Tribunal de première instance, 25 avril 2019, La SA G c/ m. L D'O.

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Abstract🔗

Ordonnance de non entrée en matière rendue par une autorité de poursuite – Qualification – Effets

Inscription de faux – Procédure – Champ d'application

Résumé🔗

Concernant l'autorité de la chose jugée de cette décision dans le cadre de la présente instance, il convient de rappeler que la notion de force de chose jugée s'applique à un jugement qui n'est plus susceptible de faire l'objet d'un recours suspensif, soit parce qu'un tel recours n'est pas prévu par le droit applicable, soit parce que le délai pour l'exercer est expiré. Cette notion se distingue de l'autorité de la chose jugée qui correspond à l'effet attaché au contenu de l'acte juridictionnel par lequel le juge tranche les prétentions qui lui ont été soumises. La SA G soutient que cette décision de non-entrée en matière est entrée en force de chose jugée. Elle se prévaut à ce titre d'un avis émis par M. m. A., avocat inscrit au Barreau du Canton du Tessin indiquant « selon la doctrine des ordonnances de classement (ou de non-entrée en matière) rendues selon l'ancien droit de procédure cantonale acquièrent la force matérielle de chose jugée prévue par le nouveau droit » et en conséquence, quelle « ne peut plus être remise en question que par la découverte de faits nouveaux ou de moyens de preuves qui n'aient pas été examinés par le procureur public ». Au vu de ces éléments, il ne peut pas être considéré que la décision de non entrée en matière concernée soit assimilable, au sens de l'article 290 du Code de procédure civile à un jugement passé en force de chose jugée. En effet, au sens procédural du terme, un jugement doit être considéré comme définitif lorsqu'il met un terme à une instance et dessaisit le juge de la question qu'il a tranchée. Ainsi, l'ordonnance de non entrée en matière rendue par une autorité de poursuite au terme d'une procédure pénale, acte qui peut être en outre considéré comme bénéficiant, selon l'avis produit par la SA K comme doté d'une « force de chose jugée relative, en ce sens qu'elle ne protège le prévenu contre une reprise de la procédure qu'en l'absence de faits ou moyens de preuve nouveaux », ne doit pas être considérée comme un jugement. Pour les mêmes motifs, le moyen d'irrecevabilité fondé sur les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.448 sur le droit international privé selon lequel, « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et passés en force de chose jugée sont reconnus de plein droit dans la Principauté s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'article 15 » n'est pas de nature à faire prospérer cette exception d'irrecevabilité.

L'article 290 du Code de procédure civile précité prévoit donc que « celui qui prétendra qu'un acte sous seing privé ou authentique est faux ou falsifié pourra s'inscrire en faux contre ledit acte ». Ainsi, cette procédure s'applique à tout document établi pour servir de preuve au cours d'une instance civile, même sous la forme d'une photocopie, lorsque le document ainsi versé aux débats est de nature à avoir une valeur probatoire et à entraîner des effets juridiques.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/0000081 (assignation du 16 septembre 2016)

JUGEMENT DU 25 AVRIL 2019

En la cause de :

  • La société dénommée G, dont le siège social se trouve X1 L2132 Luxembourg, représentée par son liquidateur, la société A, elle-même représentée par g. N. né le 16 octobre 1941 à Bombay, de nationalité britannique, demeurant audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

  • m. L D'O., né le 30 avril 1953 à Rome, demeurant X2 à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître GIRAUDON-NICOLAI, avocat aux barreaux de Nice et de Luxembourg,

d'autre part ;

En présence de :

  • Madame le PROCUREUR GÉNÉRAL, en son Parquet, au Palais de Justice, rue Colonel Bellando de Castro à Monaco Ville,

COMPARAISSANT EN PERSONNE ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 16 septembre 2016, enregistré (n° 2017/000081) ;

