Tribunal de première instance, 14 novembre 2019, d. B. c/ m-c. b. B. veuve B. et m. a. B. épouse M-P.
Abstract🔗
Droit international privé - Conflit de lois - Régime matrimonial - Loi applicable - Application du Code de droit international privé (non) - Application de la loi nouvelle dans le temps - Non-rétroactivité - Règle de conflit applicable au jour du mariage - Application de la loi anglaise
Succession - Liquidation et partage successoral - Règle de conflit applicable au jour du décès - Loi applicable aux meubles - Loi nationale du défunt - Loi du dernier domicile du défunt - Loi applicable aux immeubles - Loi de leur situation.
Résumé🔗
Le demandeur, héritier d'un quart des biens de son père, sollicite la liquidation et le partage de l'indivision successorale. À titre liminaire, s'agissant de la loi applicable au régime matrimonial, il faut s'interroger sur l'application aux instances en cours, notamment aux règles de conflit de lois permettant de déterminer la loi applicable au régime matrimonial des époux, des dispositions du nouveau Code de droit international privé issues de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017. Si la loi nouvelle est d'application immédiate, elle ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif. Ce principe de non-rétroactivité de la loi s'applique aux règles de conflits de lois. Lorsque la situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application de la loi dans le temps se pose en termes de rétroactivité alors que lorsqu'elle est en cours de constitution, en cours d'extinction ou en cours d'effets, la question est celle de l'application immédiate de la loi nouvelle. En l'espèce, la situation juridique créée par le mariage en 1970, dont le régime matrimonial est l'une des conséquences, est éteinte puisque le mariage a été dissous par le décès de l'époux en 1984. Ainsi, appliquer les dispositions du Code de droit international privé reviendrait à faire rétroagir de plusieurs décennies la loi nouvelle et à faire abstraction du principe de sécurité juridique posé par la non-rétroactivité des lois. En conséquence, la règle de conflit permettant la détermination d'un régime matrimonial est la règle de conflit applicable au jour du mariage. En l'espèce, les époux n'ayant pas fait de choix express, il convient de se référer à la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur du Code précité pour déterminer la loi applicable qui prenait en considération un faisceau d'indices comme la nationalité, le lieu de célébration, le lieu de naissance des enfants ou encore le premier domicile matrimonial. En outre, le droit monégasque posait le principe de la permanence du rattachement à la loi du régime matrimonial. En l'espèce, eu égard à la nationalité britannique des époux, au lieu de célébration du mariage, le Royaume-Uni où ils ont établi leur premier domicile commun et où l'un des enfants du couple est né, il convient d'appliquer la loi anglaise au régime matrimonial. Le droit anglais ne connaissant pas le concept de régime matrimonial, le mariage n'emporte pas de conséquence sur le patrimoine des époux qui sont donc considérés donc comme séparés de biens.
S'agissant de la loi applicable à la succession, le demandeur sollicite vainement l'application du Code de droit international privé. En effet, la dévolution successorale, et donc la qualité d'héritier, procède directement et immédiatement de la mort. Cette situation juridique est définitivement constituée et, pour éviter toute rétroactivité source d'insécurité juridique, c'est au jour du décès que l'on doit se placer pour mettre en œuvre la règle de conflit en matière successorale et déterminer la loi applicable à la succession, en l'espèce le 20 mars 1984. Il convient donc d'écarter l'application de la loi du 28 juin 2017 et se référer à la jurisprudence antérieure qui prévoyait un morcellement de la succession. La succession est alors scindée en deux grandes masses. S'agissant des meubles, où qu'ils soient situés, la succession est régie par la loi nationale du défunt, en l'occurrence le droit anglais qui désigne la loi du dernier domicile du défunt, celui dans lequel il avait l'intention de s'établir de manière permanent et sans esprit de retour, en l'espèce la Principauté de Monaco. La masse mobilière de la succession sera donc régie par le droit monégasque. S'agissant des immeubles, ils sont soumis à la loi de leur situation. Il y a donc autant de masses immobilières soumises à des lois différentes qu'il y a d'immeubles situés en des lieux distincts.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2014/000541 (assignation du 20 mars 2014)
