Tribunal de première instance, 14 février 2019, m. a. A. c/ t. ES-HE. épouse A.
Abstract🔗
Procédure civile - Bâtonnement de certaines conclusions - Sursis à statuer (non)
Divorce - Domicile des époux - Compétence des juridictions monégasque (oui)
Résumé🔗
Il y a lieu d'accueillir la demande de bâtonnement du parquet général dès lors que les écrits visés constituent un manquement au respect ou aux légitimes égards qu'ils doivent aux magistrats, au sens de l'article 22, 2° de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982.
La question de la domiciliation des époux, ensemble ou séparément, est au cœur du litige opposant les époux dans le cadre de la procédure de divorce initiée par le mari. L'épouse a soulevé le sursis à statuer dans le cadre d'une plainte pénale déposée à l'encontre de son mari pour obtention frauduleuse du statut de résident et pour escroquerie au jugement dans le cadre de la présente procédure. Cette plainte n'est pas dans le débat. La demande de sursis à statuer ne repose pas sur un fait nouveau au regard de la date du dépôt de la plainte pénale et des arguments de fait déjà soulevés. Elle est donc irrecevable en raison de la clôture des débats et de la mise en délibéré à cette date.
En matière de divorce, les juridictions monégasques sont compétentes notamment lorsque le dernier domicile des époux se trouvait sur le territoire de la Principauté et que l'un des époux y réside encore ou lorsque l'époux défendeur a son domicile sur le territoire de la Principauté.
Les époux possèdent plusieurs résidences dans le monde dont quatre ont fait l'objet de plus amples développements par les parties, dont l'une est située à Monaco. Compte tenu du mode de vie de l'épouse, de nationalité américaine, il est impossible de lui attribuer un domicile personnel au moment de l'introduction de l'instance en divorce par son mari. Il convient également prendre acte des décisions définitives des juridictions new-yorkaises déclinant leur compétence en raison de son absence de domiciliation continue durant deux ans à New-York. Le mari, de nationalité suisse, a le statut de résident monégasque et se déplace également constamment dans le monde. Il existe toutefois des éléments concordants démontrant sa volonté de s'établir durablement à Monaco, d'y concentrer ses intérêts personnels et professionnels en y recentrant la gestion de son patrimoine, en y aménageant une résidence, et en s'inscrivant dans la vie sociale monégasque. Durant cette période, il a agi avec le concours et l'assentiment de son épouse.
Il a ainsi constitué une société de droit monégasque et acquis plusieurs appartements dans un immeuble. Après de lourds travaux, il a privatisé un étage de cet immeuble pour en faire un appartement luxueusement équipé et qui a été effectivement occupé par le couple.
Les époux sont tous deux membres du T Club de Monaco. Le fils du mari s'est établi à Monaco et travaille dans la société de son père. Sa petite fille y est née. A la date de l'introduction de l'instance, aucun domicile ne peut être attribué à l'épouse mais le mari, et le couple, avait établi leur domicile à Monaco. Le mari y est encore domicilié. En application de l'article 40 de la loi de la loi n° 1.448 en date du 28 juin 2017, le Tribunal de Première Instance de Monaco est donc compétent pour connaître du divorce.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2016/000391 (assignation du 18 février 2016)
JUGEMENT DU 14 FÉVRIER 2019
En la cause de :
m. a. A., né le 15 février 1951 à Pully (Suisse), de nationalité suisse, sans profession, demeurant et domicilié « X1», X1 à Monaco ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Georges KIEJMAN, avocat au barreau de Paris ;
d'une part ;
Contre :
t. ES-HE. épouse A., née le 22 juillet 1968 en Californie, de nationalité américaine, demeurant « X1», X1 à Monaco ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice, Maître David BITTON, avocat au barreau de Genève et Maître Francis SZPINER, avocat au barreau de Paris ;
En présence de :
Madame le PROCUREUR GÉNÉRAL, séant en son Parquet, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 7 octobre 2015 rendue en application de l'article 200-2 du Code Civil ;
Vu l'ordonnance de non-conciliation en date du 21 janvier 2016, rendue en application des articles 200-5 et 200-6 du Code Civil ;
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 18 février 2016, enregistrée (n° 2016/000391) ;
Vu le jugement avant-dire-droit rendu par ce Tribunal en date du 12 octobre 2017 ayant notamment ordonné le renvoi de la cause et des parties à l'audience du 16 novembre 2017 ;
Vu le jugement rendu par ce Tribunal en date du 16 novembre 2017 statuant sur les mesures provisoires ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date du 15 novembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de t. ES-HE. en date du 30 novembre 2017, et celles de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur, au nom cette même partie, en date des 28 juin 2018 et 16 novembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de m. A. en date des 14 décembre 2017 et 25 septembre 2018, puis celles de Maîtres Géraldine GAZO et Christine PASQUIER avocats-défenseurs, au nom de cette même partie, en date du 10 décembre 2018;
À l'audience du 13 décembre 2018, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 14 février 2019 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Le 22 décembre 2008, Monsieur m. A. de nationalité suisse, et Madame t. ES-HE. de nationalité américaine, se sont mariés à HONG-KONG, sans contrat préalable. Monsieur m. A. est un homme d'affaires internationalement connu, Madame est sans profession. Ils n'ont pas d'enfant commun. De précédentes unions, Monsieur m. A. a eu un fils unique et t. ES-HE. deux enfants.
Le 7 octobre 2015, Monsieur m. A. a déposé une requête en divorce au Tribunal de Première Instance de Monaco.
Une ordonnance de non conciliation, rendue le 21 janvier 2016, a constaté le maintien de la demande et a laissé le soin au Tribunal de Première Instance de statuer sur mesures provisoires.
Par exploit du 18 février 2016, Monsieur m. A. a fait assigner son épouse aux fins, notamment, de voir prononcer leur divorce aux torts exclusifs de celle-ci.