Vu la déclaration originaire, des sociétés dénommés la société B (anciennement dénommée la société D), la société C, la SAM E et la SAM F, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par la société C, par courrier en date du 5 octobre 2016 ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par la SAM E, par courrier en date des 27 septembre 2016 et 27 octobre 2016 ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire SAM F, par courrier en date des 5 octobre 2016 et 26 octobre 2016 ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par la société B, par courrier en date du 5 octobre 2016 et 26 octobre 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de m. L D'O. en date des 8 février 2017, 18 juillet 2018, 22 mars 2018 et 6 février 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la SA G, en date des 4 mai 2017, 6 décembre 2017 et 11 octobre 2018 ;

Vu les conclusions du Ministère Public en date du 5 décembre 2018 ;

À l'audience publique du 21 février 2019, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 25 avril 2019 ;

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 26 juillet 1995 et le 20 novembre 1995, la SA H a cédé à la société I une créance d'un montant de 2.184.574,18 € qu'elle détenait à l'encontre de la SA J, créance garantie par m. L D'O.

Le 31 mai et le 3 juin 1996, la société I et la SA G ont conclu un accord de cession de créances.

Ainsi, à l'issue de différentes opérations de cession de créances intervenues entre ces sociétés et en considération des engagements en tant que garantie pris par m. L D'O. par jugement du Tribunal ordinaire de Rome en date du 11 septembre 2002, ce dernier a notamment été condamné à payer à la SA H une somme de 2.582.284,50 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 avril 1993. Cette décision a fait l'objet d'une confirmation en appel par arrêt de la Cour d'appel de Rome du 17 mars 2005 et d'une décision de rejet de pourvoi par arrêt de la Cour de cassation italienne du 5 octobre 2006.

Le 21 décembre 2007, une cession de créance dite résiduelle, non prise en compte dans les transactions antérieures est à nouveau intervenue entre la SA H et la SA K pour un montant de 2.738.974,19 €.

Le 7 septembre 2010, la SA G a cédé à Francesco L D'O. une partie de la créance qu'elle détenait à l'encontre de m. L D'O. pour un montant total de 1.535.044,32 €.

La SA G indique qu'aux termes de ces différentes opérations juridiques, elle est devenue titulaire de l'intégralité de la créance dont la SA H disposait à l'encontre de m. L D'O. et qu'elle vient aux droits de celle-ci dans l'exécution du jugement du Tribunal de Rome du 23 juillet 2002. S'inquiétant de ne pas pouvoir procéder au recouvrement des condamnations prononcées à l'encontre de m. L D'O. par requête datée du 12 septembre 2016, la SA G a saisi Madame le Président du Tribunal de première instance de MONACO d'une requête aux fins de saisie-arrêt à pratiquer entre les mains de plusieurs établissements bancaires en vue d'obtenir sûreté, garantie et paiement de sa créance à hauteur de 2.400.000 €.

Par ordonnance en date du 13 septembre 2016, le Président du Tribunal de première instance de MONACO a fait droit à cette requête à concurrence de 2.000.000 €.

Par acte en date du 16 septembre 2016, la SA G a fait procéder à une saisie-arrêt et assignation et injonction aux tiers saisis devant ce Tribunal en vue de voir déclarer régulière et valable la saisie arrêt et obtenir la condamnation de m. L D'O. au paiement de la somme de 2.000.000 € et qu'il soit dit que les tiers-saisis pourront valablement se libérer entre ses mains des sommes détenues pour le compte du débiteur. Cet acte a été signifié à m. L D'O. en tant que débiteur saisi et à la SAM B, la société de droit britannique C, la SAM E et la SAM F en tant que tiers saisis.

La SAM B a indiqué détenir pour le compte de m. L D'O. deux comptes courants respectivement créditeurs de 2.645,91 € et 6.874,80 € outre un encours carte de 32,50 €.

La société C a indiqué que m. L D'O. ne disposait d'aucun compte ouvert au sein de son établissement. La SAM E a également indiqué ne détenir aucune somme pour le compte du débiteur saisi.