JUGEMENT DU 14 NOVEMBRE 2019
En la cause de :
d. B. administrateur de société, né à Rome (Italie), le 17 avril 1968, de nationalité britannique, domicilié X1à Monaco ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
m-c. b. B. veuve B. de nationalité britannique, sans profession, demeurant X1à Monaco ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
m. a. B. épouse M-P. de nationalité britannique, sans profession, demeurant X2 Belgique ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 20 mars 2014, enregistré (n° 2014/000541) ;
Vu le jugement avant-dire-droit au fond rendu par ce Tribunal en date du 1er mars 2018 ayant notamment ordonné la réouverture des débats et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 17 mai 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de d. B. en date du 7 juin 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de m-c. B. veuve B. en date du 12 juillet 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de m. B. épouse M-P. en date du 5 décembre 2018 ;
À l'audience publique du 9 mai 2019, les conseils des parties ont déposé leur dossier et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 11 juillet 2019 et prorogé au 14 novembre 2019, les parties en ayant été avisées ;
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
m. a. B. est décédé à Paris le 20 mars 1984, en l'état d'un testament olographe, du 2 septembre 1983, rédigé en langue anglaise -loi nationale du défunt-, aux termes duquel, il a déclaré léguer tous ses biens à parts égales à ses enfants m. et d. « à condition que [son] épouse m-c. ait le maximum de ce à quoi elle peut avoir droit selon la loi ».
m. B. avait un fils adoptif, majeur au moment du décès. Aux termes d'un acte du 7 juillet 1984, a. BE. B. a cédé « tous ses droits dans la succession de feu m a. B. à Madame m-c. veuve dudit m a. B. » contre le paiement d'une somme forfaitaire de 5,5 millions de francs payable en trois fois suivant des conditions détaillées dans ladite convention ayant « le caractère d'une transaction au sens de l'article 1883 du code civil monégasque ».
Au moment de son décès, m. a. B. était domicilié en Principauté de Monaco. Sa succession a été ouverte en l'étude de Maître Louis-Constant CROVETTO, notaire à Monaco. Ses enfants, m. a. et d. étant mineurs, ont été placés sous l'administration légale de leur mère sous le contrôle du Juge tutélaire.
Aux termes d'une Ordonnance rendue le 19 octobre 1984, m-c. B. veuve B. a été autorisée par le Juge tutélaire, à accepter purement et simplement, pour le compte de ses enfants mineurs, la succession de leur père.
Suivant Ordonnance du Juge tutélaire en date du 10 janvier 1985, cette dernière a été autorisée à faire procéder au partage amiable des biens dépendants de la succession de m. a. B. Pour ce faire, Maître Louis-Constant CROVETTO, Notaire, a été désigné « pour procéder auxdites opérations et dresser un état liquidatif qui sera soumis à l'homologation du Tribunal de Première Instance ».
Maître Louis-Constant CROVETTO, alors notaire, a établi le 4 février 1985 un acte de liquidation-partage des biens dépendant de la succession de feu m. a. B. en présence de m-c. B. (moitié des biens) et de Casimir JURASZYNSKI, ès-qualités d'administrateur des enfants mineurs, d. et m. a. B. (1/4 des biens chacun), ledit acte ayant été homologué par le Tribunal de première instance, statuant en chambre du conseil, selon jugement du 18 avril 1985, au regard de l'attribution équitable des lots aux mineurs.
La succession de m. a. B. a fait l'objet, depuis lors, de nombreux contentieux à Monaco et à l'étranger en raison, notamment, de la mésentente entre les héritiers.