Le 24 mars 2016, Madame t. ES-HE. a soulevé l'incompétence territoriale des Tribunaux monégasques au profit du juge américain devant lequel elle a engagé une procédure de divorce. Sa demande a été rejetée par deux jugements de la Supreme court of New York les 28 octobre 2016, puis 12 mai 2017.
Le 28 février 2017, Madame t. ES-HE. a déposé une plainte pénale pour une escroquerie au jugement qui aurait été commise par Monsieur m. A. Cette plainte a fait l'objet d'une ouverture d'information à Monaco.
Par jugement du 12 octobre 2017, le Tribunal de Première Instance de Monaco a ordonné la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent contradictoirement sur la compétence des juridictions monégasques pour connaître du présent litige au regard des dispositions nouvelles de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé. Le Tribunal de Première instance a renvoyé la cause et les parties à l'audience du 16 novembre 2017 pour le dépôt des écritures de Madame t. ES-HE. date à laquelle l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à la demande de celle-ci au 30 novembre 2017.
Le 16 novembre 2017, le Tribunal de Première Instance de Monaco a rendu une décision sur les mesures provisoires aux termes de laquelle Monsieur m. A. a, notamment, été condamné à payer une pension alimentaire mensuelle de 100.000 € avec effet rétroactif. Les deux époux ont fait appel puis se sont désistés.
Aux termes de ses conclusions déposées le 30 novembre 2017, Madame t. ES-HE. a sollicité le sursis à statuer en vertu de l'article 3 du Code de procédure pénale en raison de la plainte pénale déposée le 28 février 2017, position qu'elle réitérera par des conclusions récapitulatives du 28 juin 2018.
Par conclusions récapitulatives du 25 septembre 2018, Monsieur m. A. a sollicité le débouté des demandes de son épouse concernant le sursis à statuer et l'exception d'incompétence des juridictions monégasques formées par son épouse.
Il entend voir :
Sur le sursis à statuer :
- déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer à ce stade de la procédure ;
À titre subsidiaire :
- dire et juger que les conditions pour accueillir la demande de sursis à statuer ne sont pas réunies en l'espèce et en conséquence ;
- débouter Madame t. ES-HE. de sa demande de sursis à statuer la non fondée.
En tout état de cause :
- dire et juger que la demande de sursis à statuer est purement dilatoire, et en conséquence ;
- débouter de plus fort Madame t. ES-HE. de sa demande de sursis à statuer, la disant non fondée et dilatoire.
Sur l'exception d'incompétence :
- constater que l'article 4 du Code de Procédure Civile a été abrogé par l'article 5 de la Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé ;
- dire et juger que le domicile conjugal des époux A. est situé à Monaco et en conséquence ;
- se déclarer territorialement compétent pour connaître du divorce des époux A. et de ses suites,
- débouter Madame t. ES-HE. d e son exception d'incompétence, et ce avec toutes conséquences de droit.
En tout état de cause :
- débouter purement et simplement Madame t. ES-HE. de sa demande de dommages-intérêts pour « procédure abusive », la disant non fondée ;
- donner acte à Monsieur m. A. de ce qu'il réserve formellement son droit de conclure au fond.
À l'appui de ses prétentions, Monsieur m. A. soutient, en substance, que :
Sur le sursis à statuer :
- cette demande de sursis est irrecevable du fait du champ d'application du jugement du 12 octobre 2017 n'ordonnant la réouverture des débats que sur l'application de la loi nouvelle et infondée du fait, notamment, que le résultat de l'action pénale ne peut avoir d'incidence sur la procédure de divorce ;
Sur la compétence de la juridiction monégasque, il avance un certain nombre d'arguments de fait, les arguments de droit étant principalement développés par des consultations de professeurs de droit qui seront analysés dans le corps de la décision :
- les époux n'étaient pas séparés de fait avant la requête en divorce devant la juridiction monégasque ; en conséquence le domicile de Madame t. ES-HE. s'est trouvé fixé au domicile de son mari (règle du droit du mariage) ;
- il détient une carte de résident renouvelée régulièrement depuis 2011 ;
- il a fixé son domicile à Monaco dès juin 2011 et il demeure dans un vaste appartement fruit de la réunion de cinq appartements achetés à cette fin ;
- il a installé à Monaco, dans un vaste bureau où travaille une dizaine de personnes, son principal établissement économique, qui gère ses avoirs et ses intérêts, et d'où il tire l'essentiel de ses revenus ;
- il vit à Monaco, entouré de son fils unique et de sa famille ;
- ni lui ni son épouse ne peuvent prétendre à un domicile dans aucun autre pays.
Par conclusions récapitulatives du 15 novembre 2018, le Ministère Public souhaite voir :
- ordonner la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires suivants :
« étonnement partial » (p. 81 des conclusions de Madame t HE. du 28 juin 2018) ;
« avec un parti-pris évident » (p. 81 des conclusions précitées) ;
« éminemment partial » (p. 81 des conclusions précitées) ;
« La partialité du Ministère public en l'espèce est flagrante » (p. 85 des conclusions précitées) ;
« en développant un argumentaire relevant de la mauvaise foi pure et simple » (p. 86 des conclusions précitées) ;
« Les conclusions du Ministère Public sont à nouveau particulièrement partiales » (p. 87 des conclusions précitées) ;
« partisane » (p. 88 des conclusions précitées) ;
« dont le manque flagrant d'objectivité » (p. 90 des conclusions précitées) ;
- écarter la demande de sursis à statuer comme déposé hors le champ procédural limité de la réouverture des débats et, en tant que de besoin, la déclarer irrecevable ;
- à titre particulièrement subsidiaire, débouter la défenderesse de sa demande de sursis à statuer comme portant sur des éléments non pertinents à la présente assignation devant les juridictions monégasques ;
- dire et juger que le domicile des époux se trouve sur le territoire de la Principauté ;
- rejeter la demande d'incompétence des juridictions monégasques ;
- rejeter la demanderesse de son déclinatoire d'incompétence au profit de la juridiction de New York.
Par conclusions récapitulatives du 16 novembre 2018, Madame t. ES-HE. réitérait ses demandes de sursis à statuer et d'exception d'incompétence des juridictions monégasques.
