Tribunal de première instance, 19 décembre 2019, i. MA. épouse MI. c/ d. l. MI.

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Abstract🔗

Droit international privé - Divorce en Russie - Reconnaissance dans l'ordre juridique interne de décisions rendues par des juridictions russes (oui) - Procédure de divorce introduite devant les juridictions monégasques sans objet

Résumé🔗

En l'espèce, l'épouse, de nationalité ukrainienne et demeurant à Monaco, a assigné en divorce son mari, de nationalité russe et demeurant également à Monaco, devant le Tribunal monégasque. Le mari objecte que le mariage a été dissous par des décisions russes en raison de l'altération définitive du lien conjugal. Il convient de vérifier si la décision du 22 octobre 2018 rendu par le Tribunal d'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou et la décision du 6 février 2019 rendue par la chambre civile du Tribunal de la ville de Moscou sont conformes aux exigences de l'article 15 du Code de droit international privé. Le Tribunal considère qu'il existe des indices de proximité suffisante avec les juridictions russes (nationalité du mari, célébration du mariage, résidence des époux), de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme incompétentes au sens de l'article 17 du Code de droit international privé. Au surplus, l'épouse n'a pas soulevé d'exception d'incompétence devant les juridictions russes. Les droits de la défense de l'épouse ont été respectés dans la procédure de dissolution du mariage qui s'est déroulée devant les juridictions russes. Ces décisions ne sont manifestement pas contraires à la conception monégasque de l'ordre public international, dès lors qu'elles ne comportent aucune disposition qui se heurte aux principes essentiels du droit monégasque. Ces décisions ne comportent aucune contrariété à une décision monégasque ou étrangère reconnue en Principauté. Les décisions en cause doivent donc être reconnues dans l'ordre juridique interne. Il en résulte que la procédure de divorce introduite par l'épouse s'avère sans objet et que les mesures provisoires ordonnées par le juge conciliateur doivent être déclarées caduques, alors qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les nouvelles mesures provisoires.  


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2019/000344 (ONC du 7 janvier 2019)

N° 2019/000345 (Assignation du 17 Janvier 2019)

JUGEMENT DU 19 DÉCEMBRE 2019

En la cause de :

  • i. MA. épouse MI., née le 18 avril 1982 à Kiev (Ukraine), de nationalité ukrainienne, sans profession, demeurant X1à Monaco ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Frédérique GREGOIRE, avocat au Barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

  • d. l. MI., né le 14 juin 1976 à Ivanovo (Russie), de nationalité Saint-Kitts-et-Nevis, demeurant X1à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 20 septembre 2018 rendue en application de l'article 200-2 du code civil, ayant autorisé i. MA. à résider seule avec les deux enfants mineurs au domicile conjugal, sis X1à Monaco ;

Vu l'ordonnance de non-conciliation en date du 7 janvier 2019 rendue en application de l'article 200-5 du Code civil ayant renvoyé la cause et les parties à l'audience du 7 février 2019, afin qu'il soit statué sur les mesures provisoires (n° 2019/000344) ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 17 janvier 2019, enregistré (n° 2019/000345) ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIUALLA, avocat-défenseur, au nom de d. MI. en date des 6 mars 2019 et 18 octobre 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de i. MA. en date du 4 juin 2019 puis celles de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur pour cette même partie en date du 27 septembre 2019 ;

À l'audience publique du 24 octobre 2019, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 19 décembre 2019 ;

FAITS ET PROCÉDURE :

i. MA. de nationalité ukrainienne, et d. MI. de nationalité russe, se sont mariés le 14 juin 2014 devant l'Officier de l'état civil de Moscou (Russie), après avoir conclu un contrat de mariage de séparation de biens le 29 mai 2014 à Encino en Californie (Etats-Unis d'Amérique) ;

De cette union, sont issus deux enfants : ek. et al. nées le 15 février 2014 à Los Angeles, en Californie (Etats-Unis d'Amérique) ;

Le 22 janvier 2018, d. MI. a saisi les juridictions russes d'une demande de dissolution du mariage ;

