Tribunal de première instance, 15 avril 2021, a. C. DA C. et l'Association F c/ La SA B
Abstract🔗
Protection sociale - Maladie professionnelle - Rechute - Avis de la commission spéciale d'invalidité - Capacité résiduelle de gains évaluée à 100 % - Ordonnance de conciliation - Nullité (non) - Nature de l'acte - Acte juridictionnel - Vice du consentement (non) - Défaut de maîtrise de la langue française (non) - Possibilité de se faire assister par un interprète - Assistance d'un avocat - Placement ultérieur sous curatelle renforcée - Absence d'effet rétroactif
Résumé🔗
La demanderesse, victime d'une maladie professionnelle consistant en une tendinite des deux poignets, a sollicité la prise en charge d'une rechute de cette maladie par l'assureur-loi. Elle demande l'annulation de l'ordonnance de conciliation qu'elle a signée après l'avis de la Commission spéciale d'invalidité évaluant sa capacité résiduelle de gains à 100 %, faisant valoir une « erreur d'appréciation » au visa de l'article 964 du Code civil. Cependant, cet article visant uniquement le consentement donné à l'occasion de la conclusion d'un contrat ou d'une convention, l'ordonnance de conciliation critiquée, acte juridictionnel, est exclu de son champ d'application. En revanche, s'agissant du consentement exprimé par la demanderesse, le Tribunal doit s'assurer qu'aucune violation de ses droits substantiels n'est caractérisée ou que d'autres dispositions légales ne sont pas susceptibles de trouver application, et ce, même si aucune voie de recours ou d'annulation contre l'ordonnance de conciliation n'est prévue par la loi n° 636 du 11 janvier 1958.
De nationalité portugaise, la demanderesse invoque vainement son défaut de maîtrise de la langue française. En effet, si elle a des difficultés à lire le français, il est établi qu'elle a pu comprendre et s'exprimer dans cette langue de manière suffisante dans le cadre du règlement de ses maladies professionnelles, et notamment au cours des expertises médicales ne mentionnant aucune difficulté de communication. En outre, elle pouvait, si nécessaire, se faire assister d'un interprète pour se faire traduire le projet d'ordonnance de conciliation. Enfin, elle bénéficiait de l'assistance d'un avocat qu'elle pouvait consulter pour se faire conseiller sur la conduite à tenir à propos cet avis de la Commission spéciale et qui pouvait l'assister lors de la signature de l'ordonnance litigieuse.
Par ailleurs, s'agissant de son placement sous le régime de la curatelle renforcée, il est postérieur à cette signature. Une telle décision n'ayant pas d'effet rétroactif, en application des articles 410-24° et 410-36° du Code civil, la nullité d'actes passés avant qu'elle ne soit devenue opposable n'est envisageable qu'à la condition que la situation qui a motivé la mesure de protection ait existé notoirement à l'époque où les actes ont été accomplis. Or, il n'est pas démontré une vulnérabilité apparente ou un trouble mental au moment de la signature de l'ordonnance de conciliation. La demande de nullité sera donc rejetée.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2020/000436 (assignation du 25 mai 2020)
JUGEMENT DU 15 AVRIL 2021
En la cause de :
a. C. DA C., née le 30 septembre 1971, de nationalité portugaise, demeurant X1 à Roquebrune Cap Martin (06190), placée sous mesure de curatelle renforcée aux biens et à la personne par jugement du Tribunal d'Instance de Menton du 13 juin 2019 ;
Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,
L'Association F, demeurant X2 à Nice (06201) Cedex 3 en sa qualité de curateur d a. C. DA C.;
DEMANDERESSES, ayant élu domicile en l'étude de MA. Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme de droit français dénommée B, dont le siège social se trouve à X3 à Paris La Défense (92076), prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration et Directeur général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, et dont l'agent responsable en Principauté est la SAM C, dont le siège social se trouve X4 à Monaco, pris en sa qualité d'assureur-loi de l'établissement public de droit monégasque D, ancien employeur d a. C. DA C.;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de MA. Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de MA. Frédéric LEFEVRE, huissier, en date du 25 mai 2020, enregistré (n° 2020/000436) ;
