Tribunal de première instance, 8 février 2024, La société A B. C. c/ r., e. D. et autres

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Abstract🔗

Banques - Cession de créance - Caractère frauduleux de la cession de créance (non) - Validité du cautionnement (oui) - Bien-fondé du recours contre le débiteur principal (oui)

Résumé🔗

C'est en vain que la caution invoque le caractère frauduleux du montage juridique auquel elle a participé, avec les membres de sa famille, pour limiter les frais de la succession paternelle. Le montage était licite et a profité à tous les membres de la famille, de même que la cession de créance qui a permis de retarder l'échéance du remboursement du prêt. La caution, qui s'est engagée en connaissance de cause, doit être condamnée à paiement. Son recours en garantie contre la société débitrice principale est bien fondé.


TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2019/000142 (assignation du 25 mai 2018)

N° 2020/000380 (assignation du 10 décembre 2019)

JUGEMENT DU 8 FÉVRIER 2024

En la cause de :

  • La société de droit des Îles Vierges Britanniques dénommée A B. C., dont le siège social se trouve x1, x1, Tortola (Iles Vierges Britanniques), prise en la personne de ses administrateurs en exercice, Messieurs s. D. et o. D., demeurant en cette qualité audit siège,

DEMANDERESSE principal, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat­défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Stephan PASTOR, avocat près ladite Cour,

d'une part;

Contre:

  1. r., e. D., né le jma à Tonbridge­Pembury (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, demeurant x1 à Londres (SW5 OAJ – Royaume-­Uni),

DÉFENDEUR au principal et DEMANDEUR sur l'appel en cause et en garantie, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat­défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Michel LOPRESTI, avocat au barreau de Grasse;

  1. La Société Civile Immobilière E., dont le siège social se trouve X2, X2 à Saint-Jean-Cap-­Ferrat (06230 – France), prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur n., c. D., demeurant en cette qualité audit siège;

  2. La Société Civile Immobilière E. II, dont le siège social se trouve X2, X2 à Saint-Jean-Cap-­Ferrat (06230 – France), prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur s., p. D., demeurant en cette qualité audit siège;

  3. s., p. D., né le jma à Tonbridge­Pembury (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, demeurant X3, X3, Singapour (239896) ou encore X5, X5, Singapour (469978), agissant en son nom propre et en qualité d'exécuteur testamentaire et trustees de la succession de n., c. D., né le jma à Penge (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, retraité, demeurant X2, X2, à Saint-Jean-Cap-­Ferrat (06230 – France), décédé le jma à Turnbridge Wells Hospital à Penmbury (Royaume-­Uni);

  4. j. d. D., né le jma à Beckenham (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, demeurant x6, x6, East Sussex (TN20 6HJ – Royaume-­Uni), agissant en qualité d'exécuteur testamentaire et trustees de la succession de n., c. D., né le jma à Penge (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, retraité, demeurant X2, X2, à Saint-Jean-Cap-­Ferrat (06230 – France), décédé le jma à Turnbridge Wells Hospital à Penmbury (Royaume-­Uni);

  5. o. D., né le jma à Londres (Royaume-­Uni), de nationalité britannique, ayant demeuré x7, x7 à Monaco, actuellement SANS DOMICILE NI RESIDENCE CONNUS;

DÉFENDEURS sur l'appel en cause et en garantie, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat­défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Valérie SERRA, avocat au barreau de Nice;

d'autre part;

En présence du :

  • PROCUREUR GÉNÉRAL, près la Cour d'Appel, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

Visa🔗

LE TRIBUNAL,

  • Vu l'exploit de saisie- ­arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Patricia GRIMAUD­- PALMERO, huissier, en date du 25 mai 2018, enregistré (n° 2019/000142) ;

  • Vu les déclarations originaires, des établissements bancaires dénommés F. G. H. (I.J., K. L. M. et N. H. O., tiers­saisi, contenues dans ledit exploit;

  • Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire dénommé F. G. H. (I.J., par courrier en date du 9 octobre 2018 ;

  • Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire dénommé N. H. O., par courrier en date du 10 octobre 2018 ;

  • Vu le jugement avant­dire droit de ce Tribunal en date du 10 octobre 2019 ayant notamment ordonné la suppression du 1er paragraphe de la page 4 des conclusions déposées le 21 mars 2019 aux intérêts de la société de droit des Iles Vierges Britanniques dénommée A B. C., autorisé r. D. à appeler en cause et en garantie la Société Civile Immobilière de droit français E., la Société Civile Immobilière de droit français E. II, s. p. D., o. D. et n. D., fixé le délai de mise en œuvre des actes d'appel en garantie à deux mois et au 12 mars 2020 la date pour laquelle les garants seront assignés, renvoyé l'affaire au 12 mars 2020 et invité r. D. à conclure pour cette date;

  • Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date 10 décembre 2019;

  • Vu les conclusions de reprise d'instance de Maître Sarah FILIPPI, avocat-­défenseur, au nom de s. p. D. et j. d. D., agissant en qualité d'exécuteurs testamentaires et trustees de la succession de n. D., en date du 1er juin 2023 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Bernard BENSA avocat-­défenseur, au nom de r. D., en date du 14 juillet 2023 ;

  • Vu les conclusions récapitulatives de Maître Géraldine GAZO avocat­-défenseur, au nom de la société A B. LIMITED, en date du 6 octobre 2023 ;

  • Vu les ordonnances de clôture en date du 23 novembre 2023;

À l'audience publique du 30 novembre 2023, les conseils des parties de l'instance principale ont été entendus en leurs plaidoiries, Maître FILIPPI, ayant déposé son dossier, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 8 février 2024, par mise à disposition au Greffe;

Motifs🔗

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte d'huissier en date du 25 mai 2018, la société de droit des Iles vierges britanniques dénommée A B. C. a assigné r. D. devant le Tribunal de première instance de Monaco et demande à la juridiction de :

