Tribunal de première instance, 12 juillet 2018, La SARL A c/ La SARL B

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Concurrence déloyale - Activités distinctes (non) - Organisation de salons de l'automobile - Dénigrement indirect (oui) - Utilisation de signes distinctifs (non) - Confusion (non) - Parasitisme (non) - Préjudice matériel non justifié - Préjudice moral (oui) - Atteinte à l'image - Dommages-intérêts (oui)

Résumé🔗

La caractérisation d'actes de concurrence déloyale ne suppose pas que les sociétés concernées proposent des produits ou services strictement identiques. Il suffit qu'elles exercent des activités similaires, visant une clientèle potentiellement commune. En l'espèce, les deux sociétés organisatrices de salons, visent, au moins pour partie, une clientèle commune, tant au niveau des exposants que du public, et ce d'autant que le territoire monégasque, siège de leur activité et point fort de leur attractivité, est particulièrement exigu. Le moyen de défense tiré du caractère distinct de leurs activités doit donc être écarté. Le dénigrement est caractérisé en l'espèce, le défendeur se présentant, dans ses interviews et communiqués de presse, comme organisateur du premier « grand salon international »de l'auto à Monaco ou d'un salon automobile d'un genre nouveau. Il s'agit d'un dénigrement indirect à l'endroit de l'évènement du demandeur, alors que le défendeur ne pouvait ignorer l'existence et l'antériorité du salon organisé en Principauté depuis des années par le demandeur. En occultant l'existence d'un autre salon automobile en Principauté et en se présentant comme le seul « grand » salon « international », le défendeur a commis une faute vis-à-vis de la société concurrente. En l'absence de signes distinctifs dont l'utilisation pourrait être reprochée à la société défenderesse le grief de confusion est écarté. Faute de preuve, aucun chef de préjudice matériel ne saurait être retenu. En revanche, la campagne de communication menée par la défenderesse, marquée par l'exagération de ses ambitions et par l'occultation subséquente de son concurrent, a nécessairement porté atteinte à l'image et à la réputation du demandeur. Ce préjudice moral sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000281 (assignation du 22 décembre 2016)

JUGEMENT DU 12 JUILLET 2018

En la cause de :

  • La SARL A, dont le siège social se trouve X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité à ladite adresse ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La SARL B dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Monique BOCCARA-SOUTTER, avocat au barreau de Paris ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 22 décembre 2016, enregistré (n° 2017/000281) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SARL B en date des 23 février 2017, 5 juillet 2017 et 7 février 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SARL A en date des 27 avril 2017, 6 décembre 2017 et 7 mars 2018 ;

À l'audience publique du 5 avril 2018, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 5 juillet 2018 et prorogé au 12 juillet 2018, les parties en ayant été avisées ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Par exploit d'huissier délivré le 22 décembre 2016, la SARL de droit monégasque A a fait assigner la SARL de droit monégasque B en responsabilité du chef de concurrence déloyale.

Sur ce fondement invoqué à titre principal, elle demande la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues ainsi que la publication de la décision à intervenir :

  • dans toutes les publications sur et par l'intermédiaire desquelles la SARL B a mis en œuvre des actes de concurrence déloyale,

  • sur la page d'accueil du site internet du salon organisé par la SARL B

Elle forme les mêmes demandes sur le fondement subsidiaire du parasitisme et sollicite en tout état de cause le bénéfice de l'exécution provisoire.

À l'appui de son action, elle expose que :

  • depuis 2003, elle organise annuellement à Monaco un salon automobile à vocation mondiale intitulé « A », regroupant de nombreux constructeurs et présentant des véhicules en avant-première ;

  • classé dans les évènements internationaux comme salon de l'automobile, cet évènement est devenu au fil des années, une référence en la matière, tant à Monaco qu'à l'international ;

  • or le 17 février 2016, était annoncée par voie de presse, dans le quotidien Monaco Matin, la tenue en 2017 du « premier salon international de l'auto » en Principauté ;

  • cet évènement était organisé par une société constituée pour l'occasion et dénommée « la SARL B », dont le gérant est n. HE.;

  • dans ce contexte, ladite société s'est rendue coupables de plusieurs actes de concurrence déloyale au préjudice de la demanderesse.

La SARL A fonde son action sur la responsabilité délictuelle de l'article 1229 du Code civil et sur la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance n° 5.687 du 29 octobre 1975, qui dispose en son article 10 bis :

  • « 1. Les pays de l'Union sont tenus d'assurer aux ressortissants de l'Union une protection effective contre la concurrence déloyale.

  • 2. Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale.

