Tribunal de première instance, 11 octobre 2018, La Société Nordea Bank SA c/ k. DA. et c. DA.épouse JE.

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Abstract🔗

Compétence civile et commerciale - Clause attributive de compétence étrangère - Compétence des tribunaux luxembourgeois - Sursis à statuer - Mainlevée des mesures conservatoires (non)

Résumé🔗

Tant la lettre que l'esprit de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 commandent de faire application de la clause par laquelle les parties ont entendu soumettre les deux engagements de caution conclus à la compétence exclusive des tribunaux luxembourgeois, les dispositions nouvelles ne permettant pas à l'une des parties d'y renoncer, même si ladite clause a été stipulée dans son intérêt exclusif. Il conviendra en conséquence de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive du juge luxembourgeois, la présente juridiction demeurant compétente pour statuer sur la validité des mesures conservatoires ordonnées. En l'absence d'éléments nouveaux, la demande de mainlevée est prématurée et les effets des mesures conservatoires seront maintenus dans l'attente d'une décision sur le fond.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000303 (assignation du 4 janvier 2017)

N° 2018/000049 (assignation du 4 août 2017)

JUGEMENT DU 11 OCTOBRE 2018

En la cause de :

  • La société A, dont le siège se social se trouve X1- 2220 Luxembourg (Luxembourg), agissant poursuites et diligences de ses administrateurs en exercice, s. ST. et t SA. domiciliés ès-qualités audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Pierre-Anne NOGHES-DU MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  1. k. DA. demeurant X2 à Monaco ;

  2. c. DA. épouse JE. demeurant X3 à Monaco ;

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Olivier RIFFAUD-LONGUESPE, avocat au barreau de Grasse ;

En présence de :

  • M. le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, Parquet Général, Palais de Justice, Rue Colonel Bellando de Castro à Monaco (98000),

COMPARAISSANT EN PERSONNE ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 4 janvier 2017, enregistré (n° 2017/000303) ;

Vu la déclaration originaire, de l'établissement bancaire dénommé C exploitée sous l'enseigne C, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire C par courrier en date du 18 janvier 2017 ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 4 août 2017, enregistré (n° 2018/000049) ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur, au nom de k. DA. et c. DA. en date des 3 mai 2017, 12 octobre 2017, 10 janvier 2018, 11 janvier 2018 et 20 avril 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la société A, en date des 8 juin 2017, 9 novembre 2017, 16 mars 2018 et 20 avril 2018 et celles de Maître Pierre-Anne NOGHES-Du Monceau, avocat-défenseur, en date du 17 mai 2018 ;

Vu les conclusions du Ministère Public en date du 13 février 2018 ;

À l'audience publique du 12 juillet 2018, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 11 octobre 2018 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 13 décembre 2006, réitéré par acte authentique du 22 décembre 2006, la société A, société anonyme de droit luxembourgeois, a consenti à SCI de droit français D un prêt hypothécaire d'un montant d'1.600.000 euros, d'une durée de dix ans à compter du 31 janvier 2007.

Par deux actes sous seing privé du même jour, rédigés en langue anglaise et intitulés « Personal Suretyship », k. DA. et c. DA. associés de la société emprunteuse, se sont engagés personnellement et solidairement à rembourser à la banque tout montant qui serait dû par la SCI D, à concurrence d'1.600.000 euros.

Face à la défaillance de l'emprunteur, la banque a, par exploit d'huissier délivré le 26 septembre 2013, notifié à la SCI D sa décision de mettre fin au contrat de prêt et l'a sommée de régler la somme d'1.722.548,61 euros.

Le 31 janvier 2014, la banque a fait signifier à la SCI D et aux consorts DA. un commandement de payer valant saisie, pour la somme d'1.742.764,13 euros.

Ce commandement étant demeuré infructueux, la banque, autorisée en cela par le Juge de l'Exécution du Tribunal de grande instance de Nice, a fait procéder à la saisie et à la vente aux enchères du bien immobilier appartenant à la SCI D et grevé de l'hypothèque conventionnelle.

Faute d'enchères, le créancier poursuivant a été déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix, soit la somme de 700.000 euros.

Postérieurement, la banque a procédé à la vente du bien, au prix de 425.000 euros, venus en déduction de sa créance.

Compte tenu de la résidence à Monaco des consorts DA. la banque A a, le 13 décembre 2016, déposé devant le Président de ce Tribunal une requête aux fins de saisie-arrêt des comptes détenus par ceux-ci auprès de l'établissement monégasque C.