Elle entend voir :
À titre principal, sur la demande de sursis à statuer :
- constater qu'elle a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Magistrat instructeur le 28 février 2017 pour escroquerie au jugement et production de faux documents ;
- constater qu'une ordonnance de fixation de consignation a été rendue par le Juge d'instruction le 10 mars 2017 ;
- constater que la consignation est dûment intervenue le 20 mars 2017 ;
- constater que le Procureur Général a pris des réquisitions aux fins d'informer le 30 mars 2017 ;
En conséquence,
Avant-dire-droit au fond :
- dire et juger qu'elle est recevable et bien fondée en sa demande de sursis à statuer ;
- ordonner le sursis de la présente instance jusqu'à l'issue de l'instance pénale ;
À titre subsidiaire, sur l'incompétence des juridictions monégasques :
- constater que Madame t. ES-HE. en sa qualité de Défenderesse, n'a jamais été domiciliée en Principauté de Monaco ;
- constater dès lors que la Défenderesse n'était aucunement domiciliée en Principauté de Monaco lors de l'introduction par Monsieur m. A. de la procédure de divorce ;
- constater que le domicile conjugal des époux n'a jamais été fixé à Monaco ;
- constater que le dernier domicile des époux ne se trouvait pas à Monaco et que Monsieur m. A. n'y réside pas ;
- constater qu'aucun des époux n'est de nationalité monégasque ;
- dire et juger que les dispositions de l'article 4 et de l'article 40 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 n'ont pas vocation à s'appliquer ;
- se déclarer en conséquence territorialement incompétent pour connaître de l'action en divorce introduite par Monsieur m. A. selon requête du 29 septembre 2015 et exploit d'assignation du 18 février 2016 ;
- condamner Monsieur m. A. à régler à Madame t. ES-HE. la somme de 70.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
En toutes hypothèses :
- constater que Madame t. ES-HE. se réserve expressément de conclure ultérieurement tant sur la validité de l'exploit d'assignation que sur le fond ;
- débouter Monsieur m. A. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Au soutien de ses prétentions, elle fait principalement valoir que :
- concernant le sursis à statuer, il est destiné à pouvoir disposer de l'ensemble des éléments de preuve nécessaires à la détermination de la compétence de la Juridiction en démontrant, au moyen des investigations pénales, que le domicile des époux A. n'était pas en Principauté pas plus que ne l'était celui du seul mari.
Elle prétend que :
- l'entrée en vigueur de la nouvelle loi constituerait un élément nouveau qui rendrait le sursis nécessaire pour le sort de la procédure de divorce ;
- la modification législative intervenue avait fait de la question de la domiciliation des parties une question cruciale au sujet de laquelle les éléments qui pourraient être relevés par l'enquête pénale seraient particulièrement déterminants ;
- elle avait d'ailleurs déposé des écritures aux fins de sursis après la réouverture des débats sans jamais reconclure au fond ;
- concernant les critères de rattachement à Monaco, elle avance des arguments de fait, les arguments de droit étant principalement développés par des consultations de professeurs de droit qui seront analysés dans le corps de la décision. Elle affirme que les éléments de rattachement de Monsieur m. A. à Monaco sont superficiels et factices, ils sont inexistants en ce qui la concerne :
Aucun critère de rattachement pour établir le domicile de Madame t. ES-HE. à Monaco :
Sur le plan matériel :
- elle n'a ni carte de résident ni présence physique significative en Principauté, pour ne s'y être rendue que 94 jours au total de façon épisodique entre juin 2011 (date à laquelle son époux déclarait résider en principauté de Monaco aux autorités monégasques) et septembre 2015 (date du dépôt de la requête en divorce) ;
- de nationalité américaine, il est significatif d'insister sur le fait que ses déclarations d'impôt sont renseignées avec son domicile situé en dehors de Monaco ;
- elle n'a jamais loué ou possédé un bien immobilier à Monaco ;
- au niveau familial, ses enfants, mineurs à la date du dépôt de la requête en divorce, étaient scolarisés en Suisse. De même, aucun membre de sa famille n'habite à Monaco et n'est jamais venue lui rendre visite à Monaco ;
- ses deux employées sont aux U. S. A. ;
- elle n'a pas de permis de conduire monégasque, son permis de conduire international a été délivré en juin 2015 et contenait la mention de son domicile américain ;
- l'appartement de Monsieur m. A. situé X1 à Monaco n'y contient aucune trace de véritable occupation si ce n'est des vêtements de vacances d'été.
Sur l'élément intentionnel : Madame t. ES-HE. n'a jamais déclaré être domiciliée à Monaco.
Le domicile international de Monsieur m. A. n'est pas à Monaco :
Sur le plan matériel :
- il est très peu à Monaco, près de 77 jours au total entre juin 2011 (date où il déclarait être résident aux autorités monégasque) et septembre 2015 (date du dépôt de la requête en divorce) ;
- Monsieur m. A. a fait usurper son identité par deux de ses employés à l'hôtel Columbus de Monaco afin de faire croire aux autorités administratives monégasques en vue du renouvellement de sa carte de résident qu'il était présent en Principauté dans une habitation hôtelière sans son épouse.
- il faut observer l'absence d'une réelle installation : l'acquisition à Monaco d'un bien immobilier (470 m² par la réunion de plusieurs appartements) est sans effet faute d'une véritable installation du couple à Monaco (seuls sont prouvés des séjours à l'hôtel issus des compulsoires du Tribunal de Première Instance de Monaco), et alors que Monsieur m. A.(comme son épouse) est propriétaire de biens immobiliers très importants voire bien plus importants en surface et en valeur dans d'autres pays (spécialement en Suisse et aux Etats Unis ) que l'appartement de Monsieur m. A. à Monaco ;
L'élément intentionnel est également défaillant : la qualité de résident à Monaco de Monsieur m. A. étant purement fictive (tentatives d'obtention du certificat de résidence par des moyens frauduleux - absence de séjours significatifs en Principauté puisqu'il n'y était que 77 jours au total entre 2011 et 2015) ;
Madame t. ES-HE. conclut à l'incompétence des juridictions monégasques et propose des fors alternatifs suisses et américains.