  • 3. Notamment devront être interdits :

    • 1° tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent ;

    • 2° les allégations fausses, dans l'exercice du commerce de nature à discréditer l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent ;

    • 3° les indications ou allégations dont l'usage, dans l'exercice du commerce, est susceptible d'induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l'aptitude à l'emploi ou la qualité des marchandises ».

En l'espèce, la SARL A reproche à la société défenderesse deux séries d'actes de concurrence déloyale : la publicité commerciale trompeuse et l'utilisation de signes distinctifs.

S'agissant de la publicité commerciale trompeuse, elle fait valoir que :

  • en droit, la mise en œuvre d'une publicité trompeuse caractérise, en soi, un acte de concurrence déloyale, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation française, considérant que le caractère mensonger d'une publicité suffit à établir la faute ;

  • en l'espèce, au moins cinq comportements de la SARL B caractérisent une publicité trompeuse ;

  • en premier lieu, elle présente l'évènement qu'elle organise comme le premier salon automobile à Monaco ;

  • cela apparaît sur des multiples supports liés à l'évènement : sur son logo, dans sa communication avec la presse, sur les affiches officielles placardées, sur l'affiche officielle, sur les invitations aux présentations officielles, sur la documentation adressée aux clients en prospection, sur le formulaire d'inscription au salon, sur la page d'accueil de son site internet, sur internet via les moteurs de recherche ;

  • la formule « premier salon » peut revêtir plusieurs significations et tout d'abord, l'assertion selon laquelle est organisée pour la première fois dans l'histoire de la Principauté une exposition internationale consacrée à l'automobile ;

  • cela ressort notamment des déclarations de n. HE. dans la presse lorsqu'il indique :

  • dans l'édition de Monaco Matin du 17 février 2016 que :

    • « Monaco accueille depuis 1911 un rallye automobile incontournable, depuis 1929 le GP le plus mythique du monde, désormais une course de FE, un musée de l'automobile ; il ne manquait plus qu'un grand salon international. Et bien, c'est désormais chose faite » ;

  • dans le communiqué de presse du 7 décembre 2016 que :

    • « Pour la toute première fois à Monaco aura lieu un nouveau concept de salon automobile » ;

  • or, cette assertion est inexacte en ce que le salon automobile organisé par la SARL A existe depuis 2003 ;

  • c'est en vain que la défenderesse tente de faire croire que la formule « premier salon » doit s'entendre au sens de première édition dudit salon, alors que les deux termes n'ont pas la même signification et que toute la communication de la SARL B démontre qu'elle a volontairement occulté la SARL A pour faire croire qu'il n'existait jusque-là aucun salon automobile à Monaco ;

  • c'est également en vain que la SARL B tente de s'exonérer de sa propre responsabilité en soutenant que c'est la SARL A qui se rendrait coupable de publicité trompeuse en se présentant comme un salon de l'auto, au motif qu'elle exposerait peu de constructeurs et principalement des concessionnaires ainsi que des marques extérieures au secteur automobile, alors que le fait de pas consacrer l'intégralité de son activité aux exposants automobiles n'enlève pas pour autant à la SARL A sa qualité de salon automobile ;

  • à titre d'exemple, la société D propose de nombreux produits dérivés, avec la présence de seulement 38 % d'exposants automobile, sans que pour autant sa qualité de salon de l'auto ne puisse lui être contestée ;

  • la formule « premier salon » peut par ailleurs signifier que l'évènement organisé par la SARL B serait le premier du fait de son envergure ;

  • cela ressort des documents adressés à ses clients potentiels, aux termes desquels elle annonce plus de 100 000 visiteurs attendus, la présence de nombreux partenaires et journalistes accrédités, 50 marques inscrites et plusieurs milliers de billets déjà vendus ;

  • or, dans les faits, ces allégations se sont avérées erronées, en ce qu'en décembre 2016, le site internet du salon annonçait seulement une trentaine d'exposants, dont une vingtaine de marques automobiles et une quinzaine de constructeurs ;

  • par comparaison, la SARL A a accueilli en 2016, 51 constructeurs automobiles ;

  • enfin, la formule « premier salon » peut signifier qu'il s'agirait du premier salon d'un genre nouveau, au sens où il permettrait l'essai de véhicules et qu'il serait tourné vers les véhicules électriques ;

  • or là encore, il s'agit d'assertions fallacieuses, en ce que :

    • tous les salons automobiles, comme la société D à Paris, mettent désormais en avant les véhicules écologiques et proposent des essais desdits véhicules ;

  • à Monaco, la société F, qui présente des exposants dédiés à l'écologie, existe depuis 12 ans :

    • l'examen de la liste des exposants démontre qu'en réalité, la part consacrée aux véhicules écologiques est tout à fait résiduelle dans le salon organisé par la SARL B de sorte qu'il ne présente aucune originalité à cet égard ;