  • ­ déclarer régulière, bonne et valable la saisie­-arrêt pratiquée;

  • ­ condamner r. D. au paiement d'une somme de 3.200.000 euros en principal, avec intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation jusqu'à complet paiement;

  • ­ condamner r. D. au paiement d'une somme de 500.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive; ­

  • ordonner l'exécution provisoire ;

  • ­ dire que les banques, tiers­saisis, pourront valablement se libérer entre les mains de la société demanderesse des sommes, deniers, valeurs, instruments financiers, titres ou objets quelconques détenus ou pouvant être détenus pour le compte de r. D. au jour de la validation jusqu'à concurrence ou en déduction du montant de la créance, en principal, frais et accessoires;

  • ­ l'autoriser à procéder à la vente des valeurs, instruments financiers, titres ou objets quelconques détenus ou pouvant être détenus pour le compte de r. D. ;

  • ­ condamner r. D. aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat­-défenseur sous sa due affirmation;

Par acte d'huissier en date du 10 décembre 2019, r. D. a appelé en garantie devant le Tribunal de première instance la SCI E., la SCI E. II, n. D., s. D. et o. D. et demande au Tribunal la jonction des deux instances et que les défendeurs soient condamnés à le garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre au profit de la société A B. C., outre la condamnation de tout contestant aux dépens.

Par conclusions récapitulatives du 14 juillet 2023, r. D. demande au Tribunal de :

  • ­ ordonner la jonction des deux instances n° 2019/000142 et 2020/000380 ;

à titre principal,

  • ­ débouter la société A B. de l'ensemble de ses demandes,

  • ­ débouter la SCI E., la SCI E. II, n., o. et s. D. de l'intégralité de leurs demandes,

  • ­ faire application du principe selon lequel la fraude corrompt tout,

  • ­ faire application des articles 964, 971, 972 et 1168 du Code civil,

  • ­ déclarer que la société A B. C. n'est pas la véritable titulaire de la créance objet de la cession de créance hypothécaire dressée et reçue par Maître U., notaire associé, à Nice le 13 novembre 2017, ladite société n'étant intervenue à l'acte qu'en tant que prête­nom pour le compte de la SCI E. II et n., o. et s. D.,

  • ­ dire que la société A ne peut donc se prévaloir de sa qualité de créancière subrogée dans les droits de la banque F.,

  • ­ dire que n., o. et s. D., en agissant de concert avec la société A en utilisant les structures des SCI E. et E. II, ont commis des manœuvres frauduleuses à son préjudice,

  • ­ ordonner la mainlevée des mesures de saisie-­arrêt pratiquées auprès de la SAM F., de K. P. et de la société N. O., ­ condamner la demanderesse aux entiers dépens de l'instance,

  • ­ déclarer que les banques, tiers­saisis, pourront en conséquence valablement se libérer entre les mains de r. D. des sommes, deniers, valeurs, instruments financiers, titres ou objets quelconques détenus ou pouvant être détenus pour son compte,

  • ­ condamner solidairement n., o. et s. D., la société A B. C., les SCI E. et E. II à lui payer une somme de 500.000 euros de dommages et intérêts ;

subsidiairement,

  • ­ ordonner l'invalidité pour vice du consentement de l'intégralité des engagements de caution du 20 août 2012 souscrits par r. D. pour garantir la dette souscrite par la SCI E. II par deux actes notariés successifs du 31 janvier 2012 et 28 septembre 2012,

  • ­ débouter la société A B. C. de toutes ses demandes,

  • ­ condamner solidairement n., o. et s. D., la société A B. C., les SCI E. et E. II à lui payer une somme de 500.000 euros de dommages et intérêts,

  • ­ condamner solidairement n., o. et s. D., la société A B. C., les SCI E. et E. II à le relever et garantir de l'intégralité des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

  • ­ ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir ;

en toute hypothèse,

  • ­ débouter n., o. et s. D., les SCI E. et E. II et la société A B. C. de l'intégralité de leurs demandes,

  • ­ condamner solidairement n., o. et s. D., la société A B. C., les SCI E. et E. II à lui payer une somme de 75.000 euros pourprocédure abusive et injustifiée,

  • ­ condamner solidairement n., o. et s. D., la société A B. C., les SCI E. et E. II aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bernard BENSA avocat­-défenseur sous sa due affirmation.

Par conclusions en date du 1er juin 2023, s. et o. D., la SCI E. et E. II ont conclu à la reprise d'instance à la suite du décès de n. D. précisant que Messieurs s. et j. D. sont exécuteurs testamentaires.

Ils précisent que les demandes présentées avant l'interruption d'instance sont reprises à leur compte.

Par arrêt en date du 13 avril 2023, la Cour d'appel d'Aix-­en-­Provence a, par application du droit anglais, considéré que les exécuteurs testamentaires étaient légalement admis à représenter le défunt dans une procédure judiciaire en cours à son décès.

Le Tribunal se réfère donc aux conclusions en date du 1er juin 2023 aux termes desquels, il lui est demandé de :

  • ­ dire et juger que r. D. est irrecevable à se prévaloir d'une quelconque fraude après avoir participé lui­même à cette structure patrimoniale à caractère familial en toute connaissance de cause,

  • ­ dire et juger que r. D. ne peut se contredire au détriment d'autrui, et qu'il est irrecevable à soutenir que l'ensemble des actes dont son cautionnement du 20 août 2012 doivent être annulés et à exercer les droits qu'il tire de ce même acte de cautionnement,

  • ­ dire et juger que r. D. n'est pas admissible à mettre en œuvre un quelconque recours subrogatoire à l'encontre de la SCI E., E. II, de n., o. et s. D. à défaut d'avoir intégralement indemnisé le créancier,

  • ­ dire et juger que r. D. n'est pas admissible à mettre en œuvre un quelconque recours avant paiement à l'encontre de la SCI E. II,

