Tribunal de première instance, 21 mars 2024, La SAM A. c/ La SAM B.

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Abstract🔗

Banque - Droit au compte - Demande d'ouverture de compte - Délai - Refus d'ouverture – Manquement (non)

Résumé🔗

Il est constant que la banque n'a en définitive pas procédé à l'ouverture de compte sollicitée, et ce pour des motifs tirés de l'application des dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte. Or, l'article 5 précise que l'ouverture du compte doit être effectuée dans les 15 jours ouvrés à compter de la réception de l'ensemble des pièces requises. Après avoir obtenu communication, le 23 décembre 2020, d'une première série de documents, la banque a sollicité des pièces complémentaires qui lui ont été communiquées le 13 janvier 2021. Fort de ces éléments et ainsi que le lui permet l'article 8 de la loi susvisée, la banque a décidé de ne pas donner suite à la demande d'ouverture de compte, sans que le délai de 15 jours ouvrés mentionné à l'article 5, circonscrit à la seule ouverture, ne puisse lui être opposé. La banque, qui était pleinement légitime à procéder à une analyse approfondie de la situation de la SAM A., notamment eu égard aux risques encourus et au caractère singulier de la procédure de demande d'ouverture de compte employée, a avisé le Direction du Budget et du Trésor le 3 février 2021 de son refus. Ce refus a par la suite été porté à la connaissance de la SAM A., par courrier distribué le 8 février 2022. Si ce délai de réponse dépasse de peu le délai imparti pour l'ouverture d'un compte, il demeure parfaitement raisonnable, et il ne démontre ainsi aucune intention dilatoire de la banque compte tenu des enjeux en cause. Aussi, en application des dispositions de l'article 5 de la loi, qui ne prévoit aucun délai de réponse dans l'hypothèse d'un refus d'ouverture de compte, le refus doit par définition être considéré comme acquis dès lors qu'il n'a pas été fait droit à l'ouverture d'un compte dans le délai de 15 jours imparti à cet effet.

Les dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 visent tout particulièrement à concilier le droit effectif de disposer d'un compte avec le respect des obligations des établissements bancaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, sur lesquelles il ne peut être transigé, y compris pour assurer le droit au compte. Par courriel adressé le 3 février 2021 à la Direction du Budget et du Trésor, la banque évoque le rejet de la demande d'ouverture de compte pour des motifs tirés du 5°) de l'article 8 de la loi n° 1.492, tout en précisant que « cette SAM, gérée par un trustee discrétionnaire, ne nous permet pas de remplir nos obligations de vigilance en termes de LCB/FT : si nous connaissons les noms des bénéficiaires actuel du trust détenteur majoritaire de la SAM A. (« LE CINQ TRUST »), ces derniers sont susceptibles de ne plus être les mêmes dès le lendemain de l'entrée en relation du fait de la décision discrétionnaire du dirigeant du H. - MR s. G.. Par ailleurs, je vous précise que le montant et l'origine des fonds apportés par Mr m. F. lors de la constitution du trust « LE CINQ TRUST » ne sont pas connus ». En revanche, le courrier adressé par la suite à la SAM A. se contente de faire référence au rejet de la demande d'ouverture de compte adressée à la Direction du Budget et du Trésor, sans en préciser les motifs. Néanmoins, le texte de l'article 8 ne mentionne aucune obligation positive de motivation à l'égard du demandeur. Il doit à cet égard être observé que le courrier de la Direction du Budget et du Trésor du 26 novembre 2020, ayant désigné la banque pour procéder à l'ouverture d'un compte, sollicite très explicitement un retour quant aux suites réservées à cette requête. La banque était donc fondée à en aviser en premier lieu la Direction du Budget et du Trésor, qui l'a sollicité en ce sens. En tout état de cause, et à la faveur de la procédure judiciaire qu'elle a engagée à l'encontre de ce refus, comme le lui permet l'article 8 de la loi, la SAM A. a incontestablement obtenu connaissance des motifs bien réels du rejet qui lui a été opposé, motifs au sujet desquels un débat contradictoire s'est ensuite noué avec la banque, sans que les modifications effectuées par la suite, destinées à se conformer aux exigences de la banque n'aient pour autant conduit cet établissement à infléchir sa position initiale. Aucun manquement ne saurait dès lors être reproché à la banque du fait des conditions dans lesquelles la SAM A. a été avisé du refus d'ouverture de compte.

Le refus d'ouverture de compte est basé sur les dispositions de l'article 7 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui dispose notamment que « lorsque les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 n'ont pas été en mesure de remplir les obligations de vigilance prescrites aux articles 4-1 et 4-3, ils ne peuvent ni établir, ni maintenir une relation d'affaires, ni exécuter aucune opération, y compris occasionnelle ». Compte tenu des modifications mises en avant par la SAM A., intervenues en cours de procédure, les motifs ayant fondé le refus initial seront examinés dans un premier temps, avant d'envisager les conséquences des évolutions initiées par la SAM A. en cours de procédure.

Compte tenu des circonstances et de l'analyse des risques à laquelle il a procédé, la banque était fondée à se prévaloir des dispositions de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 afin de refuser l'ouverture d'un compte à la SAM A., rejoignant ainsi la décision du C., qui a décidé de mettre fin à ses relations avec la SAM A., ainsi que la position adoptée par la Compagnie Monégasque de Banque, la Société de Banque Monaco et le Crédit Mutuel, précédemment saisis de la demande d'ouverture de compte.

La SAM A. évoque le transfert de l'ensemble de ses actions détenues par le Trust « LE CINQ TRUST », effectué le 1er juin 2022 au profit d'une société dénommée « A. h. SA », anciennement E. SA, dont le bénéficiaire effectif est Monsieur G., et ce pour répondre aux exigences de transparence de la banque. En l'état des explications et des pièces qui lui ont été produites, la banque demeure fondée à s'interroger sur l'identification des bénéficiaires et des gestionnaires réels de la SAM A., et ainsi à maintenir son refus d'ouverture de compte au vu des dispositions susvisées tirées de l'article 8 de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020.


TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2021/000499 (assignation du 21 juin 2021)

JUGEMENT DU 21 MARS 2024

En la cause de :

  • La Société Anonyme Monégasque dénommée A., dont le siège social se trouve x1., x1 à Monaco, prise en la personne de son Président Administrateur Délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Anonyme étrangère dénommée B. (« B. »), dont le siège social se trouve x2 à Lyon (France), prise en la personne de son Directeur Général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, représentée en Principauté de Monaco par le Directeur de sa succursale/agence de Monaco, demeurant en cette qualité x3 à Monaco ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa🔗

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 21 juin 2021, enregistré (n° 2021/000499) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la société B., en date du 4 décembre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de la SAM A., en date du 10 janvier 2024 ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 janvier 2024 ;

À l'audience publique du 18 janvier 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 21 mars 2024, par mise à disposition au Greffe ;

Motifs🔗

FAITS ET PROCÉDURE :

Confrontée à la clôture de ses comptes ouverts dans les livres du C., la SAM D., ci-après la SAM A., s'est vue refuser l'ouverture d'un compte bancaire par les établissements bancaires qu'elle a démarchés en Principauté de Monaco.

En application des dispositions de la Loi n° 1.252 du 12 juillet 2002 relative aux conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, et ainsi que le lui a rappelé le 16 juin 2020 le Directeur de l'Expansion Économique, la SAM A. doit pouvoir justifier de ce qu'elle a obtenu la garantie financière d'une banque ou d'un établissement financier habilité à donner caution et ayant son siège ou sa succursale en Principauté. Il lui a également été rappelé la nécessité de justifier de la souscription d'un contrat d'assurance contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle, et ce auprès d'un agent général d'assurances ou d'un courtier en assurances agréé pour pratiquer en Principauté.

Par courrier en date du 30 septembre 2020, Monsieur le Directeur de l'Expansion Économique a accordé à la SAM A. un délai de grâce pour justifier de la souscription de garanties financières sur le territoire monégasque.

Par courriers en date du 22 octobre 2020, la SAM A. a sollicité trois établissements bancaires de la Principauté aux fins d'ouverture d'un compte de dépôt, qui lui ont tous opposé un refus. Cette circonstance l'ayant conduite à saisir, le 20 novembre 2020, la Direction du Trésor et du Budget aux fins de désignation d'office d'un établissement de crédit monégasque pour procéder à l'ouverture d'un compte de dépôt dans un délai de 15 jours ouvrés, en application des dispositions de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte.

Par courrier en date du 26 novembre 2020, la SAM A. était avisée de ce que la SA B. - LE B., ci-après le « B. », était désignée à ce titre par la Direction du Budget et du Trésor.

Après avoir transmis les documents qui lui étaient réclamés à cet effet, elle apprenait, par courrier reçu le 8 février 2021, que le B. refusait de lui ouvrir un compte. La Direction du Budget et du Trésor lui indiquait que ce rejet était motivé par l'article 8 de la loi n° 1.492.

En attendant l'issue de la procédure engagée à l'encontre du B., elle obtenait, par courrier en date du 31 mars 2021, un sursis supplémentaire à toute procédure de retrait d'autorisation de la Direction de l'Expansion Économique, s'agissant d'une condition sine qua non de la poursuite de son activité en Principauté de Monaco.

Par exploit d'huissier en date du 21 juin 2021, la SAM A. assignait le B., pris en sa succursale située à Monaco, devant le Tribunal de première instance de Monaco.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives du 10 janvier 2024, la SAM A. sollicite :

À titre principal,

  • Le rejet de la demande avant-dire-droit du B. tendant à la production forcée par la SAM A. d'une copie de tous les documents échangés entre elle et le C. concernant la fin de leur relation contractuelle,

  • Le rejet de la demande d'exclusion des pièces n°25 et 52 qu'elle a communiquées,

  • Juger que le B. n'a pas respecté le délai de 15 jours ouvrés prévu à l'article 5 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020,

  • Juger que le motif initial allégué par le B. au soutien de son refus d'ouvrir un compte de dépôt à la SAM A. est parfaitement infondé,

  • Juger que les nouveaux arguments de refus tirés de la réorganisation de la SAM A., tendant à compenser la disparition du motif de refus initial allégué par le B., sont inopérants,

  • Condamner le B. à procéder en urgence, dans les huit jours suivant le prononcé du jugement à intervenir, à l'ouverture d'un compte de dépôt à la SAM A., et ce sous astreinte passé ce délai de 2.000 € par jour de retard,

À titre subsidiaire,

  • Donner acte à la SAM A. qu'elle est prête à communiquer tous les éléments requis, dont la liste devra lui être soumise, afin de se conformer à la loi n° 1.362 du 3 août 2009,

  • Ordonner, en tant que de besoin, la réouverture des débats afin de permettre à la SAM A. de communiquer l'ensemble de ces éléments, notamment si le tribunal devait estimer nécessaire de communiquer de nouvelles pièces,

En tout état de cause,

  • Débouter le B. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

  • Condamner le B. au paiement des sommes suivantes : 30.000 € au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, 400.000 € au titre de son préjudice financier et 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • Ordonner l'exécution provisoire de la décision si elle fait droit à ses demandes,

  • Condamner le B. à lui payer la somme de 20.000 € au titre des frais autres que les dépens,

  • Condamner le B. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

À l'appui de ses demandes, la SAM A. fait notamment valoir :

  • que les courriers échangés avec le C., qu'elle consent à produire, ne précisent aucunement le motif de la rupture de leurs relations commerciales, sans que le surplus de la correspondance échangée avec le C. n'ait à être produit, une telle demande apparaissant contraire au secret bancaire et dépourvu de lien avec la présente instance,

  • que les pièces n°13.2, 13.4, 13.5, 13.7 (1), 13.7 (3), se rapportant au Trust dénoncé par le B., et la pièce n°36, ne sauraient être écartées des débats dès lors qu'elles bénéficient d'une traduction libre, ce procédé apparaissant parfaitement recevable en application d'une jurisprudence constante, en l'absence de discussion quant à l'exactitude de la traduction en question,