Vu les conclusions de MA. Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la SA B, en date du 24 septembre 2020 ;
Vu les conclusions de MA. Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom d a. C. DA C. en date du 19 octobre 2020 ;
À l'audience publique du 4 février 2021, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 25 mars 2021 et prorogé au 15 avril 2021, les parties en ayant été avisées ;
EXPOSÉ DU LITIGE
a. C. DA C. employée en qualité de femme de ménage par l'établissement public de droit monégasque D, dont l'assureur-loi était la SA B, aux droits et obligations de laquelle se trouve désormais la SA B, a contracté une maladie professionnelle le 1er mars 2006 consistant en une tendinite du poignet droit puis le 15 mars 2006 une tendinite du poignet gauche ;
Son état a été considéré comme consolidé le 25 octobre 2006 et l'expert MI. a fixé à 2 % le taux d'IPP dont elle demeurait atteinte ; la Commission spéciale prévue par l'article 23 bis de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 a, le 4 mars 2008, fixé à 20 % sa capacité résiduelle de gains ;
Elle a été licenciée le 23 avril 2007 suite à la déclaration d'inaptitude définitive à son poste de travail effectuée par le médecin de l'Office de la Médecine du Travail ;
Par jugement du 14 janvier 2010, le Tribunal ayant tels égards que de droit pour le rapport d'expertise du Docteur MI. et l'avis de la Commission spéciale d'invalidité, a déclaré la SA B tenue de verser à a. C. DA C. une rente annuelle et viagère de 188,86 euros calculée en fonction d'un taux d'IPP médical de 2 % et d'un salaire annuel de 18.885,80 euros, outre un complément de rente sur les mêmes bases à l'effet de tenir compte de sa capacité résiduelle de gains de 20 %, et a condamné en définitive l'assureur-loi au paiement d'une rente annuelle de 13.220,06 euros, tenant compte d'une incapacité totale de 80 %, à compter du 26 octobre 2006 et ce jusqu'à l'âge légal de la retraite ;
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel en date du 12 avril 2011 ;
Le 31 janvier 2008, a. C. DA C. a déclaré une rechute de la maladie professionnelle affectant son poignet gauche que l'assureur-loi a refusé de prendre en charge ;
Par un deuxième jugement, également daté du 14 janvier 2010, le Tribunal de Première Instance a dit que les troubles constatés le 31 janvier 2008 par le médecin traitant d a. C. DA C. devaient être considérés comme une rechute de la maladie professionnelle du 15 mars 2006 et devaient donc être pris en charge par l'assureur-loi, a renvoyé le Docteur MI. à l'accomplissement final et complet de sa mission et déclaré a. C. DA C. irrecevable en sa demande de saisine de la Commission spéciale d'invalidité ;
Suite à l'appel interjeté le 12 février 2010 par l'assureur-loi à l'encontre de ce jugement, la Cour d'appel a, par arrêt avant-dire-droit du 12 avril 2011, ordonné une nouvelle mesure d'expertise confiée au Docteur OR. ;
Cet expert a considéré que les troubles constatés suivant certificat médical du 31 janvier 2008 ne caractérisaient pas une rechute de la maladie professionnelle du 15 mars 2006 ;
Par arrêt du 8 janvier 2013, la Cour d'Appel a homologué le rapport du Docteur OR. et infirmant le jugement du Tribunal, a débouté a. C. DA C. de ses demandes ;
Par courrier du 30 janvier 2013, la SA B a sollicité, au vu du rapport de son médecin conseil ayant fixé à 0 % le taux d'IPP dont a. C. DA C. demeurait atteinte, la révision du taux d'incapacité de la victime ;
Par ordonnance du 25 février 2013, le docteur MA. a été désigné en qualité d'expert par le Juge chargé des accidents du travail ;
Ce praticien a déposé le 29 mars 2013 son rapport daté du 26 mars 2013, aux termes duquel il a conclu :
« - Il n'y a pas de récidive de la ténosynovite cubitale antérieure des 1er et 2ème radiaux et de l'extenseur au niveau du poignet gauche de Mme C. DA C. depuis la consolidation du 25.10.06 ;
