Tribunal de première instance, 25 avril 2019, w. B. c/ La SAM A
Abstract🔗
Banques - Gestion de portefeuille - Nullité du contrat (non) - Responsabilité de la banque (non)
Résumé🔗
La convention de conseil en placements n'a pas lieu d'être annulée, dès lors que le vice du consentement de la cliente n'est pas démontré, qu'il s'agisse du dol ou de l'erreur. La cliente maîtrisait suffisamment la langue française pour comprendre les documents qu'elle a signés. La banque n'a pas davantage manqué à son obligation d'information.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2019/000057 (assignation du 21 août 2018)
JUGEMENT DU 25 AVRIL 2019
En la cause de :
w. B., née le 24 janvier 1949 à Vancouver (Canada), de nationalité canadienne, sans profession, demeurant X1 à Monaco ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La SAM A, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 21 août 2018, enregistré (n° 2019/000057) ;
Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, en date du 17 janvier 2018 (en réalité 17 janvier 2019) ;
À l'audience publique du 28 février 2019, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 25 avril 2019 ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Au cours de l'année 2013, w. B. s'est adressée à la SAM A à Monaco en vue de procéder à des investissements financiers. Dans ce contexte, elle a signé un document daté du 25 novembre 2013 intitulé « convention de conseil en placement ».
w. B. indique que lorsqu'elle a souhaité quitté la SAM A en 2017, elle s'est aperçue que la somme totale de 27.426,24 € lui avait été facturée au titre de cette convention de conseil depuis l'année 2013 alors qu'elle ne connaissait ni la portée, ni le mode de facturation de cet engagement. Elle précise que la somme de 3.584,65 € correspondant à la facturation émise pour l'année 2017 lui a été remboursée par l'établissement bancaire.
Ne parvenant pas à obtenir le remboursement de l'intégralité de la somme litigieuse, par acte d'huissier en date du 28 août 2018, w. B. a donné assignation à la SAM A devant le Tribunal de première instance de Monaco. Elle demande :
à titre principal, qu'il soit constaté que la SAM A a usé de manœuvres dolosives en vue de la conduire à signer cette convention de conseils en placements et en conséquence, que la convention soit annulée et l'établissement bancaire condamné au remboursement de la somme de 24.484 € correspondant aux sommes indûment facturées au titre de la convention et aux frais de traduction engagés,
à titre subsidiaire, qu'il soit constaté qu'elle a commis une erreur en signant la convention de conseils en placement et en conséquence, que la convention soit annulée et l'établissement bancaire condamné au remboursement de la somme de 24.484 € correspondant aux sommes indûment facturées au titre de la convention et aux frais de traduction engagés,
à titre infiniment subsidiaire, qu'il soit constaté que la SAM A a manqué à ses obligations légales d'information et en conséquence, que la convention soit annulée et l'établissement bancaire condamné au remboursement de la somme de 24.484 € à titre de dommages et intérêts,
la condamnation de la requise aux dépens.
Elle fait valoir que les manœuvres dolosives sont caractérisées par l'emploi délibéré d'une langue étrangère dans la rédaction de la convention, en l'espèce le français, alors que sa langue maternelle est l'anglais ; qu'elle a commis une erreur en signant cette convention alors qu'elle pensait qu'il ne s'agissait que d'un document nécessaire à l'ouverture des comptes dès lors qu'elle ne pouvait pas comprendre le sens de ce document ; concernant le manquement de l'établissement bancaire à ses obligations légales, elle fait valoir qu'elle n'a pas reçu les informations nécessaires pour que les conditions de cette convention puissent être utilement négociées.
Par conclusions en réponse déposées le 18 janvier 2019 et le 22 janvier 2019, la SAM A sollicite le débouté de w. B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions. A titre reconventionnel, elle demande sa condamnation au paiement de la somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre les dépens.
Pour soutenir sa défense, elle fait valoir qu'aucune manœuvre dolosive ne peut lui être reprochée compte tenu des conditions de signature des documents litigieux qui ont permis une analyse et une bonne compréhension des termes de la convention ; que w. B. maîtrise en outre suffisamment le français. Elle considère également qu'aucune erreur de Madame B. ne peut être retenue en l'espèce dès lors qu'elle avait pleine connaissance de la cause de la convention et qu'enfin, elle a disposé de toutes les informations nécessaires en vue de la signature de ce document.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'existence d'un dol :
Madame B. indique qu'elle a exercé toute sa vie le métier d'artiste et qu'elle a en conséquence des connaissances très limitées en matière d'investissements financiers et de placements ; selon elle, l'usage de la langue française dans la rédaction de la convention litigieuse relevait donc d'une stratégie afin qu'elle n'en comprenne pas les termes. Elle se prévaut du fait que les pièces produites justifient de ce qu'elle était plus à l'aise dans l'usage de sa langue maternelle s'agissant de documents bancaires. Elle considère ainsi que l'absence volontaire de clarté sur le plan linguistique des documents remis constitue une action dolosive. S'agissant du caractère déterminant de ces manœuvres, elle précise qu'elle n'aurait jamais signé cette convention si elle n'avait pas été induite en erreur.