  • en deuxième lieu, la SARL B se rend encore coupable de publicité trompeuse lorsqu'elle prétend, dans sa communication, que l'évènement se déroulerait à ciel ouvert, sur 11 sites différents de la Principauté : X3, X4, X5, X6 et X7, X8, X9 et X10, X11, X12 et X13 ;

  • cela ressort de sa plaquette d'inscription et de son site internet début 2016 ;

  • or, dans une conférence de presse tenue le 7 décembre 2016, la défenderesse a elle-même reconnu n'utiliser en réalité que trois sites pour les automobiles : X3, X5 et X4, avec la tenue des conférences au X12 ;

  • pourtant, la SARL B a continué de faire campagne, sur son site internet, en présentant son salon sur 11 sites ;

  • au surplus, ledit salon ne s'est pas tenu à ciel ouvert mais sous des chapiteaux pour chaque exposant ;

  • du reste, la SARL B reconnaît, dans ses propres conclusions, le caractère mensonger de son message publicitaire puisque que le salon n'a eu lieu que sur quatre sites, les autres sites initialement pressentis n'ayant finalement pas suscité l'intérêt des exposants ;

  • le constat d'huissier dressé à sa requête a finalement démontré que le salon n'avait été présent que sur trois sites, avec les précisions suivantes : un seul exposant Place du Palais, aucun exposant X5 mais un exposant à proximité, X13 et l'essentiel des exposants sur X3 ;

  • en troisième lieu, c'est de manière trompeuse que la SARL B s'est présentée comme partenaire de la société H ;

  • cela ressort de la mention portée sur le communiqué de presse du 7 décembre 2016, sur le courrier-type envoyé aux prospects et exposants, sur le logo apposé sur le pupitre de la conférence de presse du 7 décembre 2016 ;

  • or, ainsi que l'atteste un courrier de la société H, cette présentation est inexacte ;

  • la renommée de la société H, acteur incontournable du monde de l'automobile à Monaco et à l'étranger (organisateur du R et du GP), n'est pas à démontrer ;

  • en droit, le fait de présenter de manière trompeuse une affiliation ou un agrément d'un opérateur susceptible d'attirer ou de rallier la clientèle caractérise un acte de concurrence déloyale, exacerbé ici par la proximité géographique des opérateurs et le caractère exigu de la zone de chalandise que constitue le territoire de la Principauté ;

  • en quatrième lieu, c'est de manière tout aussi trompeuse que la SARL B a présenté la SAM I comme son partenaire fondateur ;

  • c'est ainsi que :

    • le logo de la SAM I est présent sur : les invitations aux présentations officielles, le formulaire d'inscription au salon, le communiqué de presse du 7 décembre 2016, la page d'accueil du site internet de la SARL B la partie exposant du site internet de la SARL B la documentation adressée aux clients prospects, le courrier-type adressé aux exposants ;

  • dans la documentation adressée aux clients prospects, la SAM I est présenté comme un « founding partner » ;

  • or, dans un entretien à la presse du 13 décembre 2016, le directeur général de la SAM I a confirmé que celle-ci ne serait pas présente au salon litigieux ;

  • bien plus, le constat d'huissier dressé à sa requête pendant le déroulement de l'évènement démontre que ni le logo, ni la mention de la SAM I en qualité de partenaire, ne figurent sur les lieux ;

  • c'est en vain que, pour se justifier, la défenderesse invoque l'absence de la SAM I, retenue en Argentine pour un évènement concomitant, alors que si elle avait été réellement partenaire du salon litigieux, son logo n'aurait pas été retiré ;

  • ce n'est que postérieurement à la délivrance de la présente assignation de la SARL B conscient de l'illicéité de ses agissements, a décidé de ne plus afficher I en qualité de partenaire du salon qu'elle organisait ;

  • or, en droit, le bien-fondé de ses prétentions doit s'apprécier à la date de sa demande en justice ;

  • en associant trompeusement son évènement à la renommée de la SAM I, constructeur de référence en matière de véhicules électriques, la SARL B s'est rendu coupable d'un acte de concurrence déloyale ;

  • en cinquième lieu, la SARL B a annoncé la présence d'au moins 100.000 visiteurs au salon, et ce, sur : le communiqué de presse du 7 décembre 2016, la documentation adressée aux clients prospects, le courrier-type adressé aux exposants le 31 octobre 2016 ;

  • or, cinq jours avant l'évènement, elle revoyait ses attentes à la baisse, en annonçant 10.000 places vendues ;

  • après la tenue du salon, sa propre estimation était de 35.000 visiteurs ;

  • en annonçant initialement le chiffre de 100.000 visiteurs attendus, la SARL B a délibérément induit en erreur le public et les exposants, sachant qu'une telle prévision était irréaliste, compte tenu notamment de l'exiguïté du lieu (X3), alors qu'à titre d'exemple, le GP, qui se tient sur tout le territoire de la Principauté et bénéficie d'une renommée mondiale, attire plus de 100.000 visiteurs ;

  • ce faisant, elle a, en toute connaissance de cause, adressé un signal trompeur, se rendant coupable d'un acte de concurrence déloyale.