Autorisée par ordonnance présidentielle du 14 décembre 2016, la banque A a, par exploit d'huissier du 4 janvier 2017, fait procéder à ladite saisie et par le même acte, a fait assigner k. DA. et c. DA. épouse JE. en validation de la saisie et en paiement de la somme d'1.203.059,70 euros.

La saisie-arrêt n'a été fructueuse qu'à hauteur de 131.063,40 euros, étant toutefois précisé que l'ensemble des comptes détenus par les débiteurs saisis se trouvent nantis au profit de la banque C.

Autorisée par ordonnance présidentielle du 8 mai 2017, la banque a pris, le 16 mai 2017, une inscription provisoire de nantissement sur le fonds de commerce exploité en nom personnel par k. DA. à Monaco sous l'enseigne « B ».

Selon exploit d'huissier délivré le 4 août 2017, la banque A a fait assigner k. DA. en paiement de l'intégralité de la créance, soit la somme d'1.925.093,87 euros, et aux fins d'inscription définitive du nantissement.

Elle demande la jonction de deux instances, enrôlées sous les numéros 2017/000303 et 2018/000049.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

En défense, k. DA. et c. DA. épouse JE. soulèvent in limine litis l'incompétence de la juridiction monégasque au profit du juge luxembourgeois.

Ils demandent en conséquence au Tribunal de céans de surseoir à statuer dans l'attente de la saisine de la juridiction étrangère et sollicitent, à titre subsidiaire :

  • dans l'instance n° 2017/000303, la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 4 janvier 2017 ;

  • dans l'instance n° 2018/000049, la radiation de l'inscription de nantissement judiciaire provisoire prise le 16 mai 2017.

À l'appui de leur exception d'incompétence, ils font valoir que :

  • il est de principe que la juridiction monégasque détermine sa compétence sur la base de ses propres règles de droit international privé, soit la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 et les dispositions du Code de procédure civile ;

  • l'article 9 de la loi susdite prévoit qu'en présence d'une clause attributive de compétence, les juridictions monégasques doivent se dessaisir au profit de la juridiction étrangère désignée par le contrat ;

  • en l'espèce, les deux engagements de caution litigieux stipulent la clause suivante :

    « La présente garantie est régie par les lois du Grand-Duché du Luxembourg et est soumise à la compétence exclusive des tribunaux luxembourgeois pour tout litige survenant en vertu des présentes » ;

  • c'est à tort que la partie adverse prétend pouvoir renoncer à cette clause attributive de compétence qu'elle soutient avoir été stipulée à son seul profit ;

  • la jurisprudence monégasque qu'elle invoque à cet égard est en effet antérieure à la loi n° 1.448 précitée et il conviendra préalablement que le Tribunal se prononce sur l'applicabilité de cette jurisprudence postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi ;

  • dans tous les cas, la jurisprudence considère que la renonciation par une des parties au contrat à une clause attributive de compétence ne peut s'exercer que si la clause a été stipulée à son seul profit, ce qui lui appartient de démontrer ;

  • il a ainsi été jugé que le seul fait que les parties soient convenues de la compétence d'un Tribunal dans le ressort duquel l'une d'elles à son domicile, ne suffit pas à caractériser l'intérêt exclusif ;

  • dans un arrêt du 14 mars 2017, la Cour d'appel de Monaco a rappelé que lorsqu'une clause attributive de compétence est prévue dans l'intérêt exclusif d'une partie, celle-ci peut y renoncer pour attraire son cocontractant devant la juridiction de son domicile mais elle a précisé que cette notion « d'intérêt exclusif », en ce qu'elle fait échec aux dispositions contractuelles, doit être interprétée strictement ;

  • la Cour en a défini les critères de la manière suivante : « l'avantage procuré à l'une des parties doit résulter des termes de la clause, et plus généralement de l'économie du contrat et des circonstances de sa conclusion » ;

  • si l'on applique ces trois critères au cas d'espèce, il s'avère que la preuve n'est ici pas rapportée du moyen selon lequel la clause attributive de compétence aurait été stipulée dans l'intérêt exclusif de la banque A ;

  • s'agissant en premier lieu des termes de la clause, celle-ci est parfaitement rédigée, non équivoque et non seulement donne compétence aux tribunaux luxembourgeois mais prévoit l'application du droit luxembourgeois ;

  • s'agissant en deuxième lieu de l'économie du contrat, celui-ci fait, à plusieurs reprises, référence aux dispositions du Code civil luxembourgeois, ce dont il résulte que les parties ont entendu soumettre leur contrat au droit luxembourgeois pour la mise en œuvre duquel le juge luxembourgeois est le juge naturel ;