  • que la décision de refus d'ouverture de compte du B. est en premier lieu infondée du fait du non-respect du délai imposé par l'article 5 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020, le délai de 15 jours ouvrés prévu par ce texte étant incontestablement dépassé, dès lors que toutes les pièces justificatives avaient été transmises au B. le 22 décembre 2020 et que les pièces complémentaires réclamées le 8 janvier 2021 lui avaient été transmises le 13 janvier 2021, une réponse ne lui ayant officiellement été donnée qu'aux termes d'un courrier posté le 5 février 2021, soit 18 jours après la réception de l'ensemble des documents réclamés, cette lettre ayant finalement été distribuée le 8 février 2021,

  • que le B. se livre à une interprétation erronée de l'article 5, s'appliquant y compris pour le cas où l'établissement bancaire entendrait se prévaloir des causes d'exclusion prévues à l'article 8, l'obligeant ainsi à se prononcer dans tous les cas dans un délai de 15 jours ouvrés,

  • que la décision de refus d'ouverture de compte souffre de l'absence de toute motivation, et ce en infraction avec les dispositions de l'article 8 de la Loi n°1.492, qui liste exhaustivement les cas de refus d'ouverture de compte, cette obligation n'étant pas circonscrite aux seuls rapports entre l'établissement de crédit et la Direction du Budget et du Trésor,

  • qu'il en résulte une violation de son droit fondamental à l'accès à un compte bancaire et à la liberté du commerce et de la concurrence, l'absence de compte bancaire en Principauté ne pouvant de surcroît se traduire que par un retrait de son autorisation d'exercer,

  • que la décision du B. participe au phénomène d'exclusion bancaire, précision étant faite que son activité implique le bénéfice d'une garantie financière d'un établissement établi en Principauté, en application de la Loi n° 1.252 du 12 juillet 2002,

  • que les dispositions de l'article 11 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020, permettant une nouvelle saisine de la Direction du Budget et du Trésor, sont inapplicables en l'espèce, puisque limitées au seul cas de résiliation, impliquant par définition l'ouverture préalable d'un compte, le seul recours possible, tel que prévu par l'article 8 de la Loi, étant dès lors d'ordre juridictionnel,

  • que la loi ne comporte à cet égard aucune disposition de nature à contraindre les banques à ouvrir un compte, certains établissements préférant, par souci de simplicité, s'abstenir de procéder à l'ensemble des vérifications idoines,

  • que la décision de refus d'ouverture de compte est infondée, la SAM A. qui a directement été mise devant le fait accompli, n'ayant pris connaissance des motifs du rejet, tels qu'ils résultent d'un courriel adressé le 3 février 2021 à la Direction du Budget et du Trésor, que dans le cadre de la présente instance,

  • que les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, issues de la Loi n° 1.362 du 3 août 2009 ne sauraient fonder une telle décision, étant précisé qu'il appartenait le cas échéant au B. de solliciter toutes les précisions utiles pour remplir ses obligations de vigilance, ce qu'il n'a pas pris la peine de faire, démontrant ainsi qu'il n'entendait en réalité pas procéder à toutes les vérifications nécessaires,

  • qu'elle a fourni tous les éléments nécessaires à l'identification du trust, qui est son actionnaire majoritaire, le B. ne lui ayant à cet égard demandé aucun élément complémentaire, le risque de changement de bénéficiaire économique du trust, consubstantiel à l'actionnariat d'autres personnes morales, ne pouvant constituer un motif valable de refus d'ouverture de compte, d'autres alternatives étant suffisantes, lorsque la désignation individuelle des bénéficiaires économiques n'est pas possible, pour faire preuve de transparence, en désignant notamment une catégorie de personnes susceptibles d'entrer en ligne de compte en qualité de bénéficiaires ; qu'elle était d'ailleurs prête à s'engager à notifier à l'établissement bancaire un éventuel changement de bénéficiaire économique ; qu'elle s'est inscrite sur le Registre des Bénéficiaires Effectifs de Monaco, et qu'en tout état de cause, une distinction doit être faite entre l'ouverture d'un compte, pour lequel l'exigence de l'identification de chaque bénéficiaire économique n'est pas déterminante, et les opérations bancaires elles-mêmes, susceptibles d'être bloquées tant que la banque n'a pas toutes les informations requises,

  • qu'en tout état de cause, depuis le 1er juin 2022, le trust litigieux, dénommé « LE CINQ TRUST » a transféré toutes les actions qu'il détenait dans la SAM A. à la SA E., actuellement dénommée A. h. SA, enregistrée au Luxembourg, supprimant ainsi tout obstacle au refus d'ouverture d'un compte fondé sur l'existence d'un trust,

  • que l'origine des fonds composant le trust précédemment actionnaire majoritaire de la SAM A. provenait d'un patrimoine familial fructifié notamment par Monsieur m. F., un contrôle effectué par le SICCFIN, diligenté en 2019-2020 n'ayant à cet égard mis en évidence aucune irrégularité,

  • que depuis le 15 juillet 2022, la SAM A. n'a plus de lien avec Monsieur m. F., celui-ci ayant démissionné de ses fonctions de Président honoraire ; que la procédure pénale évoquée à son encontre par le B. n'est en tout état de cause pas définitive et qu'elle ne saurait constituer un motif de refus d'ouverture de compte au sens de l'article 8 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020, d'autant qu'il n'est plus administrateur de la SAM A. depuis le 31 octobre 2019 et que son seul lien au présent litige, à la date de l'exercice du droit à l'ouverture du compte, concernait le Trust « LE CINQ TRUST » dans lequel il était le Settlor, sans pouvoir de gestion,

  • que nonobstant la réorganisation à laquelle il a été procédé, la défenderesse persiste à jeter le discrédit sur les actionnaires de la SAM A. et sur Monsieur G., bénéficiaire effectif de la société A. h. SA, la question de la preuve du prix et du paiement des actions n'ayant pas vocation à être communiquée au B. dans le cadre de son obligation de vigilance,

  • que le refus infondé du B. à sa demande d'ouverture d'un compte lui cause non seulement un préjudice moral lié à l'ignorance prolongée des motifs du refus qui lui a été opposé, à l'atteinte à son image, à sa réputation et à la crainte constante de se voir retirer l'autorisation d'exercer, mais également un préjudice financier lié à la baisse de ses transactions immobilières, de ses résultats et des frais liés à la gestion des flux de trésorerie depuis sa filiale française, et un préjudice pour résistance abusive.