SUR CE,
Sur la demande de bâtonnement du parquet général :
Les écrits visés par les conclusions du parquet général constituent au sens de l'article 22, 2° de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 un manquement au respect ou aux légitimes égards qu'ils doivent aux magistrats si bien que la demande de bâtonnement sera accueillie.
Sur la demande aux fins de sursis à statuer :
Sur le moyen tiré de la recevabilité de cette demande :
Alors que le délibéré est en cours devant le Tribunal de Première Instance sur la question de compétence territoriale, le nouveau Code de Droit International Privé entre en vigueur à Monaco le 8 juillet 2017. Il est d'application immédiate ce qui conduit le Tribunal à rouvrir les débats par décision du 12 octobre 2017.
La réouverture des débats est strictement limitée tant dans ses motifs que dans son dispositif :
« Le présent litige s'articule, à ce stade de la procédure, autour de la notion de domicile et de la compétence des Tribunaux de la Principauté pour statuer sur le divorce des parties » .
« Il apparaît nécessaire que les parties puissent s'expliquer contradictoirement sur les dispositions légales nouvelles applicables à leur litige » .
« Ordonne la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent contradictoirement sur la compétence des juridictions monégasques pour connaître du présent litige, au regard des dispositions nouvelles de la loi du 28 juin 2017 relative au droit international privé » .
La réouverture des débats a donc pour seule fin de discuter contradictoirement de la compétence des juridictions monégasques au visa des dispositions de la Loi n° 1.448 en date du 28 juin 2017.
Par conclusions du 30 novembre 2017, Madame t. ES-HE. soulève pour la première fois le sursis à statuer sur la base de la plainte pénale déposée le 28 février 2017 à l'encontre de son mari pour obtention frauduleuse du statut de résident et, par voie de conséquence, pour escroquerie au jugement dans le cadre de cette procédure.
Cette plainte avait été déposée neuf mois auparavant et elle faisait l'objet d'une instruction, le Ministère Public ayant pris des réquisitions aux fins d'informer.
À la date de la plaidoirie le 29 juin 2017 qui marque, en l'état de la procédure civile monégasque, la clôture des débats, cette plainte n'est pas formellement dans le débat alors que la simple lecture des prétentions des parties démontre que la question de la domiciliation des époux A. ensemble ou séparément, est au cœur du litige avec à l'appui de nombreux arguments de fait et de droit de chacune des parties y compris celui du caractère frauduleux de la domiciliation de Monsieur m. A.
La question de la domiciliation est fondamentale sous l'empire tant des anciennes dispositions du Code de procédure civile monégasque dans ses articles 1 à 5 que de la nouvelle loi.
La demande de sursis à statuer ne repose pas sur un fait nouveau au regard de la date du dépôt de la plainte pénale et des arguments de fait déjà soulevés. Elle est donc irrecevable du fait de la clôture des débats intervenue le 29 juin 2017 et de la mise en délibéré à cette date.
Il n'y a, dès lors, pas lieu d'examiner le moyen tiré du bien-fondé.
Sur la compétence du Tribunal de Première Instance de Monaco :
La législation applicable :
En matière de divorce, la compétence s'apprécie à la date du dépôt de la requête en divorce soit au 7 octobre 2015.
En 2015, lors de l'introduction de l'action en divorce, la disposition législative applicable pour déterminer la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux de la principauté était l'article 2 du Code de Procédure Civile aux termes duquel : « les tribunaux monégasques connaissent de toutes les actions intentées contre un défendeur domicilié dans la principauté sauf l'exception prévue par l'article 4 ».
La loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au Droit International Privé a abrogé les articles 1 à 5 bis du Code de Procédure Civile. Cette loi a été promulguée le 8 juillet 2017 et à vocation à s'appliquer aux instances en cours. Elle a supprimé la possibilité pour le défendeur de soulever le déclinatoire de compétence prévu à l'article 4 du Code de Procédure Civile.
L'exception d'incompétence soulevée sur le fondement des anciens articles 4 et 262 du Code de Procédure Civile doit donc être écartée des débats.
Il convient de se reporter à l'article 40 de la Loi du 28 juin 2017 qui détermine la compétence des juridictions monégasques en matière de divorce. Au cas d'espèce, ne seront analysés que les deux chefs de compétence suivants :
- lorsque le dernier domicile des époux se trouvait sur le territoire de la Principauté et que l'un des époux y réside encore ;
- lorsque l'époux défendeur a son domicile sur le territoire de la Principauté.
Les principes applicables à la détermination du domicile :
Les différents avis de droit fournis par les parties convergent sur les principes suivants adoptés par la présente juridiction au regard des dispositions législatives en vigueur à Monaco :
Selon le comité des ministres du Conseil de l'Europe, le domicile implique un lien de droit résultant du fait que cette personne établit ou maintient volontairement sa résidence unique ou principale dans ce pays avec l'intention d'en faire et d'y maintenir le centre de ses intérêts personnels, sociaux et économiques.
Dans l'article 2 de la loi 28 juin 2017 sur le Droit International Privé, le domicile est défini comme le lieu du principal établissement. Cet article précise que l'étranger, titulaire d'une carte de séjour, est présumé, sauf preuve contraire, avoir son domicile en Principauté.
Pour déterminer le domicile il faut réunir un élément matériel et intentionnel qui doivent chacun s'apprécier in concreto .
- l'élément matériel s'entend d'une certaine stabilité et continuité avec une évaluation de la durée ou de la présence effective appréciée aux circonstances de l'espèce.
