avis de réception à h. j. A. ce dont il justifie par la production de la preuve de dépôt. L'authenticité de la décision est donc démontrée et n'est d'ailleurs pas contestée de même que la compétence du Tribunal correctionnel de Nice, compétent matériellement pour connaître de l'infraction d'abus de confiance et territorialement à raison du lieu de commission des faits, à Nice.

h. j. A. en revanche, considère que le jugement ayant été rendu par défaut, il n'a pas eu connaissance de la citation et n'a donc pas été mis en mesure de se défendre devant le Tribunal correctionnel. Selon l'article 552 du Code civil français le délai entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le Tribunal correctionnel est de deux mois et 10 jours lorsque le prévenu ne réside pas dans un État de l'Union européenne. En l'espèce, l'audience s'est tenue le 28 juin 2019 et le jugement indique que h. j. A. avait été cité par acte d'huissier de justice délivré à Parquet le 21 février 2019. Le délai précité a donc été respecté. S'agissant ensuite des modalités de la citation, l'article 562 du Code de procédure pénale français dispose que « Si la personne réside à l'étranger, elle est citée au parquet du procureur de la République près le tribunal saisi. Le procureur de la République vise l'original et en envoie la copie au ministre des affaires étrangères ou à toute autorité déterminée par les conventions internationales ». Et l'article 4 de la Convention Franco-Monégasque du 21 septembre 1949 prévoit que « Les actes judiciaires et extrajudiciaires, tant en matière civile et commerciale qu'en matière pénale, destinés à des personnes résidant sur le territoire de l'une des Hautes Parties Contractantes seront transmis directement par l'autorité compétente : 1° En France, au procureur de la République dans le ressort duquel se trouve le destinataire de l'acte ; 2° Dans la Principauté, au procureur général ». L'article 7 de cette Convention précise que « L'autorité requise se bornera à faire effectuer la remise de l'acte au destinataire qui l'acceptera volontairement. La preuve de la remise se fera au moyen, soit d'un récépissé daté et signé par le destinataire, soit d'une attestation de l'autorité requise constatant le fait et la forme de la remise. L'un ou l'autre de ces documents sera immédiatement transmis à l'autorité requérante. Si le destinataire refuse de recevoir l'acte, l'autorité requise renverra immédiatement celui-ci à l'autorité requérante en indiquant le motif pour lequel la remise n'a pu avoir lieu. L'attestation constatant le refus du destinataire sera considérée comme valant remise de l'acte ». En l'espèce, si le jugement correctionnel indique bien que h. j. A. a été cité à Parquet, l'acte correspondant n'est pas produit de sorte que le Tribunal n'est pas en mesure de vérifier si la citation a bien été acheminée par la voie diplomatique au Procureur général à Monaco et à supposer que tel ait bien été le cas, il n'est communiqué ni récépissé ni attestation qui permettrait de s'assurer que le Procureur général de Monaco a effectivement remis ou tenté de remettre la citation à h. j. A. Dès lors, et sans même qu'il soit nécessaire de vérifier la régularité de la signification du jugement et si les dispositions de celui-ci n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public monégasque, la demande d'exequatur présentée par la SAS D. ne peut qu'être rejetée.


TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2021/000331 (assignation du 24 février 2021)

JUGEMENT DU 28 MARS 2024

En la cause de :

  • La société par actions simplifiée à associé unique de droit français dénommée D., dont le siège social se trouve x1 à Clichy (92110), agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Axelle ZENATI, avocat au Barreau de Paris ;

d'une part ;

Contre :

  • 1- h. j. A., né le jma à Manille (Philippines), de nationalité philippine, demeurant actuellement « x2 », x2 à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Erika BERNARDI, avocat près la même Cour ;

  • 2- Monsieur le PROCUREUR GENERAL, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 30 novembre 2020, enregistré (n° 2021/000202) ;

Vu le jugement de réassignation subséquent et l'attestation du Greffe relative à ce jugement, en date du 18 février 2021 ;

Vu l'exploit de réassignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 24 février 2021, enregistré (n° 2021/000331) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de h. j. A., en date du 3 novembre 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la S. A. S. D., en date du 28 février 2022 ;

Vu les conclusions du Ministère public en date du 1er juin 2021 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 janvier 2024 ;

À l'audience publique du 25 janvier 2024, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 28 mars 2024, par mise à disposition au Greffe ;

Motifs🔗

FAITS ET PROCÉDURE :