En défense et aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives du 4 décembre 2023, le B. demande au Tribunal :

À titre liminaire, avant-dire-droit,

  • D'ordonner sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard dès la signification de la décision à intervenir, la production forcée par la SAM A. d'une copie de tous les documents échangés avec le C. concernant la fin de leur relation contractuelle ;

  • D'écarter des débats les pièces adverses n°25 et n°52 (première page) illisibles ;

Concernant le respect des dispositions de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020,

  • Juger que la banque a bien respecté le délai de 15 jours ouvrés visé à l'article 5, en tout état de cause inapplicable lorsqu'un établissement de crédit se prévaut des dispositions de l'article 8 de ladite Loi ;

  • Juger que le motif de refus invoqué par la banque sur le fondement de l'article 8, 5°) est légitime et bien fondé ;

  • Juger que la SAM A. ne rapporte pas d'éléments suffisants/probants quant à sa structure actionnariale qui aurait été modifiée en cours d'instance ;

  • Débouter la SAM A. de ses demandes formées à ce titre ;

Concernant la demande d'astreinte,

  • Débouter la SAM A. de sa demande d'astreinte ;

  • Subsidiairement, ramener le montant de l'astreinte sollicitée à de plus justes proportions, condamner la banque à procéder à l'ouverture de compte qui serait décidée par le Tribunal sous une astreinte qui commencera à courir après que la SAM A. se soit mise en conformité avec la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption applicable à Monaco ou après que la Banque ait obtenu une position du Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers lui confirmant ne pas être en violation de ses obligations à ce titre et juger que cette astreinte bénéficiera en grande partie au budget de l'État ;

Concernant la demande indemnitaire,

  • Juger que les préjudices allégués ne sont établis ni en leur principe ni en leur quantum ;

  • Débouter la SAM A. de ses demandes formées à ce titre ;

Concernant l'exécution provisoire,

  • Juger qu'elle serait de nature à produire des effets irréparables pour la Banque en ce qu'elle l'exposerait à des risques de sanctions/condamnations pour violation de ses obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption ;

  • Débouter en conséquence la SAM A. de ce chef de demande ;

En tout état de cause,

  • Débouter la SAM A. de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens ;

  • Condamner la SAM A. au paiement de la somme de 35.538,84 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

  • Condamner la SAM A. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

À l'appui de sa défense, le B. fait notamment valoir :

  • que Monsieur m. F., qui a connu plusieurs démêlés judiciaires en Italie, ayant donné lieu à une condamnation à 6 ans d'emprisonnement prononcée en octobre 2018 pour fraude immobilière et, en février 2019, à 6 ans 1/2 d'emprisonnement pour banqueroute frauduleuse, semble, par-delà son départ apparent, avoir conservé les commandes de la société, pour se présenter ainsi sur les réseaux sociaux 3 ans après son départ, 93 % du capital de la SAM A. étant de surcroît détenu par un trust de droit des Iles de Man fondé par Monsieur m. F., en qualité d'unique apporteur de fonds, au bénéfice de ses enfants,

  • que suite à sa désignation, en application de l'article 4 de la Loi n° 1.492, pour procéder à l'ouverture d'un compte de dépôt au bénéfice de la SAM A., elle a avisé la Direction du Budget et du Trésor, le 3 février 2021, de son refus de procéder à ladite ouverture, en application du 5°) de l'article 8, indiquant entrer dans l'une des situations visées à l'article 7 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009, du fait de l'impossibilité de remplir ses obligations de vigilance en termes de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme, les noms des bénéficiaires actuels du trust majoritaire de la SAM A. pouvant être changés discrétionnairement, le montant et l'origine des fonds apportés par Monsieur m. F., lors de la constitution du trust, n'étant par ailleurs pas connus,

  • qu'elle renonce à sa demande initiale de rejet de certaines pièces adverses, une traduction libre ayant été produite, cependant que les pièces 25 et 52 (1ère page), parfaitement illisibles, doivent être rejetées,

  • que la communication intégrale des pièces sollicitées au sujet de la fin des relations de la SAM A. et du C. participe à la solution du litige, puisqu'elle contribue à apprécier la légitimité du motif de refus d'ouverture de compte présentement invoqué, les pièces produites en l'état n'étant que parcellaires,

  • que le délai de 15 jours visé à l'article 5 de la loi n° 1.492 a été respecté et qu'en tout état de cause, ce délai n'est pas applicable dès lors que l'établissement se prévaut des dispositions de l'article 8 de la Loi n° 1.492, aucun délai n'étant applicable pour la notification d'un refus,

  • que les objectifs de lutte contre le blanchiment prévalent sur le droit au compte, ainsi que le rappellent les dispositions de la Loi n° 1.492, faisant notamment référence à la Loi n° 1.362 du 3 août 2009, tout comme les travaux parlementaires relatifs à l'instauration d'un droit au compte,

  • que la décision de refus d'ouverture de compte est motivée par des considérations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, en parfaite conformité avec les dispositions de l'article 3 de la Loi n° 1.462 du 28 juin 2018, posant une obligation de vigilance des banques à l'égard des clients potentiels, ces obligations étant intensifiées en présence de structures opaques et exotiques telles que Trust,

  • qu'après analyse, elle a considéré que la structure du trust discrétionnaire détenant majoritairement la SAM A. engendrait à cet égard des risques en la matière, au regard de l'identification des bénéficiaires effectifs,

  • qu'il appartenait à cet égard à la SAM A., par-delà une modification de façade, de se réorganiser de manière transparente, son inscription au registre des bénéficiaires effectifs de Monaco ne pouvant faire foi, s'agissant d'un registre purement déclaratif,

  • que l'origine des fonds apportés dans le trust par Monsieur F. demeure inconnue, notamment au regard des condamnations judiciaires prononcées à son encontre en Italie, pour fraude,