S'agissant de l'utilisation de signes distinctifs, la SARL A soutient que :

  • organisé en Principauté depuis 2003 et attirant plus de 40.000 personnes chaque année, la SARL A jouit d'un succès et d'une notoriété indéniables, se manifestant par des articles dans la presse étrangère, la présence de constructeurs internationaux, lesquels choisissent ce salon pour y présenter leurs nouveautés en avant-première, ainsi que la reconnaissance de SAS le Prince Souverain (dans une lettre figurant en préface du catalogue officiel 2017) ;

  • contrairement à ce que soutient la partie adverse, la SARL A est bien un salon de l'automobile, en ce que, comme la SARL B:

  • il présente des automobiles de luxe (25 supercars lors de l'édition 2016) ;

  • il propose des essais de voitures et n'est pas cantonné à un hall d'exposition ;

  • il accorde une place non négligeable au secteur écologique et possède des partenaires et exposants dans ce secteur ;

  • à titre accessoire, il propose des exposants du secteur du luxe, à l'instar de nombreux salons automobiles ;

  • les salons de la SARL A et la SARL B visent une clientèle similaire : des exposants automobiles (dont certains participent aux deux évènements) et un public d'amateur « ordinaire » de voitures ;

  • du reste, de nombreux articles de presse relatifs à la SARL B font référence aux salons de la société F et de la SARL A ;

  • de surcroît, l'exiguïté du territoire de la Principauté rend particulièrement visibles les évènements qui s'y déroulent, de sorte que les opérateurs sur ce marché étroit ne peuvent raisonnablement ignorer l'existence d'un opérateur, dont l'offre est similaire ou identique, et toute stratégie commerciale est nécessairement pensée en considération des opérateurs déjà présents sur le marché ;

  • au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est sciemment que la SARL B a introduit, dans l'esprit du public, une confusion entre son évènement et la SARL A en utilisant les signes distinctifs de celui-ci ;

  • la création d'un risque de confusion par l'usage des signes distinctifs s'est ici manifestée de trois manières ;

  • en premier lieu, en utilisant la formule « premier salon » automobile international à Monaco, la SARL B induit en erreur le consommateur moyen, c'est-à-dire l'amateur ordinaire de voitures de luxe qui, ne pouvant ignorer l'existence de la SARL A - jouissant d'une notoriété plus solide et plus ancienne - ne peut qu'assimiler le salon organisé par la SARL B à celui qu'il connaît déjà ;

  • en deuxième lieu, la proximité du logo choisi par la SARL B pour son salon, avec celui de la SARL A est de nature à créer une confusion pour un observateur d'attention moyenne ;

  • il s'agit, dans les deux cas, du dessin sobre et stylisé d'une automobile de sport figuré par un jeu de traits sur fond noir ou de couleur ;

  • cette présentation est originale ou du moins peu usuelle, ainsi que le démontre l'examen des affiches et logos d'autres salons automobiles, habituellement chargés d'information et de couleurs vives ;

  • en soutenant avoir déposé ce logo à titre de marque en décembre 2015, soit après qu'il ait déjà été utilisé par la SARL A lors de son édition d'avril 2015, la défenderesse reconnaît que sa marque est nulle pour avoir déposé un logo déjà exploité par un concurrent ;

  • en tout état de cause, le choix par la SARL B de ce logo qu'elle connaissait parfaitement et qui était largement diffusé par la SARL A ne saurait être le fruit du hasard et révèle sa volonté d'entretenir la confusion dans l'esprit du public ;

  • en troisième lieu, le risque de confusion résulte de ce que la SARL B a repris les modalités d'organisation de la SARL A :

  • l'utilisation comme site principal du même lieu d'accueil : X12 ;

  • l'organisation de la SARL B à quelques semaines de distance de la SARL A: février pour la SARL B et avril pour la SARL A ;

  • l'offre d'essai de véhicules, directement inspirée des « test drive » proposés par la SARL A depuis 2003 ;

  • le risque de confusion est si bien caractérisé que deux constructeurs automobiles (R et S) se sont rapprochés de la SARL A pour connaître son implication dans le salon organisé par la SARL B ;

