Tribunal de première instance, 16 septembre 2020, j-p. f. V. c/ j. f. l. G.
Abstract🔗
Baux commerciaux - Clause résolutoire pour inexécution des clauses du bail - Défaut d'exploitation commerciale - Acquisition de la clause résolutoire (oui)
Résumé🔗
Il convient de constater l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut d'exploitation du fonds de commerce. Le commandement visant la clause résolutoire est suffisamment explicite sur le manquement invoqué et il a été laissé un délai suffisant au locataire pour reprendre l'exploitation, même s'il justifie de problèmes de santé.
Motifs🔗
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 16 SEPTEMBRE 2020
N°RG : 2020/000018
Assignation du 4 novembre 2019
Par Magali GHENASSIA, Vice-Président du Tribunal de première instance de la Principauté de Monaco, assistée de Marine PISANI, Greffier en chef adjoint,
DEMANDEUR
j-p. f. V., né le 6 août 1951 à Monaco, demeurant X1 à Monaco (98000),
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur;
DÉFENDEUR
j. f. l. G., né le 15 décembre 1960 à Helmond (Pays-Bas), demeurant X2 à Monaco ou en tant que de besoin X3 83990 ST TROPEZ ( FRANCE),
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, Avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
En présence de :
p. m. l S. épouse V.,
INTERVENANTE VOLONTAIRE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
Vu l'assignation en date du 4 novembre 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de j. G. en date des 19 février 2020, 27 mai 2020 et 3 juillet 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur au nom de p S. épouse V. en date du 27 mars 2020 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur au nom de j-p. V. en date du 27 mars 2020 et du 15 juin 2020 ;
À l'audience publique du 8 juillet 2020, l'affaire a été mise en délibéré et les parties ont été avisées que l'ordonnance serait rendue le 23 septembre 2020, ce délai ayant ensuite été anticipé au 16 septembre 2020, les parties en ayant été informées.
ÉXPOSE DU LITIGE - MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon acte authentique du 8 février 1989, passé par-devant Maître Jean-Charles REY, notaire, et enregistré le 10 février 1989 à Monaco, c. m. S. et r. e. A. ont donné à bail à titre commercial à f c. F. un magasin situé à Monaco-Ville au X2 cadastré sous le numéro Z de la matrice cadastrale, pour une durée de trois, six ou neuf années entières et consécutives à compter du 15 février 1989, les parties étant tenues d'aviser le cas échéant par lettre recommandée six mois avant l'expiration de chaque période triennale de leur intention de mettre fin à la location.
Ce bail comporte en pages 9 et 10 une clause résolutoire rédigée de la manière suivante :
« Il est expressément convenu qu'à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer ou de charges, ainsi que des frais de commandement et autres frais de poursuite ou en cas d'inexécution d'une seule des conditions du bail et quinze jours après un simple commandement de payer ou une sommation d'exécuter contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause et demeuré infructueux le présent bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, même en cas de paiement ou d'exécution postérieure au délai ci-dessus, sans qu'il soit besoin de former aucune demande judiciaire.
Si le preneur refusait de quitter les lieux loués, il suffirait pour l'y contraindre d'une simple ordonnance de référé, rendue par Monsieur le Président du Tribunal de première instance de Monaco, exécutoire nonobstant opposition ou appel et sans caution . (...) »
s. O. venant aux droits de f c. F. a cédé son droit au bail à j. G. par actes notariés des 29 juillet et 5 août 2016, suite à une promesse notariée du 21 avril 2016, après en avoir avisé les nouveaux bailleurs, Monsieur et Madame j-p. V. par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 avril 2016.
Suivant acte d'huissier du 11 juin 2018, intitulé « commandement de payer », j-p f. V. et son épouse, p m l S. ont fait commandement à j. G. d'avoir dans le délai de 15 jours à respecter les termes de la clause I) intitulée CHARGES paragraphe 3°), du bail à loyer n° 35805, signé à Monaco le 8 février 1989, ainsi que suit :
« Il tiendra les lieux garnis de meubles et matériel pour répondre en tout temps du paiement des loyers et de l'exécution des conditions du bail.
