Tribunal de première instance, 27 juin 2019, La SA A c/ e. M.

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Abstract🔗

Exequatur - Convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire - Demande de validation d'une saisie-arrêt - Sursis à statuer dans l'attente de la décision sur l'exequatur

Résumé🔗

Une décision judiciaire française dont l'exequatur à Monaco n'apparaît pas avoir été obtenu, ni même sollicité en vertu des dispositions de la Convention de Paris du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire franco-monégasque, ne peut, faute de revêtir à Monaco le caractère exécutoire, servir de support au stade de la validation de la saisie-arrêt prévue par l'article 491 du Code de procédure civile. Il convient donc d'ordonner un sursis à statuer en attendant qu'il soit statué sur l'exequatur de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence condamnant la caution à paiement.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000079 (assignation du 10 septembre 2015)

JUGEMENT DU 27 JUIN 2019

En la cause de :

  • La société A anciennement dénommée la société C, dont le siège social se trouve X1, 29480 Le Relecq Kerhuon, venant aux droits et obligations de la société B, suite à la fusion absorption, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Martial VIRY, avocat au barreau d'Aix en Provence ;

d'une part ;

Contre :

  • e. M. né le 9 octobre 1962 à Halle (Belgique), de nationalité belge, demeurant X2 à Monaco (98000) ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Pascal KLEIN, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 10 septembre 2015, enregistré (n° 2016/000079) ;

Vu le jugement avant-dire-droit en date 15 décembre 2016 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 26 janvier 2017 ;

Vu le jugement avant-dire-droit en date 26 octobre 2017 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 6 juin 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom d e. M. en date du 6 février 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SA A, en date des 11 janvier 2019 (et non 11 janvier 2019) et 29 mars 2019 ;

À l'audience publique du 25 avril 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 27 juin 2019 ;

FAIT ET PROCÉDURE

Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 11 avril 2011, modifié par avenant du 13 avril 2011, la SA A, anciennement dénommée la société C, a consenti à la SARL D, représentée pour la signature par e. M. un prêt d'un montant en principal de 3.425.000 euros remboursable en 84 échéances variables au taux contractuel de 2,75 % l'an variable EURIBOR 3 mois + marge 1,5 % ;

Un autre prêt du même montant a été consenti à la SARL D par la société E ;

Selon actes séparés sous-seing privé du 11 avril 2011, e. M. s'est porté caution personnelle et solidaire de la SARL D en garantie des prêts au profit, tant de la société E que de la SA A, dans la limite respectivement de 3.425.000 euros et de 4.110.000 euros ;

Suivant acte sous seing-privé du 12 avril 2011, la SARL D, représentée par e. M. agissant en qualité d'administrateur délégué dûment habilité, s'est portée acquéreur du fonds de commerce exploité par la société F moyennant la somme de 6.700.000 euros financée au moyen des deux prêts bancaires de 3.350.000 euros chacun consentis par la société E et la SA A ;

Cette cession s'inscrivait dans une opération d'ensemble dans le cadre de laquelle le groupe G, vendeur du fonds et propriétaire de l'immobilier, devait consentir pour les locaux dans lesquels le fonds est exploité, trois baux complémentaires pour un montant annuel total de loyers de 1.372.529 euros outre charges ;

Par jugement en date du 2 mai 2013, le Tribunal de Commerce de Nice a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL D, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 12 mai 2014, Maître s. BI. ayant été désignée en qualité de liquidateur ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 juin 2013, la SA A a déclaré régulièrement ses créances entre les mains de Maître BI., mandataire judiciaire, au titre du prêt, à hauteur de la somme de 117.279,39 euros à titre échu, et à hauteur de 2.513.953,60 euros à échoir, outre intérêts ;

Par courrier du 17 juillet 2013, la société E a déclaré entre les mains de Maître BI. ès-qualités au titre du contrat de prêt du 12 avril 2011, une créance de 2.685.487,86 euros, laquelle sera admise par ordonnance du juge commissaire du 18 juin 2014 pour 2.557.607,49 euros ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 juin 2014, suite au prononcé de la liquidation judiciaire de la SARL D, la SA A a actualisé ses créances et a déclaré auprès de Maître BI. la somme de 2.692.763,57 euros, outre intérêts, au titre du prêt ;