Par courrier en date du 26 octobre 2016, la SAM F a indiqué détenir un compte ouvert au nom de m. L D'O. présentant un montant créditeur de 3.960,10 €.

Par conclusions déposées le 4 mai 2017, la SA G demande :

  • de voir déclarer régulière, bonne et valable la saisie-arrêt pratiquée le 16 septembre 2016 et qu'il soit constaté que sa créance est parfaitement établie,

  • la condamnation de m. L D'O. à lui payer la somme de 1.935.859,80 € outre les intérêts légaux italiens sur la somme de 1.009.416,64 € jusqu'à parfait paiement,

  • qu'il soit constaté que m. L D'O. a fait preuve d'une particulière mauvaise foi pour se soustraire aux sommes dues et sa condamnation au paiement de la somme de 550.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi.

Par conclusions déposées le 6 décembre 2017, la SA G maintient ses précédentes écritures et sollicite en outre :

  • qu'il soit constaté que la procédure a été initiée le 22 novembre 2016, que sa créance n'est pas prescrite,

  • vu les clauses attributives de compétence contenues dans les cessions de créance, que soit ordonné un sursis à statuer jusqu'à ce que les juridictions compétentes se soient prononcées sur leur validité.

Par acte en date du 19 mars 2018, m. L D'O. a procédé à une déclaration d'inscription de faux devant le Greffe Général de la Cour d'appel et des Tribunaux de la Principauté de MONACO concernant les pièces n° 5, 5 bis et 20 produites par la SA G.

Par conclusions en réponse sur incident de faux déposées le 15 octobre 2018, la SA G demande :

  • que l'incident de faux régularisé par m. L D'O. soit déclaré irrecevable,

  • subsidiairement, qu'il soit constaté que m. L D'O. détourne la procédure de vérification de faux, qu'il soit constaté que les mêmes faits ont fait l'objet d'une ordonnance de non entrée en matière rendue le 7 juillet 2010 par Monsieur le Procureur Général de la République et du Canton du Tessin et que cette ordonnancé bénéficie d'une reconnaissance de plein droit en vertu des dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,

  • de plus fort, qu'il soit dit qu'un examen de l'incident de faux contreviendrait aux dispositions de la loi n° 1.448 et serait contraire au principe de la présomption d'innocence,

  • en conséquence le débouté de m. L D'O. de sa demande d'incident et de toutes ses autres demandes outre sa condamnation au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par cet incident dilatoire.

La SA fait valoir que l'incident d'inscription de faux doit être déclaré irrecevable sur le fondement de l'article 290 du Code de procédure civile et des dispositions relatives au droit international privé ; concernant le détournement de la procédure de vérification de faux, elle fait valoir que cet incident doit avoir pour objet de faire vérifier la conformité d'une pièce produite en copie aux débats par rapport à un original alors que tel n'est pas le sens des demandes présentées dans le cadre de cette instance ; elle considère que les décisions précédemment rendues par les juridictions italiennes permettent d'écarter toute suspicion de fausseté des pièces litigieuses, notamment en ce que la décision de classement en droit suisse est considérée comme une décision définitive devant être reconnue de plein droit dans la Principauté ; qu'aucune divergence de fond ne peut être relevée entre la convention originelle de 2007 et le doublon établi en 2009 ;

Par conclusions déposée le 8 février 2017, m. L D'O. demande :

  • qu'il soit constaté que les pièces produites par la requérantes pour justifier de ses droits doivent être écartées des débats,

  • le débouté de la SA K de ses demandes et, reconventionnellement, sa condamnation au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts.

Par conclusions récapitulatives et en réponse déposées le 18 juillet 2017, m. L D'O. maintient ces demandes.