  • Subsidiairement, dans l'hypothèse où les actes de concurrence déloyale par création d'un risque de confusion ne seraient pas reconnus, la SARL A invoque le fondement tiré des actes de parasitisme ;

  • aux termes de la jurisprudence de la Cour de Cassation française, le parasitisme est un cas de concurrence déloyale qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise, en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété ; contrairement à d'autres actes de concurrence déloyale, le parasitisme peut être caractérisé par un faisceau d'indices ;

  • le parasitisme se distingue du risque de confusion, en ce que, sans introduire de confusion dans l'esprit du public, l'opérateur se borne à détourner à son profit les investissements ou la notoriété d'autrui ;

  • il s'agit d'un concept reconnu par la jurisprudence monégasque ;

  • en l'espèce, la reprise par la SARL B du logo de la SARL A ainsi que la reproduction de l'organisation d'un évènement annuel autour des voitures de luxe ou de prestige à Monaco constituent un faisceau d'indices caractérisant un comportement parasitaire.

Sur son préjudice, la SARL A précise que :

  • la charge de la preuve du préjudice en matière de concurrence déloyale est traditionnellement plus légère qu'en droit commun, les juridictions françaises considérant qu'il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, un trouble commercial constitutif de préjudice, fut-il seulement moral ;

  • les actes de concurrence déloyale commis par la SARL B ont donc nécessairement préjudicié à la SARL A;

  • en tout état de cause, les agissements de la SARL B ont eu pour effet un détournement de clientèle à son détriment, et ce d'autant plus que la campagne publicitaire litigieuse a été agressive, durable et continue ;

  • les deux évènements s'étant déroulés de manière rapprochée dans le temps, il est peu probable qu'un visiteur venu à la SARL B en pensant participer à la SARL A revienne deux mois plus tard une fois qu'il a compris sa méprise ;

  • c'est en vain que la partie adverse conclut à l'absence de préjudice au motif qu'elle aurait effectué une de ses meilleurs performances, alors que :

    • la bonne performance de la SARL A due à son expérience et à la qualité de son évènement, aurait été encore meilleure si elle n'avait pas été victime des agissements de la SARL B ;

    • des exposants historiques n'étaient pas présents à la SARL A mais présents à la SARL B (la société J qui distribue les marques Z, Y, W, V et U) ;

    • elle subit par ailleurs un préjudice moral, constitué par une atteinte à son image de marque et à sa réputation : elle va en effet être contrainte de mettre en œuvre une campagne publicitaire destinée à informer le public induit en erreur de ce que son salon existe toujours et a été le premier, du moins chronologiquement, à Monaco et elle est victime du discrédit jeté par la communication de la SARL B sur son évènement ;

    • au total, la SARL Aévalue son préjudice aux sommes de 35.000 euros s'agissant du dommage économique et de 40.000 euros s'agissant du dommage moral.

En défense, la SARL B conclut au rejet des prétentions adverses et sollicite reconventionnellement la condamnation de la SARL Aà lui payer les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

  • 15.000 euros pour procédure abusive ;

  • 10.000 euros au titre des frais de justice ;

  • 100.000 euros pour actes de concurrence déloyale ;

  • 20.000 euros en réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte à son honneur ;

  • 10.000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la diffamation dont elle fait l'objet.

Elle conteste s'être rendue coupable de publicité trompeuse, d'utilisation de signes distinctifs ou de parasitisme et soutient que c'est au contraire la SARL A qui a elle-même commis des agissements anti-concurrentiels à son détriment.

  • Sur le grief de publicité trompeuse :

    • par l'usage de la formule « premier salon » appliquée au salon qu'elle organise (intitulé « AA » - « BB »), la SARL B a simplement entendu désigner la première édition de ce nouveau salon ;

    • pour preuve, l'édition 2018 s'intitule « CC » ;

    • de la même manière, le salon de l'auto de Genève, une des plus grands du monde, est désigné dans son annonce publicitaire comme le « 77ème salon international de l'Auto et ses accessoires » ; il en est de même pour le GP de Monaco ou pour l'évènement R de Monte-Carlo ;

    • à supposer par ailleurs que la formule « premier salon » puisse s'interpréter au regard de l'envergure voulue, elle ne serait pas mensongère, dans la mesure où, à la différence de la SARL A - qui est un salon du luxe, non exclusivement consacré à l'automobile - la société K organise, quant à lui, un véritable salon de l'auto, c'est-à-dire un salon de constructeurs, de toutes nationalités ;

    • c'est en effet la première fois qu'un salon invite sur le territoire monégasque autant de constructeurs automobiles, toutes catégories de véhicules confondus, et non de simples concessionnaires, comme c'est le cas de la SARL A;

