Tribunal de première instance, 23 janvier 2020, La société B c/ La SCI D et la SARL E

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Abstract🔗

Baux commerciaux - Promesse de bail - Refus fautif du preneur de conclure le bail (oui) - Clause de dédit - Indemnité restant acquise au bailleur (oui)

Résumé🔗

L'absence de conclusion du contrat de bail commercial est imputable au preneur, qui a souhaité modifier radicalement la destination contractuelle prévue dans la promesse de bail. Le bailleur est donc fondé à conserver l'indemnité versée par le preneur, qui constitue une clause de dédit.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2019/000288 (assignation du 22 novembre 2018)

JUGEMENT DU 23 JANVIER 2020

En la cause de :

  • La Société à Responsabilité Limitée de droit monégasque dénommée B, dont le siège social se trouve X1à Monaco 98000, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Civile Immobilière de droit monégasque dénommée D, dont le siège social se trouve X2 à Monaco 98000, prise en la personne de son gérant en exercice, s. N. demeurant X3 à Genève (Suisse) et en tant que de besoin au siège social de ladite société X2à Monaco 98000 ;

  • La Société à Responsabilité Limitée de droit monégasque dénommée E, dont le siège social se trouve X2 à Monaco 98000, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSES, ayant toutes deux élu domicile en l'étude de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 novembre 2018, enregistré (n° 2019/000288);

Vu les conclusions de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur, au nom de la SCI D et de la SARL E, en date des 22 février 2019, 8 mai 2019 et 20 septembre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de la SARL B, en date des 22 mars 2019 et 26 juillet 2019 ;

À l'audience publique du 14 novembre 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 23 janvier 2020 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

La société à responsabilité limitée (SARL) B, spécialisée dans le secteur du nautisme, a visité plusieurs fois en mars et avril 2018 des locaux commerciaux situés dans l'immeuble « C » sis X1 à Monaco et détenus par la SCI D en vue d'une prise en location de ces derniers.

Le 3 mai 2018, la société A. adressait une lettre d'intérêt avec demande d'option de location jusqu'au 1er juin 2018 à l'agence immobilière F qui lui avait fait visiter les locaux, cette société étant elle-même en relation avec l'agence immobilière du bailleur, la SARL E.

Par courriel du 9 mai 2018, l'agence F transmettait à la société A. un message de l'agence SARL E confirmant l'accord de la SCI D pour octroyer à la société A. une option de location jusqu'au 31 mai 2018 à 18 heures, « à la condition que Monsieur A. signe d'ores et déjà un engagement de location réitérant tous les points de sa lettre d'intérêt. Au 1er juin 2018, cet engagement de location deviendra alors contractuel et le chèque des 3 mois de caution sera mis à l'encaissement ».

Le 30 mai 2018, l'agence SARL E transmettait à l'agence F un projet de bail commercial.

Le 31 mai 2018, la société A. demandait, par le biais de l'agence immobilière F, à bénéficier d'une prolongation du délai de levée d'option jusqu'au 6 juin 2018, « un avis positif sur la location  » a par ailleurs transmis par Monsieur A. directeur de la société. La SCI D acceptait cette prolongation de délai.

Par courriel du 6 juin 2018, la SARL A. confirmait son engagement de conclure un bail de location concernant le local visé ci-dessus, sous les conditions suspensives suivantes :

  • 1) accord du bailleur concernant les travaux modificatifs qu'elle souhaite effectuer dans le local et engagement de la part de celui-ci de présenter et voter en assemble de copropriétaires si besoins lesdits travaux,

  • 2) validation par son architecte du bon état air/eau/ électricité suite à un état des lieux contradictoire,

  • 3) validation technique par le corps d'état qu'elle désignera (et accord du bailleur) pour la remise en état naturel à sa transparence origine de la totalité du vitrage extérieur du local,

  • 4) conformité des locaux aux normes en vigueur,

  • 5) accord du bailleur pour réduire à un mois le préavis de résiliation du bail en cas de non autorisation par l'administration monégasque de son projet.