- l'élément intentionnel concerne la volonté de l'intéressé d'y établir le centre de ses intérêts patrimoniaux, affectifs et sociaux. Cet élément est essentiel pour faire la distinction avec la notion de résidence. En effet, en cas de pluralité de résidences et de contestation de domicile, il est indispensable d'effectuer une comparaison entre les domiciliations possibles et se référer à l'ensemble des éléments concernant la vie personnelle, sociale ou professionnelle. Dans ce contexte, un simple document administratif n'est pas déterminant à lui seul. Dans le même esprit, plus l'intéressé se déplace fréquemment et qu'il existe une dispersion certaine des éléments matériels, plus l'appréciation de l'élément subjectif sera déterminant avec la recherche de la démonstration d'une volonté affirmée et pérenne de l'intéressé d'établir son domicile.
C'est à l'aune de ces principes qu'il convient d'analyser la situation des époux A. compte tenu de leur mode de vie.
Le mode vie des époux A. au moment du dépôt de la requête en divorce :
Les époux A. avaient un mode de vie particulièrement luxueux et itinérant rythmé par des déplacements constants à travers le monde entier où vie personnelle, sociale, professionnelle étaient étroitement mêlées. Ils voyageaient ensemble ou séparément au gré de leurs agendas et diverses obligations. Mode de vie qu'ils qualifient eux-mêmes d'atypique.
D'importantes ressources étaient mises à leur disposition :
- des demeures de grand standing comprenant de nombreuses œuvres d'art ;
- un avion privé avec lequel s'effectuait l'essentiel de leur déplacement ;
- un yacht ;
- une flotte de véhicules de luxe ;
- une équipe d'une quarantaine de personnes en charge de l'organisation et la gestion de leurs activités.
Les époux A. ont quitté Hong Kong en 2010 pour revenir en Europe. Ils ont eu le projet d'acquérir un bien immobilier en Suisse puis en 2011, ils ont entrepris les démarches utiles pour une prise de résidence à MONACO. Monsieur m. A. obtenait sa carte de résident, Madame t. ES-HE. après avoir obtenu le visa de long séjour nécessaire à l'obtention d'une carte de séjour, ne concrétisait pas ses démarches (demande de visa signé le 21 octobre 2013 par Madame t. ES-HE. courriers électroniques échangés courant janvier 2014 par Monsieur s. V. et Monsieur c. P..
Comme il a été évoqué ci-dessus, le domicile au sens international implique une installation en un lieu déterminé, avec la volonté exprimée d'y établir le centre de ses intérêts et de s'y maintenir durablement.
Au cas d'espèce, sur un plan strictement matériel, les époux possédaient plusieurs résidences dans le monde parmi lesquelles quatre résidences qui ont fait l'objet de plus amples développements par les parties.
Celles-ci ont pour point commun d'avoir été acquises durant le mariage des époux A.(à l'exception du Chalet Y) et pour la majeure partie financée par Monsieur, d'avoir fait l'objet d'importants travaux de rénovation et de restructuration supervisés par les époux A. (plus particulièrement par Madame) et de bénéficier d'un personnel de maison pérenne.
Au cours de leurs pérégrinations, ils pouvaient s'y installer confortablement avec toutes les conditions requises pour garantir leur train de vie.
Il s'agit :
- d'un appartement dans le 8ème arrondissement à Paris (750008), X2, détenu par la SCI A créée le 26 janvier 2010, chacun des époux possédant 50% des parts sociales ;
- d'un appartement à New York (5B) au X3 acquis par Monsieur m. A. le 5 mars 2010. A la suite de cession de parts (en 2012 et en 2013), Madame t. ES-HE. en est aujourd'hui seule propriétaire. Un projet d'achat d'un appartement mitoyen (5C) le 12 juin 2015 ne sera pas concrétisé ;
- du Chalet Y à Gstaad (acquis antérieurement au mariage par Monsieur A. ;
- d'un appartement de 476 m² (fruit de l'achat au mois d'aout 2011 puis en septembre 2012, de 5 appartements) sur tout le 18ème étage de l'immeuble Z à Monaco, X1
Parmi ses résidences, laquelle pouvait constituer un domicile au moment de l'introduction de l'instance en divorce ?
Pour répondre à cette question, au regard de l'article 40 de la loi monégasque sur le droit international privé, il convient d'analyser successivement les deux chefs de compétence applicables :
Le domicile de Madame t. ES-HE., défenderesse à l'instance :
Madame t. ES-HE. est citoyenne américaine, ne possède aucun titre de séjour en Principauté, ni dans l'Union Européenne, ni en Suisse.
Plusieurs affidavits produits à sa demande attestent :
- qu'elle n'a jamais été domiciliée au Royaume-Uni (affidavit de son avocat anglais en date du 30 novembre 2016) ;
- qu'elle n'a jamais été domiciliée en France (affidavit de son avocat français Maître DE FONTMICHEL du 1er décembre 2016) ;
- qu'elle n'a jamais été domiciliée en Suisse (affidavit en date du 2 décembre 2016 de Maître David BITTON).
Madame t. ES-HE. soutient qu'elle n'a jamais voulu établir son domicile à Monaco où ne se trouve pas le centre de ses intérêts.
Elle fait valoir qu'elle n'est ni propriétaire ou locataire d'aucun bien immeuble, n'y a strictement aucun lien familial (ses enfants mineurs à l'époque étant scolarisés dans un Internat en Suisse, ses parents résidant aux Etats-Unis attestant ne l'avoir jamais rencontré à Monaco) et n'y a séjourné qu'en villégiature quelques jours par an (6 jours en 2012, 13 jours en 2013, 5 jours en 2014 et 54 jours en 2015).
Elle ajoute qu'elle n'est inscrite dans aucun cercle et n'y a pas vie sociale ce qui n'est pas exact (cf. infra ).
Elle précise que le véhicule de la marque W offerte par son mari, importée de Suisse immatriculée en série Y, (celle des non-résidents) n'a été jamais utilisée et que la possession d'un yacht à Monaco ne vaut pas domicile.
Il a déjà été évoqué que pendant leur mariage, les époux ont mené une vie nomade à travers le monde. Madame indiquant lors de l'audience de non conciliation « pendant la vie commune, on voyageait tout le temps, ma résidence principale était dans le ciel, cela dépendait des achats que nous faisions, nous n'avions pas une vie normale, l'entreprise familiale lui prenait beaucoup de temps et le faisait voyager énormément ».