Par exploit en date du 20 mars 2014, d. B. a fait assigner m-c. B. et m. B. épouse M-P. aux fins de voir :
ordonner la liquidation et le partage de l'indivision successorale,
constater que l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985 n'a pas été exécuté à son égard, si bien qu'il n'a pas perçu la part lui revenant,
constater que l'actif successoral retenu dans l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985 est incomplet,
constater que m-c. B. a acquis les droits successoraux d a. BE. B. suivant acte du 7 juillet 1984 pour le compte d'elle-même et de ses enfants mineurs, au moyen de fonds provenant de la succession,
constater que l'acte sous seing privé du 22 novembre 2002 entre les héritiers fixe la clé de répartition du partage à un tiers chacun,
dire et juger que l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985 doit être exécuté suivant les conditions prévues par la convention du 22 novembre 2002,
dire et juger que m-c. B. devra rapporter à la succession le trop-perçu par elle sur la liquidation d'ores et déjà intervenue,
dire et juger que devra être établi un état liquidation complémentaire à celui de l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985,
dire et juger que les biens indivis mentionnés dans l'état liquidatif complémentaire seront rapportés à la succession et partagés suivant les conditions prévues par la convention du 22 novembre 2002, soit un tiers pour chacun des trois héritiers,
constater que m-c. B. a volontairement dissimulé de très nombreux actifs successoraux, avec l'intention de rompre l'égalité entre les héritiers,
dire et juger que m-c. B. a commis le délit de recel successoral sur :
des actifs successoraux n'apparaissant pas dans l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985 (à l'exception de ceux qui ont été partagés : Domaine de la Boissière, Domaine de Beaumont, appartement de New-York),
des actifs mentionnés dans l'acte de liquidation-partage du 4 février 1985 ou de leurs fruits et revenus (à l'exception de ceux qui ont été partagés ; appartement de l'avenue Henri Martin à Paris, sauf quelques lots, et un des appartements de l'immeuble le Mirabeau à Monaco),
dire et juger que m-c. B. est privée de ses droits sur les biens recelés qui devront être rapportés à la succession,
dire et juger que ses créances portent intérêts au taux légal et que ces intérêts seront capitalisés suivant les dispositions de l'article 2009 du code civil,
désigner tel expert qu'il appartiendra aux fins notamment de déterminer la composition de la masse indivise en tenant compte des rapports et récompenses ou autres droits dus, d'établir la liste des biens et valeurs vendus sans que le prix ait été partagé ainsi que l'emploi du prix de vente de ces biens, la liste des biens et valeurs ayant fait l'objet de donations devant être rapportées, de donner son avis sur la composition possible des lots, de dire si un partage est possible et de proposer en tant que de besoin une évaluation chiffrée ou par équivalent de la part des chacun des indivisaires,
désigner tel notaire qu'il plaira pour procéder aux opérations de compte, rapports, formations de masse, prélèvements, compositions des lots et fournissements, et tel juge qu'il plaira pour suivre les opérations et faire rapport en cas de contestations,
constater que m-c. B. a commis des fautes dans l'exécution de ses mandats d'administratrice légale et d'administratrice de l'indivision successorale,
condamner cette dernière au paiement des dommages et intérêts dont le montant sera fixé aux termes des opérations d'expertise en réparation de ses préjudices matériel et moral subis de ce fait.
Les parties ont déposé des écritures dont les moyens ont été amplement exposés dans un jugement avant avant-dire-droit au fond du Tribunal de première instance en date du 1er mars 2018. Ce jugement a déclaré recevable la demande de liquidation partage de d. B. et ordonné la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent contradictoirement :
« sur la loi applicable au régime matrimonial des époux B. en application des articles 36 à 39 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, en précisant notamment si ces derniers ont fait le choix du droit applicable, en produisant le contenu de la loi étrangère éventuellement applicable, et en apportant toutes les explications complémentaires sur le régime légal anglais de la séparation des biens ainsi que tous éléments juridiques précis concernant les biens propres, les biens éventuellement indivis (conditions de l'indivision) et le sort des donations entre époux du vivant de l'un d'eux, à la lumière de « l'inventaire manuscrit » versé aux débats sous le numéro 69 par m-c B.
sur la loi applicable à la succession de feu m. B. en application des articles 56 à 58, 63 et 64 de la loi n°1.448 du 28 juin 2017,
d. B. désigne plus précisément les biens qui doivent donner lieu à la sanction du recel successoral,
m-c. B. précise si elle reconnaît les recels successoraux qui lui sont imputés par son fils ainsi que les fautes civiles invoquées ; ».