Monsieur A. précisait dans son message envoyé au nom de la société, autoriser l'agence immobilière F à remettre à l'agence E le chèque d'arrhes de 177.600 euros émis par la société A. précisant que ce chèque devra être impérativement encaissé sur un compte séquestre jusqu'à la conclusion définitive du bail au plus tard le 29 juin 2018, « afin de mener à bien notre audit  »

Les 7 et 8 juin 2018, un engagement de location était signé par les parties avec signature du bail au plus tard le 27 juin 2018 et date d'effet au 1er juillet 2018, le contrat prévoyant une durée initiale du bail de 3,6 ou 9 années.

Le chèque d'acompte de 177.600 euros, dont 57.600 euros correspondant aux honoraires de l'agence E, était remis à celle-ci et encaissé le 12 juin 2018.

Par courriels des 11, 13 et 18 juin 2018, l'agence E demandait à Eric A. en sa qualité de Directeur général de la SARL A. de fournir les documents listés dans l'engagement de location daté du 7 juin 2018.

Le 19 juin 2018, l'agence E transmettait à la société preneuse un second projet de bail, pour relecture.

En l'état d'un désaccord quant à un certain nombre de points relatifs aux modalités d'exécution du bail commercial, un échange de mails avait lieu entre les parties.

Le 2 juillet 2018, l'agence E adressait un courriel à son homologue l'agence F qui le transférait à la société A. afin de rappeler à celle-ci qu'en vertu de la clause 8 insérée dans l'engagement de location, «  en cas de désistement du preneur, ou bien à défaut de règlement du solde et/ou signature du bail avant la date de prise d'effet, les arrhes versées resteront acquises au bailleur ainsi qu'à l'agence E et la présente offre de location sera considérée comme nulle et non avenue . »

Le 5 juillet 2018, la société A. envoyait un courrier à l'attention de Monsieur N. gérant de la SCI D lui indiquant qu'elle n'envisageait la signature du bail commercial pour les locaux sis 57 rue Grimaldi à Monaco que s'il était possible :

  • de développer au sein des locaux « tout activité de quelque nature que ce soit sans restriction aucune, qui n'est pas d'ores et déjà exercée dans la galerie marchande »

  • qu'elle puisse sous-louer les locaux ou substituer une autre société à celle initialement inscrite comme étant preneuse.

Le 6 juillet 2018, les conseils de la SCI D refusaient le nouveau projet de bail communiqué par la société A. exposant que la bailleresse était prête :

  • soit à signer le bail tel que fourni à la société preneuse le 19 juin 2019,

  • soit « à clore définitivement ce premier projet et à entrer dans une nouvelle phase de pourparlers avec votre client, sous certaines conditions, notamment le paiement d'un pas-de-porte d'un million cinq cent mille (1.500.000 €) euros, justifié par la demande de votre client d'obtenir un bail ayant une destination très large ».

En réponse, la SARL A. confirmait sa position, par courrier adressée à la SCI D demandant à signer le bail « aux conditions initialement convenues ».

Le 19 juillet 2018, le conseil juridique de la SCI D adressait un courrier recommandé au conseil de la société A. annonçant « la fin des négociations » et l'absence de restitution des arrhes versées.

Le 25 juillet 2018, la SARL A. écrivait à nouveau à la SCI D afin de lui réitérer son intérêt pour le projet aux conditions fixées par la lettre d'engagement signée le 7 juin 2018.

Le 27 juillet 2018, le conseil de la SCI D adressait à nouveau un courrier au conseil de la SARL A. dans lequel il indiquait mettre un terme définitif aux discussions nouvelles intervenues depuis le 27 juin 2018, date de signature du bail prévue par l'engagement de location.

Par courrier recommandé en date du 3 août 2018, la SARL A. mettait en demeure tant la SCI D que l'agence immobilière E, de lui restituer la somme de 177.600 euros versée pour réserver le bien.

Par courrier du 6 août 2018, la SCI D refusait la restitution de cette somme.

