Tribunal de première instance, 18 juin 2020, La SA A c/ La SAM B et c. BO.

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Abstract🔗

Faillites - Déclaration des créances - Relevé de forclusion (oui) - Défaillance due au fait du débiteur

Résumé🔗

Par application de l'article 464 du Code de commerce, il convient de faire droit à la requête en relevé de forclusion dès lors que le retard dans la déclaration de la créance est imputable à la déloyauté du débiteur, qui n'a pas averti son créancier de la cessation des paiements, alors qu'ils étaient tous deux parties à une procédure judiciaire en France, ni averti le syndic de la procédure en cours.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2018/000027 (assignation du 10 juillet 2017)

JUGEMENT DU 18 JUIN 2020

En la cause de :

  • La Société Anonyme dénommée A, dont le siège social se trouve X1, 69330 PUSIGNAN, agissant poursuites et diligences de son Président du conseil d'administration en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître François CITRON, avocat au barreau de Paris ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Anonyme dénommée B, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, dont la cessation des paiements a été constatée par jugement du Tribunal de Première Instance de Monaco le 2 février 2017, prise en la personne de son syndic c. BO., syndic, demeurant en cette qualité X4 à Monaco ;

  • c. BO., en sa qualité de syndic de la cessation des paiements de la SAM B, demeurant X4 à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

En présence de :

  • Mme le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Monaco, en son Parquet Général, Palais de Justice, Rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 10 juillet 2017, enregistré (n° 2018/000027) ;

Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 30 novembre 2017 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 6 juin 2018 ;

Vu les conclusions les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SA A, en date du 15 janvier 2020 ;

À l'audience publique du 27 février 2020, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé 9 avril 2020 et prorogé au 18 juin 2020, les parties en ayant été avisées ;

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant jugement en date du 2 février 2017, le Tribunal de Première Instance a constaté la cessation des paiements de la SAM B et a désigné c. BO. ès-qualités de syndic.

Par acte en date du dix juillet 2017, la société anonyme de droit français A a fait citer cette société et son syndic devant le Tribunal de Première Instance en sollicitant qu'il soit constaté qu'elle détient une créance d'un montant de 148.235 euros à l'encontre de la SAM B, qu'elle soit relevée de la forclusion et admise au passif de cette procédure collective pour cette somme.

À l'appui de ses demandes, la SA A indique qu'elle exerce la profession de commissionnaire de douane et qu'en qualité de mandataire de la SAM B elle avait participé à la mise en circulation de lampes fluorescentes qu'importait la SAM B en provenance de Malaisie. Or, suite à un contrôle douanier, un procès-verbal de notification d'infraction avait été dressé le 9 juin 2010 à l'encontre de la SAM B et le 10 juin 2010, un avis de mise en recouvrement avait été émis à l'encontre de la SA A, en qualité de codébiteur solidaire de la SAM B, pourtant sur un montant de TVA, droits de douane et droits antidumping de 143.235 euros. Par acte de cautionnement en date du 9 mai 2011, la SAM B s'était portée caution pour le remboursement de toutes sommes qui pourraient être dues par la SAM B au titre de ce redressement douanier.

Les sociétés B et A avaient introduit une instance aux fins d'annulation de la procédure de mise en recouvrement diligentée à leur encontre, mais par jugement en date du 18 mars 2016, le Tribunal de Grande Instance de Créteil avait validé celle-ci.

La SA A indique que ce n'est que le 8 juin 2017, dans le cadre de la procédure d'appel devant la Cour d'appel de Paris que la SAM B lui avait fait savoir qu'une procédure collective avait été ouverte à Monaco. Or, les créanciers de la SAM B avaient été invités, suivant avis paru au Journal de Monaco le 17 février 2017, à remettre au syndic leurs déclarations et leurs titres dans les quinze jours de cette publication, ce délai étant augmenté de quinze jours pour les créanciers demeurant hors de la Principauté. La demanderesse affirme qu'elle n'avait pour autant pas été en mesure de produire sa créance avant la date butoir du 20 mars 2017. Elle fait valoir qu'en tant que société de droit français, elle consulte régulièrement les journaux d'annonces légales français, mais pas le Journal de Monaco. De plus et surtout, c'est avec une particulière mauvaise foi que les représentants de la SAM B ne l'avaient pas prévenue de l'ouverture d'une procédure collective. Dans ces conditions il devrait être constaté que la défaillance de la SA A dans la production de sa créance ne serait pas de son fait.

Par conclusions en date du 5 octobre 2017, c. BO., ès-qualités de syndic, a indiqué qu'il s'en remettait à justice sur la demande de relevé de forclusion présentée par la SA A. Il relève que dans le cadre du dépôt de bilan à l'origine du jugement du 2 février 2017, le Président Délégué de la SAM B avait constitué une liste de créanciers au sein de laquelle ne figurait pas la SA A.

Par conclusions en date du 7 novembre 2017, le Procureur Général a requis le prononcé du relevé de forclusion de la SA A et qu'il soit jugé que la créance de cette société devait être admise au passif pour être ensuite soumise à la procédure de vérification.

Suivant jugement en date du 30 novembre 2017, ce Tribunal, statuant par jugement avant dire droit au fond, a prononcé le sursis à statuer sur la demande aux fins de relevé de forclusion présentée par la SA A, jusqu'à l'arrêté de l'état des créances à intervenir dans le cadre de la procédure collective de la société anonyme monégasque B.

Cet état des créances a été arrêté par ordonnance du Juge commissaire le 21 janvier 2020, à la somme de 933.404,38 euros, sous réserve des admissions des droits non encore liquidés et des admissions provisionnelles. La créance de la SA A, produite pour un montant de 148.235 euros à titre chirographaire, a été rejetée pour forclusion.

