Tribunal de première instance, 25 mars 2021, La société A AG c/ La société C
Abstract🔗
Marques de fabrique - Contrefaçon - Imitation des marques A et IWATCH (non) - Confusion avec la marque ISWATCH (oui) - Similitude reconnue pour une catégorie de produits - Produits connectés
Résumé🔗
Après analyse de la phonétique, du visuel et du point de vue intellectuel, la cour considère que les différences entre les signes l'emportent sur leurs similarités et créent une impression globale différente et que dès lors la marque IWATCH ne constitue pas l'imitation des marques antérieures A.
En revanche, il est retenu la contrefaçon de la marque ISWATCH par le signe IWATCH, uniquement pour les produits de la classe 14. Les produits proposés par les deux marques présentent des similitudes puisqu'ils appartiennent à la catégorie générale formée par « les produits d'horlogerie et instruments chronométriques ». D'un point de vue intellectuel, la lettre « I » utilisée comme lettre d'accroche de la marque IWATCH a une signification particulière car c'est désormais la lettre que le grand public associe aux objets connectés à internet. C'est également la première lettre de la marque ISWATCH, qui renvoie donc dans l'imaginaire du consommateur au même type de produit dit « connecté ». Par conséquent, la nullité de la marque IWATCH, susceptible de créer une confusion avec la marque ISWATCH pour la classe 14 de produits, est prononcée, avec interdiction d'usage de la marque en Principauté de Monaco.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000423 (assignation du 13 janvier 2015)
N° 2016/000688 (assignation du 11 mai 2016)
JUGEMENT DU 25 MARS 2021
En la cause de :
La société de droit suisse dénommée A, dont le siège social se trouve X1 BIEL/BIENNE, prise en la personne de son Conseil d'administration en exercice, représenté par l. P. en vertu d'un Pouvoir spécial du 3 mai 2011, demeurant en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et ayant pour avocat plaidant la Selarl de Marcellus & Disser représentée par Maître Juliette DISSER, avocat au barreau de Paris ;
d'une part ;
Contre :
La société de droit des États-Unis d'Amérique dénommée C, dont le siège social se trouve X2 - État du DELAWARE (Etats Unis d'Amérique), prise en la personne de ses associés ou de son directeur en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
La Société de droit des États-Unis d'Amérique dénommée B, dont le siège social est situé X3 CA 95014 (Etats Unis d'Amérique), prise en la personne de ses associés ou de son directeur en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
DÉFENDERESSES, ayant toutes deux élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Paris ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 13 janvier 2015, enregistré (n° 2015/000423) ;
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 11 mai 2016, enregistré (n° 2016/000688) ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société A AG, en date des 14 octobre 2015, 17 novembre 2015, 7 décembre 2016, 8 février 2017, 18 juillet 2017, 6 juin 2018 et 6 février 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la société C en date des 10 juin 2015, 17 décembre 2015, 8 février 2017, 22 mars 2018, 7 novembre 2018 et 30 octobre 2019 au nom de la société B, en date des 7 décembre 2016, 5 avril 2017, 22 mars 2018, 7 novembre 2018 et 30 octobre 2019 ;
À l'audience publique du 7 janvier 2021, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 25 mars 2021 ;
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société de droit suisse A SA a assigné la société de droit américain de l'État du Delaware C devant le présent Tribunal, par exploit du 13 janvier 2015 (n° 2015/000423), aux fins de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- prononcer la nullité totale de la marque internationale IWATCH (verbale) n1191200 désignant la Principauté de Monaco,
- interdire à la société C de reproduire et de faire usage sous quelque forme et quelque titre que ce soit de la marque IWATCH dans la Principauté de Monaco,
- condamner la société C à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel lié aux frais de justice.
La société A indique être titulaire de plusieurs marques A, tant à Monaco qu'à l'étranger, et plus particulièrement de :
- la marque internationale verbale A n469696 désignant notamment la Principauté de Monaco déposée le 25 juin 1982 et régulièrement renouvelée depuis son enregistrement pour désigner les produits suivants en classe 14 : mouvements d'horlogerie et leurs parties,
- les marques internationales A (semi-figuratives) n506123 et n°614932 désignant notamment la Principauté de Monaco, déposées respectivement les 9 septembre 1986 et 31 janvier 1994 et régulièrement renouvelées depuis leur enregistrement pour désigner les produits relevant des classes 9 et 14,
- la marque internationale semi-figurative ISWATCH n962366 désignant notamment la Principauté de Monaco, déposée le 7 avril 2008 pour désigner les produits suivants en classe 14 : métaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d'autres classes, joaillerie, bijouterie, pierres précieuses ; horlogerie et instruments chronométriques.