***

Suivant exploit d'huissier en date du 22 novembre 2018, la SARL A. assignait la SCI D et la SARL E aux fins de voir celles-ci condamnées à :

  • - lui restituer les sommes de :

    • * 120.000 euros par la SCI D montant versé de manière anticipée pour réserver le local litigieux,

    • * 57.600 euros par la SARL E, somme versée à titre d'honoraires en sa qualité d'intermédiaire pour la conclusion du bail résolu,

  • - la SCI D uniquement à lui verser les sommes de :

    • * 22.053,45 € au titre des frais qu'elle a dû exposer pendant les négociations,

    • * 184.000 euros au titre de la perte de chance d'exploiter le local,

    • *177.600 euros en réparation de la résistance abusive développée par les défenderesses.

À l'appui de ses prétentions, la SARL A. faisait principalement valoir que :

  • - aux termes de la promesse de bail commercial des 7 et 8 juin 2018, les parties se sont accordées sur les éléments essentiels du bail et notamment la chose, le prix, la destination et la durée du bail commercial, concluant ainsi un bail commercial,

  • - ladite convention est régulière et oblige chaque contractant l'un envers l'autre,

  • - la SCI D a agi de mauvaise foi et a adopté un comportement déloyal et fautif envers la SARL A. en rompant unilatéralement les discussions avant la réitération du bail par courrier du 27 juillet 2018,

  • - la résolution de l'engagement de location signé les 7 et 8 juin 2018 doit donc être prononcée aux torts exclusifs de la SCI D

***

Dans leurs dernières conclusions déposées le 20 septembre 2019, la SCI D et la SARL E sollicitent :

  • - le débouté de l'ensemble des demandes formées par la SARL A.

  • - reconventionnellement, la résolution de l'engagement de location aux torts exclusifs de la SARL B et la condamnation de la demanderesse à verser à la SCI D la somme de 1.440.000 euros en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de son incapacité à relouer le bien immobilier pendant la période de l'option, avec intérêts au taux légal capitalisés en application de l'article 1009 du Code civil,

  • - le paiement par la SARL A. de la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts,

  • - l'exécution provisoire de la présente décision.

Les défenderesses font valoir pour l'essentiel que :

  • la SARL A. a imposé unilatéralement de nouvelles conditions contrevenant aux stipulations de l'engagement signé par les parties, en voulant modifier la destination des locaux,

  • l'engagement de location signé entre les parties doit donc être résolu aux torts exclusifs de la SARL A. qui a failli à ses obligations contractuelles,

  • la clause 8 de l'engagement de location signé entre les parties, prévoyant que les arrhes resteront acquises au bailleur en cas de désistement du preneur ou d'absence de signature du contrat de bail avant la date de prise d'effet, doit trouver application au cas d'espèce et la somme de 177.600 euros rester entre les mains des défenderesses,

  • cette clause ne peut s'analyser en une clause pénale puisque la remise d'argent de la part du cocontractant est antérieure à l'inexécution de ses obligations et que chacune des parties à la convention y faisait une concession; le versement d'arrhes par le preneur venant compenser l'immobilisation des locaux du preneur dans l'attente de la signature définitive du bail,

  • le comportement fautif du preneur a empêché la SCI D de louer ses locaux commerciaux pour une durée de trois ans minimum, lui causant un préjudice financier indéniable.

***

Dans ses dernières écritures déposées le 26 juillet 2019, la SARL A. maintient l'ensemble de ses demandes.

À titre subsidiaire, elle expose qu'en l'absence de mise en demeure, la clause pénale constituée par l'article 8 de l'engagement de location n'est pas acquise à la SCI D

À titre infiniment subsidiaire, elle affirme que l'article 8 de la lettre d'engagement du 7 juin 2018 crée un déséquilibre manifestement excessif entre les parties et ne peut donc trouver application.

En réponse aux arguments des défenderesses, la société A. fait valoir que :

  • à sa parfaite bonne foi s'oppose le comportement déloyal de la SCI D qui a rompu de manière unilatérale et fautive le contrat de bail qui les liait et tente désormais de faire peser sur elle la responsabilité de la rupture des discussions,

  • la rupture des discussions étant en réalité imputable à la SCI bailleresse, la clause 8 de l'engagement de location ne peut trouver application puisque l'absence de réitération du bail ne résulte pas d'un désistement de la société preneuse,

  • en tout état de cause, cette clause est une clause pénale au sens de l'article 1081 du Code civil et ne peut trouver à s'appliquer puisqu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure préalable du débiteur de respecter son obligation,