Les pièces produites à l'instance établissent que pendant la période considérée (soit principalement de 2011 à fin 2015), Madame t. ES-HE. va présenter de manière variable et au gré des besoins sa propre domiciliation :
À Monaco X1 :
- courriel du 18 octobre 2013 à un établissement bancaire monégasque où elle précise qu'elle est « en train de devenir résidente monégasque » ;
- demande de visa du 21 octobre 2013 où elle indique pour domicile celui de son mari ;
- échange avec son conseiller sur la résidence la plus favorable fiscalement la Suisse ou Monaco (courriel du 30 octobre 2014) ;
- échange de courriels en 2014 pour justifier son empêchement comme juré aux Etats-Unis ;
- achat d'un appartement (chalet U) à Gstaad le 12 février 2015 ;
À Paris (X2) :
- procès-verbal d'un constat d'huissier français en date du 8 octobre 2015 ;
- le 6 novembre 2015, dans le cadre d'une procédure tendant à obtenir le gel d'une partie des actifs de son époux à New York initiée devant les juridictions de cette ville, elle affirme qu'elle « réside actuellement en France » ;
À Londres :
- un constat d'huissier monégasque en date du 13 novembre 2015, Madame ES-HE. se domicilie à Londres, au X4.
- affidavit du 9 décembre 2015 produit devant les juridictions américaines « Madame A. semble bien plus à même d'établir son domicile à Londres » ;
- dans le cadre de l'ordonnance de non-conciliation au X5 ;
Aux États - Unis et plus particulièrement New York :
- son permis de conduire lui a été délivré aux U. S. A. et a été renouvelé en juin 2015. Son permis de conduire précise que le domicile de Madame t. ES-HE. est situé aux U. S. A. à Alamo ;
- Madame t. ES-HE. a introduit une action en divorce devant les juridictions new-yorkaises. Celles-ci ont rendu deux décisions de rejet.
Dans ses écritures, elle soutient que si le juge new-yorkais, saisi en 2015, d'une demande de divorce s'est déclaré incompétent, c'est au regard de l'absence de résidence continue pendant deux années consécutives exigée par la loi de l'Etat de New York. Il ne serait pas prononcé au regard du domicile. Or, elle affirme avoir toujours été domicilié de droit et de fait à New York avant son mariage et encore aujourd'hui.
Dans sa décision en date du 28 octobre 2016, le juge new-yorkais constate « peu importe si la demanderesse a séjourné à New York pendant 156 ou 188 jours, sa présence occasionnelle dans cet état ne remplit pas les conditions de résidence posée par l'article 230 de la loi sur les relations familiales . La demanderesse soutient néanmoins qu'elle était domiciliée à New York durant cette période... il n'existe aucun indice habituel démontrant que la demanderesse a changé de domicile pour l'établir à New York ».
Dans sa décision en date du 12 mai 2017, un autre juge new-yorkais saisi sur requête en autorisation de débattre à nouveau rappelle : « La demanderesse a déclaré à divers tribunaux et organismes que l'État de New York n'était pas son domicile... les courriels joints à la présente requête et à la requête initiale démontrent qu'elle comprend non seulement les concepts de résidence et de domicile et leurs implications... Les nouvelles pièces... ne remplacent pas les déclarations antérieures de l'épouse concernant sa résidence ou son domicile et son incapacité à apporter des justificatifs prouvant que l'État de New York était sa résidence ou son domicile... ».
Les motivations des magistrats new-yorkais sont claires, les décisions de rejet concernent et la résidence et le domicile.
Concernant la Suisse, Madame t. ES-HE. admet y avoir séjourné mais précise dans ses dernières écritures que :
« On a vu qu'aucun transfert ne s'est effectué vers Monaco, avec lequel Mme A. n'a pas d'attache.
Il en va de même en ce qui concerne la Suisse.
Mme A. y a séjourné, pas davantage d'ailleurs cependant.
Ses enfants y ont été scolarisés : ils n'étaient cependant pas scolarisés auprès de leur mère, mais pensionnaires dans des établissements huppés, conformes au standing de la famille . Le choix des établissements suisses parait ainsi avoir été davantage dicté par l'excellence de l'éducation qui y était donnée, que par un besoin de rapprochement avec une mère qui résidait fort peu en Suisse ».
En conséquence, compte tenu du mode de fonctionnement de Madame t. ES-HE. il est impossible de lui attribuer un domicile personnel au moment de l'introduction de l'instance en divorce par son mari. D'ailleurs, dans un courriel en date du 25 aout 2015, elle reconnaît elle-même être sans domicile officiel depuis 2011 (courriel 25 aout 2015, Madame t. ES-HE./ C. L. V.).
Il faut également prendre acte des décisions définitives des juridictions new-yorkaises déclinant leur compétence.
Il convient donc d'examiner le deuxième chef de compétence : le dernier domicile des époux se trouvait sur le territoire de la Principauté et l'un des époux y réside encore.
Le dernier domicile des époux, l'un des époux y réside encore :
Les époux n'étant pas séparés de fait à la date de la demande en divorce et s'obligeant à une communauté de vie, il est nécessaire de procéder à l'analyse du domicile de Monsieur m. A. qui, du fait de l'absence de domicile de son épouse, devient le domicile conjugal.
Monsieur m. A. est citoyen suisse, il possède une carte de résident en Principauté depuis 2011. En application de l'article 2 de la Loi sur le Droit International Privé, il bénéficie d'une présomption simple de domiciliation.
Ce statut de résident monégasque est remis en cause par son épouse dans le cadre d'une instruction en cours. Sa plainte est principalement fondée sur l'infraction d'escroquerie au jugement qui aurait été commise par Monsieur m. A. du chef de sa domiciliation fictive à Monaco qui lui permettrait de s'octroyer les avantages du droit civil et fiscal monégasque. La plaignante s'appuie sur le résultat des cinq compulsoires ordonnés par le Tribunal de Première Instance, en ce compris les relevés GSM du téléphone mobile de Monsieur m. A. ainsi que les factures d'hôtel établies par la Société D pour la période précédant le dépôt de la requête en divorce.