  • que par-delà son supposé retrait, Monsieur F. semble toujours actif dans la société,

  • que malgré l'absence de sanction prononcée à son égard par le Ministre d'État, la SAM A. a néanmoins fait l'objet de recommandations destinées à améliorer son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux, démontrant ainsi des insuffisances,

  • qu'en vertu de l'article 8 alinéa 3 de l'ordonnance souveraine n° 2.318, les professionnels doivent comprendre la structure de propriété et de contrôle de l'entité juridique ou du trust, s'agissant en l'occurrence d'un élément essentiel destiné à identifier la chaîne de détention de la SAM A., la simple identification des trustees étant insuffisante,

  • que la Direction du Budget et du Trésor n'a émis aucune opposition ou réserve à ce refus de la banque, les autres établissements précédemment sollicités par la SAM A. ayant pareillement refusé la demande d'ouverture de compte,

  • qu'en l'état de la législation, l'établissement de crédit n'est aucunement tenu d'une obligation de motivation à l'égard de la demanderesse,

  • qu'elle n'a aucune difficulté de principe à répondre positivement à des demandes relatives au droit au compte dès lors que la situation du demandeur est conforme à la réglementation,

  • qu'aucune disposition n'interdit à la demanderesse de saisir à nouveau la Direction du Budget et du Trésor pour obtenir la désignation d'une autre banque,

  • que la SAM A. a procédé à une réorganisation qui interpelle, la grande majorité des actions du trust ayant été transférées à une société E. SA, enregistrée au RCS du Luxembourg, dont le nom est désormais A. h. SA, représentée par un actionnaire unique, Monsieur Alexis G.,

  • que ce transfert, qui ne mentionne aucun prix, s'apparente en réalité à un simple portage d'actions d'une entité à l'autre, et aucunement à une réelle cession, les documents finalement transmis, purement déclaratifs, démontrant encore une fois le manque de coopération et de transparence de la SAM A. quant à son actionnariat et à ses véritables bénéficiaires, ce montage ayant manifestement été effectué pour les besoins de la cause, afin d'intercaler une structure et de porter les actions, d'autant que l'objet social d'A. h. SA est une activité d'expert-comptable, sans lien avec les activités immobilières de la société dont elle est pourtant l'actionnaire majoritaire, et que Monsieur Alexis G. est un expert-comptable luxembourgeois spécialisé dans la domiciliation de sociétés au Luxembourg, dont le nom apparaît dans le scandale des Paradise Papers et à la direction de 695 sociétés, dont certaines avec des chaînes de détention complexes, cet actionnaire unique ayant fort étonnement donné procuration à un actionnaire ultra minoritaire lors de l'assemblée générale ordinaire du 31 juillet 2023, démontrant ainsi le caractère factice de la chaîne de détention de la SAM A.,

  • que les demandes indemnitaires formées à son encontre apparaissent particulièrement injustifiées dès lors qu'elle a parfaitement respecté les dispositions légales en vigueur, les différents préjudices invoqués n'étant de surcroît pas établis.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2024.

À l'audience du 18 janvier 2024, les conseils des parties ont plaidé puis déposé leurs dossiers, l'affaire a alors été mise en délibéré au 21 mars 2024.

SUR CE

  • Sur la demande de rejet des pièces n°25 et 52 de la SAM A.

La pièce n°25, correspondant à la photocopie du verso d'une enveloppe, sans qu'aucune mention de date, de dépôt ou d'horodatage n'apparaisse et ne soit lisible, sera écartée des débats, aucune conséquence ne pouvant en être déduite.

La première page de la pièce n°52, illisible en l'état, sera pareillement écartée des débats.

  • Sur la demande de production de pièces

En application des dispositions des articles 277-1 et 277-2 du Code de procédure civile, le B. sollicite, avant-dire-droit, la condamnation de la SAM A. à produire, sous astreinte, l'ensemble des documents échangés par celle-ci avec le C., au sujet de la fin de leurs relations contractuelles.

Si la production de l'intégralité des échanges ayant conduit à la rupture des relations contractuelles entretenues entre la SAM A. et le C. pourrait s'avérer pertinente, en ce qu'elle permettrait de connaître les motifs précis ayant conduit à cette rupture, les échanges versés aux débats (pièce 38 de la SAM A.) ne permettant pas, en l'état, de les déterminer, il n'en demeure pas moins que ces éléments n'apparaissent pas essentiels à la solution du litige, le B. ayant procédé à sa propre analyse de la situation et des risques, en lien avec la réglementation concernant la lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et la corruption.

Aussi, les pièces produites en l'état s'avérant suffisantes à éclairer le Tribunal, la demande de production de pièces sera rejetée.

  • Sur la décision de rejet, par le B., de la demande d'ouverture de compte au nom de la SAM A.

Sur le délai de 15 jours posé par l'article 5 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020

L'article 5 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 relative à l'instauration d'un droit au compte dispose que :

« les établissements de crédit désignés par la Direction du Budget et du Trésor en application de l'article 4 sont tenus d'offrir au titulaire du compte les services bancaires de base suivants :

  • 1°) l'ouverture, la tenue et la clôture du compte ;

  • 2°) un changement d'adresse par an ;

  • 3°) la délivrance à la demande de relevés d'identité bancaire ;

  • 4°) la domiciliation de virements bancaires ;

  • 5°) l'envoi mensuel d'un relevé des opérations effectuées sur le compte ;

  • 6°) la réalisation des opérations de caisse ;

  • 7°) l'encaissement de chèques et de virements bancaires ;

  • 8°) les dépôts et les retraits d'espèces au guichet de l'organisme teneur de compte et aux distributeurs automatiques de billets ;

  • 9°) les paiements par prélèvements, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ;

  • 10°) des moyens de consultation à distance du solde du compte, lorsque l'établissement de crédit propose habituellement de tels services à ses clients ;

  • 11°) une carte de paiement dont chaque utilisation est autorisée par l'établissement de crédit qui l'a émise ;

  • 12°) deux formules de chèques de banque par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services.

Les tarifs applicables aux services bancaires de base ne peuvent être supérieurs, pour des prestations équivalentes, aux tarifs en vigueur appliqués à ses autres clients par l'établissement de crédit désigné par la Direction du Budget et du Trésor.