    • c'est ainsi que, sur 103 exposants annoncés à la SARL A seuls 39 (soit 37,86 %) sont issus du secteur automobile, dont un seul constructeur (S) ;

    • de plus, malgré ses 10 ans d'ancienneté, la SARL A ne figure pas dans le calendrier annuel de l'Organisation Internationale Q qui regroupe les grands salons internationaux du secteur ;

    • au contraire, 100 % des exposants de la société K relèvent du secteur automobile ;

    • l'annonce de la tenue de la société K sur 11 sites de la Principauté était un objectif fixé en amont mais seuls trois sites ont été retenus et principalement le X3, plébiscité par la majorité des exposants ;

    • cette annonce n'est nullement constitutive de publicité trompeuse, destinée à rallier une clientèle plus nombreuse, dans la mesure où ce qui est déterminant n'est pas le nombre de sites mais le nombre de constructeurs présents ;

    • le fait que la société K se tienne à ciel ouvert est par ailleurs une spécificité, qui le distingue de la SARL A lequel se tient dans un hall d'exposition (au X12) ;

    • à cet égard, le fait que les exposants soient sous chapiteaux ne lui ôte pas le caractère de salon à ciel ouvert, par opposition à un salon se tenant dans un hall d'exposition ;

    • c'est également à tort que la demanderesse lui reproche de s'être faussement présentée comme affiliée à société H alors que :

    • le 7 décembre 2016, la société H a effectivement accueilli dans ses locaux la SARL B pour sa conférence de presse, de sorte qu'il est logique que le communiqué de presse y afférent porte mention de ce lieu et que le logo de la société H figure sur le pupitre de la salle de presse ;

    • de plus, la société H a soutenu la tenue de la société K, en mettant dans ses locaux des prospectus à disposition et en étant présent à l'inauguration du salon en la personne de son Commissaire général ;

    • contrairement à ce qu'allègue la demanderesse, la SAM I est bien partenaire fondateur de la SARL B ainsi que le démontre le contrat de partenariat produit aux débats et non dénoncé depuis ;

    • c'est du reste en vain que plutôt que d'arguer ce contrat de faux, elle insinue que l'authenticité de cet acte serait douteuse, au prétendu motif que le document a été rempli de manière manuscrite sans qu'on puisse en identifier l'auteur, ni qu'il soit signé ;

    • ce n'est que par suite d'un contretemps postérieur (la tenue concomitante à Buenos Aires du Prix FE) que la SAM I n'a finalement pas été présent à la première édition de la société K ;

    • d'ailleurs, la SAM I était présent à la société K 2018 et son logo figure sur la communication de cette deuxième édition du salon ;

    • enfin, il ne saurait être valablement reproché à la SARL B d'avoir eu des objectifs ambitieux en escomptant la venue de 100.000 visiteurs, pour finalement en obtenir 35.000, un tel objectif n'ayant pas de caractère contraignant, étant précisé qu'aucun exposant ou consommateur ne s'est plaint d'avoir été lésé quant à ses attentes et qu'en tout état de cause, il ne peut être imputé à la défenderesse les déclarations faites par des journalistes.

  • Sur le grief d'utilisation de signes distinctifs :

    • liminairement, il ne peut lui être reproché d'avoir recherché un rattachement avec l'évènement de la SARL A alors que les deux salons sont distincts par leur objet, leur concept et leur clientèle ;

    • la SARL A regroupe en effet des exposants multi-genres, avec le luxe (et non l'automobile) comme dénominateur commun ;

    • pour le reste et en premier lieu, il résulte de ce qui précède que la référence au salon « AA » ne constitue pas un signe distinctif ;

    • en deuxième lieu, il n'y a pas d'utilisation de signe distinctif par le logo, dans la mesure où :

    • la SARL A ne démontre pas avoir fait antérieurement usage du logo qu'elle lui reproche d'avoir imité ;

    • l'utilisation d'une silhouette de voiture stylisée sur fond contrasté ne fait l'objet d'aucune protection à titre de marque déposée et ne présente aucune originalité, en ce que plusieurs autres salons de l'auto en ont fait usage ;

    • en troisième lieu, il n'existe aucun signe distinctif tenant aux modalités d'organisation du salon ;

    • en effet, la SARL A n'a pas l'exclusivité du recours au X12, qui se trouve être le seul site d'exposition et de congrès de la Principauté, de sorte que l'utilisation par la société K du site du X12, et ce uniquement pour l'organisation de conférences, ne constitue en aucun cas une utilisation de signes distinctifs ;

    • de même, l'offre d'essais de véhicules existe dans presque tous les salons de l'auto et ne présente aucune originalité ;