Elle ajoute que les marques susvisées ont fait l'objet d'un usage public et notoire et d'un dépôt effectué conformément aux conditions posées par la loi monégasque. Elle affirme bénéficier en conséquence d'un droit de propriété sur lesdites marques.
La société A explique avoir appris que la société de droit américain C avait déposé une demande d'enregistrement international de marque verbale IWATCH n°1191200 le 7 janvier 2010, pour désigner de nombreux pays dont la Principauté de Monaco en classes 9 (ordinateurs et autres produits informatiques) et 14 (« instruments chronométriques, appareils horaires et bracelets, accessoires, parties, composants et étuis pour tous les produits précités » ).
Elle affirme que la marque IWATCH constitue une contrefaçon par imitation des marques antérieures notoires A et ISWATCH désignant des produits identiques ou similaires et porte ainsi atteinte à ses droits, ce qui l'a conduite à engager des procédures tendant à l'annulation de la marque IWATCH dans de nombreux pays.
Elle appuie ses demandes sur les dispositions de l'article 30 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service.
Elle ajoute que la comparaison des signes A et IWATCH démontre leurs grandes ressemblances visuelles et phonétiques, créant un risque de confusion pour le consommateur, alors même que la marque antérieure A possède une distinctivité « extrinsèque » marquée du fait de sa forte renommée dans le domaine de l'horlogerie, ce qui ouvre droit à une protection plus élargie.
Par conclusions déposées le 11 juin 2015, la Société C a sollicité :
- le rejet de l'ensemble des demandes de la société A aux motifs que :
* les marques A, ISWATCH et IWATCH différent tant visuellement que phonétiquement, aucun risque de confusion dans l'esprit du public n'étant possible,
* les marques diffèrent également intellectuellement,
* les biens répertoriés dans les classes 9 et 14, pour lesquelles la marque IWATCH est enregistrée, ne sont pas achetés avec une fréquence régulière, entraînant une attention du consommateur plus élevée et ainsi une vigilance accrue vis-à-vis des différences existant entre les marques, ce qui réduit ainsi le risque de confusion,
* elle n'a donc commis aucun acte de contrefaçon,
- la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Dans des écritures postérieures déposées le 17 décembre 2015, le 8 février 2017, le 26 mars 2018 puis le 7 novembre 2018, la société C maintient ses prétentions, sauf à rehausser sa demande de dommages et intérêts à la somme de 10.000 euros et à accepter la jonction avec l'instance engagée par la société A en intervention forcée de la société B en date du 11 mai 2016.
Elle explique être affiliée à la société B et ajoute que la marque IWATCH a été cédée à celle-ci dans plusieurs juridictions.
La société C demande par ailleurs le rejet de certaines pièces non communiquées ou non traduites par la société A.
Par assignation en intervention forcée enregistrée (2016/000688) en date du 11 mai 2016, la société A AG a fait citer devant la présente juridiction la société de droit américain B, afin de voir :
- ordonner la jonction de la présente procédure avec celle engagée à l'encontre de la société C,
- dire qu'en tant que titulaire actuelle de la marque IWATCH (verbale) n1191200 désignant la Principauté de Monaco, la société B s'est rendue coupable de contrefaçon des marques internationales A (verbale) N469696, A (semi-figuratives) n506123 et 614932 et ISWATCH (semi-figurative) n962366, toutes quatre désignant la Principauté de Monaco,
- prononcer la nullité totale de la marque internationale IWATCH (verbale) n1191200 désignant la Principauté de Monaco,
- interdire à la société B de reproduire et de faire usage sous quelque forme que ce soit de la marque IWATCH dans la Principauté de MONACO,
- condamner la société B à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts,
- ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.
La société A appuie ses prétentions sur le fait qu'elle a découvert que la marque internationale IWATCH avait fait l'objet d'une cession par la société C au profit de la société B en date du 20 novembre 2015 et soutient qu'il est nécessaire qu'elle obtienne une décision opposable au titulaire actuel de la marque IWATCH.