Dans la présente instance, par conclusions en date du 15 janvier 2020, la SA A a maintenu ses demandes initiales, indiquant que suite au jugement avant-dire-droit suscité, elle avait déclaré sa créance auprès du syndic le 8 mars 2018.

c. BO., ès-qualités a conclu le 27 février 2020 et s'en rapportait à nouveau à justice.

SUR QUOI :

Attendu que l'article 463 du Code de commerce dispose :

« Le syndic invite les créanciers dont il connaît l'existence et qui n'ont pas produit dans les quinze jours du jugement à lui remettre leur déclaration et leurs titres. Cet avertissement est donné, à défaut de domicile élu, au domicile réel des créanciers.

Outre cet avertissement, le syndic fait insérer au Journal de Monaco un avis invitant les créanciers à produire dans les quinze jours de la publication ; ce délai est augmenté de quinze jours pour les créanciers domiciliés hors de la Principauté. Ces avertissements et avis reproduisent les dispositions du premier alinéa de l'article suivant. »

Attendu que l'article 464 du Code de commerce dispose :

« À défaut de production dans les délais, les créanciers défaillants sont exclus de la procédure. Ils recouvrent l'exercice de leurs droits à la clôture de la procédure en cas de liquidation des biens et, lorsque le débiteur revient à meilleure fortune, en cas de règlement judiciaire.

Le Tribunal peut toutefois relever de la forclusion les créanciers défaillants s'ils trouvent que la défaillance n'est pas de leur fait ; en ce cas, le tribunal vérifie leurs créances et le greffier en chef les porte sur l'état de créances ; ces créanciers ne peuvent concourir que pour la distribution des réparations ou des dividendes à venir.

Les salariés sont relevés de plein droit de la forclusion.

Les frais de l'instance en relevé de forclusion restent à la charge des créanciers. »

Que l'appréciation des circonstances qui ont pu amener, comme en l'espèce, un potentiel créancier à ne pas déclarer sa créance dans les délais impartis par l'article 463 du Code de commerce doit conduire à appréhender le cas, comme en l'espèce, où la débitrice et le créancier ont en commun un lien d'instance pendant au jour du constat de la cessation des paiements ;

Attendu ainsi qu'au 2 février 2017, la SA A et la SAM B étaient en l'état, devant la Cour d'appel de Paris, de l'instance en appel d'un jugement rendu le 18 mars 2016 par le Tribunal de Grande Instance de Créteil ;

Que la SA A n'est nullement contredite quand elle indique qu'elle n'a appris que tardivement, lors d'une audience du 8 juin 2017, l'état de cessation des paiements de la SAM B constaté à Monaco par jugement du 2 février 2017, alors qu'il aurait convenu que celle-ci, valablement représentée selon les règles du droit français, avise son contradicteur, par loyauté procédurale de son changement d'état ;

Que de même, cette absence de loyauté s'est également déclinée sous la forme de l'omission, par les dirigeants de la SA A d'informer le syndic dès l'ouverture de la procédure collective de l'instance en cours devant les juridictions françaises, ce qui aurait permis au mandataire de justice de lui adresser l'avertissement prévu par l'article 463 alinéa 1er du Code de commerce ;

Attendu en conséquence et pour ces motifs, qu'il doit être considéré que la défaillance de la SA A dans sa production au passif de la procédure collective de la SAM B n'est pas de son fait et que la demanderesse doit être relevée de la forclusion ;

Attendu que conformément aux dispositions suscitées de l'article 464 alinéa 2 du Code de commerce, le Tribunal doit vérifier la créance litigieuse ;

Qu'en l'espèce, la cause de la créance de la SA A réside dans un engagement de la SAM B de la garantir du risque d'avoir à s'acquitter de la somme de 148.235 euros, au titre de droits d'un montant de TVA, droits de douane et droits antidumping suite à un procès-verbal de notification d'infraction de l'administration des douanes du 9 juin 2010 et d'un avis de mise en recouvrement du 10 juin 2010 ;

Que la validité de la procédure douanière a été remise en cause judiciairement en France tant par la SAM B que par la SA A et que par arrêt en date du 8 janvier 2018, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 18 mars 2016, rendu par le Tribunal de Grande Instance de Créteil qui avait débouté ces deux sociétés de leurs demandes ;

Qu'un pourvoi en cassation (notification d'avis du 14 février 2018 produit aux débats) a été formé et que l'instance est actuellement pendante ;

Attendu en conséquence qu'en l'état, la présente juridiction ne peut définitivement procéder à la vérification de la créance ;

Qu'il y a donc lieu d'admettre la SA A au passif pour une somme de 1euro à titre provisionnel, dans l'attente de l'issue de l'instance en cours en France et de la position des parties qui sera alors actualisée ;

Que l'affaire sera renvoyée pour fixation définitive de la créance de la SA A, en application des dispositions de l'article 472 du Code de commerce ;

Que les dépens seront réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement, après jugement en date du 30 novembre 2017,

Relève la société anonyme de droit français A de la forclusion ;

Prononce l'admission de la créance de la société de droit français A au passif de la cessation des paiements de la société SAM B pour la somme de un euro à titre chirographaire, à titre provisionnel ;

Ordonne l'inscription de la présente décision en marge de l'état des créances de ladite procédure de cessations des paiements à la diligence du greffier en chef ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du VENDREDI 9 OCTOBRE 2020 à 9 heures, en l'état ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire ;

Lecture étant considérée comme donnée à l'audience du 18 JUIN 2020, dont la date a été prorogée après la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais de Justice.

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