    • le fait que deux constructeurs (R et S), concernés par les deux salons de la SARL A et la société K, aient adressé au premier un courrier lui demandant s'il participait au second, ne prouve pas la confusion entre les deux salons, étant précisé que ces exposants ont tout loisir de participer aux deux évènements ;

    • le choix de la date de la société K ne témoigne pas non plus d'une volonté de confusion puisque presque deux mois séparent les deux évènements ;

    • surtout, les clientèles ciblées par les deux salons sont distinctes, s'agissant aussi bien des exposants que du public ;

    • cela résulte notamment du prix des billets : tandis que la société K pratique des tarifs modiques (tarif unique à 15 euros et gratuité pour les enfants), la SARL A à l'image de son positionnement haut de gamme, propose le billet à 50 euros, sans minoration pour les enfants, ainsi que des billets premium vendus au prix de 200 euros.

  • Sur le grief de parasitisme :

    • il ne saurait y avoir de parasitisme dans la mesure où il résulte de ce qui précède que les deux évènements visent des publics différents, qu'il n'existe aucune tentative d'imitation ou de recherche de confusion, que les deux évènements interviennent à des dates distinctes, qu'ils doivent être considérés comme complémentaires et non comme concurrents ;

    • de plus, elle n'a aucunement utilisé les contacts de la SARL A dans la mesure où son associé fondateur et président, t. HE. se trouve être l'ancien Commissaire général de la société D de Paris, de sorte qu'il bénéficie de solides liens avec les constructeurs et équipementiers automobiles mondiaux ;

  • Sur le préjudice :

    • c'est en vain que la SARL A allègue avoir subi un préjudice du fait de ses prétendus agissements déloyaux, alors qu'elle se targue, dans sa propre communication, d'avoir réalisé, en 2017, sa meilleure performance ;

    • c'est ainsi que sur son site internet, elle fait état notamment, d'un nombre record de visiteurs, d'un « nombre sans précédent de ventes enregistrées à la société M et au N », d'une hausse de 25 % des ventes de tickets, d'une hausse de 50 % des ventes de tickets VIP, etc ;

    • c'est par ailleurs sans la moindre preuve que la SARL A rétorque qu'elle aurait pu encore améliorer ses performances en l'absence de la SARL B; elle ne démontre en rien la perte de chance alléguée ;

À l'appui de ses demandes reconventionnelles, la SARL B soutient que :

  • c'est tout d'abord avec une particulière mauvaise foi et légèreté que la SARL A a introduit la présente action, alors qu'elle ne pouvait se méprendre sur le fait qu'elle visait une clientèle distincte de la sienne ;

  • en réalité, la demanderesse cherche, à travers la présente instance, à instrumentaliser la justice à des fins d'intimidation à l'égard d'une nouvelle entreprise, jeune société, avec laquelle elle aurait pu pleinement partager le marché de l'évènementiel en Principauté ;

  • de plus, c'est de manière particulièrement déloyale qu'elle a fait délivrer son assignation en période de fêtes, sans même adresser de mise en demeure préalable ;

Par ailleurs, c'est elle qui s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à son égard, caractérisés de la manière suivante :

  • profitant de la toute nouvelle notoriété de la SARL B elle a plagié l'argumentaire développé par celle-ci dans sa conférence de presse du 11 février 2016 ;

  • un mois après la SARL B, la SARL A a déposé sa dénomination en tant que marque, ce qu'elle n'avait pas fait jusque-là :

    • afin de se donner une légitimité en tant que salon de l'auto, elle a, plus d'un an après la présente assignation, conclu un partenariat avec la société D, dont précisément t. HE. associé et membre fondateur de la SARL B a été Commissaire général pendant 25 ans, cherchant ainsi à se placer dans le sillage de la société K et à créer une confusion dans l'esprit du public ;

  • la demanderesse s'est rendue coupable d'imitation des messages publicitaires de son concurrent, en reprenant les slogans utilisés par la SARL B;

  • elle s'est également rendue coupable de dénigrement, acte constitutif de concurrence déloyale, dans le cadre de la présente action ;

  • en prétendant que la SARL B aurait mensongèrement présenté la SAM I comme partenaire fondateur de la société K, la SARL A a tenu des propos diffamatoires et porté atteinte à l'honneur de la défenderesse ;

  • en mettant en doute l'authenticité du contrat de partenariat conclu entre la SAM I et la SARL B, la SARL A lui impute en effet un fait précis caractérisant les infractions de faux et usage de faux et d'escroquerie au jugement, ce qui est constitutif d'une diffamation ;

  • en vertu de l'Ordonnance souveraine du 3 juin 1910 et de la loi de 1905, le Tribunal de première instance, juge saisi du fond de l'affaire, a compétence pour statuer sur la demande reconventionnelle fondée sur la diffamation.