À la suite de ce jugement, d. B. a notamment conclu, aux termes de ses écritures du 7 juin 2018 à :
- l'application de la loi anglaise au « régime matrimonial » des époux B.
- l'application des dispositions du Code de droit international privé monégasque, entré en vigueur le 28 juin 2017 à la succession de m. a. B. le 20 mars 1984.
m-c. B. veuve B. a également déposé des conclusions en date du 12 juillet 2018. Elle demande au Tribunal de :
constater qu'à aucun moment m-c. B. veuve B. ne s'est rendue coupable de recel successoral à défaut d'élément intentionnel ;
constater qu'elle était clans un état de grande faiblesse dont sa fille a profité pour tenter de s'accaparer toute la succession pour elle seule ;
s'entendre donner acte à la concluante qu'elle se désiste de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;
s'entendre donner acte qu'elle acquiesce aux demandes de d. B.;
s'entendre donner acte qu'elle a acquiescé à l'analyse de son fils d B. quant à la loi applicable au régime matrimonial des époux B. et à la succession de feu m. a. B.;
Par conclusions en date du 5 décembre 2018, m. B. épouse M-P. sollicite du Tribunal de :
Sur la loi applicable au régime matrimonial
Dire et juger que lorsque la situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application de la loi dans le temps se pose en termes de rétroactivité.
Dire et juger en conséquence que la loi applicable au régime matrimonial des époux B. est déterminée par les règles de conflit en vigueur lors du mariage, c'est-à-dire au 6 novembre 1970.
Dire et juger que les dispositions du Code de droit international privé issu de la loi n°1.448 du 28 juin 2017 ne constituent pas les règles de conflit applicables à la détermination du régime matrimonial des époux B.
En conséquence,
Dire et juger que la loi applicable au régime matrimonial est la loi anglaise.
Dire et juger que le régime matrimonial des époux B. correspondait à une séparation de biens.
Sur la loi applicable à la succession
Dire et juger que lorsque la situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application de la loi dans le temps se pose en termes de rétroactivité.
Dire et juger que la loi applicable à la succession de m. a. B. est déterminée par les règles de conflit en vigueur lors de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire au 20 mars 1984.
Dire et juger que les dispositions du Code de droit international privé issu de la loi n°1.448 du 28 juin 2017 ne constituent pas les règles de conflit applicables à la détermination de la loi applicable à la succession de m. a. B. dès lors que l'ouverture de la succession est antérieure de plus de trente ans à l'entrée en vigueur de cette loi.
En conséquence,
Pour les biens meubles :
Dire et juger que la loi applicable à la succession mobilière de m. a. B. est la loi nationale du de cujus, c'est-à-dire la loi anglaise, laquelle renvoie à la loi du dernier domicile du défunt, qui était la loi monégasque.
Pour les biens immeubles :
Dire et juger que les immeubles faisant partie de la succession de m. a. B. sont chacun régis par la loi du lieu de leur situation.
Sur la reconnaissance de dette de m-c. B. veuve B. au profit de d. B.
Constater que m-c. B. veuve B. reconnaît être débitrice à l'égard de d. B. de la somme de 4.458.624 euros au titre de l'actif successoral devant lui revenir eu égard à l'acte en liquidation-partage établi par Me CROVETTO le 4 février 1985, qu'elle ne lui aurait jamais versée ;
Faire injonction à m-c. B. veuve B. de rapporter la preuve de ce qu'elle a versé à m. B. épouse M-P. une somme égale à 4.458.624 euros correspondant â la part de l'actif successoral devant revenir à sa fille ;
Condamner m-c. B. veuve B. dans l'hypothèse où elle ne rapporterait pas la preuve de ce versement, à payer à m. B. épouse M-P. la part de l'actif successoral devant lui revenir en vertu de l'acte de liquidation-partage établi par Maître Louis-Constant CROVETTO le 4 février 1985, soit la somme de 4.458.624 euros.