- Il n'y a pas de durée des soins, d'ITT ni de date de reprise du travail à envisager ;
- Il n'y a pas lieu de fixer une nouvelle date de consolidation ;
- IPP : 0 (zéro) ;
- Le licenciement de Mme C. DA C. n'est pas en rapport direct et certain avec la maladie professionnelle n° 57 du poignet gauche ;
- Il ne convient pas de faire apprécier la capacité résiduelle de gain de la victime par la Commission Spéciale prévue par l'article 23 bis de la loi susvisée » ;
Le 11 juin 2013, la Commission spéciale a maintenu à 20 % la capacité résiduelle de gains de la victime ;
a. C. DA C. n'a pas accepté les conclusions de l'expert MA. mais s'est en revanche accordée sur l'avis de la Commission spéciale ;
La SA B a pour sa part contesté l'avis émis par la Commission spéciale le 11 juin 2013 mais accepté les conclusions du rapport de l'expert MA. ;
Une ordonnance de non-conciliation a donc été rendue le 29 avril 2014 ;
Sur assignation délivrée par a. C. DA C. le 13 novembre 2014, à l'encontre de la SA B, ce Tribunal a, par jugement en date du 22 septembre 2015 avant-dire-droit au fond :
Dit n'y avoir lieu à homologation du rapport d'expertise du Docteur MA. ;
Ordonné une nouvelle expertise et désigné, pour y procéder, le Docteur OR. en qualité d'expert, avec faculté, le cas échéant, de s'adjoindre tout sapiteur de son choix en matière psychiatrique ;
Dit n'y avoir lieu d'entériner l'avis de la Commission spéciale en date du 11 juin 2013 et dit que cette Commission devra être à nouveau saisie, le cas échéant, après le dépôt du rapport de l'expert OR. ;
Réservé les dépens en fin de cause ;
Suivant rapport en date du 6 janvier 2016 déposé au greffe le 8 janvier 2016, auquel est joint l'avis du 4 janvier 2016 du sapiteur psychiatre, le Docteur BE., l'expert OR. a retenu que :
« les séquelles psychiques et psychiatriques, alléguées par la victime ne sont pas en relation certaine et directe avec la maladie professionnelle, tendinite des poignets droit et gauche déclarée les 1er et 15 mars 2006 ;
l'état actuel considéré depuis les précédentes expertises s'est amélioré et ne motive plus l'octroi d'un taux d'incapacité permanente partielle ;
il n'apparaît pas nécessaire de faire apprécier la capacité résiduelle de gain de la victime par la Commission spéciale prévue par l'article 23 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 » ;
Par jugement du 19 janvier 2017, ce Tribunal a :
homologué le rapport d'expertise du Docteur OR. et de son sapiteur, le Docteur BE., en date du 6 janvier 2016, déposé le 8 janvier 2016, avec toutes conséquences de droit ;
En conséquence, débouté a. C. DA C. de ses demandes de contre-expertise et de saisine de la commission spéciale d'invalidité aux fins d'évaluer sa capacité résiduelle de gains ;
Sur recours d a. C. DA C. la Cour d'appel a notamment par arrêt du 29 septembre 2017 :
confirmé le jugement entrepris du 19 janvier 2017 en ce qu'il a homologué le rapport d'expertise du docteur BE. et du docteur OR. en ce qui concerne les conclusions médicales et à l'exception de l'appréciation inhérente à l'absence de nécessité de saisir la Commission Spéciale d'invalidité ;
le réformant pour le surplus, ordonné la saisine de la Commission Spéciale d'Invalidité instituée par l'article 23 bis de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 aux fins d'évaluer la capacité résiduelle de gains d a. C. DA C. au vu de l'amélioration de son état de santé ;
La Commission spéciale a rendu son avis le 9 janvier 2018 et a évalué à 100 % la capacité résiduelle de gains d a. C. DA C.;
Une ordonnance de conciliation signée par a. C. DA C. a été rendue le 28 novembre 2018 ;
Par exploit du 25 mai 2020, a. C. DA C. et l'Association F ont fait assigner devant ce Tribunal la SA B aux fins de voir :
À titre principal,
déclarer recevable l'action de la victime ;
constater son désaccord sur le procès-verbal de la Commission spéciale du 9 janvier 2018 ;
constater, l'erreur, vice du consentement quant à sa compréhension de l'ordonnance de conciliation ;
constater qu'elle a été placée sous curatelle renforcée et qu'elle est dans l'incapacité d'assumer un emploi suite à ses blessures résultant de son activité professionnelle ;