Par conclusions d'incident en inscription de faux déposées le 22 mars 2018 et par ses dernières écritures en réponse d'incident en inscription de faux déposées le 7 février 2016, m. L D'O. maintient ses prétentions et sollicite qu'il soit constaté que la SA K ne peut pas se prévaloir d'une clause attributive de compétence puisque par l'assignation donnant lieu à la présente instance, elle est réputée avoir renoncé au bénéfice de celle-ci et que l'instance se poursuivra sans que la pièce écartée des débats ne puisse être évoquée, ni produire aucun effet.

Il soutient que la cession de créance datée du 19 décembre 2007 doit être considérée comme fausse ; que la juridiction pénale de Lugano n'a pas statué de façon définitive sur la fausseté de cette pièce, le classement dont fait état la SA K étant intervenu dans une procédure dont l'objet était différent ; que le moyen d'irrecevabilité n'est pas applicable à l'espèce. Elle fait valoir qu'il y a manifestement deux exemplaires différents d'une même pièce et que son action en inscription de faux est fondée ; que les références au droit européen et notamment au principe non bis in idem ne sont en l'espèce pas pertinentes.

Par conclusions déposées le 5 décembre 2018, Monsieur le Procureur Général a indiqué s'en rapporter à l'appréciation du Tribunal.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la compétence :

Aux termes de ses dernières conclusions au fond déposées le 6 décembre 2017, la SA K se prévaut de l'existence de clauses attributives de compétence contenues dans les cessions de créances formalisées au cours des années 1995, 1996 et 2007. Elle conclut ainsi au prononcé d'un sursis à statuer au fond dans l'attente que les juridictions compétentes se soient prononcées sur leur validité.

Il convient cependant de relever que dans le cadre du présent incident, distinct du fond de l'affaire, la compétence du Tribunal n'est pas contestée.

  • Sur la recevabilité de l'incident :

La SA G invoque en premier lieu les dispositions de l'article 290 du Code de procédure civile selon lequel : « Celui qui prétendra qu'un acte sous seing privé ou authentique est faux ou falsifié pourra s'inscrire en faux contre ledit acte. Toutefois, l'inscription de faux ne sera pas recevable contre un acte sous seing privé dont la vérification aura été faite par un jugement passé en force de chose jugée ».

Elle fait en effet valoir que les mêmes documents que ceux concernés par la présente instance ont été soumis aux juridictions pénales suisses et qu'ils ont fait l'objet d'une vérification passée en force de chose jugée aux termes de laquelle toute fausseté a été écartée. Elle expose que cette décision des autorités suisse interdit, en application de l'article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, que ces mêmes faits lui soient à nouveau reprochés. La SA se prévaut également de l'article 13 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 sur le droit international privé qui prévoit une reconnaissance de plein droit dans la principauté des jugements rendus par les tribunaux étrangers passés en force de chose jugée.

m. L D'O. oppose que la décision de non entrée en matière rendue par les autorités suisses n'est qu'une décision de classement sans suite rendue dans une instance dont l'objet et les parties étaient différentes ; que par ailleurs, cette décision ne se prononce pas sur l'éventuelle fausseté des éléments litigieux.

La convention initiale conclue entre la SA H en liquidation et la société I a été conclue le 26 juillet et le 20 novembre 1995 ; elle portait sur une série de créances dont la cession a été consentie à hauteur de 2.371.473,21 CHF (créances se rapportant au client de la SA J, indirectement garanti par Monsieur L D'O..

Cette convention a été réitérée le 21 mai et le 24 mai 1996.

Le 19 décembre 2007, les sociétés H en liquidation et la SA K ont conclu une nouvelle convention de cession de créance pour un prix total de 2.788.074,19 €, cela suite à l'arrêt rendu le 22 novembre 2006 par la Cour de cassation italienne. Cette pièce est versée aux débats par la société demanderesse sous le n° 5, accompagnée de sa traduction sous le n° 5 bis.

Le 21 décembre 2007, ces mêmes sociétés ont conclu un contrat réaffirmant les transferts de créances intervenus précédemment entre elles et toutes leurs conséquences juridiques en termes de substitution de la SA K à la SA H (pièce de la SA K n° 6 et 6bis.