Il tiendra constamment les locaux ouverts et approvisionnés, sous la seule exception de la fermeture hebdomadaire d'usage s'il y a lieu, et de la période des congés payés », en déclarant entendre se prévaloir du bénéfice de la clause résolutoire dont le contenu a été intégralement reproduit.
j-p f. V. a, selon exploit du 4 novembre 2019, fait assigner en référé j. G. à l'effet de voir constater que par l'effet de la clause résolutoire, le bail commercial s'est trouvé résilié de plein droit le 26 juin 2018, dire que le défendeur devra libérer les lieux dans les 15 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard, et ordonner, à défaut de ce faire, son expulsion de corps et biens des locaux, si besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier.
Par des conclusions du 27 mars 2020, p m l S. épouse V. est intervenue volontairement aux débats en sollicitant que l'instance se poursuive à son contradictoire et en précisant que conformément à l'article 1248 du code civil, son époux dispose d'un mandat tacite pour gérer ses biens, lequel a été confirmé par écrit le 19 septembre 2019 lorsqu'il a été question de mandater un avocat pour entamer ladite procédure d'expulsion.
Aux termes de ses écritures judiciaires, j-p. V. fait valoir que :
Sur la recevabilité,
- Contrairement aux affirmations réitérées de la partie adverse, il dispose bien de la qualité à agir puisqu'il est propriétaire-bailleur tout comme son épouse,
- De plus, dans le cadre d'un régime de séparation de biens, un époux propriétaire d'un bien en indivision avec son conjoint peut non seulement agir seul contre un tiers pour la protection de son propre droit individuel mais également accomplir seul une action tendant à la préservation des droits de l'indivision s'agissant de l'accomplissement d'un acte conservatoire (TPI, 24 octobre 2019),
- Son action a pour objet la conservation du patrimoine indivis du couple, si bien que le moyen d'irrecevabilité doit être rejeté,
- En tout état de cause, le mandat tacite au vu et sans opposition de son épouse résultant de l'application de l'article 1248 du Code civil a été confirmé par l'intervention volontaire de cette dernière qui avait connaissance de la procédure et ne s'y est jamais opposée puisqu'elle a établi un mandat écrit lorsqu'il s'est agi de mandater avocat pour introduire la présente instance,
Sur la validité de la résiliation,
- Le défendeur n'a jamais exploité les locaux et n'est même pas immatriculé au répertoire du commerce en qualité de commerçant,
- Deux procès-verbaux de constat des 5 juin 2018 et 2 octobre 2019 confirment que les lieux n'ont jamais été garnis de meubles, approvisionnés ou ouverts,
- La mise en demeure du 25 mai 2018 n'a pu être distribuée au motif de « destinataire inconnu à l'adresse » et n'est affectée d'aucune nullité,
- Le commandement délivré le 11 juin 2018 rappelle sans équivoque quelles sont les obligations du preneur et qu'il est dans l'obligation d'exploiter les locaux puisqu'il lui est demandé « de tenir constamment les locaux ouverts et approvisionnés »,
- Les décisions de la Cour de Cassation ne sont pas transposables en l'espèce puisque l'obligation d'exploitation résulte expressément d'une clause du bail,
Sur la mise en œuvre de la clause résolutoire,
- Aucune mauvaise foi ne peut lui être reprochée dès lors qu'il n'a nullement précipité son action en laissant à j. G. du temps qu'il n'a pas mis à profit,
- L'état de santé du preneur ne saurait rendre impossible la mise en œuvre de la clause résolutoire et ne le délie aucunement de ses obligations,
- Les caractéristiques de la force majeure ne sont nullement réunies en l'espèce,
- Le défendeur ne démontre pas être dans l'impossibilité d'exécuter son obligation puisqu'il sollicite des délais pour l'exécuter,
- Il n'est pas établi le caractère insurmontable et imprévisible de l'état de santé ainsi que du traitement médical dès lors que le certificat versé aux débats se réfère à des antécédents dépressifs depuis plus de 20 ans,
- Le simple fait que l'exécution d'un contrat soit rendue plus difficile est insuffisant (CA, 29 septembre 2015).