  • de plus, au sens de l'article 69 de la loi 1.448, la prestation caractéristique doit ici être entendue comme la délivrance du prêt par la banque, qui a son domicile à Luxembourg, lieu de conclusion de l'acte de prêt ;

  • enfin, dans la mesure où ils considèrent que la banque a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde lors de la conclusion du prêt hypothécaire, les consorts DA. entendent pouvoir, en leur qualité de cautions, soulever, devant les juridictions du Luxembourg, juge naturel du contrat principal, toutes les exceptions inhérentes à la dette ;

  • s'agissant en troisième lieu des circonstances de la conclusion du contrat, il n'est nullement établi que la banque ait imposé aux cautions la clause attributive de compétence ;

  • à cet égard, c'est à tort que la partie adverse soutient qu'il s'agirait ici d'un contrat d'adhésion, alors que :

    • le contrat de prêt hypothécaire, contrat principal, a été réitéré par acte authentique reçu à Nice le 22 décembre 2006,

    • l'engagement de caution ne correspond pas à la définition du contrat d'adhésion qui est la suivante :

      « Dénomination doctrinale générique englobant tous les contrats dans la formation desquels le consentement de l'une des parties (client, consommateur, voyageur) consiste à accepter une proposition qui est à prendre ou à laisser sans discussion, adhérant ainsi aux conditions (délais, tarif, etc) établies unilatéralement à l'avance par l'autre partie (compagnie d'assurance, entreprise de transport) »,

    • la clause attributive de juridiction litigieuse n'est pas insérée dans les conditions générales mais figure au contraire en toutes lettres, très apparentes, sur chaque engagement de caution, lesquels ont, de surcroit, été rédigés sur une seule page.

Subsidiairement, k. DA. et c. DA. épouse JE. soutiennent que la créance de la banque A n'est pas exigible vis-à-vis des cautions, aux motifs suivants :

  • la banque n'a pas respecté le formalisme prévu au contrat pour la mise en œuvre des engagements de caution ;

  • elle s'est en effet abstenue d'adresser aux cautions sa demande par courrier recommandé et de leur justifier de ce que la SCI D n'avait pas rempli ses obligations au titre du prêt ;

  • au surplus, malgré la demande officielle de communication qui lui a été faite, la banque ne produit aucun décompte de créance précis et détaillé ;

  • il s'ensuit que sa créance n'est pas exigible, de sorte qu'elle ne peut fonder aucune mesure d'exécution forcée à l'encontre des consorts DA.

En réplique, la société A conclut au rejet de l'exception d'incompétence et, subsidiairement, à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de mainlevée de la saisie et de radiation du nantissement. Elle demande le maintien des effets des mesures conservatoires pratiquées à l'encontre des défendeurs.

Sur l'exception d'incompétence, elle répond que :

  • en droit monégasque, il est de jurisprudence constante que s'il existe une clause de compétence stipulée dans l'intérêt d'une partie, celle-ci a la possibilité d'y renoncer au profit d'une juridiction qui aurait été compétente en l'absence d'une telle clause ;

  • les dispositions de la nouvelle loi n° 1.448 sur le droit international privé ne font pas obstacle au maintien de cette solution jurisprudentielle ;

  • s'il est en effet exact qu'ainsi que le soutient le Ministère Public, aucune disposition de la loi nouvelle ne vient autoriser une seule des parties à renoncer à la clause attributive de juridiction, l'article 3 du Code de procédure civile, abrogé par la loi susdite, ne le prévoyait pas non plus ;

  • à l'inverse, aucune disposition de la loi nouvelle ne vient contredire la jurisprudence précitée ;

  • la référence, faite par le Ministère Public, à la « prestation caractéristique » au sens de l'article 69 de la loi n° 1.448 est ici inopérante, s'agissant d'une disposition relative au droit applicable et non à la juridiction compétente ;

  • les actes de caution signés le 13 décembre 2006 sont, en vertu de leurs propres stipulations, soumis au droit luxembourgeois, lequel ne prévoit aucune disposition impérative concernant la compétence juridictionnelle en matière de cautionnement ;

  • au Luxembourg, la jurisprudence admet que si une clause attributive de juridiction est objectivement faite dans l'intérêt d'une partie et rédigée à son avantage, celle-ci est en droit pour des raisons qui lui sont propres de renoncer à cet avantage et d'assigner son cocontractant devant le Tribunal du domicile de celui-ci ;

  • or, il est indéniable qu'en l'espèce, la clause juridictionnelle stipulée aux actes de cautionnement a été établie au seul profit de la banque A ;

  • cette clause, qui prévoit non seulement l'application du droit luxembourgeois mais également la compétence des tribunaux luxembourgeois, a été stipulée en considération du domicile de la banque, à Luxembourg, et non de celui des consorts DA. ;