Par des écritures déposées le 27 avril 2017 puis le 4 octobre 2017, la société de droit américain B s'associe à l'ensemble des arguments avancés par la société C à l'appui de sa défense, ajoutant en substance que :
- le préfixe « I » est la marque distinctive des produits du groupe B qui ont acquis une grande notoriété, ce qui justifie qu'elle vende une montre selon cette stratégie de désignation, peu importe que la société C ait été titulaire du dépôt initial,
- le grand public associe la marque IWATCH au groupe B du fait de l'utilisation du célèbre préfixe « I », qui est un trait caractéristique des noms de produits du groupe B et dispose d'une renommée internationale indéniable, ce qui évite tout risque de confusion avec les produits développés par la société A dans l'esprit du consommateur,
- les marques A et IWATCH commercialisent des produits de nature différente, ne correspondant pas à la même gamme de prix, qui sont diffusés par des canaux de distribution distincts et s'adressent à deux types de public non similaires, annulant tout risque de confusion entre les deux,
- les biens commercialisés par le groupe A renvoient spécialement à l'horlogerie à des prix accessibles au grand public, tandis que les articles du groupe B, reconnus par leur préfixe « I », renvoient à de la haute technologie, au luxe à haut prix et à la connectivité et non à l'horlogerie,
- selon le même raisonnement, elle affirme que la comparaison des signes ISWATCH et IWATCH évite tout risque de confusion dans l'esprit du public, alors même que :
* la montre ISWATCH n'est pas un produit aux multiples fonctionnalités digitales, à la différence des autres montres connectées du marché, ce qui limite le risque d'induire le public en erreur,
* le graphisme de la marque ISWATCH est très spécifique et ne présente aucune similarité avec la marque verbale IWATCH,
* la prononciation des deux marques est très différente,
* les différences visuelles, phonétiques et intellectuelles entre les deux marques sont donc significatives.
Par des écritures déposées respectivement le 14 octobre 2015, le 18 novembre 2015, le 7 décembre 2016, le 18 juillet 2017, le 6 juin 2018 et enfin le 6 février 2019, la société A maintient ses demandes, sauf à augmenter celle concernant les dommages et intérêts à la somme de 20.000 euros avec condamnation in solidum des défenderesses, alléguant un abus de la société C à son encontre du fait de lui avoir dissimulé le fait d'avoir cédé à la société B la marque internationale IWATCH.
Elle sollicite également le rejet de l'ensemble des demandes reconventionnelles formées par les sociétés défenderesses.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la jonction :
La société B a confirmé dans ses écritures que la société C lui est affiliée et que dans ce contexte, la marque IWATCH lui a été cédée dans plusieurs juridictions.
Compte tenu de cet élément et dans le cadre d'une bonne administration de la Justice, il y a lieu d'ordonner la jonction entre les instances n2015/000423 et n°2016/000688.
Sur le rejet de pièces :
La société C sollicite tout d'abord le rejet des pièces suivantes de la demanderesse :
- la décision rendue en Nouvelle-Zélande, qui serait mentionnée à la page 10 des conclusions de la société A et non communiquée.
Cependant, la décision évoquée n'est pas indiquée dans les conclusions de la demanderesse et en tout état de cause, si elle est citée sans numéro de pièce, son évocation n'a aucune valeur.
Cette demande sera donc rejetée comme étant sans objet.
- la pièce n°52, qui renverrait à deux pièces différentes dont une seule a été produite aux débats.
En l'espèce, la pièce n°52 correspond dans la liste des pièces communiquées à « l'actualisation de la marque ISWATCH », dûment produite dans le dossier de plaidoirie.
Cette demande est donc également sans objet.
La société défenderesse demande par ailleurs à ce que les arguments découlant de traductions libres effectués par la société A depuis l'anglais soient écartés.
Il est exact que dans ses écritures, la société A effectue des traductions libres de passages de décisions émanant de divers organismes.
Toutefois, en l'absence, à la fois de production des décisions originales, ces arguments ne seront en tout état de cause pas examinés par la juridiction, sans pour autant qu'il ne soit nécessaire de les écarter de manière formelle.