L'établissement bancaire oppose que Madame B. a bénéficié d'un temps important pour prendre connaissance des documents et les signer ; qu'en effet, la documentation relative à cette convention lui a été communiquée le 26 novembre 2013 et que ladite convention n'a été remise signée que le 16 décembre 2013. Concernant l'usage de la langue française, elle rappelle qu'il s'agit de la langue officielle en Principauté de Monaco et qu'un établissement bancaire n'a aucune obligation d'user d'une autre langue dans ses rapports avec sa clientèle. En outre, elle soutient que de nombreux échanges ont eu lieu avec Madame B. en français et qu'en tout état de cause, il lui appartenait de ne pas signer si elle ne comprenait pas les termes du document. la SAM A souligne en outre le fait que la résiliation de cette convention n'est intervenue que 4 ans après sa conclusion alors que pendant ces années d'exécution, les relevés de compte faisant apparaître l'ensemble des frais et commission ont bien été portés remis.
En application des dispositions de l'article 971 du Code civil, « le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ».
En application de cet article, il s'impose à la partie qui l'invoque de rapporter la preuve de l'existence d'un comportement dolosif ainsi que leur caractère déterminant sur le consentement à la convention dont la nullité est recherchée. La notion de dol s'envisage donc comme des actes de tromperie qui viennent surprendre le consentement du cocontractant à un acte. Ces actes peuvent être caractérisés par l'accomplissement de manœuvres positives ou par le recours à des mensonges quant à la portée d'un acte ou d'un engagement ou encore à des dissimulations intentionnelles d'informations déterminantes.
En l'espèce, la convention litigieuse a été émise à Monaco le 25 novembre 2013. Selon l'annexe n° 1 relative à la déclaration du client, w. B. apparaît comme une personne ayant déjà une expérience et une connaissance des marchés et des différents instruments financiers ; il est en outre à noter que le 24 novembre 2014, w. B. a complété un « questionnaire profil investisseur » confirmant une connaissance suffisante des instruments financiers et optant pour un profil d'investisseur « dynamique », emportant un risque très élevé. L'annexe n° 2 de la convention relative aux tarifs applicables à la convention indique expressément que le taux de la commission annuelle HT sera de 0.50 %.
Il est constant que dans le cadre de l'ouverture de ses comptes dans les livres de l'établissement bancaire, Madame B. s'est vue remettre pour partie des documents en français accompagnés d'une traduction en langue anglaise. Cependant, il n'est pas démontré que les documents remis en langue française et non traduits n'aient pas pu être compris par Madame B. En effet, il convient de relever que cette dernière n'a à aucun moment sollicité une traduction de ces documents ou qu'elle ait fait part à sa contractante de difficultés de compréhension. Par ailleurs, la défenderesse verse aux débats de nombreuses pièces constituées d'échanges par courriel avec Madame B.(pièce 22 à 35) qui dès le 26 novembre 2013 révèlent une maîtrise circonstanciée de la langue française par cette dernière alors qu'aucun élément ne vient au contraire justifier d'une incompréhension de cette langue.
Il doit enfin être relevé que c'est de façon pertinente que la défenderesse se prévaut du fait que la convention de conseil s'est exécutée pendant plusieurs années au cours desquelles les relevés de compte ont été régulièrement émis sans qu'aucune difficulté ne soit exprimée par w. B.
Il en résulte que d'une part, l'incompréhension de la langue française par w. B. n'est pas démontrée et que, d'autre part, en toutes hypothèses, aucune manœuvre dolosive pouvant être reprochée à la défenderesse dans le cadre de la signature de cette convention n'est caractérisée. En effet, les échanges et les remises de documents avec la requérante se sont librement réalisés en langue française sans qu'aucune difficulté ne soit intervenue entre les parties et sans qu'aucune réserve ne soit émise au titre d'une compréhension de ces documents dans leur cause et dans leur portée.
Il convient en conséquence de rejeter les demandes présentées sur ce fondement.
Sur l'existence d'une erreur :
Madame B. indique qu'en signant cette convention, elle ne pensait signer qu'un document supplémentaire en vue de l'ouverture de son compte-titres et que son incompréhension du document litigieux ne lui a pas permis de comprendre qu'il s'agissait d'un autre engagement. Elle ajoute que le fait qu'elle ai dû faire traduire ce document au cours de l'année 2018 témoigne de ce qu'elle n'était pas en mesure de le comprendre en français.
Selon l'article 965 du Code civil, « l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ».