La demanderesse verse également aux débats la pièce n° 20 qui consiste en une traduction d'un autre exemplaire de cette convention du 19 décembre 2007 établi au mois de janvier 2009 mais daté du 19 décembre 2007.

Le litige qui oppose les parties porte, au fond, sur la validité des cessions de créances intervenues entre les parties et le bien fondé des demandes adressées à ce titre par la SA K à m. L D'O. Dans le cadre de cette procédure d'incident, le litige porte précisément sur la fausseté de la pièce n° 20 présentée par la SA K comme une réédition conforme à l'original de la cession de créance du 19 décembre 2007 dont une copie est produite sous le n° 5.

En effet, la SA K ne conteste pas le fait que deux exemplaires de l'acte de cession du 19 décembre 2007 ont été produits sous les numéros de pièces 5 et 20 mais fait valoir que ces deux exemplaires sont en tout état de cause similaires, cette question ayant d'ores et déjà été jugée.

En effet, le 7 juillet 2010, le Procureur Général de la République et Canton du Tessin a rendu une ordonnance de non-entrée en matière dans le cadre d'une enquête conduite sur plainte de la société M à l'encontre de m. G. Il ressort de ce document (pièce demandeur n° 24) que la société M reprochait à m. G. d'avoir procédé à une fraude documentaire en produisant une copie de la convention de cession de créance signée entre la société L et la SA K puisque ce document avait été signé au cours du mois de janvier 2009 alors qu'il était daté du 19 décembre 2007. Dans cette procédure pénale, la société M a en outre soutenu que l'original de la convention de cession produit par m. G.était également une fraude. Les motifs exposés dans cette ordonnance de non entrée en matière rappellent de façon précise le contexte de formalisation des différentes cessions de créance intervenues entre les sociétés H en liquidation et la SA K. Il est notamment rappelé que l'acte du 19 décembre 2007 avait eu pour objet de compléter les opérations de cession précédentes afin que l'intégralité des créances de la SA H à l'égard de m. L D'O. soit transmise à la SA K, cela au terme des différentes procédures diligentées devant les juridictions italiennes ayant porté sur la réalité de ces créances.

Concernant le fait que m. G. aurait signé une copie de la convention du 19 décembre 2007 au début de l'année 2009 (le jour précédent une audience tenue auprès du Tribunal de première instance de Lugano le 30 janvier 2009), M. G. n'a pas contesté ce point en indiquant que, ne parvenant pas à retrouver l'original de la convention du 19 décembre 2007, il en aurait imprimé une copie et signé celle-ci avec Monsieur C.

Les raisons qui ont conduit à une telle ordonnance tiennent à ce que la réalité du doublon formalisé en 2009 par MM. G. et C. n'est pas contestée ; que cependant, les divergences de forme existantes entre ces deux documents n'ont pas suffi à les qualifier de faux dès lors que les éléments essentiels tenant au principe d'une cession de créance et au montant de cette cession étaient identiques.

Concernant la question de l'existence de la convention initiale du 19 décembre 2007, le Procureur Général de la République et Canton du Tessin a en outre relevé que la contestation de cette existence ne reposait que sur les assertions de la plaignante ne pouvant pas « être des indices graves et concrets de culpabilité ».

Au terme de cette analyse de la situation, le Procureur Général de la République et Canton du Tessin a en conséquence retenu un non-lieu de la procédure pénale ainsi engagée.