S'agissant enfin de la demande de communication de traduction assermentée des pièces produites par la demanderesse, la défenderesse ne démontre pas le caractère erroné des traductions libres versées aux débats par la société A pour certains documents, étant par ailleurs relevé que la plupart des pièces libellées en langue étrangère sont accompagnées de traductions assermentées.
Cet argument ne sera donc pas retenu.
Les demandes formées par la société C concernant les pièces adverses seront en conséquence rejetées.
Sur la contrefaçon de la marque A par la marque IWATCH :
L'article 3 de la loi n1.085 du 10 juin 1983 énonce que La propriété de la marque s'acquiert par un premier usage public et notoire.
Toutefois, nul ne peut se prévaloir de la propriété exclusive d'une marque si, dans les conditions déterminées par arrêté ministériel, il n'en a pas effectué le dépôt auprès du service de la Propriété industrielle et obtenu l'enregistrement.
Il est constant que les marques internationales verbales et semi-figuratives A ont été enregistrées tant au niveau national qu'international, ce qui leur confère la protection légale fournie par la loi n1.085 du 10 juin 1983 sur les produits et services en classe 9 et 14, pour lesquels l'enregistrement a été demandé et accepté.
La Société C ne remet pas en cause l'enregistrement et la validité de principe des trois marques, objets du litige.
La société demanderesse fait valoir que :
- les marques A et IWATCH sont très proches tant visuellement que phonétiquement et intellectuellement, impliquant nécessairement un risque de confusion pour le consommateur,
- les marques en comparaison désignent des produits identiques ou similaires, de sorte que le consommateur connaissant la marque antérieure et ses articles sera certainement amené, lorsqu'il verra un produit revêtu de la marque contestée, à attribuer à celui-ci la même origine qu'aux produits qu'il connaît.
Les sociétés C et B soutiennent quant à elles que :
- les deux marques possèdent 5 lettres en commun sur six au total mais sont malgré tout différentes dans leur ensemble, les deux signes n'étant pas similaires en ce que leur préfixe respectif ne sont pas les mêmes,
- le préfixe est la partie de la marque qui est remarquée et distinguée le plus spontanément par le consommateur moyen, notamment parce que la lecture se fait de gauche à droite, le début d'un signe ayant donc une influence significative sur l'impression générale produite par la marque et peut souvent conduire à exclure la similitude,
- l'utilisation de la première lettre donne tout son sens à la marque,
- la marque A possède un graphisme très spécifique avec une police spéciale, ce qui n'est pas le cas de la marque IWATCH,
- d'un point de vue intellectuel, la lettre « I », selon sa combinaison avec un autre élément verbal, peut avoir pour caractéristique de renvoyer :
*à Internet ou à Information,
* à la marque distinctive des produits du groupe B, qui revendique la grande notoriété de ses produits commençant par « i »,
* au pronom anglais « JE », qui peut caractériser une personnalisation du produit,
- pour le consommateur moyen français, les mots « iwatch » et « A » resteront des concepts fantaisistes dépourvus de tout sens, sans que la similarité liée à la présence du mot « watch », soit le mot désignant l'objet « montre » en anglais, ne ressorte de manière flagrante.
Il est constant que s'agissant de la comparaison des signes, la possibilité de confusion entre deux marques doit être déterminée au travers d'une appréciation globale des similarités visuelles, phonétiques et intellectuelles des signes, sur le fondement de l'impression générale que ces signes donnent, en prenant en compte leurs éléments distinctifs et dominants.
D'un point de vue phonétique, l'élément sonore de chacune de ces marques soit [OUATCH], est la partie principale des deux noms et s'avère identique. Dans cette mesure, les signes sont similaires sur le plan phonétique.
Cependant, la prononciation diffère dans le son de la lettre S du signe antérieur et de la lettre I pour la marque contestée, qui sont dans les deux cas la lettre d'accroche du mot, ce qui représente une distinction importante puisqu'il en résulte une différence de rythme et d'intonation.
En outre, la marque A est constituée d'une seule syllabe tandis que la marque IWATCH est formée de deux syllabes, ce qui modifie complètement le rythme de prononciation des deux mots.
D'un point de vue visuel, les deux marques ont le même nombre de lettres et en partagent cinq en commun W,A,T,C,H ; qui sont placés dans le même ordre et selon le même rang.