Les établissements de crédit procèdent à l'ouverture du compte de dépôt dans les quinze jours ouvrés à compter de la réception de l'ensemble des pièces qui leur sont nécessaires à cet effet ».

En l'espèce, il est constant que le B. n'a en définitive pas procédé à l'ouverture de compte sollicitée, et ce pour des motifs tirés de l'application des dispositions de l'article 8 de la loi. Or, l'article 5 précise très explicitement que l'ouverture du compte doit être effectuée dans les 15 jours ouvrés à compter de la réception de l'ensemble des pièces requises.

Après avoir obtenu communication, le 23 décembre 2020, d'une première série de documents, le B. a sollicité des pièces complémentaires qui lui ont été communiquées le 13 janvier 2021. Fort de ces éléments et ainsi que le lui permet l'article 8 de la loi susvisée, le B. a décidé de ne pas donner suite à la demande d'ouverture de compte, sans que le délai de 15 jours ouvrés mentionné à l'article 5, circonscrit à la seule ouverture, ne puisse lui être opposé.

Le B., qui était pleinement légitime à procéder à une analyse approfondie de la situation de la SAM A., notamment eu égard aux risques encourus et au caractère singulier de la procédure de demande d'ouverture de compte employée, a avisé le Direction du Budget et du Trésor le 3 février 2021 de son refus (pièce 2 du B.). Ce refus a par la suite été porté à la connaissance de la SAM A., par courrier distribué le 8 février 2022 (pièce 29 de la SAM A.). Si ce délai de réponse dépasse de peu le délai imparti pour l'ouverture d'un compte, force est de constater qu'il demeure parfaitement raisonnable, et qu'il ne démontre ainsi aucune intention dilatoire du B., compte tenu des enjeux en cause.

Aussi, en application des dispositions de l'article 5 de la loi, qui ne prévoit aucun délai de réponse dans l'hypothèse d'un refus d'ouverture de compte, le refus doit par définition être considéré comme acquis dès lors qu'il n'a pas été fait droit à l'ouverture d'un compte dans le délai de 15 jours imparti à cet effet.

Sur l'absence de motivation de la décision de refus d'ouverture de compte

L'article 8 de la loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 dispose que :

« l'établissement de crédit désigné par la Direction du Budget et du Trésor en application de l'article 4 ne peut rejeter la demande d'ouverture de compte que sur le fondement d'un ou de plusieurs des motifs suivants :

  • 1°) en cas de condamnation prononcée sur le fondement des articles 218 à 219, 391-1 à 391-12 du Code pénal ;

  • 2°) en cas de condamnation prononcée pour l'une des infractions prévues par la loi n°890 du 1er juillet 1970 ;

  • 3°) en cas de condamnation sur le fondement des articles 2 à 12 de l'Ordonnance Souveraine n° 15.320 du 8 avril 2002 ;

  • 4°) si la personne cesse de remplir les conditions figurant aux articles 2 et 6 de la présente loi ;

  • 5°) lorsque l'établissement est dans l'une des situations visées à l'article 7 de la loi n°1.360 du 3 août 2009, modifiée.

Le rejet, par l'établissement de crédit désigné, de la demande d'ouverture de compte est susceptible de recours devant les juridictions compétentes ».

Ces dispositions visent tout particulièrement à concilier le droit effectif de disposer d'un compte avec le respect des obligations des établissements bancaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, sur lesquelles il ne peut être transigé, y compris pour assurer le droit au compte.

Par courriel adressé le 3 février 2021 à la Direction du Budget et du Trésor (pièce n°2 du B.), le B. évoque le rejet de la demande d'ouverture de compte pour des motifs tirés du 5°) de l'article 8 de la Loi n° 1.492, tout en précisant que « cette SAM, gérée par un trustee discrétionnaire, ne nous permet pas de remplir nos obligations de vigilance en termes de LCB/FT : si nous connaissons les noms des bénéficiaires actuel du trust détenteur majoritaire de la SAM A. (« LE CINQ TRUST »), ces derniers sont susceptibles de ne plus être les mêmes dès le lendemain de l'entrée en relation du fait de la décision discrétionnaire du dirigeant du H. - MR s. G..

Par ailleurs, je vous précise que le montant et l'origine des fonds apportés par Mr m. F. lors de la constitution du trust « LE CINQ TRUST » ne sont pas connus ».

En revanche, le courrier adressé par la suite à la SAM A. (pièce 16 de la demanderesse) se contente de faire référence au rejet de la demande d'ouverture de compte adressée à la Direction du Budget et du Trésor, sans en préciser les motifs.

Néanmoins, le texte de l'article 8 ne mentionne aucune obligation positive de motivation à l'égard du demandeur. Il doit à cet égard être observé que le courrier de la Direction du Budget et du Trésor en date du 26 novembre 2020 (pièce 1 du B.), ayant désigné le B. pour procéder à l'ouverture d'un compte, sollicite très explicitement un retour quant aux suites réservées à cette requête. Le B. était donc fondé à en aviser en premier lieu la Direction du Budget et du Trésor, qui l'a sollicité en ce sens. En tout état de cause, et à la faveur de la procédure judiciaire qu'elle a engagée à l'encontre de ce refus, comme le lui permet l'article 8 de la Loi, la SAM A. a incontestablement obtenu connaissance des motifs bien réels du rejet qui lui a été opposé, motifs au sujet desquels un débat contradictoire s'est ensuite noué avec le B., sans que les modifications effectuées par la suite, destinées à se conformer aux exigences du B., n'aient pour autant conduit cet établissement à infléchir sa position initiale.

Aucun manquement ne saurait dès lors être reproché au B. du fait des conditions dans lesquelles la SAM A. a été avisé du refus d'ouverture de compte.

Sur le bien-fondé du refus d'ouverture de compte

Le refus d'ouverture de compte est basé sur les dispositions de l'article 7 de la Loi n° 1.362 du 3 août 2009 qui dispose notamment que « lorsque les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 n'ont pas été en mesure de remplir les obligations de vigilance prescrites aux articles 4-1 et 4-3, ils ne peuvent ni établir, ni maintenir une relation d'affaires, ni exécuter aucune opération, y compris occasionnelle ».