Le 6 février 2019, le Tribunal de la ville de Moscou a confirmé la décision rendue le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou ayant prononcé la dissolution du mariage des époux MA.- MI.;

Suivant ordonnance du 1er août 2019, l'examen du pourvoi en cassation formé par i. MA. à l'encontre de ces deux décisions a été refusé ;

Le 25 juin 2018, i. MA. a introduit une procédure de séparation judiciaire devant les juridictions américaines ;

Le 19 septembre 2018, elle a saisi le Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco d'une requête en divorce ;

Suivant ordonnance présidentielle du 20 septembre 2018, l'épouse a été autorisée à résider seule, avec les deux enfants mineurs au domicile conjugal ;

Suivant ordonnance du 15 novembre 2018, le juge conciliateur a renvoyé la tentative conciliation à une audience ultérieure, et à titre très provisoire, a accordé à d. MI. un droit de visite et d'hébergement usuel sur les enfants communs ;

Le 7 janvier 2019 le juge conciliateur a rendu une ordonnance aux termes de laquelle, il a notamment :

  • rejeté la demande d i. MA. de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte avec constitution de partie civile qu'elle avait déposée entre les mains du juge d'instruction ;

  • déclaré irrecevables, à ce stade de la procédure :

    • la demande de sursis à statuer formée par i. MA. en l'état de la saisine préalable des juridictions américaines et russes de procédures de dissolution du mariage ;

    • les exceptions de litispendance internationale et d'incompétence soulevée par d. MI.;

  • renvoyé les deux époux à mieux se pourvoir sur ces moyens de procédure ;

  • autorisé i. MA. à assigner d. MI. par-devant le Tribunal aux fins de sa demande en divorce ;

  • à titre extrêmement urgent et très provisoire, accordé à d. MI. un droit de visite et d'hébergement usuel sur les deux enfants mineurs ;

  • pour le surplus des mesures provisoires, ordonné que les époux comparaîtront par devant le Tribunal à une audience ultérieure ;

i. MA. a interjeté appel de l'ordonnance d'ajournement du 15 novembre 2018 et de l'ordonnance de non-conciliation ;

Le 12 juillet 2019, le juge tutélaire monégasque, saisi en assistance éducative par le Procureur Général, a ordonné une enquête sociale ;

Par acte d'huissier en date du 17 janvier 2019, i. MA. a fait assigner d. MI. en divorce sur le fondement des dispositions de l'article 197, 1° du code civil ;

Dans le dernier état de ses écritures en date du 27 septembre 2019, i. MA. demande :

  • de voir déclarer recevable sa procédure de divorce,

  • le prononcé du divorce aux torts exclusifs de son conjoint,

  • la condamnation de d. MI. à lui payer la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • la condamnation de d. MI. à lui payer la somme de 4.100.000 euros à titre de prestation compensatoire,

  • la fixation de la résidence habituelle des enfants au domicile maternel,

  • l'octroi au père d'un droit de visite et d'hébergement selon les modalités fixées par l'ordonnance de non-conciliation,

  • l'autorisation d'inscrire les enfants à l'école des Carmes, nonobstant l'opposition du père sauf si une décision a été rendue,

  • la condamnation de d. MI. à lui verser une part contributive à l'entretien et à l'éducation des enfants d'un montant mensuel de 10.000 euros par enfant,

  • la condamnation de d. MI. à lui payer la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En défense, dans ses conclusions récapitulatives en date du 18 octobre 2019, d. MI. sollicite :

À titre principal, que le Tribunal :

  • constate que par arrêt du 6 février 2019, rendu par la Cour d'appel de Moscou, la dissolution du mariage des époux MA.- MI. a été prononcée et que cet arrêt a été retranscrit sur les registres d'état civil de la ville de Moscou,

  • dise que cet arrêt a autorité immédiate en Principauté de Monaco en ce qui concerne le statut personnel des parties,

  • déclare, en conséquence, irrecevable la demande en divorce d i. MA.

À titre subsidiaire, que le Tribunal :

  • constate que par arrêt du 6 février 2019, rendu par la Cour d'appel de Moscou, la dissolution du mariage des époux MA.- MI. a été prononcée et que cet arrêt a été retranscrit sur les registres d'état civil de la ville de Moscou,

  • dise que les conditions des articles 13 et 15 du Code de droit international privé sont réunies,

  • déclare, en conséquence, irrecevable la demande en divorce d i. MA.