  • le terme d'arrhes est inapproprié car le cas d'espèce concerne une promesse de location et non une promesse de vente telle que prévue à l'article 1433 du Code civil,

  • en tout état de cause, cette clause doit être réputée non écrite puisqu'elle ne procure un avantage qu'au seul propriétaire,

  • la résolution du bail commercial doit être prononcée aux torts exclusifs de la SCI D ce qui justifie la demande de dommages et intérêts formée par la requérante au visa de l'article 1093 du Code civil compte tenu des frais engagés, de la perte de chance d'exploiter le local pris à bail et de la résistance abusive de la bailleresse.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la demande principale :

Selon l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.

L'article 1549 du Code civil prévoit par ailleurs que le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer.

En l'occurrence, il est acquis aux débats que par acte signé par les parties les 7 et 8 juin 2018, la SARL A. s'est engagée à prendre en location les locaux commerciaux sis 57 rue Grimaldi à Monaco, pour un prix de 480.000 euros annuels, avec prise d'effet du bail commercial au 1er juillet 2018, « à usage exclusif de local commercial pour y exercer l'activité relative à l'objet social du preneur ci-dessus ».

Il y avait donc bien accord des parties sur les conditions essentielles du contrat et la promesse de location formalisée et signée les 7 et 8 juin 2018 valait bail, ce d'autant que le chèque dit « d'arrhes » à hauteur de 120.000 euros et de frais d'agence à raison de 57.600 euros (soit un chèque total de 177.600 euros) a été encaissé sur le compte de l'agence immobilière mandatée par la bailleresse.

Or, il est indiqué au paragraphe 6 de l'engagement de location que la totalité des arrhes (y compris les honoraires d'agence) seront versés par chèque « qui sera encaissé lors de l'acceptation de la présente offre de location ».

Selon l'article 7 de l'engagement de location, « le preneur s'engage à (...) signer le bail à loyer aux conditions énoncées ci-dessous. »

Les parties devaient donc signer le contrat de bail avant le 27 juin 2018 ainsi que prévu par l'engagement de location détaillé ci-dessus, selon les conditions ci-avant détaillées.

C'est en raison de la volte-face de la société A. concernant notamment la destination des locaux que l'acte n'a pas été conclu.

En effet, il ressort de la lecture des courriers échangés entre les parties entre la conclusion de l'avant-contrat et le 27 juin 2018, date prévue de la signature du contrat de bail, que la SARL A. a souhaité se voir octroyer un bail commercial prévoyant une liste d'activités susceptibles d'être exercées dans le local beaucoup plus vaste que celle énoncée dans l'engagement de location.

Les conditions de la location énumérées à l'article 3 de l'engagement de location prévoyaient un « usage exclusif de local commercial pour y exercer l'activité relatif à l'objet social du preneur ci-dessus désigné ».

L'objet social de la SARL A. décrit à l'article 1er de l'avant-contrat, indique : « l'importation, l'exportation, la commission, la représentation, le consulting, le courtage, la location, la gestion, l'administration, le charter, l'armement et l'affrètement et à titre accessoire, l'achat et la vente de tous navires et bateaux. La représentation de chantiers navals de construction de yachts de plaisance et le recrutement, pour le compte de tiers, de personnel navigant, lequel devra être embauché directement par les armateurs dans leurs pays. L'exploitation d'une agence maritime, toutes opérations d'aconage, de consignation, de transit de réparation, de manutention, à l'exclusion d'opérations faisant l'objet d'une réglementation particulière, la coordination du chargement et de déchargement des marchandises, les relations avec les différentes activités portuaires, la planification des navigations, l'établissement des divers documents administratifs requis, l'accomplissement de formalités administratives nécessaires, à l'exclusion des activités réservées aux courtiers maritimes aux termes de l'article O. 512-4 du Code de la mer et sous réserve de ne pas se prévaloir du titre protégé de courtier maritime conformément à l'article O. 512-3 dudit code. Toutes prestations de conciergerie yachting de luxe, d'assistance, d'accompagnement et toutes prestations administratives relativement à l'objet susvisé, et notamment à des destinations des armateurs ».