dire et juger que l'ordonnance de conciliation a été rendue le 28 novembre 2018 en méconnaissance des conséquences qui l'affecteraient directement, ne comprenant pas le français et souffrant de déficience intellectuelle ;
ordonner une nouvelle convocation des parties afin qu'une ordonnance de non-conciliation soit rendue ;
À titre subsidiaire,
constater que son état de santé ne s'est pas amélioré ;
constater qu'elle est dans l'incapacité totale d'assurer son poste de travail dans son activité ;
constater que compte tenu de son état de santé général, l'association F a déposé un dossier de demande de réévaluation de sa situation dans le sens d'une aggravation auprès de la MDPH ;
ordonner une contre-expertise et désigner pour ce faire un médecin-expert ;
dire et juger que les troubles psychiatriques dont elle souffre sont apparus postérieurement et immédiatement après ses deux maladies professionnelles et que la relation causale et certaine entre la qualification de ses deux maladies professionnelles des 1er mars et 15 mars 2006 avec sa dépression nerveuse est établie ;
Aux termes de ses écritures judiciaires et au soutien des prétentions, a. C. DA C. fait valoir pour l'essentiel que :
elle conteste l'ordonnance de conciliation signée par ses soins le 28 novembre 2018, en indiquant ne pas en avoir compris les conséquences, étant pratiquement analphabète selon son médecin traitant, le docteur MA., ayant une maîtrise imparfaite du français et ne sachant ni lire ni écrire ainsi qu'il ressort notamment des avis de la Commission spéciale des 4 mars 2008 et 11 juin 2013 ;
le docteur BE. avait, dans son rapport du 4 janvier 2016, indiqué la concernant « même en l'absence de test, on peut supposer que son niveau intellectuel comme son niveau culturel sont dans les limites inférieures de la normale » ;
l'association F a été désignée pour exercer cette curatelle renforcée de sa personne et déclare qu'elle ne sait ni lire ni écrire le français ;
elle mène ses entretiens avec un salarié de cette association F parlant portugais ou se fait accompagner d'un traducteur ; elle a arrêté ses études au Portugal à un niveau CM2 ;
le Tribunal d'instance de Menton a justifié sa décision du 13 juin 2019 par le fait qu'elle « présente une vulnérabilité liée à la modestie de ses fonctions intellectuelles et de son incapacité à apprendre la langue française » ; ce Tribunal a pris soin d'analyser le certificat médical du docteur PL. du 21 mars 2019, soit moins de quatre mois après la signature de l'ordonnance de conciliation ; ce certificat fait état d'une déficience intellectuelle n'ayant pas permis de dépasser le niveau primaire ;
l'altération des facultés mentales et/ou corporelles est la condition de toute demande de mise sous protection, tandis que la procédure de curatelle est concomitante à l'audience de conciliation ;
la maîtrise imparfaite de la langue française avec un vocabulaire rudimentaire est incontestable et il est donc inimaginable qu'elle ait pu donner son consentement à propos du procès-verbal de la Commission spéciale, si bien qu'il s'en déduit une erreur d'appréciation ;
les subtilités du langage lui échappent et elle ne peut comprendre la différence entre incapacité et invalidité ; lors des précédentes procédures, elle s'exprimait par l'intermédiaire de son conseil ;
elle n'a pas pu bénéficier d'un traducteur lors de l'audience à l'issue de laquelle elle a signé l'ordonnance de conciliation, soit quelques mois avant l'expertise médicale du docteur PL. ;
il ne peut davantage être soutenu qu'elle est rompue aux procédures judiciaires ;
subsidiairement, si le Tribunal ne devait pas annuler l'ordonnance de conciliation, il est sollicité la désignation d'un nouvel expert médical ;
toute modification de l'état de la victime peut donner lieu à une nouvelle fixation des réparations, tout comme en cas de variations des éléments ayant servi à apprécier la capacité résiduelle de gains ;
elle a été victime de deux maladies professionnelles en moins de 15 jours ;
elle a, à tort, été déclarée consolidée le 25 octobre 2006 et la Commission spéciale a évalué sa capacité résiduelle de gain à 20 % ;