Par jugement du 28 juin 2019 rendu par défaut, le Tribunal correctionnel de Nice a déclaré h. j. A. coupable d'abus de confiance commis du 21 novembre 2013 au 28 janvier 2014 à Nice et en conséquence, l'a condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de 6 mois et sur l'action civile, l'a déclaré entièrement responsable du préjudice subi par la S. A. S. D. et condamné à lui payer la somme de 38.620,99 euros de dommages et intérêts outre 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le 30 novembre 2020, la S. A. S. D. a fait citer h. j. A. devant ce Tribunal aux fins de voir déclarer exécutoire ce jugement sur le territoire de la Principauté de Monaco.

L'assignation ayant été délivrée à Parquet après une vaine tentative de citation à l'adresse indiquée sur le jugement du Tribunal correctionnel de Nice, le Tribunal de première instance de Monaco a invité la S. A. S. D. à procéder à une réassignation de l'intéressé à sa nouvelle adresse « x2 » x2 à Monaco.

C'est dans ces conditions que h. j. A. a été cité par acte délivré le 24 février 2021.

Aux termes de ses dernières écritures, la société S. A. S. D. demande au Tribunal de :

  • déclarer exécutoire sur le territoire de la Principauté de Monaco, avec toutes conséquences de droit, le jugement rendu par la 6ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Nice le 28 juin 2019, N° 1867/19 (N° Parquet 16084000091) ;

  • débouter Monsieur C. h. Jr. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

  • ordonner, en application de l'article 202 du Code de Procédure civile, l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

  • condamner Monsieur h. B. au paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

  • condamner Monsieur h. B. au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

  • condamner Monsieur h. j. A. aux entiers frais et dépens de la présente instance, lesquels comprendront notamment les frais et accessoires, frais d'huissiers, l'expertise et traductions éventuels dont distraction au profit de Maître Patricia REY, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

Dans ses dernières conclusions, h. j. A. demande au Tribunal de :

  • constater que la société D. ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir que la citation à comparaître par devant le Tribunal correctionnel de Nice a été délivrée à Monsieur C. conformément aux dispositions légales applicables ;

  • constater que la société D. ne verse pas davantage aux débats d'élément permettant d'établir, en tout état de cause, que Monsieur C. a pu avoir connaissance de cette citation ;

par conséquent,

  • dire et juger que les droits de la défense de Monsieur C. n'ont pas été respectés dans le cadre de l'instance pénale ayant donné lieu au jugement du Tribunal correctionnel de Nice en date du 28 juin 2019 ;

en conséquence,

  • débouter la société D. de sa demande tendant à ce que le jugement rendu par défaut le 28 juin 2019 par le Tribunal correctionnel de Nice soit rendu exécutoire sur le territoire de la Principauté ;

  • condamner la S. A. S. D., aux entiers dépens de l'instance ainsi que tous frais et accessoires, dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur, sous son affirmation de droit.

Dans ses conclusions, le Ministère public demande au Tribunal de déclarer exécutoire le jugement litigieux, d'ordonner l'exécution provisoire et de condamner C. h. Jr. au paiement des entiers dépens.

À l'audience du 25 janvier 2024, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 28 mars 2024 par mise à disposition au greffe.

SUR CE

  • Sur l'exequatur

Selon l'article 14 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé :

« Lorsqu'ils sont exécutoires dans l'État dans lequel ils sont intervenus, les jugements rendus par les tribunaux étrangers, passés en force de chose jugée, ainsi que les actes reçus par les officiers publics étrangers, ne sont susceptibles d'exécution dans la Principauté qu'après avoir été déclarés exécutoires par le tribunal de première instance, sauf stipulations contraires des traités ».

Aux termes de l'article 18 de la Convention Franco-Monégasque du 21 septembre 1949 applicable à l'espèce, les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie. Il permet au Tribunal saisi d'une demande d'exequatur d'une décision française de déclarer celle-ci exécutoire en Principauté de Monaco, après avoir vérifié, au regard tout d'abord de la loi du pays d'origine, soit en l'espèce, la loi française :

  • l'authenticité de l'expédition de cette décision,

  • la compétence de la juridiction dont elle émane,

  • la régularité des citations délivrées aux parties ainsi que la réalité de sa force de chose jugée.

Puis, le Tribunal vérifie si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis.