Sur le recel successoral
Dire et juger qu'en tout état de cause, m. B. épouse M-P. n'a pas commis de recel successoral dans la succession de m. a. B.;
À titre principal,
Donner acte à m. B. épouse M-P. de ce qu'elle s'en rapporte à l'appréciation du Tribunal quant à la commission par m-c. B. veuve B. d'un éventuel recel successoral de la succession de m. a. B.;
À titre subsidiaire,
Si le Tribunal venait à considérer que Madame m-c. B. veuve B. a commis le délit de recel successoral dans la succession de son époux m. a. B.
Statuer sur la part des biens recelés devant revenir à m. B. épouse M-P.;
En tout état de cause,
Débouter d. B. de toutes ses demandes, fins et conclusions.
SUR CE
Sur l'application dans le temps des lois relatives aux régimes matrimoniaux et aux successions
À titre liminaire, il convient de rappeler que le décès d'un conjoint met fin à son régime matrimonial et ouvre sa succession, ce qui oblige à deux liquidations successives :
la première porte sur le régime matrimonial des époux. Elle permet de déterminer les droits du conjoint survivant au titre de ce régime matrimonial, en tenant compte, s'il en existe, des avantages matrimoniaux et les droits du défunt,
la seconde concerne la succession proprement dite. Elle prend en compte le patrimoine du défunt, déterminé après la liquidation de son régime matrimonial. La liquidation de la succession déterminera les droits des héritiers, dont le conjoint survivant fait partie.
En droit international privé comme en droit interne, le droit des régimes matrimoniaux et le droit des successions constituent deux catégories bien distinctes auxquelles sont attachées des règles de conflit propre.
Sur la loi applicable au régime matrimonial
En l'absence de disposition transitoire dans la loi n°1.448 du 28 juin 2017, il faut s'interroger sur l'application aux instances en cours et, notamment, aux règles de conflit de lois permettant de déterminer la loi applicable au régime matrimonial des époux des dispositions du nouveau Code de droit international privé.
Force est de constater que les parties sont d'accord sur l'application de la loi anglaise, un accord qui, a priori, s'impose au juge monégasque, puisque les règles de conflits sont considérées en droit monégasque comme facultatives.
Cependant si les parties s'accordent pour retenir la loi anglaise, elles adoptent un raisonnement juridique bien différent :
pour d. B. et m-c. B. veuve B. il convient d'appliquer la loi du 28 juin 2017 en son article 38 en prenant acte que les époux n'ont pas expressément désigné la loi applicable à leur régime matrimonial,
pour m. B. épouse M-P. la loi nouvelle doit être écartée car le principe de non rétroactivité de la loi s'applique aux conflits de lois dans le temps.
En effet, à défaut de disposition transitoire quant à son application, la loi nouvelle est d'application immédiate. Cependant, l'article 2 du Code civil dispose : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». Le principe de non-rétroactivité de la loi s'applique effectivement aux règles de conflits de lois.
Lorsque la situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application de la loi dans le temps se pose en termes de rétroactivité. Lorsqu'elle est en cours de constitution, en cours d'extinction ou en cours d'effets, la question est celle de l'application immédiate de la loi nouvelle.
En l'espèce, la situation juridique créée par le mariage dont le régime matrimonial est l'une des conséquences est éteinte puisque le mariage est dissous par le décès de m. a. B. Appliquer les dispositions du Code de droit international privé, entré en vigueur le 8 juillet 2017, à une situation constituée par le mariage en 1970, dont la dissolution a eu lieu en 1984, reviendrait à faire rétroagir de plusieurs décennies la loi nouvelle et à faire abstraction du principe de sécurité juridique posé par la non rétroactivité des lois.
Ainsi, la règle de conflit permettant la détermination d'un régime matrimonial est la règle de conflit applicable au jour du mariage Les époux n'ayant pas fait de choix express, il convient donc de se référer à la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur du Code de droit international privé monégasque pour déterminer la loi applicable.
La jurisprudence monégasque ne privilégiait aucun critère mais se déterminait grâce à un faisceau d'indices comme la nationalité, le lieu de célébration, le lieu de naissance des enfants ou encore le premier domicile matrimonial. Il faut également noter que le droit monégasque posait le principe de la permanence du rattachement à la loi du régime matrimonial.