  • ­ prononcer l'irrecevabilité de l'ensemble des demandes de r. D. à l'encontre de la SCI E., E. II, de n., Olivier et s. D. ; subsidiairement sur le fond,

  • ­ constater que le produit de la cession des 490 parts sociales, propriété de n. D. dans la SCI E. et qu'il a cédé à la SCI E. II lui appartient et qu'il était libre d'en confier la gestion à la société A,

  • ­ dire et juger que cette somme n'appartient en aucun cas à la SCI E. II ou à r. D.,

  • ­ dire et juger qu'il n'existe aucune donation à r. D. ni aucune intention libérale de n. D.,

  • ­ dire et juger qu'il n'existe donc aucune fraude mais une organisation patrimoniale à caractère familial,

  • ­ dire et juger que la SCI E., E. II, n., o. et s. D. n'ont commis aucune faute susceptible d'engager leur responsabilité dans la mise en œuvre des poursuites contre r. D. en sa qualité de caution,

  • ­ débouter r. D. de sa demande de dommages et intérêts,

  • ­ dire et juger que r. D. ne caractérise pas les manœuvres dont il aurait été victime et qui auraient surpris son consentement dans le cadre de la signature de l'ace de caution personnelle du 20 août 2012,

  • ­ dire et juger que les demandes de r. D. reviennent à violer les dispositions de l'acte de caution personnelle et solidaire qu'il a signé,

  • ­ débouter r. D. de sa demande de nullité du cautionnement pour fraude et pour dol ;

  • ­ constater que r. D. a renoncé contractuellement à se retourner contre le débiteur principal avant tout paiement,

  • ­ constater que r. D. a renoncé contractuellement à se retourner contre ses cofidéjusseurs,

  • ­ constater que l'acte de caution solidaire du 20 août 2012 ne garantit pas la créance de la banque mais l'ensemble des dettes de la SCI E. II ;

  • ­ débouter r. D. de l'ensemble de son appel en garantie et de l'intégralité de ses moyens, fins et conclusions, à l'égard de la SCI E., E. II et de n., o. et s. D. ;

en tout état de cause,

  • ­ condamner r. D. à payer à la SCI E., E. II et de n., o. et s. D., chacun une somme de 100.000 euros en réparation du préjudice moral et financier subi du fait de la procédure abusive,

  • ­ condamner r. D. aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat­défenseur sous sa due affirmation.

Par conclusions récapitulatives du 6 octobre 2023, la société A B. C. demande au Tribunal de :

  • ­ déclarer r. D. irrecevable à agir en nullité pour fraude;

à défaut,

  • ­ dire et juger qu'il n'y a aucune fraude dans la structure choisie par n. D. dans un souci d'efficacité fiscale et de gestion patrimoniale;

  • ­ dire et juger que n. D. a confié la gestion d'une partie du produit de la cession de ses parts de la SCI E. à la société A B. C.,

  • ­ dire et juger qu'elle a valablement acquis la créance de la banque F. au prix de 3.200.000 euros, quittancée dans l'acte notarié du 23 novembre 2017,

  • ­ débouter r. D. de l'ensemble de ses demandes,

  • ­ déclarer régulière, bonne et valable la saisie­-arrêt pratiquée,

  • ­ condamner r. D. au paiement d'une somme de 3.200.000 euros en principal, avec intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation jusqu'à complet paiement, soit 935.984.18 euros à ce jour,

  • ­ condamner r. D. au paiement d'une somme de 1.886.965.59 euros à titre de dommages et intérêts couvrant l'ensemble des préjudices financier et moral subis,

  • ­ prononcer l'exécution provisoire du jugement à venir,

  • ­ dire que la banque N. H., tiers­-saisi, pourra valablement se libérer entre les mains de la société demanderesse des sommes, deniers, valeurs, instruments financiers, titres ou objets quelconques détenus ou pouvant être détenus pour le compte de r. D. au jour de la validation jusqu'à concurrence ou en déduction du montant de la créance, en principal, frais et accessoires,

  • ­ l'autoriser à procéder à la vente des valeurs, instruments financiers, titres ou objets quelconques détenus ou pouvant être détenus pour le compte de r. D.,

  • ­ condamner r. D. au paiement d'une somme de 75.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • ­ condamner r. D. à lui payer une somme de 50.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens,

  • ­ condamner r. D. aux dépens dont distraction au profit de Maître Géraldine GAZO, avocat­défenseur sous sa due affirmation.

Les débats ont été clos dans les deux dossiers par ordonnances en date du 23 novembre 2023.

À l'audience du 30 novembre 2023, les conseils des parties ont plaidé l'affaire qui a été mise en délibéré au 8 février 2023.

SUR CE,

Pour une bonne administration de la justice, le Tribunal fait droit à la demande de jonction des deux procédures enrôlées sous les n° 2019/000142 et 2020/000380 sous le n° unique 2019/000142.

  • Sur la fraude invoquée par r. D. quant à la créance revendiquée à son encontre par la société A B. C.

Suivant autorisation donnée par Madame le Président du Tribunal de première instance le 22 mai 2018, la société A B. C. a par actes des 25 mai, 28 mai et 5 juin 2018, fait procéder à diverses saisies-­arrêts des comptes et valeurs de r. D. auprès d'établissements bancaires monégasques.

r. D. a également fait l'objet en France de la saisie de ses droits d'associés et des valeurs mobilières dont il est titulaire auprès de la SCI E. et E. II.

La créance revendiquée par la société A B. C. émane de deux actes:

  • ­ un acte du 28 septembre 2012 de Maître j. S., notaire à Beaulieu-sur-Mer contenant quittance subrogative avec prêt,

  • ­ un acte du 13 novembre 2017 de Maître a. T.­U., notaire associé contenant cession de créance hypothécaire à la société A par la banque F..

n. D., aujourd'hui décédé, et son épouse prédécédée étaient propriétaires avec deux de leurs quatre fils r. et s. de la SCI E., elle­même propriétaire d'une villa à Saint-Cap-­Ferrat, à raison de 250 parts à chaque parent et 100 parts à chacun des deux fils.