La défenderesse oppose que la notion d'erreur ne s'envisage que comme erreur sur la substance et s'apprécie en conséquence par référence aux qualités substantielles en considération desquelles les parties ont contracté. Elle reproche à Madame B. de ne pas expliquer quel type de prestations elle pensait obtenir en signant cette convention alors qu'elle en évoquait bien la nature dans des échanges écrits ultérieurs.
L'erreur sur la substance d'une convention doit s'apprécier par référence aux attentes exprimées par les parties et à la qualité de l'opération convenue. A ce titre l'erreur portant sur un simple choix de placement ou sur l'économie d'un contrat de gestion ne doit pas s'apprécier comme une erreur sur la substance de ce contrat.
Pour caractériser la nature de son erreur, w. B. indique que la convention litigieuse n'était qu'un document supplémentaire dans les formalités liées à l'ouverture de son compte-titres. Se prévalant à nouveau d'une mauvaise compréhension de la langue française, elle considère qu'elle n'était pas en mesure de comprendre la nature de ces documents.
Ainsi, la requérante verse aux débats une facture de frais de traduction dont elle soutient qu'elle correspond à une traduction de la convention en langue anglaise. Cette facture, d'un montant de 1.292,32 $ canadiens a été émise par la société C le 29 mars 2018. Toutefois, sur ce point, il ne saurait être considéré que la traduction réalisée plus de 4 ans après la signature du contrat et postérieurement à l'engagement de l'instance soit une preuve pertinente de l'incompréhension à laquelle w. B. aurait été confrontée au moment de la signature.
Dès lors, les pièces produites ne permettent pas de considérer qu'une erreur sur la substance, autrement dit sur les qualités essentielles sur les prestations envisagées par ce contrat aurait effectivement été commise par la requérante. En effet, Madame B. ne démontre pas qu'au vu des circonstances de la signature de cette convention ou de ses termes, une erreur puisse être intervenue sur sa nature ou son objet. S'il est soutenu que le document signé n'était qu'une formalité supplémentaire dans les démarches d'ouverture de compte auprès de cet établissement bancaire, aucun élément ne démontre qu'une telle confusion ait pu effectivement survenir au vu des circonstances de fait et de temps qui ont entouré la signature de cette convention.
Il convient en conséquence de débouter w. B. des demandes présentées sur ce fondement.
Sur le manquement de la banque à son devoir de conseil et d'information :
En application de l'article 17 de l'ordonnance n° 1.284 du 10 septembre 2007 portant application de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières, préalablement à la signature du mandat qui lui est donné par un client, la société prestataire « doit s'enquérir des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement et de la situation financière du mandant. Les prestations proposées doivent être adaptées à la situation financière de ce dernier ».
Il est constant que les obligations du banquier vis-à-vis de son client sont des obligations de moyens et non de résultat en matière de gestion de compte de portefeuille dans la mesure ou de tels investissements présentent nécessairement un aléa au titre duquel la banque ne peut pas être tenue à une garantie totale ; que toutefois, la banque est tenue vis-à-vis de son client d'une obligation générale d'information et de conseil, sauf à prouver l'excellente connaissance des milieux financiers par celui-ci.
Madame B. estime que ce manquement au devoir d'information résulte de l'absence de traduction des documents signés puisqu'en l'absence d'une telle traduction, elle n'a pas eu connaissance, d'une manière appropriée, des informations utiles dans le cadre des négociations.
Au vu des solutions adoptées précédemment dans l'appréciation de l'existence d'une situation d'erreur ou de dol, la reconnaissance d'un manquement de l'établissement bancaire au titre de son obligation d'information ne peut pas être retenue. En effet, l'incompréhension par w. B. des documents qui lui ont été remis n'est pas établie dès lors que la requérante a été rendue destinataire des documents et éléments nécessaires à l'appréhension de la nature et de la portée de ses engagements. Par ailleurs, selon les documents versés aux débats, la SAM A a recueilli les informations relatives aux attentes et au profil d'investisseur de Madame B. et lui a remis les documents qui permettaient utilement de saisir l'enjeu et la portée de la convention concernée.
Aucun manquement ne peut donc être reproché à ce titre à la SAM A, il convient en conséquence de débouter Madame B. de ce chef de demande.
Sur la demande de dommages et intérêts :
La SAM A considère que l'action engagée par w. B. a pour objectif de lui permettre de battre monnaie en se basant sur une présentation erronée des faits ; elle soutient que cette procédure porte atteinte à sa réputation et qu'elle est donc fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice en résultant.
Cependant, bien qu'elle succombe en ses prétentions, il n'apparaît que l'action engagée par w. B. puisse être considérée comme fautive et caractériser un usage abusif du droit d'agir en justice.
La demande de dommages et intérêts de la défenderesse sera en conséquence rejetée.
Sur les demandes annexes :
Au vu de la solution du litige, il convient de condamner w. B. aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déboute w. B. de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de la SAM A ;
Déboute la SAM A de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne w. B. aux dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 25 AVRIL 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, assistée de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.