  • comme le contrat de prêt hypothécaire, les actes de cautionnement peuvent être considérés comme des contrats d'adhésion ;

  • les contrats d'adhésion sont usuels en matière bancaire et si les clients peuvent effectivement négocier le montant du prêt ou l'échéancier de remboursement, la plupart des clauses leur sont toutefois imposées ;

  • en l'espèce, le contrat de prêt consenti à la SCI D prévoit des conditions générales, non soumises à la négociation, s'agissant notamment du droit applicable (ici le droit français) ;

  • l'acte de cautionnement prévoit, quant à lui, une clause juridictionnelle permettant à la banque d'opter pour les juridictions luxembourgeoises, et ce, dans le souci d'obtenir un recouvrement rapide des sommes dues par le débiteur principal récalcitrant ;

  • cet acte a été conclu au siège de la banque, à Luxembourg ;

  • c'est bien la banque qui a imposé aux cautions le choix de la juridiction compétente, alors que les consorts DA. et la SCI D n'ont aucun lien avec le Luxembourg : ils ne sont ni de nationalité luxembourgeoise, ni résidents au Luxembourg et n'ont aucun intérêt à la compétence des juridictions luxembourgeoise, si ce n'est, en l'espèce, de retarder l'issue de la procédure de recouvrement initiée à leur encontre ;

  • il résulte de l'ensemble de ces éléments que la clause attributive de compétence a été insérée aux actes de cautionnement à la demande de la banque A et dans son intérêt exclusif, de sorte qu'elle a la faculté d'y renoncer au profit du juge naturel des défendeurs, soit le juge monégasque ;

  • il convient en conséquence de faire application de l'article 4 de la loi n° 1.448 qui prévoit la compétence des tribunaux monégasques pour juger de toutes les actions intentées contre tout défendeur domicilié en Principauté ;

  • au demeurant, la banque attend le remboursement de sa créance depuis cinq ans et le renvoi de cette affaire devant les juridictions luxembourgeoises aurait pour conséquence que « la décision étrangère ne sera pas rendue dans un délai raisonnable » au sens de l'article 9 de la loi susdite ;

  • le Tribunal s'étant déclaré compétent, il devra maintenir les effets des mesures conservatoires pratiquées à Monaco, dans l'attente d'un jugement sur le fond.

Le Ministère Public conclut à l'incompétence des juridictions monégasques ainsi qu'à la mainlevée de la saisie-arrêt et au rejet de la demande d'inscription définitive du nantissement.

Il fait valoir que :

  • aucune des dispositions de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé ne vient autoriser une seule des parties à renoncer à la clause attributive de juridiction ;

  • la jurisprudence invoquée par la banque A est antérieure à l'entrée en vigueur de cette loi ;

  • au surplus, aucun élément ne permet de considérer que le juge monégasque serait le juge naturel de l'interprétation des cautionnements litigieux, alors que ces actes sont indissociables du contrat de prêt et qu'en application de l'article 69 de la loi précitée, la prestation caractéristique doit être entendue comme la délivrance du prêt par la banque qui a son domicile à Luxembourg ;

  • du reste, l'acte principal de prêt prévoit l'application du droit français, sans se prononcer sur la juridiction compétente.

MOTIFS DE LA DÉCISION

  • Sur la jonction :

Compte tenu de leur lien de connexité, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des instances introduites les 4 janvier et 4 août 2017, respectivement sous les numéros 2017/000303 et 2018/000049.

  • Sur la compétence :

La loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé, d'application immédiate, prévoit, en son article 3, qu'« hormis les cas où la loi en disposerait autrement, la compétence internationale des tribunaux de la Principauté est déterminée par les dispositions du présent chapitre ».

L'article 4 pose le principe de la compétence des tribunaux de la Principauté « lorsque le défendeur y a son domicile lors de l'introduction de la demande ».

Cependant, l'article 8 prévoit les conditions, de fond et de forme, dans lesquelles les parties à un rapport de droit dont elles ont la libre disposition, peuvent convenir d'une clause attribuant compétence aux tribunaux de la Principauté.

L'article 9 concerne, quant à lui, les clauses attribuant compétence à une juridiction étrangère et précise :

« Si les parties sont convenues, dans les conditions prévues à l'article précédent, de la compétence d'une juridiction étrangère, la juridiction monégasque saisie en méconnaissance de cette clause sursoit à statuer tant que la juridiction étrangère désignée n'a pas été saisie ou, après avoir été saisie, n'a pas décliné sa compétence. La juridiction monégasque saisie peut cependant connaître du litige si une procédure étrangère se révèle impossible ou s'il est prévisible que la décision étrangère ne sera pas rendue dans un délai raisonnable ou ne pourra pas être reconnue dans la Principauté. ».