Au décès de Madame D., n. D. a totalisé 500 parts dans la SCI E..

Pour des raisons fiscales, n. D. et ses fils ont décidé de créer la SCI E. II et n. D. a cédé 490 parts de la SCI E. à la SCI E. II. Ce capital de 490 parts a été réparti à raison de 230 parts à o. D., 130 parts à s. D. et 130 parts à r. D..

Après cette opération, la répartition des 700 parts sociales du capital de la SCI E. a été la suivante:

  • ­ la SCI E. II est titulaire de 490 parts (dont 230 à o., 130 à s. et 130 à r.),

  • ­ n. D. possède 10 parts,

  • ­ r. D. possède 100 parts,

  • ­ s. D. possède 100 parts, ce qui permet de voir l'équilibre entre les 3 fils en ce qu'ils sont au final propriétaires de 230 parts sociales de la SCI E..

La cession par n. D. de ses parts s'est faite à titre gratuit.

Pour compenser cette cession gratuite, n. D. a imaginé la souscription d'un prêt par la SCI E. II à la SAM H. Q. R. d'un montant de 3.200.000 euros d'une durée d'un an, renouvelable neuf fois.

En garantie du remboursement de ce prêt, il a été prévu:

  • ­ la caution hypothécaire de la SCI E.,

  • ­ le nantissement des 490 parts de la SCI E. II dans la SCI E.,

  • ­ le nantissement des parts d'o., s. et r. D. dans la SCI E. II,

  • ­ la caution personnelle et solidaire de n., r., s. et o. D. pour toute dette de la SCI E. II à l'égard de la banque dans la limite de 3.200.000 euros.

Des courriers communiqués à la procédure attestent d'un contentieux entre n. D. et la SAM H. Q. R. quant à la destination des fonds disponibles prêtés.

Il a été décidé de changer de banque par le rachat du prêt de la banque Q. R. par la banque F..

Par acte notarié du 28 septembre 2012 de Maître j. S., notaire à Beaulieu-sur-Mer, le prêt Q. R. a été remboursé par la Banque F. au moyen d'un nouveau prêt de 3.200.000 euros, sur cinq ans renouvelables, accordé par la banque à la société E. II.

Dans l'acte authentique, la banque F. prenait les garanties suivantes:

  • ­ subrogation de la banque dans le bénéfice de l'inscription hypothécaire constituée par la société E. au profit de la banque Q. R.,

  • ­ nantissement par s., r., n. D. et la SCI E. II des parts dont ils sont titulaires dans la SCI E.,

  • ­ nantissement par s., r. et o. D. des parts dont ils sont titulaires dans la SCI E. II,

  • ­ caution solidaire de n., s., r. et o. D. à hauteur de 3.200.000 euros,

  • ­ garantie à première demande d'un montant de 2.300.000 euros de la part de la société A B. C..

Sur le prêt de 3.200.000 euros, après paiements de tous les frais de cession et frais divers, une somme de 2.300.000 euros restait disponible. n. D., propriétaire de ces fonds, en a confié la gestion à la société A B. C. dont les gérants sont o. et s. D..

Cette somme de 2.300.000 euros a été investie en obligations. Les produits de cet investissement devaient servir au paiement des intérêts du prêt, aux charges de n. D. et à terme au remboursement de tout ou partie du capital.

Le prêt arrivait à échéance en septembre 2017, avant renouvellement possible. Or à l'automne 2016, la banque F. informait les cogérants de la SCI E. II qu'à l'échéance, il lui était impossible de le renouveler compte tenu de la fermeture de l'établissement monégasque prévu fin 2017.

Tout ce montage précédemment décrit s'explique par le souhait de n. D. de préparer sa succession lorsqu'il a appris qu'il souffrait d'un cancer de la gorge en limitant autant que faire ce peut les droits de succession de ses fils.

Au présent litige, les parties sont d'accord sur les éléments de fait de ce montage juridique, chacun y trouvant son intérêt à l'époque.

Les pièces communiquées montrent que dès 2015, des tensions sont apparues s'expliquant par la façon de gérer les fonds pour les valoriser. Cette gestion relevait uniquement de la société A à laquelle les fonds avaient été confiés, dont seuls o. et s. D. étaient les administrateurs. r. D. n'étant pas impliqué dans la société, n'a pas approuvé les choix d'investissement faits.

Ces tensions ont été exacerbées lorsque la banque F. a notifié le non­renouvellement du prêt, ce qui signifiait pour la SCI E. II un remboursement immédiat de 2.300.000 euros.

Face à cela, n., o. et s. ont suggéré à r. D. qu'un nouvel emprunt soit fait par la SCI E. II pour rembourser le prêt à la banque, ce que r. D. a refusé du fait de la mésentente existant entre lui et le reste de la famille.

Des discussions ont eu lieu entre les trois frères afin de trouver une solution de financement pour honorer le prêt mais aucune n'a abouti, mettant ainsi la SCI E. II dans une impasse risquant de se conclure par la saisie de la villa. Exposés au risque de mesures d'exécution forcée, les membres de la famille ont opté pour le rachat du prêt par la société A B. C., r. D. n'étant pas impliqué dans le fonctionnement de cette société n'a pas été consulté sur cette opération.

Cette cession de créance entre la banque F. et la société A B. C. est intervenue par acte notarié du 13 novembre 2017. Aux termes de cet acte communiqué par les appelés en garantie en pièce 17, la cession porte sur une créance de 3.200.000 euros de la banque F. à la société A B. C. découlant d'un prêt consenti par le cédant à la SCI E. II suivant acte notarié de Maître j. S., notaire, le 31 janvier 2012.

L'acte de cession de créance à la société A par la banque F. a été signifié à r. D. par huissier le 3 mai 2018, tel que justifié en pièce D21 de la société A.

r. D. argue d'une fraude dans le montage initial tel que décrit ci­dessus.