elle a bénéficié d'un suivi psychiatrique et de traitements psychotropes depuis 2006 et un état dépressif sévère s'est constitué, occasionnant des tentatives de suicide et des séjours en établissement psychiatrique (certificats établis par les docteurs MA. et P-L.) ;
elle a été licenciée le 23 avril 2007 suite à la déclaration d'inaptitude définitive par la médecine du travail ;
l'ensemble des certificats médicaux traduisent une tendinopathie chronique des deux poignets en rapport avec la maladie professionnelle ;
le statut de travailleur handicapé lui a été reconnu le 21 mai 2008 ;
son médecin traitant, le docteur MA., a établi plusieurs certificats médicaux attestant de ses troubles dont le dernier le 23 octobre 2018 ;
une tumeur micoïde s'est développée et a nécessité une intervention chirurgicale entraînant une téno-synovite invalidante des fléchisseurs des 3ème et 4ème rayons droits ;
l'état dépressif réactionnel d'une grande sévérité est en partie dû à ces troubles invalidants et à leur retentissement socio-professionnel mais également aux rebondissements incessants du conflit judiciaire ;
elle n'est plus en mesure d'exercer le moindre emploi, alors que les deux maladies professionnelles ont bouleversé sa vie ;
par courrier du 22 juillet 2020, la MDPH a indiqué que la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a décidé de lui accorder le bénéfice de « l'allocation adulte handicapé (AAH) du 1er février 2020 au 31 janvier 2022 car vous présentez un taux d'incapacité permanente compris entre 50 % et moins de 80 %, qui se conjugue avec une restriction substantielle et durable, du fait de votre handicap, pour l'accès à l'emploi » ;
Aux termes de ses écritures judiciaires, la société anonyme B sollicite de :
débouter a. C. DA C. de l'intégralité de ses demandes ;
à titre principal, dire et juger que l'ordonnance de conciliation du 28 novembre 2018 est définitive ;
à titre subsidiaire, voir homologuer, avec toutes conséquences de droit, l'avis rendu par la Commission spéciale suivant procès-verbal du 9 janvier 2018 ;
à titre reconventionnel, condamner la demanderesse à lui verser la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts ;
Elle soutient en substance que :
en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel du 29 septembre 2017, la Commission spéciale a, le 9 janvier 2018, fixé à 100 % la capacité résiduelle de gains d a. C. DA C.;
la demanderesse vient contester l'ordonnance de conciliation plus de deux ans après ;
a. C. DA C. est particulièrement rompue aux procédures en matière d'accident du travail ; les procédures ont duré plus de dix ans ;
même si elle n'a pas une parfaite maîtrise de la langue française à l'écrit, il n'en demeure pas moins qu'elle vit en France depuis de très nombreuses années et a travaillé plusieurs années à l'établissement public de droit monégasque D ; elle doit donc à tout le moins comprendre le français et se faire comprendre ;
le docteur BE. avait estimé le 4 janvier 2016 que « Le contact est relativement bon dans le sens où elle répond aux questions qui lui sont posées avec un fort accent portugais mais elle comprend parfaitement notre langue » ;
aucun des experts judiciaires n'a fait état de l'impossibilité de communiquer avec elle ;
l'avis de la Commission spéciale est particulièrement clair puisqu'il indique « Considérant qu'il résulte des expertises versées, ordonnées par les différentes juridictions qu'il ne persiste aucune IPP ni séquelle physique ou morale de la maladie professionnelle du 15 mars 2006 » ;
la demanderesse ne saurait alléguer de sa méprise sur le sens de cet avis qui confirme qu'il ne persiste aucune séquelle ;
il appartenait à a. C. DA C. de se faire assister par l'avocat-défenseur désigné si elle n'avait pas le discernement nécessaire pour signer l'ordonnance de conciliation ;
elle a été parfaitement informée de la différence entre les notions d'IPP et de capacité résiduelle de gain ;
elle ne peut se prévaloir d'une décision rendue par le Tribunal d'instance de Menton, plusieurs mois après la signature de l'ordonnance litigieuse, l'ayant placée sous curatelle renforcée pour une durée de 30 mois ;