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juin 2014, la SA A a adressé à e. M. une mise en demeure d'exécuter son engagement de caution solidaire laquelle est demeurée infructueuse, alors que sa créance s'élevait, au titre du prêt, à la somme en principal de 2.692.763,57 euros, outre intérêts ;

Suivant assignation en date du 4 août 2014, la SA A a saisi le Tribunal de Commerce de Nice afin d'obtenir la condamnation d e. M. au paiement de la somme de 2.692.763,57 euros au titre de son engagement de caution souscrit en garantie du contrat de prêt contracté par la SARL D ;

En cours de procédure, il est apparu qu'e. M. résident monégasque, était titulaire d'un compte bancaire auprès de la société dénommé H ;

Par requête du 2 septembre 2015, la SA A a sollicité l'autorisation du Président du Tribunal de Première Instance de procéder à une saisie-arrêt sur ledit compte bancaire à concurrence de 2.692.763,57 euros ;

Suivant ordonnance du 4 septembre 2015, il a été fait droit à cette demande.

Par l'exploit du 10 septembre 2015, la SA A a formé la saisie-arrêt ainsi autorisée auprès de l'établissement bancaire, lequel a déclaré détenir pour le compte de e. M. la somme de 34.120,92 euros ;

Par le même acte, la SA A a fait assigner l'intéressé, devant le Tribunal de Première Instance, en validité de la saisie-arrêt et en condamnation au paiement du montant de la somme de 2.692.763,57 euros, outre la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive au paiement ;

Dans le cadre de ses premières écritures en réplique du 11 novembre 2015, e. M. a soulevé in limine litis l'incompétence territoriale du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco au profit du Tribunal de Commerce de Nice ;

Par jugement en date du 15 décembre 2016, la présente juridiction, avant-dire-droit au fond :

  • S'est déclarée compétente pour connaître du présent litige opposant la SA A à e. M.

  • A débouté en conséquence e. M. de son exception d'incompétence ;

Dans sa décision, le Tribunal de Première Instance a essentiellement retenu les motifs suivants :

  • en vertu des articles 1er et 2 du Code de Procédure Civile, la SA A a saisi le Tribunal de Première Instance de Monaco, dès lors qu'e. M. est résident monégasque et que le compte bancaire saisi est ouvert dans un établissement bancaire à MONACO,

  • l'instance tendant notamment à obtenir la validation d'une saisie-arrêt pratiquée à Monaco, seul le Juge monégasque a compétence pour ordonner et valider une saisie-arrêt pratiquée sur un compte bancaire monégasque,

  • l'exception de litispendance n'étant pas admise en droit monégasque dans les rapports internationaux, les juridictions monégasques saisies en second lieu d'une action ne peuvent se dessaisir au profit d'une juridiction étrangère ou se déclarer incompétentes, à seule fin d'éviter un éventuel conflit de décisions ;

Par jugement en date du 30 mars 2017, le Tribunal de Commerce de Nice a :

  • rejeté l'ensemble des prétentions de e. M.

  • condamné e. M. à payer à la SA A la somme de 2.692.763,57 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 2,75 % l'an variable sur la barre de l'index EURIBOR + 3 point à compter du 12 mai 2014 en exécution de son engagement solidaire,

  • dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ni à capitalisation des intérêts ;

Suivant déclaration enregistrée le 2 mai 2017, e. M. a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE ;

Suivant jugement du 26 octobre 2017, la présente juridiction a :

  • ordonné un sursis à statuer jusqu'à ce que les juridictions françaises aient définitivement statué sur la demande en paiement introduite par la SA A à l'encontre d e. M. au titre de l'engagement de caution souscrit en garantie du contrat de prêt contracté par la SARL D ;

  • renvoyé l'affaire à une audience d'appel des causes ultérieure ;

Dans sa décision, le Tribunal de Première Instance a essentiellement retenu les motifs suivants :

  • l'existence d'une action pendante devant les juridictions françaises, introduite en premier lieu, opposant les mêmes parties et ayant le même objet ;

  • les dispositions de l'article 12 de la loi n° 1.448 relative au droit international privé, entrée en vigueur le 28 juin 2017, d'application immédiate aux instances en cours, permettant aux juridictions monégasques saisies en second lieu, dans ces circonstances, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé par le Tribunal étranger de sa décision ;

  • le souci de bonne administration de la justice ;

Par arrêt en date du 14 juin 2018, la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE a confirmé le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Nice le 30 mars 2017 ;