Or l'examen des pièces à laprocédure et l'analyse du montage juridique attestent au contraire que tout a été fait dans les règles légales, et comme cela a été mentionné, chaque membre de la famille D. y avait intérêt, n. D. cédait ses parts à sa famille mais avait à sa disposition plus de 2 millions d'euros pour couvrir ses frais de vie. Les fils devenaient propriétaires de la quasi­totalité de la villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat sans débourser le moindre euro.

Il n'y a donc aucune fraude aux droits de r. D. qui était traité juridiquement par son père sur un pied d'égalité avec ses deux autres frères.

Il soutient que si l'opération n'est pas frauduleuse, elle a finalement été détournée de son but pour lui nuire à terme.

La chronologie des faits a été décrite et il est apparu que pour des raisons totalement imprévues, à savoir la fermeture de l'établissement monégasque de la banque prêteuse, la famille a été acculée et pour éviter la saisie de la villa, a trouvé comme solution le rachat du prêt par la société gestionnaire.

La société A B. C. indique avoir payé le prix de 3.200.000 euros sur ses fonds propres.

Elle a ensuite mis en demeure par courrier du 4 décembre 2017 la SCI E. II en la personne de ses trois gérants o., s. et r. D. de lui rembourser le montant du prêt, ce qu'elle n'a pu faire puisque la SCI ne disposait pas de fonds propres mais juste de la villa.

En avril 2018, la société A a également adressé à la SCI E., à o., s. et r. D. une mise en demeure de bien vouloir lui régler l'intégralité de la créance, outre les intérêts ayant couru, en leur qualité de cautions solidaires.

Dans ce contexte, r. D. a fait l'objet de plusieurs mesures d'exécution de la part de la société A B. C. pour paiement de la somme de 3.200.000 d'euros en sa qualité de caution.

Dans les discussions entre les membres de la famille produites à laprocédure, il apparaît que r. D. a évoqué le fait qu'il avait des droits de propriété sur la somme restante de 2.300.000 euros.

Contrairement à ses croyances, la somme de 2.300.000 euros est revenue à n. D. à la suite de la cession de ses parts à la SCI E. II, cette somme n'a pas été donnée à ses fils mais confiée à la société A pour placements. D'ailleurs, l'objectif fiscal voulu par le père de limiter les droits de succession ne plaide bien évidemment pas pour une donation aux enfants qui aurait généré des frais importants au vu du montant. n. D., de son vivant, a rappelé à plusieurs reprises à r. D. que l'argent du placement lui appartenait dès lors que la cession des parts sociales qu'il a effectuée s'est faite sans contrepartie financière de ses fils.

D'ailleurs, à la suite de recours exercés en France par r. D., visant à obtenir la nullité des procès­verbaux de saisie-­vente de ses droits d'associés du 14 mai 2018, le juge de l'exécution du Tribunal judiciaire de Grasse a, par jugement du 7 juillet 2020, considéré que « r. D. ne démontre pas qu'il ait un droit quelconque sur la somme correspondant au prix de cession, confiée à la société A B. C. par son père» et a débouté r. D. de ses demandes. En appel, la Cour a sursis à statuer dans l'attente des décisions monégasques.

Il ne peut arguer d'une fraude à ce titre puisqu'il n'a jamais été propriétaire d'une partie de cette somme. Dans ces conditions, aucune fraude ne peut être retenue s'agissant de la cession de créance de la banque F. à la société A. La qualité de créancière de la société A découle de l'acte notarié fourni à laprocédure.

À défaut d'éléments caractérisant une quelconque fraude, le Tribunal considère que r. D. n'a pas rapporté la preuve d'une fraude à ses droits et considère que la société A B. C. est effectivement propriétaire de la créance de 3.200.000 euros acquise auprès de la banque F..

Pour les mêmes raisons, le Tribunal considère que r. D. n'a pas davantage démontré les manœuvres frauduleuses de la société A, de n. D. en la personne de ses exécuteurs testamentaires, d'o. et de s. D. ainsi que des deux SCI, dont il est d'ailleurs actionnaire. Il a été rappelé que r. D., comme le reste de sa famille, a participé activement au montage juridique voulu par n. D., montage dont la légalité n'est pas contestable.

  • Sur la demande subsidiaire de r. D. de voir son consentement au cautionnement du 20 août 2012 invalidé pour vice de consentement

Toute l'organisation décrite supra a été imaginée par n. D. et ses conseillers financiers pour préparer sa succession avec des droits de succession moindres.

Les cautionnements donnés par o., s. et r. D. au prêt de la banque Q. R. à la SCI E. II sont la contrepartie de ce qu'ils sont devenus associés de la SCI E. II sans avoir versé aucun fonds.

r. D. qui soutient que, soit il a été trompé dès le début du montage financier, soit l'opération initiale a été détournée de son but, indique que sans cette fraude, il n'aurait jamais souscrit un tel engagement de caution. Or, sans des garanties, cautions ou nantissements, la banque F. n'aurait jamais prêté 3.200.000 euros.

La fraude n'a pas été établie alors même que jusqu'en septembre 2017, toute la famille trouvait intérêt dans l'opération, y compris de r. D..

Les difficultés ultérieures s'expliquent par l'impossibilité de trouver un accord au remboursement du prêt de 3.200.000 euros.

r. D. qui dans ses échanges avec sa famille, se targue de grandes compétences en matière financière, ne peut avoir ignoré les risques qu'il prenait en accordant les garanties qu'il conteste aujourd'hui. Mais en échange de ses garanties, il est devenu propriétaire de 230 parts sociales de la SCI E., comme ses deux autres frères. Sans ce cautionnement personnel, il aurait probablement été exclu par son père de l'opération de cession de parts sociales.

À défaut d'avoir démontré les manœuvres frauduleuses invoquées ayant pu vicier son consentement à l'acte du 20 août 2012, r. D. est débouté de sa demande de nullité de son cautionnement pour vice du consentement.