En l'espèce, les deux époux étaient de nationalité britannique. La célébration de leur mariage a eu lieu au Royaume-Uni où ils ont établi leur premier domicile commun. L'un des deux enfants issus de leur union est né au Royaume Uni.
La loi applicable à la liquidation du régime matrimonial des époux B. est donc la loi anglaise. Le droit anglais ne connaît pas le concept de régime matrimonial car le mariage n'emporte pas de conséquence sur le patrimoine des époux. Les époux sont considérés comme séparés de biens.
L'article 37 de la Law of Property Act de 1925 dispose :
« Mari et femme seront, dans le cadre de l'acquisition d'un quelconque droit sur un bien traités comme deux personnes distinctes ».
De même les donations ne seront pas rapportables dès lors que le droit anglais ne connaît pas la réserve héréditaire.
Sur la loi applicable à la succession
Le jugement avant-dire-droit du 1er mars 2018 a également invité les parties à s'expliquer sur : « la loi applicable à la succession de feu m. B. en application des articles 56 à 58, 63 et 64 de la loi précitée ».
d. B. et m-c. B. veuve B. souhaitent faire application des articles 56, 57, 58 de ladite loi :
m. B. était domicilié en Principauté de Monaco depuis de nombreuses années où il était titulaire d'une carte de résident privilégié. N'ayant pas fait le choix de soumettre sa succession au droit anglais alors qu'il est de nationalité britannique, la succession est, selon eux, régie par le droit de l'État sur le territoire duquel le défunt était domicilié au moment de son décès, en l'espèce le droit monégasque. Les dispositions testamentaires prises par m. B. sont parfaitement valables quant à la forme au sens de l'article 58 de la loi relative au droit international privé et doivent en conséquence régler la succession de leur auteur
m. B. épouse M-P. quant à elle adopte le même raisonnement juridique que précédemment exposé. Elle considère notamment que lorsqu'une situation juridique est déjà constituée ou déjà éteinte, l'application de la loi dans le temps se pose en termes de rétroactivité.
En l'espèce, la dévolution successorale, et donc la qualité d'héritier, procède directement et immédiatement de la mort « le mort saisit le vif ». Cette situation juridique est définitivement constituée et pour éviter toute rétroactivité, source d'insécurité juridique, c'est au jour du décès que l'on doit se placer pour mettre en œuvre la règle de conflit en matière successorale et déterminer la loi applicable à la succession.
Il convient donc d'écarter l'application de la loi n'.1448 du 28 juin 2017 et se référer à la jurisprudence antérieure qui prévoyait un morcellement de la succession.
La succession est alors scindée en deux grandes masses :
S'agissant des meubles, où qu'ils soient situés, la succession du de cujus est régie par la loi nationale du de cujus, en l'occurrence le droit anglais puisque m. a. B. était de nationalité britannique. Le droit anglais, quant à lui, désigne, pour la masse mobilière, la loi du dernier domicile du défunt. Celui-ci s'entend du « domicile of choice », lequel suppose l'intention de s'établir de manière permanente et sans esprit de retour (animas non revertendi). En l'espèce, il n'est pas contesté que m. a. B. ait élu son « domicile of choice » en Principauté de Monaco.
En conséquence, la masse mobilière de la succession de m. a. B. est régie par le droit monégasque par renvoi du droit international privé anglais désigné par la règle de conflit monégasque .
S'agissant des immeubles, se référant à l'alinéa 2 de l'article 3 du Code civil monégasque, les immeubles, où qu'ils se trouvent, sont soumis à la loi du lieu de leur situation. Il y a donc autant de masses immobilières soumises à des lois différentes qu'il y a d'immeubles situés en des lieux distincts.
S'agissant du testament, il appartient à la loi successorale d'en préciser la validité au fond, d'en guider l'interprétation et d'en préciser la portée.
Dans son testament du 25 septembre 1983, révoquant toutes dispositions antérieures, m. a. B. précise : « Je lègue tous mes biens, de nature tant réelle que personnelle à parts égales, à mes enfants d a. et m a. à condition que mon épouse m-c. ait le maximum de ce à quoi elle peut avoir droit selon la loi. »
Ainsi, au regard de chacune des masses mobilière et immobilière en application des lois respectivement applicables à chacune elles, il faudra se référer à la quotité la plus large prévue par la loi applicable à chacune d'elles pour déterminer la quotité revenant à m-c. B. veuve B.