Il y était précisé que la SARL A. était représentée par Monsieur Eric A. en sa qualité de Président de ladite société, pour le compte de la société « G » et ses affiliations, en cours de constitution, reprenant le même objet social que celui de la société B, avec en sus « design et fourniture d'objets de luxe sans stockage de matériel ».

Or, la société A. a fait parvenir à la bailleresse le 5 juillet 2019 un projet de bail commercial portant ses propres modifications, notamment un paragraphe intitulé « Conditions particulières essentielles et déterminantes » prévoyant que « la présente location est soumise à la condition essentielle et déterminante sans laquelle le présent bail n'aurait pas été conclu de l'obtention, par le preneur en partenariat avec les sociétés du groupe G, pour lui ou toutes sociétés substituées, des autorisations d'exercer dans les locaux loués à délivrer au preneur et à des sociétés sœurs ou filiales à constituer du Groupe G, notamment « G Hospitality » dans les lieux par l'administration Monégasque pour les activités reprenant l'objet social du preneur et les activités visées ci-après :

·       l'activité de vente et de location de yachts,

·       l'activité de vente et location d'aviation d'affaires,

·       l'activité de négoce de vins rares et d'objets d'art, de véhicules et d'objets de collection,

·       l'activité de décoration intérieure et rénovation haut de gamme à l'effet de ce qui précède,

·       l'activité de vente ou location d'immobilier de prestige et propriétés foncières, de location saisonnière sous réserve des autorisations administratives requises à obtenir et de la conformité au règlement de copropriété,

·       design et fourniture d'objets de luxe sans stockage de matériel,

·       services de conciergerie de toutes natures (personal services),

·       et toute activité de négoce et/ou de services du Groupe G sous réserve des autorisations préalables,

et plus largement, toute autre activité de quelque nature que ce soit sans restriction aucune qui n'est pas d'ores et déjà exercée dans la galerie marchande dont dépendent les locaux loués sis X5 à Monaco, à la date des présentes.

À titre indicatif et essentiel, il est d'ores et déjà indiqué par le bailleur que sont actuellement et limitativement exercées les activités suivantes dans la galerie marchande dont dépendent les locaux loués sis X5 à Monaco :

·       vente de voitures de marques XXXX,

·       snack et glacier,

·       agence immobilière,

·       XXXXX À COMPLÉTER PAR LE BAILLEUR ET SES CONSEILS.

Le bailleur déclare expressément consentir aux présentes à ce que le preneur ou toute société substituée et/ou sous-locataire et/ou domiciliée pour lesquelles il a été autorisé, séparément ou solidairement, aux termes du bail puisse exercer, sous réserve de l'obtention des agréments monégasques requis, les activités ainsi définies ci-avant. »

Il est incontestable que la liste des activités égrainées par la société preneuse dans son projet modificatif est complètement différente de celle énoncée dans l'avant-contrat puisqu'elle élargit considérablement le champ de destination des locaux, ajoutant même que la liste est non-exhaustive. Cette modification souhaitée par la preneuse change par conséquent nécessairement l'économie du contrat.

Eric A. Président de la SARL A. précise lui-même dans son courrier adressé le 5 juillet 2018 au gérant de la SCI D qu' « à aucun moment, le groupe G n'a indiqué souhaiter se limiter aux activités de yachting et donc de conciergerie en matière de yachting de luxe », et ajoute considérer le point 1 - soit la possibilité d'exercer d'autres activités que celles listées dans l'engagement de location – « comme une condition essentielle et déterminante » sans laquelle la société n'aurait pas envisagé la signature du bail commercial.

C'est d'ailleurs ainsi que l'a interprété la société bailleresse, qui indique dans un courrier envoyé par son conseil à celui de la société preneuse le 19 juillet 2018 qu' « à ce jour, aucun bail commercial n'a été signé en raison du changement de position de vos clients concernant la destination des locaux, qui avait été négociée au sein de l'engagement de location ».

Le dirigeant de la société A. Eric A. affirme lui-même dans un courriel adressé à l'agence F qu'il avait « dès le début demandé la possibilité d'avoir d'autres activités liées à la même dénomination commerciale (G) », ajoutant plus avant vouloir un bail avec possibilité de substitution de la société B par la société G, « qui s'adjoindra les services de mes autres activités communes et associés G deco G concierge G service » précisant que sans cela il « arrêterait tout immédiatement ».