Toutefois, les signes diffèrent au niveau de leur lettre initiale « S » et « I » et des éléments figuratifs du signe contesté. Or, dans les signes courts, le fait que la syllabe d'attaque soit dissemblable a une grande influence sur l'appréciation de la similarité, car le consommateur accorde généralement une plus grande attention au début d'une marque qu'à sa fin, celle-ci ayant un moindre impact dans l'esprit de ce dernier.
La lettre « I » est l'élément dominant de la marque IWATCH, tandis que la lettre « S » est l'élément dominant de la marque A, ce qui génère une distinction importante entre ces deux signes.
De plus, la marque A possède un graphisme propre très spécifique, toujours reproduit à l'identique et utilisant une police spéciale et un enchaînement de lettres minuscules et majuscules toutes de la même taille.
Dès lors, l'attention du consommateur ne se portera pas sur cette seule séquence WATCH, mais sur les deux signes pris dans leur ensemble, lesquels présentent des différences visuelles et phonétiques propres à les distinguer nettement.
Enfin et surtout, d'un point de vue intellectuel, il convient de relever plusieurs points.
Certes, les marques A et IWATCH servent à désigner des produits de la même classe.
En effet, la marque internationale verbale A n469696 désigne les produits mouvements d'horlogerie et leurs parties en classe 14.
La marque internationale semi-figurative A n614932 désigne notamment les produits suivants en classe 9 et 14 :
* Appareils et instruments pour la technique des courants faibles (..), ordinateurs (...), machines à calculer et équipement pour le traitement de l'information et les ordinateurs. (Classe 9),
* Métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières ou en plaqué (..); joaillerie, pierres précieuses ; horlogerie et autres instruments chronométriques. (Classe 14).
La marque internationale semi-figurative A n506123 désigne quant à elle les produits suivants en classe 14 : Métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières ou en plaqué (..); joaillerie, pierres précieuses ; horlogerie et autres instruments chronométriques.
La marque IWATCH désigne quant à elle les produits suivants en classe 9 et 14 :
* Logiciels informatiques ; dispositifs de sécurité (.., moniteurs (matériel informatique) ; appareils de contrôle, électroniques ; appareils de prise de vue ; ordinateurs ; matériel informatique, périphériques d'ordinateur ; dispositifs de communication sans fil ; radios ; dispositif audio et vidéo ; dispositifs pour système de repérage universel ; accessoires, parties, composants et étuis pour tous les produits précités » (classe 9) ;
* Instruments chronométriques, appareils horaires et bracelets, accessoires, parties, composants et étuis pour tous les produits précités (classe 14).
Cependant, la lettre « I » utilisée comme lettre d'accroche de la marque IWATCH a une signification particulière, puisque c'est désormais la lettre que le grand public associe aux objets connectés à internet, tandis que le « S » de la marque A identifie son produit par son lieu de fabrication, soit la Suisse.
La marque IWATCH identifie le produit par l'utilité et la dénomination singulières qui caractérisent les produits connectés du fait de la combinaison de la lettre « I », placée en début de mot, avec un nom désignant un objet relié à internet (I-Tele, IROBOT, Ibooks, iPhone, iTunes....).
La société A le reconnaît elle-même dans ses écritures, relevant (page 15) que la lettre « I » est avant tout comprise comme signifiant montre connectée à Internet ou interactive. L'expression IWATCH sera donc très certainement comprise comme signifiant montre connectée à internet ou interactive.
Le terme « A » est en revanche compris par le consommateur francophone moyen comme un tout, sans signification propre.
La seule séquence commune « WATCH » n'a pas de signification particulière pour un consommateur francophone moyen, qui ne l'assimilera pas nécessairement à l'objet désigné par ce mot en anglais, soit une montre.
De surcroît, les marques antérieures A jouissent d'un caractère distinctif accru en raison de leur réputation mondiale dans le domaine de l'horlogerie et de leur succès commercial indéniable.
Il n'y a donc aucun risque de confusion de la part du public, qui fait preuve d'un degré d'attention plus élevé pour certains biens, et notamment ceux correspondant aux classes enregistrées, soit des produits qui représentent des achats inhabituels et relativement coûteux, s'agissant notamment des montres connectées distribuées par la société B.