Sur les opérations de liquidation-partage
d. B. sollicite la liquidation partage de l'indivision successorale tout en demandant au Tribunal de constater que m-c. B. veuve B. « a volontairement dissimulé de très nombreux actifs successoraux, avec l'intention de rompre l'égalité entre les héritiers » et a ainsi commis le délit de recel successoral. Dans ses écritures, il fait un descriptif des biens concernés.
Aux termes de ces dernières conclusions, m-c. B. veuve B. s'est désistée de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles et a acquiescé à l'intégralité des demandes de son fils d. B. tout en contestant s'être rendue coupable de recel successoral en l'absence d'élément intentionnel.
Par ailleurs, une reconnaissance de dette établie par m-c. B. veuve B. le 27 septembre 2017 au profit de son fils d. B. est communiquée au Tribunal.
Aux termes de cette reconnaissance de dette, m-c. B. veuve B. indique :
« Je soussignée, Madame m-c. B. B. veuve B. née le 8 décembre 1938, de nationalité britannique, demeurant X31659 ROUGEMONT, SUISSE, reconnaît devoir à mon fils, Monsieur d. B. né le 17 avril 1968, concernant la liquidation partage de la succession de feu m. B. ouverte à Monaco la somme de 4.458.624 euros (quatre millions quatre cent cinquante-huit mille six cent vingt-quatre euros). Cette somme correspond à un tiers de l'actif successoral selon l'acte de liquidation partage de Maître Crovetto que je n'ai jamais versé à mon fils, mineur au moment de l'ouverture de la succession et à un tiers du prix de vente des biens meubles de l'indivision que j'ai vendus » .
m. B. épouse M-P. sollicite afin de faire respecter l'égalité entre les enfants dans la liquidation-partage de la succession de m. a. B. que m-c. B. veuve B. rapporte la preuve qu'elle ait effectivement versé à sa fille a. M. P. une somme égale à celle qu'elle indique devoir à ce jour à son fils d. B. à savoir 4.458.624 euros.
En tout état de cause, le Tribunal ne peut que constater que la succession de m. a. B. ouverte depuis 35 ans a fait l'objet de nombreuses procédures entre les héritiers à Monaco et à l'étranger. Pendant cette longue période, l'important patrimoine mobilier et immobilier a nécessairement évolué dans un cadre juridique non encore définitif et dans un contexte très conflictuel.
À ce stade, en l'absence de liquidation tant du régime matrimonial que de la succession, en l'absence d'actif et de passif clairement établis, il apparaît prématuré de se prononcer sur l'existence d'un recel successoral ou d'entériner purement et simplement une reconnaissance de dettes.
Afin d'éviter toute confusion et d'éclairer parfaitement le Tribunal lorsqu'il statuera au fond, il apparait nécessaire de déterminer la composition de la masse successorale de la succession de m. a. B. et ce par un professionnel qualifié, en la personne de Jean-Luc GUITERA, qui pourra s'adjoindre le sapiteur de son choix en fonction des nécessités de l'expertise.
Il sera donc ordonné une expertise financière, avec la mission décrite au dispositif, aux frais avancés par d. B. en sa qualité de demandeur à cette mesure d'investigation.
Les parties sont déboutées du surplus de leurs demandes jugées, en l'état, prématurées.
Les dépens sont réservés.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement et par jugement avant-dire-droit au fond,
Sur la loi applicable au régime matrimonial
Dit que la loi applicable au régime matrimonial des époux B. est déterminée par les règles de conflit en vigueur lors du mariage, c'est-à-dire au 6 novembre 1970 et écarte par conséquent les dispositions du Code de droit international privé issu de la loi n°1.448 du 28 juin 2017.
Dit que la loi applicable au régime matrimonial est la loi anglaise, le régime matrimonial des époux B. correspondant à une séparation de biens.