  • Sur la validation de la saisie-­arrêt demandée par la société A B.

Il a été établi que la société A B. C. est bien créancière d'une somme de 3.200.000 euros.

Par acte du 20 août 2012, r. D. s'est porté caution de ce prêt pour un montant de 3.200.000 euros, le cautionnement est « solidaire », « la caution renonce au bénéfice de discussion et de division ». Il est précisé que « la banque pourra, en cas de défaillance du débiteur, demander à la caution le paiement de l'intégralité des sommes dues par le débiteur à la banque au titre des engagements, sans devoir au préalable agir contre celui­ci et sans diviser son action entre les éventuelles cautions du débiteur ».

La société A B. C. produit en pièce 68 un courrier du 13 novembre 2017 au terme duquel elle effectue un versement à la banque F. d'un montant de 3.206.000 euros en paiement de la créance hypothécaire de la SCI E. II, dont 6.000 euros d'intérêts.

Au vu de l'absence de fraude à l'égard de r. D. et de la validité de son engagement de caution de 3.200.000 euros couvrant le prêt non remboursé de la SCI E. II, la créance de la société A B. C. sur r. D. est démontrée.

Le Tribunal condamne r. D. à payer à la société A B. C. une somme de 3.200.000 euros, outre les intérêts de retard au taux Euribor + 1.5 % à compter de la mise en demeure du 13 avril 2018 et jusqu'à parfait règlement.

Il convient de valider la saisie-­arrêt pratiquée le 25 mai 2018 entre les mains de la banque N. H. O., succursale de Monaco sur le compte n° xxx ouvert au nom de r. D. à hauteur du montant des condamnations en principal, outre intérêts, frais et accessoires.

r. D. sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société A B. C., d'o. et s. D. ainsi que n. D. pris en la personne des exécuteurs testamentaires et trustees de la succession.

  • Sur la demande de la société A B. C. en paiement d'une somme de 1.886.865,59 euros au titre de ses préjudices financier et moral

La société A explique que pour rembourser le prêt à la banque F., elle a dû retirer des actifs de son portefeuille, actifs qui portaient intérêts au taux moyen de 8,91 %, soit un calcul de 184.990 euros de perdus. Elle ajoute à cela, l'ensemble des frais qu'elle a engagés, découlant du refus de r. D. de participer au remboursement du prêt, à savoir le coût de la cession de créances rendue nécessaire, les frais d'expertise de la villa, les frais de conseils dans plusieurs pays, l'indemnité additionnelle due à la banque, les intérêts du prêt...

Le Tribunal, après lecture de l'ensemble des documents liés aux discussions familiales pour trouver une solution à la suite du non­renouvellement du prêt, relève qu'à l'origine, toute la famille s'accordait sur le montage juridique visant à anticiper la succession de n. D. en limitant les droits de succession. Chacun a tiré profit de ce montage, notamment les trois fils qui ont bénéficié gratuitement de parts sociales de la SCI propriétaire d'une villa de plus de 4 millions d'euros.

Le financement du remboursement du prêt était également prévu par le biais d'investissement de la somme résiduelle, après paiement par n. D. de droits et taxes, soit 2.300.000 euros, les intérêts conséquents au vu des taux de rendement permettaient le paiement des intérêts et à terme le remboursement du capital.

Seule la fermeture de l'agence F. à I.'a pas été anticipée par les parties, mises ainsi devant le fait accompli de devoir anticiper le remboursement. Ce fait est totalement extérieur à r. D. mais c'est à partir de là que les tensions déjà existantes se sont développées.

r. D. étant, depuis 2015, en désaccord sur la gestion du portefeuille, a naturellement mal réagi lorsqu'il a été informé de la nécessité de rembourser le prêt et de sa mise à contribution, considérant qu'une bonne gestion aurait limité les sommes à verser par chacun.

Dans un message de juillet 2017, il écrit clairement que « d'importantes pertes ou moins-­values sont de la responsabilité de son père et de ses deux frères et qu'il leur appartient désormais de régler le problème avec la banque F. ».

r. D. était effectivement actionnaire de la SCI E. II et tenu en cette qualité à honorer les engagements financiers de celle­ci, ceci d'autant plus qu'il a perçu ses droits sans contrepartie financière.

Le montage financier du prêt avec remboursement des intérêts par investissements boursiers a montré son efficacité puisque durant plusieurs années, aucune contribution financière n'a été demandée aux fils pour payer les intérêts du prêt.

À ce titre, il était judicieux de poursuivre ce montage par le rachat du prêt par une autre banque avec si possible des modalités identiques, ceci d'autant que l'opération était profitable à chacun.

r. D. était associé de la SCI avec ses deux autres frères qui proposaient la même solution de refinancement, il n'était donc pas en mesure de s'opposer aux décisions mais devait donner son accord pour le refinancement. N'obtenant pas l'accord de leur frère, c'est dans ces conditions que les deux autres frères, avec leur père, ont décidé cette cession de créances.

Il n'est pas possible de considérer que le refus de refinancer le prêt caractérise une faute de la part de r. D., d'autant qu'il a justifié sa décision auprès de sa famille, c'est tout au plus a posteriori un mauvais choix qui a eu effectivement des conséquences financières pour la SCI E. II et la société A.

Le Tribunal déboute la société A B. C. de sa demande de dommages et intérêts.

  • Sur la demande de la société A B. C. de dommages et intérêts pour résistance abusive

Il est établi que la société A B. C. cogérée par o. et s. D. a versé une somme de 3.200.000 euros à la banque F., les membres de la famille D., à l'exception de r. D., ont donc contribué au remboursement du prêt.

Il a été décidé que r. D. n'avait pas commis de faute s'agissant de son refus de refinancer le prêt en cours de la SCI E. II. Il s'agit là d'apprécier s'il a commis une faute en résistant abusivement à la société A B. C. après refinancement.