j. G. sollicite, à titre principal, de déclarer j-p. V. irrecevable en ses demandes, de constater la nullité de la mise en demeure du 25 mai 2018 et du commandement de payer du 11 juin 2018, lesquels n'ont pas fait courir le délai permettant la mise en œuvre de la clause résolutoire ou sont dépourvus d'effet, à titre subsidiaire, de constater que la clause résolutoire a été mise en œuvre de mauvaise foi, que sa maladie constitue un cas de force majeure, et à titre infiniment subsidiaire, de suspendre les effets de la clause résolutoire. Il soutient pour l'essentiel que :
Sur l'irrecevabilité des demandes,
- Les époux V. sont tous deux bailleurs et co-titulaires des droits et obligations du contrat, si bien que j-p. V. seul n'a pas qualité pour agir en résiliation,
- L'intervention volontaire de l'épouse ne saurait rendre recevables les demandes de Monsieur V. et ne confirme pas la régularité de la procédure,
- L'assignation a été délivrée à la seule requête de l'époux à titre personnel et non pas en qualité de mandataire de son épouse,
- La demande d'expulsion devra être déclarée irrecevable,
Sur la nullité de la mise en demeure et du commandement de payer,
- La mise en demeure ou le commandement doivent mentionner avec précision la nature de la ou les infractions au bail qui sont reprochées au preneur et indiquer de manière non équivoque la régularisation attendue,
- La mise en demeure du 25 mai 2018, dont il n'est pas justifié qu'elle lui ait été adressée et ait été réceptionnée, se limite à viser un loyer impayé en renvoyant à une autre mise en demeure qui n'est pas jointe, et à affirmer que le local est vide et inexploité sans que les propriétaires entendent en tirer des conséquences, si bien qu'il n'était pas en mesure de déterminer les manquements auxquels il devait remédier,
- Le commandement de payer, qui ne vise aucunement le non-règlement du loyer ou des charges, n'est pas plus explicite, ne fait pas spécifiquement état des motifs justifiant la résiliation et se contente de reproduire les stipulations contractuelles sans énoncer les mesures qui doivent être prises pour remédier au non-respect du bail,
- Il n'a ainsi pas été en mesure de comprendre qu'il lui était fait grief l'absence d'exploitation du local commercial, étant relevé qu'aucun échange de correspondances ou de mails ne permet de confirmer qu'il aurait reçu une information en ce sens,
- Il ne peut nullement être déduit du rappel de l'obligation de garnir les lieux de meubles et matériel que le preneur serait dans l'obligation d'exploiter l'activité commerciale dans les locaux,
- La Cour de Cassation a refusé au bailleur le droit de se prévaloir d'une clause résolutoire en raison du défaut d'exploitation dès lors que le bail n'imposait au preneur que l'obligation de jouir des locaux en bon père de famille et de les tenir constamment garnis,
- Aucune clause du contrat n'imposant en l'espèce l'exploitation du fonds de commerce dans les lieux loués, le bailleur ne peut se prévaloir de la clause résolutoire,
Sur la mise en œuvre de la clause,
- La clause résolutoire a été mise en œuvre de mauvaise foi dans la mesure où les bailleurs savaient qu'il était absent lorsqu'ils ont procédé le 11 juin 2018 à la signification du commandement, tandis que la procédure de référé a été introduite le 4 novembre 2019, plus d'une année après le commandement (qu'il n'a au demeurant réceptionné que le 30 novembre 2018), et que les loyers et charges continuaient à être réglés,
- Le juge des référés ne peut constater l'acquisition de la clause résolutoire en présence d'un cas de force majeure,
- Il a fait l'objet d'une hospitalisation en mai 2017 et depuis lors d'un traitement médicamenteux et suivi nécessaires,
- Il ne peut pas se déplacer ou quitter son domicile, ni assurer les actes quotidiens de la vie,
- Il est incontestable que son état de santé ne rend pas difficile mais impossible l'exécution de ses obligations, puisque le certificat médical versé aux débats démontre que si son état dépressif n'est pas récent, il l'empêche de reprendre une quelconque activité professionnelle,
- Ces éléments caractérisent à suffisance l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité inhérentes à la force majeure,
- En tout état de cause, il entend solliciter la suspension des effets de la clause résolutoire et se voir accorder des délais puisqu'il ne peut quitter sa résidence à Saint-Tropez.
SUR CE,
Sur la recevabilité des demande :
Il n'est pas contesté que les époux V. mariés sous le régime de la séparation de biens, sont propriétaires indivis des locaux litigieux.
La présente action en référé, qui vise à obtenir la constatation de la résiliation du bail et l'expulsion du preneur, constitue un acte conservatoire tendant à la préservation du bien qu'un indivisaire peut mettre en œuvre seul.