les ordonnances de conciliation sont définitives en ce qu'elles constatent l'accord et la volonté des parties ;
aucune disposition de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ne permet de rabattre une ordonnance de conciliation rendue qui plus est depuis pratiquement deux ans ; cette solution est conforme à la sécurité juridique ;
l'ordonnance est définitive sauf modification de l'état de santé de la victime ;
a. C. DA C. n'est pas fondée à invoquer une modification de son état de santé ;
le personnel du greffe, particulièrement formé, donne toujours une information claire et complète à chaque personne qui se présente et le contacte tandis que les victimes sont toujours renseignées sur leurs droits ;
les victimes d'accident du travail bénéficient de plein droit de l'assistance judiciaire et se voient désigner un conseil qu'elles peuvent contacter pour avoir toutes explications utiles ;
pour justifier de l'aggravation de son état de santé, la demanderesse produit plusieurs certificats médicaux de son médecin traitant, le docteur MA., qui se borne à invoquer uniquement l'état dépressif sévère de sa patiente mais à aucun moment ne fait état d'une modification dans son état de santé concernant la maladie professionnelle des poignets ;
dans son avis sapiteur joint au rapport du docteur OR., le docteur BE. avait estimé que les séquelles psychiatriques alléguées par la demanderesse n'étaient pas en relation directe et certaine avec la maladie professionnelle ; ce rapport a donné lieu au jugement du 19 janvier 2017 et à l'arrêt du 29 septembre 2017 qui l'ont homologué en ce qui concerne les conclusions médicales ;
les rapports des experts médicaux qui ont eu à examiner la victime sont cohérents ;
a. C. DA C. tente en réalité de remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 29 septembre 2017 ;
Le comportement de la demanderesse est critiquable et révèle la mauvaise foi ; son intention de nuire est mise en exergue par le fait que malgré l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 29 septembre 2017, ayant autorité de la chose jugée, elle n'hésite pas à solliciter une nouvelle expertise judiciaire, alors qu'elle ne verse aux débats aucun élément médical pertinent faisant état d'une modification de son état de santé ; elle a commis un abus dans l'exercice de son droit à agir en justice qui l'a contraint à défendre ses intérêts notamment en l'obligeant à exposer des frais d'avocat, ce qui justifie la demande de dommages-intérêts ;
SUR CE,
Sur la demande « d'annulation » de l'ordonnance de conciliation du 28 novembre 2018,
a. C. DA C. fonde sa demande sur ce point sur une « erreur d'appréciation » qu'elle aurait commise lors de la signature de cette ordonnance de conciliation et vise dans le dispositif de ses conclusions l'article 964 du Code civil ;
Cet article prévoit qu'« Il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par le dol. » ;
Il est inséré dans le chapitre II intitulé « Des conditions essentielles pour la validité des conventions » du titre III « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général » du Code civil ;
Cette disposition vise ainsi uniquement le consentement donné à l'occasion de la conclusion d'un contrat ou d'une convention ;
L'ordonnance de conciliation n'étant pas un contrat ou une convention mais un acte juridictionnel, l'article 964 du Code civil n'a pas lieu de s'appliquer ;
Toutefois, s'agissant du consentement exprimé par la demanderesse, le Tribunal doit s'assurer qu'aucune violation de ses droits substantiels n'est caractérisée ou que d'autres dispositions légales ne sont pas susceptibles de trouver application, et ce, même si aucune voie de recours ou d'annulation contre l'ordonnance de conciliation n'est prévue par la loi n° 636 du 11 janvier 1958, également applicable en matière de maladie professionnelle ;
a. C. DA C. se prévaut d'une part, de sa mauvaise maîtrise de la langue française et d'autre part, de son placement sous curatelle renforcée intervenu par jugement du Tribunal d'instance de Menton du 13 juin 2019 ;