Suivant conclusions du 29 mars 2019, la SA A a réitéré ses demandes initiales et conclu au rejet des prétentions adverses ;

En défense suivant conclusions du 6 février 2019, e. M. :

  • soulève l'irrecevabilité de la demande adverse en condamnation au paiement de la somme de 2.692.763,57 euros, en l'état de l'arrêt du 14 juin 2018 constituant un titre exécutoire ;

  • demande le cantonnement de la saisie à la somme de 2.692.763,57 euros ;

  • conclut au débouté des prétentions adverses ;

MOTIFS

Le défendeur fait valoir que l'arrêt du 14 juin 2018 constitue un titre exécutoire au profit de la SA A à son encontre et ce au titre de son engagement de caution, de sorte que la demanderesse est irrecevable à solliciter une nouvelle condamnation à son encontre pour les mêmes causes ;

Il estime que les demandes adverses ne peuvent que tendre à constater l'existence du titre exécutoire et la validation de la saisie-arrêt ;

La SA A considère être recevable à maintenir l'intégralité de ses demandes, dans la mesure où d'une part, il n'y a pas autorité de la chose jugée d'une décision étrangère à l'égard d'une juridiction monégasque, et d'autre part, la présente instance est la suite procédurale de la saisie-arrêt autorisée le 4 septembre 2015 ;

Aux termes de l'article 12 du Code de droit international privé, lorsqu'une action ayant le même objet est pendante entre les mêmes parties devant un Tribunal étranger, le Tribunal monégasque saisi en second lieu peut surseoir à statuer jusqu'au prononcé de la décision étrangère ; il se dessaisit si la décision étrangère peut être reconnue à Monaco selon le présent Code ;

Une décision judiciaire française dont l'exequatur à Monaco n'apparaît pas avoir été obtenu, ni même sollicité en vertu des dispositions de la Convention de Paris du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire franco-monégasque, sans préjudice du fait qu'elle puisse être invoquée durant la phase initiale de la saisie-arrêt pratiquée, ne peut, faute de revêtir à Monaco le caractère exécutoire, servir de support au stade de la validation de la saisie-arrêt prévue par l' article 491 du Code de procédure civile (T. P. I. 21 avr. 1988, SAM I/c/ SAM J) ;

En l'espèce, il est constant que :

  • La SA A dispose, avec l'arrêt du 14 juin 2018 rendu par la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE, d'une décision irrévocable de condamnation en paiement prononcée à l'encontre de e. M. et portant sur la somme de 2.692.763,57 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 2,75 % l'an variable sur la base de l'index EURIBOR + 3 point à compter du 12 mai 2014 en exécution de son engagement solidaire, en l'état du certificat de non-pourvoi produit aux débats ;

  • Cette condamnation définitive prononcée par une juridiction étrangère a le même objet que la demande en condamnation en paiement, formée par la SA A à l'appui de sa demande en validation de la saisie-arrêt ;

  • Aucune des parties n'indique si l'exéquatur de l'arrêt du 14 juin 2018 a été obtenu ou sollicité ;

Au vu de ces éléments et des dispositions légales et jurisprudentielles précitées, il convient de relever que :

  • la présente juridiction ne pourrait se dessaisir que sur l'instance portant sur la condamnation en paiement au fond d e. M. en application de l'article 12 in fine du Code de droit international privé ;

  • Demeurerait alors pendante la seule question de la saisie-arrêt qui ne peut, en l'état, être validée faute d'exéquatur de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 juin 2018 ;

Dans ces circonstances et dans un souci manifeste de bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner un nouveau sursis à statuer, sur l'ensemble de l'instance, en attendant qu'il soit statué sur l'exéquatur du l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 juin 2018 et d'inviter la SA A à saisir, dans les meilleurs délais, les juridictions monégasques en ce sens ;

Dans l'attente, il convient de réserver les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire, avant-dire-droit au fond,

Sursoit à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'exéquatur à Monaco de l'arrêt du 14 juin 2018 rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence;

Invite la SA A, société anonyme de droit français, à saisir dans les meilleurs délais les juridictions monégasques en ce sens ;

Renvoie l'affaire en l'état à l'audience de l'appel des causes du MERCREDI 6 novembre 2019 à 9 heures ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Séverine LASCH, Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 27 JUIN 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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