Cette disposition ne prévoit aucune dérogation à l'application d'une clause conventionnelle attributive de compétence et l'emploi du présent de l'indicatif « sursoit à statuer », combiné aux dispositions de l'article 10 qui prévoit, quant à lui, que « le Tribunal monégasque qui n'est pas saisi conformément aux règles du présent chapitre relève d'office son incompétence », démontre la volonté du législateur de donner leur plein effet aux clauses par lesquelles les parties à un rapport de droit dont elles ont la libre disposition, ont entendu faire le choix d'une juridiction étrangère.

Cette volonté est confirmée par l'exposé des motifs du projet de loi, dont il ressort que les principes qui en ont gouverné l'économie générale sont, outre le respect de la Souveraineté monégasque :

« - le principe de proximité, selon lequel un rapport de droit doit être rattaché à l'ordre juridique avec lequel il présente les liens les plus étroits ; de même un litige doit être soumis aux tribunaux d'un Etat avec lequel existe sinon le lien le plus étroit du moins un lien substantiel, et enfin l'efficacité d'une décision est subordonnée à l'étroitesse des liens qui la rattachent à l'autorité qui l'a prise ;

- l'autonomie de la volonté qui permet aux parties à un rapport de droit de choisir, dans certaines limites, la loi applicable à ce rapport et le Tribunal compétent ».

Plus loin, l'exposé des motifs du projet de loi relative au droit international privé indique qu'« il apparaît nécessaire pour l'attractivité du droit monégasque que celui-ci puisse donner pleinement effet aux clauses par lesquelles les parties à un contrat et plus généralement à un rapport de droit, auraient convenu de la juridiction compétente pour connaître de leurs litiges éventuels ».

Il précise que « l'effet d'une clause attribuant compétence à un Tribunal étranger est d'obliger toute juridiction monégasque saisie en méconnaissance de cette clause à surseoir à statuer. Dès lors, la juridiction monégasque devra attendre que le Tribunal étranger ainsi saisi se soit prononcé sur sa compétence ».

L'hypothèse de la renonciation par une partie à une telle clause n'a pas été prévue par le législateur, ni envisagée dans le cadre des débats préalables à l'adoption de la loi.

Il en résulte que tant la lettre que l'esprit de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 commandent de faire application de la clause par laquelle la banque A et les consorts DA. ont entendu soumettre les deux engagements de caution conclus le 13 décembre 2006 à la compétence exclusive des tribunaux luxembourgeois, les dispositions nouvelles ne permettant pas à l'une des parties d'y renoncer, même si ladite clause a été stipulée dans son intérêt exclusif.

Il conviendra en conséquence de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive du juge luxembourgeois, la présente juridiction demeurant compétente pour statuer sur la validité des mesures conservatoires ordonnées.

De plus, aucun élément nouveau n'est par ailleurs intervenu pour remettre en cause le principe certain de créance ayant fondé l'ordonnance présidentielle du 14 décembre 2016 par laquelle la saisie-arrêt a été autorisée.

De même, élément nouveau n'est intervenu pour remettre en cause le péril dans le recouvrement de la créance, ayant fondé l'ordonnance présidentielle du 8 mai 2017 par laquelle l'inscription provisoire de nantissement de fonds de commerce a été autorisée.

Dans ces conditions, la demande de mainlevée est prématurée et les effets des mesures conservatoires pratiquées à Monaco à l'encontre des consorts DA. seront maintenus dans l'attente d'une décision sur le fond.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Ordonne la jonction de l'instance enrôlée sous le numéro 2018/000049 à celle enrôlée sous le numéro 2017/000303 ;

Avant-dire-droit au fond,

Accueille l'exception d'incompétence soulevée par k. DA. et c. DA. épouse JE. ;

Sursoit à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction luxembourgeoise sur le fond ;

Ordonne le placement de l'affaire au ROLE GÉNÉRAL et dit qu'elle sera rappelée à la diligence de l'une ou l'autre des parties ;

Rejette la demande de mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 4 janvier 2017 à la requête de la banque A auprès de la banque C ;

Rejette la demande de radiation de l'inscription de nantissement judiciaire provisoire prise le 16 mai 2017 par la banque A sur le fonds de commerce exploité en nom personnel par k. DA. à Monaco sous l'enseigne « B » ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Vice-Président, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 11 OCTOBRE 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Mademoiselle Marine PISANI Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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