Si le Tribunal déclare recevable la demande en divorce d i. MA. le renvoi de la cause et des parties pour ses conclusions au fond,

En tout état de cause, le rejet de l'ensemble des prétentions d i. MA.;

MOTIFS,

  • Sur la jonction des procédures :

Il convient dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des instances enrôlées sous les n° 2019/000344 et n° 2019/000345.

  • Sur la reconnaissance de plein droit des décisions rendues le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou et le 6 février 2019 par le Tribunal de la ville de Moscou :

Au soutien de son moyen d'irrecevabilité, d. MI. fait valoir que :

  • les parties sont divorcées en vertu d'une décision russe, définitive et irrévocable, de sorte qu i. MA. n'a plus d'intérêt à agir, puisque le pourvoi en cassation formée par i. MA. à l'encontre de l'arrêt du 6 février 2019 confirmant le jugement du 22 octobre 2018 ayant prononcé le divorce, a été rejeté le 1er août 2019 ;

  • le divorce a été retranscrit sur le registre d'état civil de Moscou ;

  • ce nouvel état doit être immédiatement reconnu en Principauté sans exéquatur ;

  • les juridictions monégasques ont toujours reconnu en dehors de toute procédure d'exéquatur, sur le fondement de l'autorité de la chose jugée, les jugements étrangers sur l'état et la capacité des personnes ;

  • ce principe fondamental de droit international privé doit s'appliquer même après l'entrée en vigueur du Code de droit international privé ;

Pour prétendre à la recevabilité de sa demande en divorce, i. MA. expose que :

la procédure pendante devant les juridictions russes n'est pas définitive, en l'état du pourvoi en cassation qu'elle a formé (lors de la rédaction de ses conclusions, le conseil de la demanderesse n'avait pas eu connaissance de la décision du 1er août 2019 concernant le refus d'examen du pourvoi) ;

la décision de divorce prononcée par les juridictions russes n'est pas susceptible d'être reconnue ni exéquaturée par les juridictions monégasques compte tenu de la violation des règles d'ordre public et procédurales ;

L'article 13 du Code de droit international privé prévoit que « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et passés en force de chose jugée sont reconnus de plein droit dans la Principauté s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'article 15. Toute partie intéressée peut agir devant les tribunaux de la Principauté en reconnaissance ou en non-reconnaissance d'un jugement rendu par un tribunal étranger » ;

L'article 15 du même code précise que : « Un jugement rendu par un tribunal étranger n'est ni reconnu ni déclaré exécutoire dans la Principauté si :

Il a été rendu par une juridiction incompétente au sens de l'article 17 ;

Les droits de la défense n'ont pas été respectés, notamment lorsque les parties n'ont pas été régulièrement citées et mises à même de se défendre ;

La reconnaissance ou l'exécution est manifestement contraire à l'ordre public monégasque ;

Il est contraire à une décision rendue entre les mêmes parties dans la Principauté ou avec une décision antérieurement rendue dans un autre État et reconnue dans la Principauté ;

Un litige est pendant devant un tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet » ;

Au regard de ces textes, la Cour d'appel a retenu que le Code de droit international privé « ne contient, en matière de reconnaissance et d'exécution des jugements et des actes publics étrangers [...] aucune disposition dérogatoire pour les jugements relatifs à l'état et à la capacité des personnes », et en a déduit que le demandeur à fin d'exécution ou de simple reconnaissance d'un jugement étranger relatif à l'état et la capacité des personnes est soumis aux dispositions des articles 13 et suivants du Code de droit international privé (arrêt du 26 septembre 2019, E. SK. c/ C. RE.) ;

Ainsi, en l'espèce, en l'état des contestations élevées par i. MA. les décisions russes ayant prononcé la dissolution du mariage des époux MA.- MI. doivent être examinées au regard des articles 13 et suivants du Code de droit international privé ;