Or, ce n'est pas ce qui résulte de la lecture des conditions posées dans l'engagement de location conclu les 7 et 8 juin 2018.

La société A. a donc sollicité des modifications substantielles et unilatérales de l'économie générale du contrat et souhaité voir appliquer des conditions auxquelles les parties n'avaient pas souscrit dans le cadre de l'avant-contrat.

Elle a dès lors commis une faute en refusant de signer le bail aux conditions initialement fixées, alors même qu'il y avait bien accord des parties sur la chose et le prix dès le jour d'encaissement du chèque de 177.600 euros, qui validait l'acceptation de l'offre de location par la SCI D

En conséquence, la SARL A. a manqué à ses obligations contractuelles et ainsi engagé sa responsabilité.

C'est d'ailleurs le constat auquel a abouti la propre agence immobilière mandatée par la société preneuse, soit l'agence F, qui lui écrit le 2 juillet 2018 que « malgré tous les délais qu'on vous a accordés, vous n'avez toujours pas régularisé la situation selon vos engagements et il est compréhensible que le propriétaire souhaite maintenant clore ce dossier d'une façon ou d'une autre ».

Au surplus, la société A. ne s'est pas conformée aux délais prévus pour réunir les pièces sollicitées malgré quatre relances en ce sens envoyées par l'agence immobilière mandatée par la SCI D ne permettant pas ainsi la signature du contrat de bail avant le 27 juin 2018, date prévue dans la promesse de location.

Le fait pour la SCI Dde n'avoir envoyé que le 19 juin 2018 le projet de bail pour une signature avant le 27 juin 2018 (ou à défaut avant le 1er juillet 2018, ainsi que le prévoit l'article 8 de l'acte d'engagement), ne peut lui être reproché, alors même que la société preneuse n'avait pas fourni à cette date l'ensemble des documents nécessaires à sa rédaction, pourtant réclamés à plusieurs reprises (cf pièce 32 de la demanderesse).

C'est bien en raison du comportement de la SARL A. que le contrat de bail n'a pu être signé entre les parties. Il s'agit par conséquent d'une inexécution fautive de l'avant-contrat.

L'article 8 de l'engagement de location signé entre les parties et intitulé « inexécution des présentes obligations et désistement du preneur » prévoit que « en cas de désistement du preneur, ou bien à défaut de règlement du solde et/ou signature du bail avant la date de prise d'effet, les arrhes versées resteront acquises au bailleur ainsi qu'à l'agence E et la présente offre de location sera considérée comme nulle et non avenue. De la même façon à défaut de règlement de l'acompte demandé après l'acceptation du bailleur, le Preneur restera redevable de la totalité des arrhes dont le montant est stipulé au point 6 ci-dessus. »

L'intitulé même de l'article 8 de l'engagement de location est contradictoire puisqu'il vise à la fois l'inexécution des présentes obligations et le désistement du preneur.

Si les arrhes constituent la remise d'une somme d'argent lors de la conclusion d'un contrat et un moyen de dédit en permettant à chacune des parties de retirer ultérieurement son adhésion, la clause pénale vise l'hypothèse où le débiteur a manqué à son engagement et doit donc s'acquitter d'une somme en raison de l'inexécution de son obligation.

Selon l'article 1011 du Code civil, on doit rechercher dans les conventions quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.

En l'espèce, le but de cette clause est d'indemniser le créancier du préjudice lié à l'immobilisation de son bien par le preneur, qui renonce finalement à la location ou ne signe pas le contrat dans les conditions et le délai fixés. C'est le prix d'un avantage accordé au preneur, qui peut ainsi se soustraire à l'exécution de son obligation par ce biais.

D'ailleurs, la clause débute en citant la notion de désistement et d'arrhes, qui sont des termes évoquant une clause de dédit et précise que les arrhes resteront également acquises au bailleur ainsi qu'à l'agence immobilière « à défaut de règlement du solde et/ou signature du bail avant la date de prise d'effet. »

En l'espèce, l'absence de signature du contrat de location résulte du seul refus du preneur de s'engager dans le processus destiné à concrétiser la location aux conditions fixées par l'avant-contrat et coïncide donc avec l'hypothèse visée par la clause.