Concernant son niveau de langue française, il ressort de l'ensemble des documents versés aux débats et figurant dans le dossier de maladie professionnelle qu'aucun des experts qui l'ont examinée n'a mentionné de difficultés de communication avec elle pour la réalisation des expertises en langue française ; que le docteur BE. a d'ailleurs noté dans son avis sapiteur du 4 janvier 2016 que « Le contact est relativement bon dans le sens où elle répond aux questions qui lui sont posées avec un fort accent portugais mais elle comprend parfaitement notre langue. » ;
Si elle peut éprouver des difficultés à lire le français, il est constant qu'elle parvient à comprendre et à s'exprimer dans cette langue de manière suffisante dans le cadre du règlement de ses maladies professionnelles ;
De plus, alors qu'elle reconnaît elle-même que, pour se rendre à l'association F chargée de sa curatelle, elle a pu se faire accompagner d'une personne pour effectuer la traduction, il lui était loisible, si nécessaire, de se faire également assister d'un interprète ou d'une personne en faisant fonction pour se faire traduire le projet d'ordonnance de conciliation ;
En outre, de manière systématique, la victime a préalablement connaissance de l'avis de la Commission spéciale ; a. C. DA C. a ainsi reçu un courrier du 30 octobre 2018 l'informant de ce que sa capacité résiduelle de gains était fixée à 100 % et disposait dès lors du temps nécessaire pour se faire traduire ce document ;
De surcroît, la demanderesse bénéficiait de l'assistance d'un avocat-défenseur commis au titre de l'assistance judiciaire, qu'elle pouvait consulter pour se faire conseiller sur la conduite à tenir à propos cet avis de la Commission spéciale et pouvait se faire assister par ce conseil lors de la signature de l'ordonnance en application des dispositions des articles 21 quater et quinquies de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ;
Compte tenu du nombre de contestations qu'elle avait déjà élevées à la suite de ses déclarations de maladies professionnelles et de précédents avis rendus par cette Commission, a. C. DA C. ne saurait arguer qu'elle ignorait pouvoir demander conseil à son avocat ;
Aucune violation de ses droits ne peut dès lors être relevée sur ces points ;
S'agissant de son placement sous le régime de la curatelle renforcée par jugement du 13 juin 2019, il apparaît qu'à la date de la signature de l'ordonnance de conciliation du 28 novembre 2018, elle ne faisait pas encore l'objet d'une mesure de protection ;
Une telle décision n'ayant pas d'effet rétroactif, elle ne peut, le cas échéant, ouvrir la voie, après son prononcé, qu'à la contestation par la voie de la nullité d'actes passés avant qu'elle ne soit devenue opposable mais à la condition que la situation qui a motivé la mesure de protection ait existé notoirement à l'époque où les actes ont été accomplis, et ce, en application des articles 410-24° et 410-36° du Code civil monégasque qui ont un équivalent similaire en droit français ;
La demanderesse ne produit pas le dossier de sa mise sous protection judiciaire, tandis que le certificat médical du docteur PL. auquel elle se réfère est daté du 21 mars 2019 ;
a. C. DA C. n'a produit qu'une expédition du jugement précité, qui ne mentionne pas la date de la requête et se contente de relever qu'« Il est établi par l'ensemble du dossier et plus spécialement par les éléments médicaux que Mme a. C. DA C. présente une vulnérabilité liée à la modestie de ses fonctions intellectuelles et de son incapacité à apprendre la langue française ; que l'ouverture d'une mesure de protection s'avère en conséquence nécessaire » ;
Cette motivation, si elle démontre un certain degré de vulnérabilité de la demanderesse, ne permet pas d'en déduire que cette vulnérabilité aurait été apparente et aurait en conséquence dû être détectée à la date du 28 novembre 2018 et ce d'autant que si les critères, qui ont conduit à la mesure de protection, préexistaient, ils n'avaient jusque-là jamais empêché l'intéressée de défendre ses droits dans le cadre de la procédure spécifique des maladies professionnelles ;