  • Sur la reconnaissance des décisions russes au regard des articles 13 et suivants du code de droit international privé :

i. MA. soutient que la décision de dissolution du mariage rendue en Russie ne peut être reconnue à Monaco dans mesure où :

  • elle a été rendue par une juridiction incompétente, puisque seules les juridictions monégasques sont compétentes, la résidence de la famille étant fixée à Monaco, la famille n'ayant jamais résidé en Russie ; les juridictions russes doivent être considérées comme incompétentes au regard des dispositions de l'article 17 du code de droit international privé puisque leur compétence n'a été fondée que sur la présence temporaire de d. MI. en Russie, la famille ayant résidé à Los Angeles et Monaco ;

  • les droits de la défense n'ont pas été respectés, puisque d'une part, elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits, n'ayant disposé que d'un temps réduit pour répliquer, et d'autre part, la demande de d. MI. devant les juridictions russes a été fondée sur de fausses déclarations (résidence de la famille en Russie, absence d'enfants communs, séparation de fait depuis le 4 mars 2017) ;

  • les décisions litigieuses sont contraires à l'ordre public monégasque puisqu'elles doivent être assimilées à une répudiation, le divorce ayant été prononcé sur la seule demande de d. MI. et aucun droit ne lui ayant été réservé ;

  • les décisions litigieuses sont contraires aux décisions rendues en Principauté puisque les juridictions monégasques ont à plusieurs reprises confirmé que la résidence des enfants devait être établie à Monaco, alors que les juridictions russes ont décidé l'inverse ;

  • d. MI. estime au contraire que les dispositions de l'article 15 du Code de droit international privé ont été respectées et que par suite, l'arrêt du 6 février 2019 rendu par la Cour d'appel de Moscou doit être reconnu en Principauté ;

Il fait valoir que :

  • les juridictions russes étaient compétentes au moment de leur saisine ; l'épouse a elle-même reconnu devant les juridictions américaines qu'elle s'était installée très provisoirement à Monaco en avril 2018 ; l'épouse a indiqué une adresse à Moscou dans ses écritures judiciaires devant les juridictions russes ; l'épouse n'a jamais soulevé d'exception d'incompétence dans le cadre de la procédure russe ;

  • les droits de la défense de i. MA. ont été respectés : l'épouse ne conteste pas avoir pu se défendre, ni avoir été assistée d'un conseil, mais se borne à prétendre n'avoir disposé que d'un temps réduit pour répliquer sans le démontrer ; en outre, l'existence des enfants communs est évoquée dans diverses décisions rendues par les juridictions russes;

  • les décisions russes sont conformes à l'ordre public international et non assimilables à une répudiation : l'épouse a été représentée et défendue par un conseil, elle a fait intervenir des témoins et a formé des recours ; l'épouse n'a pas été privée de ses droits mais n'a formé aucune demande financière sachant pertinemment qu'en vertu du contrat de mariage, elle n'a aucun droit dans la liquidation du régime matrimonial ;

  • il n'y a pas de contrariété entre la décision russe prononçant le divorce et l'ordonnance de non-conciliation monégasque ayant statué sur le droit de visite et d'hébergement paternel ;

  • aucun litige entre les époux portant sur le même objet n'est pendant devant une juridiction monégasque saisie en premier lieu ;

En l'espèce, il convient de vérifier si la décision du 22 octobre 2018 rendu par le Tribunal d'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou et la décision du 6 février 2019 rendue par la chambre civile du Tribunal de la ville de Moscou sont conformes aux exigences de l'article 15 du Code de droit international privé précité ;

Ces décisions ont- elles été rendues par des juridictions compétentes au sens de l'article 17 ?