Bien qu'en désaccord sur le choix fait par sa famille s'agissant du prêt à rembourser, une fois ce prêt racheté par la société A et payé à la banque F., r. D. est, au même titre qu'o. et s., caution de ce prêt et doit, si les conditions légales sont réunies, honorer ses engagements. À ce titre, il est tenu au remboursement total ou partiel de la créance de la SCI E. II, en sa qualité de caution, à la société A.

Malgré cette donnée objective et juridiquement incontestable, dès lors qu'il a été invité à satisfaire à son obligation de payer, r. D. a multiplié les procédures judiciaires en France pendant plusieurs années. Il a fait davantage que de se défendre en tentant tout ce qui était possible pour échapper à ses obligations, plaçant ainsi le reste de la famille en difficultés. Cette résistance, dont le caractère abusif est établi, est fautive. Il a causé de ce fait un préjudice indemnisable à la société A B. C..

Le Tribunal condamne r. D. à verser à la société A B. C. une somme de 30.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive.

  • Sur l'irrecevabilité de l'appel en garantie de r. D. à l'encontre de n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, de s. et o. D., de la SCIE. et de la SCIE. II

Les appelés en garantie soulèvent l'irrecevabilité de la demande de r. D. à leur encontre au titre du principe de l'estoppel. Selon ce principe, une partie ne peut se prévaloir d'une position contraire à celle qu'elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment d'un tiers.

Ils expliquent que r. D. sollicite le prononcé de la nullité de ses engagements contractuels tout en faisant produire à ses engagements des effets juridiques notamment s'agissant des recours qu'il exerce en appel en garantie.

Il est incontestable qu'il demande effectivement la nullité de son cautionnement et des garanties qu'il a souscrites dans le cadre du financement bancaire octroyé à la SCI E. II et par ailleurs, s'appuie sur son même engagement de caution pour fonder ses appels en garantie.

Toutefois, le Tribunal relève que les demandes en garantie ne sont présentées par r. D. qu'à titre « très subsidiaire, pour le cas où il ne serait pas ordonné la décharge intégrale des engagements souscrits par lui par l'engagement de caution par acte sous seing privé du 20 août 2012 ».

Le Tribunal considère qu'il n'y a pas de contradictions dans les prétentions de r. D. qui plaide la nullité de son cautionnement devant la juridiction tout en prévoyant l'hypothèse d'un rejet de cette nullité, justifiant alors qu'il soit garanti par les parties appelées.

À défaut d'avoir démontré l'atteinte au principe de l'estoppel, les défendeurs seront déboutés de cette demande d'irrecevabilité.

  • Sur l'appel en garantie de Robert D. à l'encontre de n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, de s. et o. D. et de la SCIE.

Aux termes de l'article 1864 du Code civil, « lorsque plusieurs personnes se sont rendues caution d'un même débiteur pour une même dette, elles sont obligées chacune à toute la dette ».

L'article 1865 précise que « néanmoins, chacune d'elles peut, à moins qu'elle n'ait renoncé au bénéfice de division, exiger que le créancier divise préalablement son action, et la réduise à la part et portion de chaque caution ».

En l'espèce, le cautionnement donné par r. D. par acte du 20 août 2012 est un cautionnement personnel et solidaire, pour lequel il a renoncé au bénéfice de division et de discussion.

Juridiquement, r. D. ne peut actionner les autres cautions qu'après avoir désintéressé le créancier principal, ce qui n'est pas le cas en l'espèce lorsqu'il appelle en garantie les autres cautions.

Au terme de l'article 7 de son acte de cautionnement, r. D. a renoncé à « se prévaloir du bénéfice de la subrogation dans les droits de la banque envers le débiteur et renonce en conséquence à exercer toute poursuite ou à faire valoir toute prétention contre le débiteur qui aurait pour objet ou pour effet de la faire venir en concours avec la banque, tant que les sommes dues à la banque par le débiteur au titre des engagements n'auront pas été intégralement payées ».

r. D. est donc privé à ce stade de tous recours contre n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, contre o. et s. D. et contre la SCI E..

Le Tribunal déboute r. D. de son appel en garantie à l'encontre de n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, de s. et o. D. et de la SCI E..

  • Sur la demande de dommages et intérêts de n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, o. et s. D., de la SCI E. et de la SCI E. II

Les appelés en garantie expliquent que durant plusieurs années, la résistance de r. D. leur a causé un préjudice moral et financier, leur moralité ayant été mise en cause, outre tous les frais qu'ils ont supportés pour se défendre dans toutes les procédures engagées découlant du comportement fautif de r. D..

Les développements supra ont effectivement démontré que r. D. a opposé à la famille une résistance tous azimuts pour échapper à ses responsabilités financières pourtant indéniables.

Le Tribunal condamne r. D. à verser à n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, à o. et s. D. et à la SCI E. chacun, la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le Tribunal déboute, en revanche, la SCI E. II de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive dans la mesure où débitrice principale, elle n'est pas fondée à solliciter indemnisation à r. D. puisqu'elle­même était défaillante.

Sur la demande très subsidiaire de r. D. en paiement contre la SCIE. IIen application de l'article 1871 du Code civil

L'article 1871 du Code civil prévoit que « la caution, même avant d'avoir payé, peut agir contre le débiteur, pour être par lui indemnisée :

  • 1° lorsqu'elle est poursuivie en justice pour le paiement,

  • 2° lorsque le débiteur a faitfaillite ou est en déconfiture,

  • 3° lorsque le débiteur s'est obligé de lui rapporter sa décharge dans un certain temps,

  • 4° lorsque la dette est devenue exigible par l'échéance du terme sous lequel elle avait été contractée,

  • 5° au bout de dix années, lorsque l'obligation principale n'a point de termefixe d'échéance, à moins que l'obligation principale, telle qu'une tutelle, ne soit pas de nature à pouvoir être éteinte avant un temps déterminé ».