En l'espèce, à l'appui de sa demande d'exequatur, la S. A. S. D. produit une expédition du jugement du 28 juin 2019, revêtue de la formule exécutoire accompagnée de l'acte de signification duquel il ressort qu'il a été signifié le 21 février 2020 par Maître Frédéric LEFEBVRE huissier qui, n'ayant trouvé personne à l'adresse mentionnée dans le jugement (XX à Monaco) a déposé l'acte en mairie et adressé une lettre recommandée sans avis de réception à h. j. A. ce dont il justifie par la production de la preuve de dépôt.

L'authenticité de la décision est donc démontrée et n'est d'ailleurs pas contestée de même que la compétence du Tribunal correctionnel de Nice, compétent matériellement pour connaître de l'infraction d'abus de confiance et territorialement à raison du lieu de commission des faits, à Nice.

h. j. A. en revanche, considère que le jugement ayant été rendu par défaut, il n'a pas eu connaissance de la citation et n'a donc pas été mis en mesure de se défendre devant le Tribunal correctionnel.

Selon l'article 552 du Code civil français le délai entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le Tribunal correctionnel est de deux mois et 10 jours lorsque le prévenu ne réside pas dans un État de l'Union européenne.

En l'espèce, l'audience s'est tenue le 28 juin 2019 et le jugement indique que h. j. A. avait été cité par acte d'huissier de justice délivré à Parquet le 21 février 2019. Le délai précité a donc été respecté.

S'agissant ensuite des modalités de la citation, l'article 562 du Code de procédure pénale français dispose que « Si la personne réside à l'étranger, elle est citée au parquet du procureur de la République près le tribunal saisi. Le procureur de la République vise l'original et en envoie la copie au ministre des affaires étrangères ou à toute autorité déterminée par les conventions internationales ».

Et l'article 4 de la Convention Franco-Monégasque du 21 septembre 1949 prévoit que « Les actes judiciaires et extrajudiciaires, tant en matière civile et commerciale qu'en matière pénale, destinés à des personnes résidant sur le territoire de l'une des Hautes Parties Contractantes seront transmis directement par l'autorité compétente : 1° En France, au procureur de la République dans le ressort duquel se trouve le destinataire de l'acte ; 2° Dans la Principauté, au procureur général ».

L'article 7 de cette Convention précise que « L'autorité requise se bornera à faire effectuer la remise de l'acte au destinataire qui l'acceptera volontairement. La preuve de la remise se fera au moyen, soit d'un récépissé daté et signé par le destinataire, soit d'une attestation de l'autorité requise constatant le fait et la forme de la remise. L'un ou l'autre de ces documents sera immédiatement transmis à l'autorité requérante. Si le destinataire refuse de recevoir l'acte, l'autorité requise renverra immédiatement celui-ci à l'autorité requérante en indiquant le motif pour lequel la remise n'a pu avoir lieu. L'attestation constatant le refus du destinataire sera considérée comme valant remise de l'acte ».

En l'espèce, si le jugement correctionnel indique bien que h. j. A. a été cité à Parquet, l'acte correspondant n'est pas produit de sorte que le Tribunal n'est pas en mesure de vérifier si la citation a bien été acheminée par la voie diplomatique au Procureur général à Monaco et à supposer que tel ait bien été le cas, il n'est communiqué ni récépissé ni attestation qui permettrait de s'assurer que le Procureur général de Monaco a effectivement remis ou tenté de remettre la citation à h. j. A.

Dès lors, et sans même qu'il soit nécessaire de vérifier la régularité de la signification du jugement et si les dispositions de celui-ci n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public monégasque, la demande d'exequatur présentée par la S. A. S. D. ne peut qu'être rejetée.

  • Sur la demande de dommages-et-intérêts pour résistance abusive

Compte-tenu de la solution du litige, cette demande ne peut aboutir.

  • Sur les frais irrépétibles et les dépens

La S. A. S. D. succombant, supportera la charge des dépens et sa demande formée en application des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile sera rejetée.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Rejette la demande d'exequatur du jugement du Tribunal correctionnel de Nice en date du 28 juin 2019 ;

Rejette la demande des dommages et intérêts ;

Rejette la demande fondée sur les dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Condamne la S. A. S. D. aux dépens et dit qu'il en sera opéré distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Composition🔗

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 28 mars 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Catherine OSTENGO, Juge, Monsieur Thierry DESCHANELS, Juge, assistés, de Madame Christèle SETTINIERI, Greffier, en présence du Ministère public.

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