L'article 17 du Code de droit international privé est rédigé en ces termes : « le tribunal étranger ayant rendu un jugement est considéré comme incompétent lorsque les tribunaux de la Principauté avaient une compétence exclusive pour connaître de la demande, ou si le litige ne présentait pas un lien suffisant avec l'État dont relève cette juridiction, notamment lorsque sa compétence n'était fondée que sur la présence temporaire du défendeur dans l'État dont relève cette juridiction ou de biens lui appartenant sans lien avec le litige, ou encore sur l'exercice par le défendeur dans ce même État d'une activité commerciale ou professionnelle, sans lien avec le litige. Ces dispositions ne reçoivent pas application au cas où la compétence du tribunal étranger a été acceptée par la partie s'opposant à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement rendu par ce tribunal » ;

Selon l'article 40 du même code, les tribunaux monégasques sont compétents pour connaître du divorce et de la séparation de corps :

Lorsque le domicile des époux se trouve sur le territoire de la Principauté ;

Lorsque le dernier domicile des époux se trouvait sur le territoire de la Principauté et que l'un des époux y réside encore ;

Lorsque l'époux défendeur a son domicile sur le territoire de la Principauté ;

L'un des époux est de nationalité monégasque ;

Il résulte de l'analyse de ces dispositions qu'en matière de divorce, la règle monégasque de conflit de juridictions n'attribue pas de compétence exclusive aux juridictions monégasques, notamment lorsque les époux sont de nationalité étrangère, comme c'est le cas en l'espèce ;

Dès lors, l'appréciation de la compétence va porter sur l'existence d'un lien suffisant avec les juridictions russes ;

En l'espèce, i. MA. affirme que les juridictions russes étaient incompétentes dans la mesure où la famille n'a jamais résidé en Russie, mais à Monaco et à Los Angeles ;

S'agissant de la résidence monégasque, elle ne verse qu'un certificat de résidence établi le 13 septembre 2018 par la Direction de la Sureté Publique de Monaco selon lequel elle a résidé en Principauté du 1 er août 2017 au 2 mars 2018 avec interruption ;

Dans sa requête du 9 août 2018 qu'elle a déposé devant la juridiction américaine, aux fins de fixation de mesures provisoires, elle indique expressément que Monaco est le lieu de la résidence secondaire des époux ;

S'agissant de la résidence californienne, elle ne produit aucune pièce ;

À l'inverse, il convient d'observer que dans la cadre des procédures diligentées devant les juridictions russes, premières saisies, chacun des époux était domicilié à une adresse (différente) à Moscou ;

Il doit également être souligné que d. MI. est de nationalité russe et que l'union a été célébrée en Russie ;

Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer qu'il existe des indices de proximité suffisante avec les juridictions russes, de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme incompétentes au sens de l'article 17 du Code de droit international privé ; au surplus, l'épouse n'a pas soulevé d'exception d'incompétence devant les juridictions russes ;

Les droits de la défense de i. MA. ont-ils été respectés ? L'épouse a-t-elle été régulièrement citée et mise à même de se défendre ?

En l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats que l'épouse était comparante et/ou régulièrement représentée devant les juridictions russes, qu'elle a été en mesure de faire valoir ses droits, ayant présenté ses arguments en défense, ayant formé des demandes reconventionnelles et ayant exercé des voies de recours ;

Il y a lieu de souligner qu i. MA. n'explique ni ne démontre en quoi elle n'aurait pas disposé de temps suffisant pour répliquer ;

S'agissant des prétendues fausses déclarations de l'époux sur lesquelles les juridictions russes se seraient fondées, il convient de relever que :

  • i. MA. ne verse aucune pièce établissant que la séparation de fait des époux ne serait pas intervenue le 4 mars 2017 ou que la résidence de la famille n'était pas fixée en Russie et ce d'autant qu'aucune pièce ne permet de retenir, à ce stade, que la résidence de la famille était fixée à Los Angeles ou à Monaco ;

  • l'existence des enfants communs n'a certes pas été visée dans la requête initiale de l'époux mais a été mentionnée tout au long de la procédure, les juridictions russes ayant décidé que les mesures afférentes seraient traitées dans une affaire civile distincte ;

Au regard de ces constatations, il convient de considérer que les droits de la défense de i. MA. ont été respectés dans la procédure de dissolution du mariage qui s'est déroulée devant les juridictions russes ;

La reconnaissance ou l'exécution des décisions litigieuses est-elle manifestement contraire à l'ordre public monégasque ?