Cette décision a fait l'objet d'un appel ayant abouti à un arrêt de la Chambre des recours pénaux du Tribunal d'appel de Lugano le 10 décembre 2010 (pièce m. L D'O. n° 1). Cette requête en appel de la société M a été déclarée irrecevable. Cependant, la motivation de la décision de la Chambre des recours pénaux du Tribunal d'appel reprend les éléments de fond de cette procédure. Il est relevé à cette occasion que selon les dépositions des intéressés, trois versions différentes de l'acte de cession du 19 décembre 2007 ont été rédigées et que les différences de forme entre le document de 2007 et celui de 2009 sont telles que le terme de duplicata apparaît inadapté bien que les différences relevées ne portent pas « vraiment » sur le fond (décision page 10). La Chambre des recours, nonobstant sa décision d'irrecevabilité, considère in fine que « l'ordonnance de non entrée en matière semble aller à l'encontre de la jurisprudence du Tribunal Fédéral. Selon la Haute Cour, en effet, le cédant qui rédige une nouvelle cession de créance en l'antidatant pour remplacer l'original qui s'est perdu crée un faux document ».

Concernant l'autorité de la chose jugée de cette décision dans le cadre de la présente instance, il convient de rappeler que la notion de force de chose jugée s'applique à un jugement qui n'est plus susceptible de faire l'objet d'un recours suspensif, soit parce qu'un tel recours n'est pas prévu par le droit applicable, soit parce que le délai pour l'exercer est expiré. Cette notion se distingue de l'autorité de la chose jugée qui correspond à l'effet attaché au contenu de l'acte juridictionnel par lequel le juge tranche les prétentions qui lui ont été soumises.

La SA G soutient que cette décision de non-entrée en matière est entrée en force de chose jugée. Elle se prévaut à ce titre d'un avis émis par M. m. A., avocat inscrit au Barreau du Canton du Tessin indiquant « selon la doctrine des ordonnances de classement (ou de non-entrée en matière) rendues selon l'ancien droit de procédure cantonale acquièrent la force matérielle de chose jugée prévue par le nouveau droit » et en conséquence, quelle « ne peut plus être remise en question que par la découverte de faits nouveaux ou de moyens de preuves qui n'aient pas été examinés par le procureur public ».

Au vu de ces éléments, il ne peut pas être considéré que la décision de non entrée en matière concernée soit assimilable, au sens de l'article 290 du Code de procédure civile à un jugement passé en force de chose jugée. En effet, au sens procédural du terme, un jugement doit être considéré comme définitif lorsqu'il met un terme à une instance et dessaisit le juge de la question qu'il a tranchée.

Ainsi, l'ordonnance de non entrée en matière rendue par une autorité de poursuite au terme d'une procédure pénale, acte qui peut être en outre considéré comme bénéficiant, selon l'avis produit par la SA K comme doté d'une « force de chose jugée relative, en ce sens qu'elle ne protège le prévenu contre une reprise de la procédure qu'en l'absence de faits ou moyens de preuve nouveaux », ne doit pas être considérée comme un jugement.

Pour les mêmes motifs, le moyen d'irrecevabilité fondé sur les dispositions de l'article 13 de la loi n° 1.448 sur le droit international privé selon lequel, « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et passés en force de chose jugée sont reconnus de plein droit dans la Principauté s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'article 15 » n'est pas de nature à faire prospérer cette exception d'irrecevabilité.

Enfin, compte tenu de ce que la procédure diligentée par le Procureur Général de la République et Canton du Tessin et celle engagée dans le cadre de la présente instance obéissent à la fois à des logiques et des finalités distinctes, le principe non bis in idem dont excipe également la SA G au visa des principes de droit européen ne saurait davantage trouver application. En effet, d'une part, la procédure pénale suisse avait été diligentée à l'encontre de m. G. en personne et de « inconnus (en tous cas rapportables à l'activité de la SA H en liquidation ». Il en résulte que la SA K n'était pas concernée, selon cet acte de non entrée en matière, par cette procédure pénale. D'autre part, cette décision n'a pas lieu d'être considérée comme un jugement. Enfin, l'objet de la présente instance n'est pas d'établir une éventuelle culpabilité de la SA K au titre de la fausseté de la pièce produite, mais d'apprécier la validité et la pertinence des pièces contestées dans le cadre de la procédure civile en cours devant le Tribunal de première instance de MONACO.