Il suffit que l'une des conditions prévues à l'article précité soit remplie pour que la caution ait un droit d'agir contre le débiteur, avant paiement.

En l'espèce, plusieurs conditions sont remplies puisque r. D., caution, est poursuivie en justice et la dette est devenue exigible dès lors que le moratoire en paiement accordé à la SCI E. II par la société A B. C. en date du 4 octobre 2022 a expiré le jma.

Contrairement aux affirmations des appelés en garantie, r. D. n'a jamais renoncé à garantir à son droit de recours à l'encontre de la débitrice principale. En effet, l'acte de cautionnement prévoit que la caution ne peut solliciter le paiement du débiteur s'il a bénéficié d'une prorogation de terme, ce qui n'est plus le cas puisque le terme est échu. De même, la caution ne peut agir contre le débiteur s'il vient en concours avec la banque, ce qui n'est pas le cas puisque la banque a déjà été remboursée. Les cas de non­recours contre le débiteur sont limitativement énumérés dans l'acte de cautionnement et ne correspondent au présent recours exercé par r. D..

Le Tribunal condamne en conséquence la SCIE. II, débitrice principale de la société A B. C. à garantir r. D. de sa condamnation au paiement de la somme de 3.200.000 euros outre les intérêts, à l'exclusion des condamnations au titre de fautes personnelles.

  • Sur la demande au titre des frais de procédure

L'article 238-1 du Code de procédure civile prévoit que:

« Le juge condamnera la partie tenue aux dépens ou qui perdra son procès à payer :

  • 1° à l'autre partie la somme qu'il déterminera au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

  • 2° et le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'assistancejudiciaire une somme au titre des honoraires etfrais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'assistance aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide;

Dans tous les cas, le juge tiendra compte de l'équité, de la situation économique de la partie condamnée. Il pourra, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle­ci ne pourra être inférieure à la part contributive de l'État.

L'avocat bénéficiaire de l'assistance judiciaire ne pourra cumuler la somme prévue au titre du 2° du présent article avec la part contributive de l'État ».

r. D., succombant, est condamné à payer à la société A B. C. la somme de 10.000 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens.

r. D. est condamné aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI et de Maître Géraldine GAZO, avocats­défenseurs sous leur due affirmation.

  • Sur l'exécution provisoire du présent jugement

En application de l'article 202 du Code de procédure civile, « hors les cas dans lesquels la décision en bénéficie de plein droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, par la décision qu'elle est destinée à rendre exécutoire, sous réserve des dispositions de l'article 203 ».

Le texte précise que « l'exécution provisoire peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi ».

Au vu de la nature de l'affaire, il convient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des deux procédures enrôlées sous les n° 2019/000142 et 2020/000380 sous le n° unique 2019/000142 ;

Dit que r. D. n'a pas démontré la fraude dans la cession de créance entre la banque F. et la société A B. C. suivant acte notarié en date du 13 novembre 2017 ;

Déboute r. D. de sa demande de nullité de son cautionnement pour vice du consentement ;

Dit que la société A B. C. est effectivement propriétaire d'une créance de 3.200.000 euros (TROIS MILLIONS DEUX CENT MILLE EUROS) sur la SCI E. II ;

Constate que r. D. est caution personnelle et solidaire de cette créance à hauteur de 3.200.000 euros (TROIS MILLIONS DEUX CENT MILLE EUROS) ;

Condamne r. D. à payer à la société A B. C. une somme de 3.200.000 euros (TROIS MILLIONS DEUX CENT MILLE EUROS), outre les intérêts de retard au taux Euribor + 1.5 % à compter de la mise en demeure du 13 avril 2018 et jusqu'à parfait règlement ;

Valide la saisie­arrêt pratiquée le 25 mai 2018 entre les mains de la banque N. H. O., succursale de I.sur le compte n° xxx ouvert au nom de r. D. à hauteur du montant des condamnations en principal, outre intérêts, frais et accessoires ;

Dit que l'établissement bancaire N. H. O., succursale de I.tiers­saisi, se libérera valablement des sommes qu'il détient pour le compte de r. D. par le versement qu'il en opérera entre les mains de la société A B. C. ;

Déboute la société A B. C. de sa demande de dommages et intérêts au titre de ses préjudices financier et moral ;

Condamner. D. à verser à la société A B. C. une somme de 30.000 euros (TRENTE MILLE EUROS) de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Déboute r. D. de ses demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société A B. C., d'o. et s. D. ainsi que n. D. pris en la personne des exécuteurs testamentaires et trustees de la succession ;

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'appel en garantie de r. D. soulevée par o., s. D., n. D. pris en la personne des exécuteurs testamentaires et trustees de la succession, la SCI E. et la SCI E. II ;

Déboute r. D. de son appel en garantie à l'encontre de n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, de s. et o. D. et de la SCI E. ;

Condamne r. D. à verser à n. D. pris en la personne de ses exécuteurs testamentaires, à o. et s. D. et à la SCI E. chacun la somme de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts;

Déboute la SCI E. II de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive à l'encontre de r. D. ;

Condamne la SCI E. II à garantir r. D. de sa condamnation au paiement de la somme de 3.200.000 euros (TROIS MILLIONS DEUX CENT MILLE EUROS) outre les intérêts;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamner. D. à payer à la société A B. C. la somme de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) au titre de ses frais non compris dans les dépens ;

Condamne r. D. aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI et de Maître Géraldine GAZO, avocats­-défenseurs sous leur due affirmation, chacun en ce qui le concerne ;

Ordonne que les dépens distraits seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Après débats en audience du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco, et qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement,

Ainsi jugé et rendu au Palais de Justice, à Monaco, le 8 FÉVRIER 2024, par Madame Evelyne HUSSON, Vice­-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-­Président, Madame Anne-­Sophie HOUBART, Juge, assistées de Monsieur Julien SPOSITO, Greffier, en présence du Ministère public.­

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