Il ressort des pièces produites aux débats que le mariage d i. MA. et de d. MI. a été dissout par les juridictions russes, à la demande du mari et au motif que la poursuite de la vie commune des époux et la préservation de la famille était impossible ;

Le Tribunal s'est prononcé en ce sens, après avoir constaté que la réconciliation des époux était impossible (et ce à la suite d'un délai de réconciliation accordé par le Tribunal à la demande d i. MA. et que d. MI. a réitéré sa demande tendant à voir prononcer la dissolution ;

Il résulte de l'analyse de ces éléments que le divorce a été prononcé pour altération définitive du lien conjugal, sans que soit exigée une période de séparation ;

Une telle cause de divorce ne saurait être considérée comme contraire à la conception monégasque de l'ordre public international, puisqu'elle est proche de celle prévue à l'article 197-2° du Code civil et peut être invoquée tant par le mari que la femme ;

En outre, les constations qui précédent révèlent que l'opposition de l'épouse a été prise en compte (une période de réconciliation ayant été ordonnée à sa demande) et que les juridictions russes ont disposé d'une marge d'appréciation ;

Ainsi, la décision rendue le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou ayant prononcé la dissolution du mariage d i. MA. et de d. MI. ainsi que la décision rendue le 6 février 2019 par la chambre civile du Tribunal de la ville de Moscou ayant confirmé ce jugement ne sont manifestement pas contraires à la conception monégasque de l'ordre public international, dès lors qu'elles ne comportent aucune disposition qui se heurte aux principes essentiels du droit monégasque ;

Lesdites décisions sont-elles contraires à une décision rendue entre les mêmes parties dans la Principauté ou avec une décision antérieurement rendue dans un autre État et reconnue dans la Principauté ?

En l'espèce, il est constant que :

  • ni les juridictions monégasques ni les juridictions américaines n'ont rendu de décision se prononçant sur la dissolution du lien matrimonial,

  • le juge conciliateur monégasque n'a accordé à titre très provisoire qu'un droit de visite et d'hébergement à d. MI. sans statuer plus avant,

  • le juge tutélaire monégasque saisi en assistance éducative n'a ordonné qu'une enquête sociale,

  • les décisions russes litigieuses n'ont prononcé que la dissolution du mariage entre les parties et aucune mesure afférente aux droits parentaux ;

Il n'y a donc aucune contrariété à une décision monégasque ou étrangère reconnue en Principauté ;

Un litige est-il pendant devant un tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet ?

En l'espèce, il est constant que les juridictions monégasques ont été saisies en troisième lieu d'une action en dissolution du mariage entre i. MA. et d. MI.;

Il apparaît, en conséquence, que la décision rendue le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou ayant prononcé la dissolution du mariage d i. MA. et de d. MI. ainsi que la décision rendue le 6 février 2019 de la chambre civile du Tribunal de la ville de Moscou respectent les exigences de l'article 15 du Code de droit international privé et doivent dès lors être reconnues dans l'ordre juridique interne ;

Ainsi, en l'état de ces décisions russes reconnues et ayant prononcé la dissolution du mariage d i. MA. et de d. MI. la présente procédure de divorce introduite par i. MA. s'avère sans objet et les mesures provisoires ordonnées par le juge conciliateur doivent être déclarées caduques, alors qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les nouvelles mesures provisoires ;

En l'état de sa succombance, i. MA. sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

En application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile, i. MA. partie succombante, supportera les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les n° 2019/000344 et n°2019/000345 ;

Reconnait :

  • la décision rendue le 22 octobre 2018 par le Tribunal de l'arrondissement de Presnenskii de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 2-3144/2018 sur la demande de d. MI. contre i. MA. sur la dissolution du mariage ;

  • la décision rendue le 6 février 2019 par la chambre des affaires civiles du Tribunal de la ville de Moscou dans l'affaire civile n° 33-5364 ;

  • dans l'ordre juridique interne monégasque en l'état de leur conformité aux exigences de l'article 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé ;

Déclare sans objet la demande en divorce formée par i. MA.;

Déclare caduques les mesures ordonnées le 7 janvier 2019 par le juge conciliateur ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur de nouvelles mesures provisoires ;

Déboute i. MA. de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

La condamne aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Monsieur Damien TOURNEUX, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 DÉCEMBRE 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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