Le fait que la somme consignée corresponde à trois mois de loyers augmentés des frais d'agence ne lui donne pas un caractère comminatoire, mais correspond à une juste compensation de l'immobilisation du bien le temps des négociations.

Dès lors, c'est bien une clause de dédit qui est insérée à l'article 8 du contrat.

L'engagement signé par la SARL A. s'analyse en une promesse unilatérale de prendre à bail les locaux. L'essence même du contrat unilatéral est de ne faire naître d'obligation qu'à la charge d'une seule des parties, ce qui n'est pas de nature à rendre la clause excessive, ainsi que le soutient la requérante.

En effet, si la clause est applicable au seul locataire, cela permet de « réserver » le bien immobilier qu'il convoite pour l'exercice de son activité, lui procurant ainsi un avantage.

Le caractère excessif de la clause de dédit n'est donc pas démontré en l'absence de mauvaise foi avérée du bailleur dans l'exécution de cet engagement de location.

C'est donc à bon droit que la bailleresse a conservé la somme contractuellement prévue à titre d'indemnité forfaitaire compensatoire, l'absence de signature du contrat de bail résultant du seul refus du preneur de s'engager dans le processus destiné à concrétiser la location du local aux conditions énoncées dans l'avant-contrat.

Il convient donc débouter la SARL A.de sa demande de résolution du contrat et de restitution de la somme de 177.600 euros, ainsi que de ses demandes subsidiaires.

  • Sur la restitution des sommes complémentaires  :

La SARL A. sollicite en outre le paiement par la SCI D des sommes de 22.053,45 euros, de 184.000 euros et 177.600 euros du fait de la résolution de l'avant-contrat.

Il convient de rappeler qu'en l'espèce, il s'agit non pas d'une résolution des négociations précontractuelles mais d'une inexécution de celles-ci du fait de la demanderesse, qui ne peut donc valablement se prévaloir d'une faute de la société bailleresse lui ayant causé un quelconque préjudice.

Ses demandes à ce titre seront en conséquence rejetées.

  • Sur les demandes reconventionnelles :

  • Sur la demande de dommages et intérêts pour faute pré-contractuelle :

La SCI D sollicite à la fois la résolution du contrat aux torts exclusifs de la SARL A.et le versement de la somme de 1.440.000 euros en réparation du préjudice subi en raison de la faute commise par la SARL A. dans le cadre de son engagement précontractuel.

Elle fait valoir que la faute de la SARL A. l'a privée des revenus locatifs qu'elle aurait obtenus en lui louant les locaux commerciaux dès le mois de juin 2018 pour une durée certaine de trois ans.

Cependant, il est antinomique de briguer à la fois l'application de la clause 8 de l'engagement de location et à titre reconventionnel la résolution du contrat, ce qui induit un anéantissement rétroactif de la convention souscrite par les parties et l'impossibilité de fait d'appliquer la clause.

La demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée dans le cadre de la présente instance sera donc rejetée.

  • Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

La mauvaise foi ou l'intention de nuire de la société A. à l'encontre des défenderesses n'est pas démontrée, alors même que celle-ci a uniquement souhaité faire valoir en Justice des droits qu'elle estimait légitimes.

L'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutif d'une faute, d'une intention de nuire ou d'une mauvaise foi.

La demande de dommages et intérêts fondée sur le caractère abusif de la présente procédure sera donc rejetée.

  • Sur l'exécution provisoire :

Les conditions de l'article 202 du Code de procédure civile n'étant pas remplies, le prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision ne sera pas ordonné.

  • Sur les dépens :

Il appartient à la SCI A. partie succombante, de s'acquitter du paiement des entiers dépens de la présente instance au visa de l'article 232 du Code de procédure civile.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Déboute la SARL B de l'intégralité de ses demandes ;

Déboute la SCI D de ses demandes reconventionnelles ;

Condamne la SARL B au paiement des entiers dépens, qui seront distraits au profit de Maître Pierre-Anne NOGHES DU MONCEAU, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 23 JANVIER 2020, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Madame Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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