Plus précisément, l'article 4-1 de cette loi dispose que :

« avant d'établir une relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation de l'une des transactions mentionnées à l'article précédent, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 :

  • 1°) identifient le client, le mandataire et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif ;

  • 2°) vérifient ces éléments d'identification au moyen d'un document justificatif probant, portant leur photographie.

Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également lorsque lesdits organismes ou personnes ont des doutes quant à la véracité ou à l'exactitude des données d'identification au sujet d'un client avec lequel ils sont d'ores et déjà en relation d'affaires.

L'identification et la vérification du client et de son mandataire portent notamment sur le nom, le prénom, et l'adresse pour les personnes physiques.

Pour les personnes morales, les entités juridiques et les trusts, elles portent notamment sur la dénomination sociale, le siège social, la liste et l'identification des dirigeants, ainsi que la connaissance des dispositions régissant le pouvoir d'engager la personne morale, l'entité juridique ou le trust.

Ils doivent identifier le client et vérifier son identité au moyen de documents, données et informations, issus de sources fiables et indépendantes, y compris, le cas échéant, par des moyens d'identification électronique et de services de confiance pertinents dans les conditions définies par ordonnance souveraine.

Ils doivent également prendre toutes les mesures raisonnables pour vérifier l'identité de la ou des personnes au profit de laquelle ou desquelles l'opération ou la transaction est effectuée : identifier les bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructions juridiques. Dans ce dernier cas, les mesures doivent permettre de comprendre la structure de propriété et de contrôle du client.

Avant d'établir une relation d'affaires avec une société, une fondation, une association ou une autre entité juridique, un trust ou une construction juridique présentant une structure ou des fonctions similaires à celles d'un trust, pour lesquels des informations sur les bénéficiaires effectifs doivent être enregistrées au « registre des bénéficiaires effectifs - sociétés et GIE - » en application de l'article 22 ou au registre des trusts en application de l'article 11 de la loi n°214 du 27 février 1936, modifiée, ils doivent recueillir un extrait de l'inscription au registre concerné ».

L'article 4-3 précise que :

« lorsqu'ils établissent une relation d'affaires, les organismes et les personnes visés aux articles premier et 2 recueillent des informations proportionnées relatives à l'objet et à la nature envisagés de la relation d'affaires.

Les informations recueillies sont proportionnées à la nature et à la taille des organismes et des personnes visés aux articles premier et 2, ainsi qu'à l'importance du risque de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive et de corruption.

L'importance du risque visé au précédent alinéa s'apprécie en tenant compte notamment, de l'arrière-plan socio-économique du client et des caractéristiques suivantes de la relation d'affaires :

  • la régularité ou la durée ;

  • l'objet ou la finalité ;

  • la nature de la relation d'affaires ;

  • le volume prévisible des transactions effectuées.

Ces informations permettant de déterminer l'importance du risque mentionné au deuxième alinéa, ainsi que des renseignements concernant l'origine du patrimoine du client doivent être étayés au moyen de documents, données ou sources d'informations fiables ».

Compte tenu des modifications mises en avant par la SAM A., intervenues en cours de procédure, les motifs ayant fondé le refus initial du B. seront examinés dans un premier temps, avant d'envisager les conséquences des évolutions initiées par la SAM A. en cours de procédure.

Sur l'appréciation initiale de la situation de la SAM A.

L'article 8 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.318 du 3 août 2009 fixant les conditions d'application de la Loi n° 1.362 du 3 août 2009 précise notamment que

« lors de l'identification des clients qui sont des entités juridiques ou des trusts, les professionnels prennent connaissance de l'existence, de la nature, des finalités poursuivies et des modalités de gestion et de représentation de l'entité juridique ou du trust concerné. Cette identification inclut également la prise de connaissance et la vérification de la liste des personnes autorisées à exercer l'administration ou la représentation de ces clients.

Lesdits professionnels vérifient ces informations au moyen de tous documents écrits probants dont ils conservent une copie.

Les professionnels doivent également comprendre la structure de propriété et de contrôle de l'entité juridique ou du trust.

Lorsque le client est une entité juridique ou un trust, les obligations d'identification du client et de vérification de son identité conformément à l'article 4 de la loi n° 1362 du 3 août 2009, modifiée, susvisée, portent également sur le ou les constituants de l'entité juridique ou du trust ainsi que, le cas échéant, sur le ou les protecteurs de l'entité juridique ou du trust ».

Le B. évoque dans un premier temps une difficulté liée à l'existence d'un Trust discrétionnaire, « LE CINQ TRUST », détenant majoritairement, à hauteur de 93 %, le capital de la SAM A., cette organisation engendrant des risques en matière d'identification des bénéficiaires effectifs, et ainsi de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment, de financement du terrorisme et de corruption. Plus particulièrement, l'identité des bénéficiaires de ce trust, connue au moment de l'entrée en relation, demeure à tout moment susceptible de changements discrétionnaires, du seul fait de la décision du dirigeant du Trustee, l'affirmation de la demanderesse, indiquant que de tels changements n'étaient pas à l'ordre du jour, apparaissant à cet égard parfaitement inopérante. Aussi, le B. a légitimement pu considérer que la structure même de détention du capital de la SAM A., sous couvert d'un trust discrétionnaire, ne lui permettait pas de satisfaire à ses obligations légales, en ce qu'elle ne permettait pas de comprendre la structure de propriété et de contrôle du trust.

Par ailleurs, le B. mentionne l'impossibilité de connaître l'origine des fonds exclusivement apportés dans le trust par Monsieur m. F., cette circonstance apparaissant d'autant plus problématique que les vérifications qu'elle a effectuées ont révélé l'existence de condamnations prononcées à son encontre en Italie, pour des faits de fraude (pièce 5 du B.).