En conséquence, il convient de débouter la SA G de son moyen d'irrecevabilité de l'incident soulevé par m. L D'O.

  • Sur le bienfondé de l'incident en inscription de faux :

Au vu des éléments qui précèdent, et des termes de l'incident engagé par m. L D'O. qui vise selon ses écritures à « établir le caractère de fausseté de la convention de cession de créance du 19 décembre 2007 », il doit être considéré que cette demande vise à contester la validité de cette convention de cession de créance d'une part en ce qu'elle a fait l'objet d'un doublon dans les conditions rappelées supra et, d'autre part en ce qu'elle ne correspondrait à aucune réalité factuelle et juridique.

L'article 290 du Code de procédure civile précité prévoit donc que « celui qui prétendra qu'un acte sous seing privé ou authentique est faux ou falsifié pourra s'inscrire en faux contre ledit acte ».

Ainsi, cette procédure s'applique à tout document établi pour servir de preuve au cours d'une instance civile, même sous la forme d'une photocopie, lorsque le document ainsi versé aux débats est de nature à avoir une valeur probatoire et à entraîner des effets juridiques.

Selon la SA K, le présent incident détourne de sa finalité et de son esprit cette procédure dès lors qu'une procédure d'inscription de faux vise à procéder à la vérification de la conformité d'une pièce produite en copie aux débats par rapport à un original. Elle relève en effet que telle n'est pas l'objet des demandes de m. L D'O. qui portent sur la fausseté du doublon de la convention de cession de créance du 19 décembre 2007 réalisé le 29 janvier 2009 et sur l'existence même de la convention de créance du 19 décembre 2007.

Selon m. L D'O. il ne peut pas être déduit de l'ordonnance de non entrée en matière que la fausseté de la convention de cession de créance du 19 décembre 2007 ait été définitivement écartée. Il convient de relever cependant que, si aux termes de ses écritures en inscription de faux, le demandeur à l'incident conteste les moyens de défense déployés par la SA K, il n'apporte de son côté aucune argumentation quant aux éléments qui permettraient de considérer que le premier acte de cession du 19 décembre 2007 serait un faux, à savoir un document confectionné ou altéré de manière frauduleuse en vue de se prévaloir d'une situation juridique inexistante.

Ainsi, la pièce n° 5 (et sa traduction 5bis) est la copie du document de cession original établi le 19 décembre 2007, convention conclue entre la SA H en liquidation représentée par m. GO. et la SA K représentée par g. C.

La pièce n° 20 produite par la SA G correspond à la « réédition » de la convention du 19 décembre 2007 accompagnée de sa traduction telle que répliquée par m. G. et qui donc, aurait été signée le 29 janvier 2009 aux fins d'être produite le 30 janvier 2009 devant le Tribunal de district de Lugano.

Concernant la pièce n° 5 (traduite en 5bis), à savoir l'acte de cession de créance initial, aucun élément ne permet de la considérer comme un faux. En effet, il doit être rappelé que l'éventuelle véracité des faits constatés dans un faux matériel est sans incidence sur la qualification de faux. En conséquence, dans le cadre de cet incident, il incombe à l'impétrant non pas de démontrer l'inexactitude factuelle de la pièce contestée, mais l'existence des actes frauduleux qui ont abouti à son établissement ou son altération. En l'occurrence, comme cela a été relevé dans la décision de non-entrée en matière du 7 juillet 2010, à l'appui de son incident, m. L D'O. ne procède que par assertion de la fausseté de cette pièce sans en apporter la démonstration. Ce constat peut être transposé dans cette instance alors que cette convention de cession a bien été établie dans un contexte d'existence de créances dont la certitude a été affirmée par les juridictions italiennes. Ainsi, m. L D'O. n'apporte aucune indication susceptible de caractériser les éléments constitutifs de l'existence d'un faux matériel.