En effet, les biens pour lesquels la marque IWATCH est enregistrée - soit la classe 9, ordinateurs et matériels informatiques et la classe 14, montres et autres instruments chronométriques- sont des produits :
- qui ne sont pas achetés avec une fréquence régulière puisqu'ils sont destinés à durer,
- qui ont un certain coût,
- qui sont le plus souvent achetés en boutique auprès de vendeurs spécialisés après avoir reçu un conseil personnalisé.
Les différences entre les signes l'emportent donc sur leurs similarités et créent une impression globale différente.
Dès lors, la marque IWATCH ne constitue pas l'imitation des marques antérieures A.
Sur la contrefaçon de la marque ISWATCH par la marque IWATCH :
Il n'est pas contesté par les parties que la marque semi-figurative ISWATCH n962366, désignant notamment la Principauté de Monaco, a été déposée le 7 avril 2008 pour désigner les produits suivants en classe 14 : métaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d'autres classes, joaillerie, bijouterie, pierres précieuses ; horlogerie et instruments chronométriques.
La marque internationale verbale IWATCH a été enregistrée le 7 janvier 2010, pour désigner de nombreux pays dont la Principauté de Monaco en classes 9 (ordinateurs et autres produits informatiques) et 14 (instruments chronométriques, appareils horaires et bracelets, accessoires, parties, composants et étuis pour tous les produits précités).
Il convient, selon le même raisonnement que celui exposé précédemment, de comparer les deux marques susvisées afin de déterminer s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.
D'un point de vue phonétique, l'élément sonore de chacune de ces marques soit (OUATCH), qui est la partie principale des deux noms, est identique, de même que la première lettre, « I » dans les deux cas.
En outre, la prononciation est très ressemblante puisque la lettre S du signe antérieur n'est que légèrement audible. Les deux marques comportent chacune deux syllabes, avec le même rythme et la même séquence de voyelles.
D'un point de vue visuel, il y a lieu de relever que les deux marques ont le même nombre de lettres et en partagent six en commun I, W,A,T,C,H ; qui sont placées dans le même ordre et selon le même rang. Seule une lettre supplémentaire, soit le « S » dans la marque antérieure, les séparent.
Ces légères différences, outre le graphisme propre très spécifique de la marque A, ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion entre ces marques dès lors qu'elles laissent subsister la longue séquence commune de lettres et de sonorités et possèdent une construction visuellement très proche.
Enfin et surtout, d'un point de vue intellectuel, la lettre « I » utilisée comme lettre d'accroche de la marque IWATCH a une signification particulière car c'est désormais la lettre que le grand public associe aux objets connectés à internet.
C'est également la première lettre de la marque ISWATCH, qui renvoie donc dans l'imaginaire du consommateur au même type de produit dit « connecté ».
De surcroît, les produits proposés par les deux marques relèvent notamment de la même classe 14 et présentent des similitudes puisqu'ils appartiennent à la catégorie générale formée par « les produits d'horlogerie et instruments chronométriques ».
Il est en conséquence très probable que le consommateur d'attention moyenne n'ayant pas les deux marques simultanément devant les yeux, en présence de produits et services identiques ou fortement similaires, sera amené à confondre la marque contestée et la marque antérieure, ou à tout le moins à percevoir la marque IWATCH comme constituant une déclinaison de la marque A.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, force est de constater que la marque IWATCH n1191200 constitue bien l'imitation de la marque antérieure ISWATCH n962366, à tout le moins pour les produits de la classe 14.
En effet, s'agissant des produits de la classe 9, ceux-ci n'ont pas fait l'objet d'un enregistrement pour le signe ISWATCH. Les dispositions de l'article 3 de la loi sur les marques ne peuvent donc s'appliquer à cette classe de produits. Par ailleurs, la société A ne démontre pas une renommée importante de la marque ISWATCH, lui permettant de bénéficier de la protection énoncée à l'article 5 de la loi n°1.058 du 10 juin 1983.
La contrefaçon de la marque ISWATCH par le signe IWATCH sera donc reconnue uniquement pour les produits de la classe 14. Il convient d'examiner les demandes découlant de ce constat.
Selon l'article 30 de la loi n1.085 du 10 juin 1983, toutes autres actions relatives aux marques sont portées devant le Tribunal de première instance.