De plus, a. C. DA C. ne justifie pas et n'allègue pas avoir avisé le juge ou le greffe des accidents du travail de ce qu'une telle procédure était en cours, alors qu'elle a été à l'origine de la demande de mise sous protection judiciaire ;
De même, les éléments figurant dans le dossier de maladie professionnelle ne se réfèrent aucunement à cette procédure (courrier du 11 avril 2019, certificat du docteur PL., certificat du docteur MA. qui ne fait pas état d'une incapacité de sa patiente à comprendre la portée de ses actes mais se montre très virulent envers les experts judiciaires, l'assureur-loi ainsi que les intervenants et n'hésite pas à remettre en cause leur probité) ;
En tout état de cause, il n'est pas démontré qu'un trouble mental, au sens de l'article 410-2° du Code civil ou de son équivalent français, puisse être caractérisé au moment de la signature de l'ordonnance de conciliation ;
En conséquence, aucune nullité n'est encourue de ce chef ;
a. C. DA C. doit dès lors être déboutée de sa demande principale tendant à voir prononcer l'annulation de l'ordonnance de conciliation du 28 novembre 2018 ;
Sur les demandes subsidiaires d a. C. DA C.
Ces demandes se fondent sur une prétendue aggravation de son état de santé qui rendrait nécessaire d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise et de dire que ses troubles psychiatriques sont en lien direct et certain avec ses deux maladies professionnelles ;
Il appartenait à la demanderesse, qui prétend que son état de santé lié aux deux maladies professionnelles s'est aggravé depuis le dernier rapport d'expertise, de se conformer aux dispositions de l'article 25 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 et de saisir le Juge chargé des accidents du travail à cette fin, en sorte que la demande de nouvelle expertise ne peut prospérer sur ce point ;
Concernant la relation qui existerait entre les troubles psychiatriques et les maladies professionnelles, il y a lieu de constater que le rapport de l'expert OR. et de son sapiteur, le docteur BE., qui a exclu un tel lien, a été homologué par le jugement du 19 janvier 2017 confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 29 septembre 2017 qui l'a également homologué en ce qui concerne les conclusions médicales, si bien que cette conclusion ne peut plus être remise en cause ;
Ces demandes subsidiaires ne pourront qu'être rejetées ;
Sur la demande de dommages et intérêts formée par la SA B,
L'assureur-loi sollicite l'octroi d'une somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts compte tenu des frais qu'il a dû exposer pour la défense de ses droits du fait de l'action intentée de mauvaise foi par a. C. DA C.;
Le droit d'ester en justice ne saurait être considéré comme abusivement exercé du fait du seul rejet des prétentions du demandeur ; il peut dégénérer en abus en cas de mauvaise foi, malice ou erreur équipollente au dol ;
En l'espèce, a. C. DA C. a pu se méprendre sur la portée de ses droits au regard des difficultés précitées, qui ont conduit à son placement sous le régime de la curatelle renforcée, et l'attitude de son médecin traitant qui l'a fréquemment confortée dans son idée qu'elle était dans son bon droit, alors que le docteur S. PA.-LA. la décrit comme une « personne obsessive », acceptant mal la perte de son travail et la non-reconnaissance de son handicap par la SA B ; que ces éléments excluent une mauvaise foi ou une malice de sa part ;
La SA B sera donc déboutée de sa demande de ce chef ;
Sur les dépens,
a. C. DA C. qui succombe, sera condamnée aux dépens du présent jugement.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déboute a. C. DA C. de sa demande principale d'annulation de l'ordonnance de conciliation rendue par le Juge chargé des accidents du travail le 28 novembre 2018, ainsi que de ses demandes subsidiaires ;
Déboute la société anonyme B de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;
Condamne a. C. DA C. aux dépens du présent jugement, avec distraction au profit de MA. Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 15 AVRIL 2021, dont la date a été prorogée après la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur Général Adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.