S'agissant de la réalisation du « duplicata » réalisé le 29 janvier 2009 et produit dans le cadre de la présente instance sous le numéro de pièce 20, à ce stade de la procédure, le fait que cette pièce ait été formalisée pour compenser la perte de l'acte d'origine est acquis. Il est donc établi que m. G. a constitué une telle réplique, laquelle, bien que conforme sur le fond se distingue sous différents aspects de la première convention. Ces éléments ont été soulignés dans la décision de la Chambre des recours pénaux du Tribunal d'appel de Lugano le 10 décembre 2010 et se manifestent effectivement dans des différences affectant le préambule de la convention :

  • préambule en 3 points a, b et c pour la pièce n° 20 et en 4 points a, b, c et d pour la pièce n° 5,

  • contenu du paragraphe a) différent dans les deux exemplaires de la convention.

Il convient de relever que ces pièces ont été versées aux débats de la présente instance postérieurement aux décisions des juridictions suisses de sorte que les conditions dans lesquelles elles ont été constituées étaient connues des parties lorsqu'elles ont été versées aux débats.

Il convient également de relever, que cette pièce ne donne lieu à aucune conséquence préjudiciable à l'encontre de m. L D'O. dès lors que le document reconstitué emporte, sur le fond, les mêmes conséquences à son égard que celui qu'il avait pour fonction de remplacer ; qu'il n'y a eu en effet aucune modification dans la preuve du droit ou dans les conséquences juridiques attachées à ce document. En d'autres termes, s'il a été effectivement procédé à une réplique du document litigieux avec les différences de forme évoquées supra, cette duplication n'a entraîné aucune altération de la vérité attachée à l'acte.

Il en résulte que la constitution de ce nouveau document, nonobstant des variantes de forme, a généré les mêmes droits et les mêmes conséquences juridiques en réunissant en pleine connaissance de cause les mêmes parties que celles ayant formalisé l'acte d'origine qu'il s'agissait de remplacer.

Cependant, il est constant que cette pièce n° 20 a été antidatée par ses auteurs sans avoir été présentée comme un duplicata ayant pour fonction de suppléer la perte de l'original ; ainsi, indépendamment de toute conséquence préjudiciable, l'apposition délibérée d'une date inexacte sur un acte emportant des effets juridiques opposables aux tiers est de nature à caractériser l'établissement d'un faux au sens de l'article 290 du Code de procédure civile.

Il y a donc lieu de déclarer faux le document produit par la SA K sous le numéro de pièce 20.

Conformément à l'article 296 du Code de procédure civile il convient de dire que le présent jugement sera mentionné en marge de l'acte d'inscription de faux et de la pièce reconnue fausse, et de prescrire la conservation de cette pièce au greffe, annexée à l'acte d'inscription de faux.

  • Sur les demandes de dommages et intérêts :

Compte tenu de la solution apportée à l'incident, il convient de débouter la SA K de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par cet incident dilatoire.

  • Sur les demandes annexes :

Les dépens de l'incident seront réservés dans l'attente de la solution au fond du litige.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Vu la déclaration d'inscription de faux du 19 mars 2018 et les pièces annexées ;

Déclare faux le document produit par la SA K sous le numéro de pièce 20 et déboute m. L D'O. du surplus de ses demandes formulées dans le cadre du présent incident ;

Ordonne la mention du présent jugement en marge de la déclaration d'inscription de faux, ainsi que de la pièce litigieuse laquelle sera conservée au Greffe et demeurera annexée à la déclaration d'inscription de faux ;

Renvoie l'affaire et les parties à l'audience du MERCREDI 8 MAI 2019 à 9 heures en l'état ;

Déboute la SA K de sa demande de dommages et intérêts ;

Réserve les dépens de l'incident dans l'attente de la solution au fond du litige ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Mademoiselle Marine PISANI, Greffier en chef adjoint ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 25 AVRIL 2019, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, assisté de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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