À ce stade, il faut noter :
- d'une part, que l'enquête administrative concernant l'obtention frauduleuse de la carte de résident, initiée à la requête de Madame t. ES-HE. a été classée le 20 février 2017 et la carte de Monsieur m. A. renouvelée le 18 août 2017. Le statut de résident de Monsieur m. A. n'est donc en l'état pas remis en cause par l'administration ;
- d'autre part, qu'il n'appartient pas au juge civil de se prononcer sur les éléments constitutifs d'une infraction, a fortiori, lorsqu'une instruction est en cours impliquant, de surcroît, le respect de la présomption d'innocence ;
- qu'enfin et, surtout, ainsi qui l'a été rappelé ci-dessus, l'obtention de ce document administratif n'est qu'un élément parmi d'autres pour apprécier si Monaco était le centre des intérêts patrimoniaux, affectifs et sociaux de Monsieur m. A. à la date de l'introduction de l'instance en divorce.
À cet égard,
Sur le plan matériel :
Monsieur m. A. comme son épouse, se déplace constamment. Les agendas fournis en procédure attestent d'une présence physique à Monaco qui n'est effectivement pas prédominante par rapport à d'autres endroits dans le monde et, notamment, en Suisse où sa famille a des liens anciens et y a fondé une entreprise à réputation mondiale dans laquelle il a exercé des responsabilités importantes.
Il bénéficie de plusieurs résidences dans le monde qui sont en capacité de l'accueillir dans d'excellentes conditions à tout moment grâce à un personnel de maison à demeure. Il possède avec son épouse un yacht à Monaco (construit en 2013/2014) et arrimé au port de Cap d'Ail (2014/2015).
Pour se déplacer, il utilise de préférence un jet privé et dispose de nombreux véhicules à Monaco ou ailleurs.
Cette dispersion des éléments matériels relativise l'importance du temps de présence physique pour s'attacher à la notion de volonté de s'établir dans la durée (cette démarche s'analysant comme le signe de l'intégration à une communauté).
Au cas d'espèce, compte tenu du mode vie « hors norme » des parties, l'élément intentionnel est déterminant pour caractériser le domicile.
Sur le plan intentionnel :
Depuis 2011, Monsieur m. A. affirme clairement sa volonté de s'établir à Monaco.
Madame t. ES-HE. soutient que la volonté de son époux ne saurait suppléer des éléments objectifs attestant de ses attaches en Suisse. Elle affirme que son domicile est toujours resté fixé en Suisse durant le mariage (là où il conservait le centre de ses intérêts professionnels, patrimoniaux et sociaux). Selon elle, il ne démontre pas que ses liens avec la Principauté soient prépondérants par rapport à ceux qu'il entretient avec la Suisse.
Elle avance les arguments suivants.
Pendant la période déterminante des quatre ans précédant le dépôt de la requête en divorce, la durée des séjours de Monsieur m. A. en Suisse a été largement supérieure à celle de ses séjours à Monaco (354 contre 94 à Monaco).
Le chalet Y, d'une superficie de 2.787 m2, constitue la plus grande de toutes ses résidences. Il constitue le point d'ancrage familial. Elle affirme (ce que Monsieur m. A. conteste) qu'il comprend des chambres réservées à ses enfants contrairement à l'appartement de Monaco.
Elle ajoute l'intention frauduleuse d'établir une domiciliation fictive à Monaco pour des raisons fiscales (en raison à l'origine de la vente d'une partie de ses titres dans l'entreprise familiale suisse E en 2012) qui sert maintenant les intérêts de son époux dans le cadre de son divorce.
Monsieur m. A. quant à lui conteste toute domiciliation en Suisse et déclare être en règle sur le plan fiscal avec ce pays. Il réaffirme sa volonté d'être domicilié à Monaco et, ce, depuis 2011. Les nombreuses démarches entreprises depuis lors en attestent selon lui.
La démonstration d'une fraude à l'obtention d'une carte de résident et les éléments de preuve avancés par Madame t. ES-HE. à cet égard sont de la compétence du juge d'instruction déjà saisi. Cette situation ne fait pas obstacle à l'analyse du principal établissement des époux A.(cf. supra : analyse des principes applicables).
Il est incontestable que la Suisse est le pays d'origine de Monsieur m. A. qu'il y a des attaches fortes notamment pour perpétrer, à l'aide d'associations caritatives, les engagements de sa famille, que le siège de la société E, l'entreprise fondée par son grand-père, y est localisé, que le chalet Y à Gstaad est de son propre aveu la maison familiale de son fils et qu'il y détient d'autres actifs, notamment des actifs immobiliers.
Mais, en contrepoint, il existe des éléments concordants qui démontrent que Monsieur m. A. a manifesté sur plusieurs années à compter de 2011 la volonté de s'établir durablement à Monaco, d'y concentrer ses intérêts personnels et professionnels en y recentrant la gestion de son patrimoine, en y aménageant une résidence, et en s'inscrivant dans la vie sociale monégasque.
Les nombreux courriels et documents fournis établissent que, durant cette période, il a agi avec le concours et l'assentiment de son épouse.
Concernant la gestion de ses intérêts économiques :
Il a constitué la société anonyme monégasque F (ses statuts ont été déposés le 29 décembre 2011 et approuvés par Arrêté Ministériel n°XX en date du 14 décembre 2011) au titre de son principal établissement économique. Cette structure est installée dans de vastes bureaux à Monaco où travaillent une dizaine de collaborateurs.
Il faut noter que, depuis 2011, Monsieur m. A. a cessé d'occuper le poste de co-Directeur général et de co-Président du Groupe E, société familiale fondée en Suisse et qu'il abandonnera complètement ses responsabilités en février 2015.