Indépendamment du débat relatif aux démêlés judiciaires de Monsieur m. F., qui ne fondent pas en tant que tel le rejet de la demande d'ouverture de compte, la SAM A. n'a apporté aucun justificatif de l'origine des fonds apportés au trust. Elle se contente d'évoquer évasivement la fortune familiale de Monsieur m. F. et son inscription dans le milieu des affaires, sans le moindre justificatif complémentaire, notamment financier.

L'absence de sanction administrative consécutive à la mission de contrôle diligentée le 8 août 2019 par le Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (pièce 33), apparaît à cet égard inopérante, dès lors que l'étendue de cette mission de contrôle n'est pas spécifiée et qu'il n'est pas établi qu'outre les opérations liées au fonctionnement commercial de la SAM A., cette mission concernait également la composition de son actionnariat, le rapport établi à cette occasion n'étant pas davantage produit.

Il sera à cet égard rappelé que le Tribunal n'a pas à suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, la SAM A. ayant à dessein choisi de ne pas produire certaines pièces. Cette posture ne justifie dès lors aucune réouverture des débats.

Compte tenu de ces circonstances et de l'analyse des risques à laquelle il a procédé, le B. était fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 8 de la Loi n° 1.492 du 8 juillet 2020 afin de refuser l'ouverture d'un compte à la SAM A., rejoignant ainsi la décision du C., qui a décidé de mettre fin à ses relations avec la SAM A., ainsi que la position adoptée par la Compagnie Monégasque de Banque (pièce 7 de la SAM A.), la Société de Banque Monaco (pièce 8 de la SAM A.) et le Crédit Mutuel (pièce 9 de la SAM A.), précédemment saisis de la demande d'ouverture de compte.

Sur l'appréciation de la situation consécutivement à la réorganisation de la SAM A.

La SAM A. évoque le transfert de l'ensemble de ses actions détenues par le Trust « LE CINQ TRUST », effectué le 1er juin 2022 au profit d'une société dénommée « A. h. SA », anciennement E. SA (pièces 40 et 41 de la demanderesse), dont le bénéficiaire effectif est Monsieur Alexis G., et ce pour répondre aux exigences de transparence du B..

Néanmoins, le B. s'interroge à juste titre sur le vocable de transfert, laissant ainsi à penser que l'acte en question ne correspond aucunement à une mutation de propriété, et ainsi à une véritable cession, mais à un simple portage d'actions, ces doutes étant corroborés par l'absence d'indication d'un quelconque prix de cession, les pièces complémentaires produites par la SAM A. (récépissé d'inscription au registre des bénéficiaires effectifs, pièce 56, et certificat d'actions nominatives, pièce 57) s'avérant purement déclaratives, et la SAM A. persistant à ne produire aucun acte de cession, le cas échéant caviardé, seul moyen d'attester de la réalité du versement d'un prix et de la réalité de la translation de propriété alléguée.

Plus encore, la personne même de l'actionnaire unique de la société A. h. SA, Monsieur Alexis G., dont les pièces produites font apparaître qu'il exerce une activité de conseil et de domiciliation de société (pièce 21 du B.), tout en étant inscrit en qualité de dirigeant de 695 sociétés (pièce 23 du B.), suscite également de légitimes doutes quant à la réalité juridique de l'opération mise en avant par la SAM A.. Ces doutes, confrontés à l'objet social pour le moins lointain de la société A. h. SA, inscrite au RCS du Luxembourg pour une activité d'expertise comptable, tandis que la SAM A. déploie une activité strictement immobilière, et à la procuration donnée par A. h. SA, détentrice de 69.825 des 75.000 actions de la SAM A. à un actionnaire ultra minoritaire, Monsieur Riccardo BAREATO, titulaire de 10 actions, à la faveur de l'assemblée générale ordinaire de la SAM A. tenue le 31 juillet 2023, permettent à juste titre de considérer que l'organisation de la chaîne de propriété désormais mise en avant par la SAM A., n'a été mise en place que pour les seuls besoins de la cause, par l'interposition d'une structure fictive destinée à donner l'apparence d'une détention saine et traçable de son capital.

Aussi, en l'état des explications et des pièces qui lui ont été produites, nonobstant le courrier adressé à cet effet à la SAM A. (pièce 19 bis du B.), le B. demeure fondé à s'interroger sur l'identification des bénéficiaires et des gestionnaires réels de la SAM A., et ainsi à maintenir son refus d'ouverture de compte au vu des dispositions susvisées tirées de l'article 8 de la Loi.

La SAM A. sera par conséquent déboutée de l'ensemble de ses demandes tirées du refus d'ouverture de compte opposé par le B..

  • Sur l'exécution provisoire

Selon les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi.

En l'espèce, l'issue du litige ne justifie aucunement l'exécution provisoire, qui sera dès lors rejetée.

  • Sur les frais irrépétibles

Selon l'article 238-1 du Code de procédure civile,

« le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistance judiciaire une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide.

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations ».

En l'espèce, l'équité commande de condamner la SAM A. à payer sur ce fondement la somme de 10.000 euros au B..

  • Sur les dépens

Aux termes de l'article 231 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

L'article 232 du Code de procédure civile énonce que « les juges pourront compenser les dépens en tout ou en partie, si le demandeur et le défendeur succombent respectivement sur quelques chefs ; ils pourront aussi ordonner qu'il sera fait une masse des dépens, en indiquant la part que chacun devra supporter ».

En l'espèce, la SAM A., qui succombe, sera condamnée aux dépens avec distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, et en premier ressort,

Écarte des débats la pièce n° 25 et la première page de la pièce n° 52, produites par la SAM A. ;

Déboute le B. de sa demande de production forcée des échanges entre la SAM A. et le C. concernant la fin de leurs relations contractuelles ;

Déboute la SAM A. de sa demande d'ouverture d'un compte de dépôt et de l'intégralité de ses demandes formées de ce chef ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la SAM A. à payer la somme de 10.000 euros au B. « B. » au titre des dispositions de l'article 238-1 du Code de procédure civile ;

Condamne la SAM A. aux dépens, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 21 MARS 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice-Président, Madame Anne-Sophie HOUBART, Juge, Monsieur Patrice FEY, Juge, assistés, de Madame Clémence COTTA, Greffier stagiaire, en présence du Ministère public.

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