Sur la loi applicable à la succession
Dit que la loi applicable à la succession de m. a. B. est déterminée par les règles de conflit en vigueur lors de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire au 20 mars 1984 et écarte les dispositions du Code de droit international privé issu de la loi n°1.448 du 28 juin 2017.
En conséquence,
Pour les biens meubles :
Dit que la loi applicable à la succession mobilière de m. a. B. est la loi nationale du de cujus, c'est-à-dire la loi anglaise, laquelle renvoie à la loi du dernier domicile du défunt soit la loi monégasque.
Pour les biens immeubles :
Dit que les immeubles faisant partie de la succession de m. a. B. sont chacun régis par la loi du lieu de leur situation.
Sur les opérations de liquidation partage
Avant-dire-droit,
Ordonne une expertise financière confiée à Jean-Luc GUITERA (KPMG France), demeurant Tour EQHO, 2 avenue Gambetta, CS 600 55, 92066 PARIS LA DEFENSE CEDEX, lequel, serment préalablement prêté par écrit aux formes de droit, aura pour mission :
- d'entendre les parties contradictoirement en leurs explications,
- de consulter tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et se faire communiquer tout document permettant de déterminer le patrimoine mobilier et immobilier de la succession de m. a. B.
- procéder à une analyse complète de ce patrimoine et, notamment :
dresser un inventaire complet des biens propres des époux B. avec leur évaluation dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial y inclure les éventuelles donations entre époux,
dans le cadre de la liquidation de la succession, relater les prétentions de chaque partie au partage,
indiquer avec précision le nom et les qualités des parties au partage, en recherchant pour chacune la quote-part à lui revenir dans les biens indivis,
concernant les biens propres de m. a. B. dresser un inventaire complet notamment des sociétés ou toutes structures juridiques dans lesquelles il détenait des parts sociales ou actions ou il en était le bénéficiaire économique, en chiffrer la valeur et dresser également un inventaire du patrimoine immobilier et des œuvres d'art éventuelles,
établir la liste des biens et/ou la valeur des biens ayant fait l'objet de donation devant être rapportés à la succession,
donner son avis sur la formation et la composition possible des lots en nature, en tenant compte des droits de chacun,
dire si à son avis, un partage en nature est possible,
en tant que de besoin proposer une évaluation chiffrée ou par équivalent de la part respective de chacun des indivisaires.
Dit que l'expert ainsi désigné, pourra, dans l'accomplissement de sa mission, se faire remettre tous documents bancaires, comptables ou fiscaux et tous autres documents dont il estimera la production nécessaire, en intervenant directement tant auprès des parties qu'auprès des tiers sans que ces derniers puissent invoquer le bénéfice du secret professionnel ;
Autorise 1'expert ainsi désigné à rechercher les informations nécessaires à l'inventaire des revenus et du patrimoine de toute nature de feu m. a. B. et/ou toute structure (dont il est bénéficiaire économique) constituée dans quelque pays que ce soit, et au besoin, par l'intermédiaire d'une commission rogatoire internationale ;
Dit que l'expert ainsi désigné pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix dont le concours sera nécessaire pour l'accomplissement de sa mission ;
Impartit à l'expert ainsi désigné un délai de HUIT jours pour l'acceptation ou le refus de sa mission, ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le greffe ;
Dit qu'en cas d'acceptation de sa mission, le même expert déposera au Greffe Général un rapport écrit de ses opérations dans les SIX MOIS du jour où il les aura débutées, à défaut d'avoir pu concilier les parties, ce qu'il lui appartiendra de tenter dans toute la mesure du possible ;
Dit que l'expert devra, avant de remettre son rapport définitif, déposer un pré-rapport qui pourra recevoir des parties toutes observations utiles ;
Dit que les frais d'expertise seront avancés par d. B. qui sera tenu de verser à l'expert une provision à valoir sur les frais et honoraires de l'expertise ;
Charge Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, du contrôle des opérations d'expertise ;
Dit qu'en cas d'empêchement du magistrat ou l'expert désigné, il sera procédé à leur remplacement par ordonnance ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Rappelle que la présente décision est exécutoire par provision ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 14 NOVEMBRE 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.