« L'annulation totale ou partielle de l'enregistrement d'une marque contraire aux prescriptions de la présente loi peut être prononcée soit à la requête du ministère public, soit à celle de tout intéressé. »
La marque internationale IWATCH peut, en conséquence de son caractère contrefaisant de la marque ISWATCH, encourir l'annulation de son enregistrement sur le fondement de l'article 30 de la loi susvisée.
Par conséquent, la nullité de la marque IWATCH, susceptible de créer une confusion avec la marque ISWATCH pour la classe 14 de produits, sera prononcée.
Il sera en outre fait interdiction à la Société B, désormais titulaire des droits de la marque IWATCH dûment enregistrée le 4 décembre 2013, mais aussi à la société C, de reproduire et de faire usage sous quelque forme que ce soit et quelque titre que ce soit, de la marque IWATCH en Principauté de MONACO pour les produits de la classe 14.
Sur la demande de dommages et intérêts :
Pour justifier sa demande de condamnation in solidum de la Société C et de la société B à lui verser la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de ses marques, la société A expose qu'elle a été contrainte de saisir le tribunal et d'engager des frais de Justice pour faire valoir ses droits à la protection de ses marques.
Elle ajoute que la société C n'a pas précisé dans ses dernières conclusions que la marque IWATCH avait été cédée et explique cette omission par une volonté de nuire et d'instrumentaliser la présente juridiction.
En réponse, la société C soutient qu'elle a indiqué, dès ses conclusions du 17 décembre 2015 et bien avant l'assignation en intervention forcée formée par la demanderesse à l'encontre de la société B en date du 11 mai 2016, que la marque avait été cédée à celle-ci.
La société B fait valoir que la demanderesse ne fournit aucun justificatif du préjudice qu'elle dit avoir subi.
Il est exact qu'en page 3 de ses écritures signifiées le 17 décembre 2015, la société C a porté à la connaissance du tribunal, et donc de son contradicteur, le fait qu'elle était affiliée au groupe B. et que dans ce contexte, la marque IWATCH avait déjà été cédée au groupe B. dans plusieurs juridictions.
Aucune volonté de nuire ou de dissimulation ne peut donc être reprochée à la société C.
Par ailleurs, l'exercice de la défense contre une action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une allocation de dommages et intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.
En l'espèce, la société A ne démontre pas l'abus de leurs droits par les défenderesses, et sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts reconventionnelle pour procédure abusive :
Le caractère non abusif de l'action intentée par la société A à l'encontre des défenderesses résulte de ce qui précède.
Celles-ci seront donc déboutées de leur demande reconventionnelle de paiement de dommages et intérêts.
Sur l'exécution provisoire :
L'article 202 du Code de procédure civile énonce que l'exécution provisoire est ordonnée par le Tribunal, à la demande des parties, s'il y a titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente par jugement dont il n'y a point appel.
Elle peut être ordonnée également dans tous les cas d'urgence.
Les conditions énoncées par ledit article n'étant pas réunies, l'exécution provisoire de la présente décision ne sera pas ordonnée.
Sur les dépens :
Il y a lieu de condamner in solidum la Société C et la société B, parties succombantes, aux entiers dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Ordonne la jonction des instances numéro 2015/000423 et numéro 2016/000688 ;
Déboute la société C de ses demandes de rejet de pièces ;
Prononce l'annulation partielle de la marque internationale verbale IWATCH n°1191200 désignant la Principauté de Monaco, pour les produits de la classe 14 ;
Fait interdiction à la Société C et à la société B., ou à toute autre personne physique ou morale qu'elles se substitueraient, de reproduire ou de faire usage sous quelque forme que ce soit de la marque IWATCH N°1191200 pour les produits de la classe 14 en Principauté de MONACO ;
Ordonne à cet effet que la présente décision sera notifiée par voie de greffe au Service de la propriété intellectuelle du Département des finances et de l'économie ;
Déboute la société A AG du surplus de ses demandes ;
Déboute la Société C et la société B de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;
Condamne in solidum la Société C et la société B aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition🔗
Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Aline BROUSSE, Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier ;
Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 25 MARS 2021, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame, Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Procureur Général Adjoint, le dispositif de la décision étant affiché en salle des pas perdus du Palais de Justice.