Concernant sa volonté de faire de l'appartement du « Z » le lieu du domicile conjugal :
Dès 2011, il procède à l'achat de plusieurs appartements dans cet immeuble avec la volonté de privatiser le 18ème étage (l'immeuble « Z » comme en atteste un expert immobilier étant idéalement situé en Principauté).
Les travaux de restructuration sont d'envergure et prendront plusieurs années. Les architectes confirmeront qu'il s'agissait de travaux très importants. Un architecte précise : « Le chantier a été difficile. il a été plus long que prévu pour des raisons diverses liés à un chantier de cet ampleur mais aussi par les requêtes fréquentes de changements demandées par Madame A..... Les visites de chantier étaient régulières ..... leurs exigences étaient élevées car cet appartement consistait leur résidence principale, ils ont donc mis un soin particulier à leur réalisation. ». Madame t. ES-HE. évoquera devant le juge conciliateur la construction « d'un nid d'amour ».
Ces acquisitions et les travaux d'envergure menés conjointement par le couple A. sur plusieurs années confirment que l'appartement du « Z » ne constitue en rien une résidence fictive en Principauté mais une réelle volonté d'établissement.
Cet appartement est livré en mai 2015. L'installation est effective à compter de cette date. Madame t. ES-HE. soutient qu'il ne s'agissait pas du domicile conjugal et qu'il ne contenait uniquement que des effets personnels pour les vacances estivales. Selon ses déclarations : « Ces effets personnels qu'elle a récupérés dans l'appartement de Monaco après le dépôt de la requête en divorce tenaient dans quatre sacs, ce qui est insignifiant au regard de l'importance de ses effets personnels dans ses autres résidences, et dénote qu'elle n'avait pas investi les lieux ».
Or, plusieurs éléments factuels contredisent cette position :
- au mois de mai 2015, les époux ne sont pas séparés de fait. Ils ont donc nécessairement une communauté de vie. Il ne semble pas être question de divorce à cette date, Monsieur m. A. faisant parvenir, au contraire, à son épouse un projet de contrat postnuptial et successoral, soumis au droit suisse transmis pour son accord, le 16 juillet 2015. En l'absence de contrat de mariage, ce document aurait, en effet, garanti les intérêts de l'épouse en cas de décès (Monsieur m. A. étant sensiblement plus âgé que celle-ci).
- les constats d'huissiers (photographies à l'appui) nuancent les affirmations de Madame t. ES-HE. le constat d'huissier du 13 novembre 2015 atteste d'un appartement luxueusement équipé, contenant des effets personnels des deux époux. Madame t. ES-HE. y emportera un grand nombre de ses bijoux (dont l'inventaire remplit douze pages du constat) et des effets personnels. Elle procédera ultérieurement à un nouveau déménagement de ses effets personnels y compris de ceux entreposés dans les caves (deuxième constat du 4 mai 2017).
- enfin, plusieurs témoignages attestent d'une présence effective des époux dans cet appartement au printemps-été 2015, Madame t. ES-HE. y ayant notamment fêté son anniversaire le 22 juillet (le carton d'invitation fait partie des pièces produites).
Concernant son implication dans la vie sociale à Monaco :
Les époux A. sont tous deux membres du T Club de Monaco (cartes 2013/2015 et domiciliation à Monaco dans le formulaire d'inscription), de la société H et de l'Association I.
Dès 2012, ils ont commandé à une entreprise monégasque un yacht, le « S », qui a ensuite été amarré au port de Cap-d'Ail (2014 /2015).
Concernant ses liens familiaux à Monaco :
Son fils unique, Monsieur a. A. a rejoint son père en Principauté, où il a acheté un vaste appartement dans l'immeuble « R ». Sa petite fille y est née. Monsieur a. A. travaille au sein de la société F, dont il est Administrateur depuis sa création.
L'analyse des pièces produites à l'instance permet donc de conclure qu'à la date de l'introduction de l'instance en divorce, aucun domicile ne peut être attribué à Madame t. ES-HE. que Monsieur m. A. mais aussi le couple A. avait établi leur domicile à Monaco. Il n'est pas contesté que Monsieur m. A. y est encore domicilié.
En application de l'article 40 de la loi de la Loi n° 1.448 en date du 28 juin 2017, le Tribunal de Première Instance de Monaco est donc compétent pour connaître du divorce des époux A.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Madame t. ES-HE. sollicite une somme de 70.000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive au motif d'une stratégie mise en place par son mari pour saisir les juridictions monégasques de son divorce en se domiciliant artificiellement à Monaco pour les besoins de la cause.
Monsieur m. A. est domicilié à Monaco depuis 2011 soit quatre ans avant sa demande en divorce. Ce simple élément factuel suffit à démontrer que la domiciliation à Monaco n'est pas de circonstance pour cette procédure en divorce.
Madame t. ES-HE. sera déboutée de cette demande.
Les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement, par jugement avant-dire-droit au fond,
Ordonne la suppression dans les conclusions de madame t. ES-HE. épouse A. des écrits suivants :
- « étonnement partial » (p. 81 des conclusions de t. ES-HE. épouse A. du 28 juin 2018) ;
- « avec un parti-pris évident » (p. 81 des conclusions précitées) ;
- « éminemment partial » (p. 81 des conclusions précitées) ;
- « La partialité du Ministère public en l'espèce est flagrante » (p. 85 des conclusions précitées) ;
- « en développant un argumentaire relevant de la mauvaise foi pure et simple » (p. 86 des conclusions précitées) ;
- « Les conclusions du Ministère Public sont à nouveau particulièrement partiales » (p. 87 des conclusions précitées) ;
- « partisane » (p. 88 des conclusions précitées).
Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer ;
Se déclare compétent, en application de l'article 40 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé pour connaître du divorce des époux A.;
Déboute t. ES-HE. épouse A. pour le surplus de ses demandes ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MERCREDI 3 AVRIL 2019 à 9 heures en l'état ;
Reserve les dépens en fins de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décisions a été donnée l'audience du 14 FEVRIER 2019, par Madame Françoise BARBIER-CHASSAING, Président, assistée de Mademoiselle Amandine RENOU, Greffier Stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.