Il s'ensuit que les demandes formées par j-p. V. sont parfaitement recevables, celui-ci ayant qualité pour agir seul, sans qu'il y ait lieu de répondre au surplus de l'argumentation des parties, alors que p S. épouse V. sera déclarée recevable et accueillie en son intervention volontaire.
Sur la mise en œuvre de la clause résolutoire :
À supposer qu'une mise en demeure puisse être déclarée nulle, force est de constater que le bail se réfère à un commandement de payer ou une sommation d'exécuter si bien qu'il n'y a lieu que d'examiner cet acte pour se prononcer sur l'acquisition de la clause résolutoire.
La référence par le commandement du 11 juin 2018 à l'obligation contractuelle de tenir « constamment les locaux ouverts et approvisionnés », outre celle de les garnir qui est davantage en rapport avec la garantie du paiement des loyers et plus généralement de l'exécution du bail, apparaît suffisamment précise et explicite pour considérer qu'il était demandé au preneur d'assurer une activité commerciale effective au sein des locaux loués et ce d'autant qu'il est constant que le locataire ne les a jamais exploités depuis la cession du droit au bail, quand bien même les loyers et charges ont été acquittés parfois avec retard.
Le rappel in extenso de cette clause du contrat (CHARGES Paragraphe 3°) permettait à j. G. de comprendre l'infraction incriminée dans le contexte précité ainsi que la régularisation attendue, tandis que le contenu de la clause résolutoire est reproduit dans son intégralité et que l'intention de s'en prévaloir est parfaitement visée.
Il n'est par ailleurs nullement démontré que les bailleurs auraient agi de mauvaise foi en faisant délivrer le commandement le 11 juin 2018 et étaient avisés que le défendeur était absent ou pour quelle durée. Le délai écoulé jusqu'à l'introduction de la présente instance (4 novembre 2019) établit au contraire qu'il a été laissé un temps non négligeable au locataire pour commencer à exploiter une activité commerciale, ce qu'il n'a pas fait.
En outre, la circonstance que j. G. souffre depuis mai 2017 d'épisodes dépressifs sévères récurrents et soit dans l'incapacité de reprendre une activité professionnelle (certificat du docteur d. A. du 22 mai 2020) ne caractérise pas un cas de force majeure en l'absence d'une impossibilité concrète d'exploitation commerciale des locaux notamment par la désignation de mandataires rémunérés ou l'embauche de salariés.
Dans ces conditions, le commandement erronément intitulé « de payer » mais dont le contenu était suffisamment explicite et conforme à la clause résolutoire, qui est demeuré infructueux après un délai de 15 jours et n'a pas été mis en œuvre de mauvaise foi, permet de constater que le bail commercial liant les époux V. à j. G. a été résilié de plein droit à la date du 27 juin 2018.
j. G. occupant par suite, à compter de cette date, sans droit ni titre les locaux susvisés, la demande tendant à voir prononcer son expulsion est bien fondée en son principe et il y sera dès lors fait droit en lui accordant toutefois, au regard de son état de santé, des délais déjà écoulés et des mesures concrètes à mettre en œuvre, un délai d'UN MOIS à compter de la signification de la présente ordonnance pour libérer les lieux. Le prononcé d'une astreinte, qui n'est pas clairement motivé par le demandeur, n'apparaît pas justifié ou nécessaire.
Enfin, j. G. qui succombe, doit supporter les dépens de la présente ordonnance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Statuant contradictoirement et en premier ressort,
Déclarons j-p. V. recevable en ses demandes ;
Déclarons recevable et accueillons p S.épouse V. en son intervention volontaire ;
Constatons qu'en application de la clause résolutoire qui y est contenue, le bail commercial liant j-p. V. et p S. épouse V. à j. G. s'est trouvé résilié de plein droit à la date du 27 juin 2018 ;
Ordonnons en conséquence à défaut pour j. G. d'avoir libéré le magasin dépendant de l'immeuble situé au X2 à Monaco-Ville, cadastré sous le numéro Z de la matrice cadastrale, de sa personne, de ses biens ou de tous occupants de son chef, dans le délai d' UN MOIS à compter de la signification de la présente ordonnance, son expulsion immédiate avec le concours de la force publique et d'un serrurier si nécessaire ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamnons j. G. aux dépens de la présente ordonnance avec distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonnons que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Et avons signé avec notre greffier.