En réplique aux demandes reconventionnelles formées par la société défenderesse, la SARL A répond que :

  • elle n'a commis aucun abus de droit en agissant en justice aux fins de faire valoir ses droits à l'encontre d'un concurrent qui fausse les règles du marché par des actes de concurrence déloyale ;

  • la SARL B ne craint pas de se contredire en affirmant sa différence avec la SARL A tout en lui reprochant des actes de concurrence déloyale ;

  • il ne saurait lui être reproché d'avoir noué un partenariat avec la société D, qui n'est pas la propriété de t. HE. et a librement choisi de d'associer avec la SARL A ;

  • la marque « O » a été déposée le 22 décembre 2015 mais elle n'a été enregistrée que le 11 mars 2016, soit postérieurement (et non antérieurement) à la marque « P », déposée le 28 janvier 2016 et enregistrée le 28 février 2016 ;

  • dans ces circonstances, elle ne pouvait pas savoir, au moment de son dépôt, que la SARL B avait elle-même déposé sa marque ;

  • ce n'est pas elle qui a dénigré la SARL B mais bien le contraire lorsque, dans ses conclusions, la défenderesse qualifie l'évènement organisée par la partie adverse de « salon du n'importe quoi / n'importe qui » ;

  • en lui reprochant l'usage de la formule « premier salon automobile de Monaco », la SARL B démontre bien son état d'esprit, en ce qu'elle estime avoir un monopole sur ces termes ;

  • s'agissant du grief de diffamation, il ne saurait ici être retenu car il doit s'apprécier au jour de la demande en justice ; or, en l'espèce, à la date de l'assignation, il n'existait pas de partenariat entre la SAM I et la société K 2016, ainsi que cela a été démontré précédemment.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Si la liberté du commerce et de la concurrence demeure un principe intangible, l'action en réparation du dommage concurrentiel est admise sur le fondement de l'article 1229 du Code civil et constitue une action en responsabilité pour faute, dont la preuve doit être rapportée, de simples présomptions étant insuffisantes.

Ladite action requiert, pour sa mise en œuvre, la constatation d'une faute, caractérisée par l'emploi d'un procédé déloyal, l'existence d'un préjudice consistant en un détournement de clientèle et un lien certain de causalité entre la faute et le dommage invoqué.

Les procédés déloyaux peuvent prendre diverses formes, dont le dénigrement, la confusion ou le parasitisme.

La caractérisation d'actes de concurrence déloyale ne suppose pas que les sociétés concernées proposent des produits ou services strictement identiques ; il suffit qu'elles exercent des activités similaires, visant une clientèle potentiellement commune.

Pour apprécier ce point, il convient de tenir compte du marché concerné.

En l'espèce, s'il est exact que la SARL A :

  • n'est pas destiné exclusivement à l'automobile, en ce qu'il présente de nombreux exposants d'autres secteurs (bijoux, montres, yachts),

  • est essentiellement tourné vers les produits de luxe, en ce compris les véhicules automobiles,

  • présente davantage de concessionnaires automobiles que de constructeurs,

  • il n'est demeure pas moins un salon principalement dédié à l'automobile, considéré comme tel par les amateurs et professionnels, ainsi que cela ressort des articles de presse et extraits de blogs versés aux débats.

Il s'ensuit que la SARL A et la société K visent, au moins pour partie, une clientèle commune, tant au niveau des exposants que du public, et ce d'autant que le territoire monégasque, siège de leur activité et point fort de leur attractivité, est particulièrement exigu.

Le moyen de défense tiré du caractère distinct de leurs activités doit donc être écarté.

  • Sur la demande principale :

    • Sur le grief de publicité commerciale trompeuse :

C'est en vain que la société demanderesse tente de soutenir qu'une publicité trompeuse serait, en soi, constitutif d'un acte de concurrence déloyale.

En réalité, la publicité trompeuse, à la supposer démontrée, n'est que le vecteur du dénigrement d'un concurrent, qui, lui, caractérise la concurrence déloyale.

En droit, le dénigrement constitutif de concurrence déloyale consiste à jeter publiquement le discrédit sur une entreprise concurrente, en diffusant des informations malveillantes ou vexatoires sur son travail, sa personne, ses produits ou services.

Le dénigrement peut être direct ou par omission.

Le dénigrement indirect ou par omission est un procédé qui consiste à laisser croire, même de manière allusive, que seule une entreprise ou un produit présente certaines qualités.

Pour être caractérisé, le dénigrement suppose que le concurrent soit visé nommément ou facilement identifiable.

À cet égard, plus le marché concerné est étroit, plus l'identification du concurrent visé est aisée.

Si la publicité, trompeuse ou non, est le principal vecteur du dénigrement, les médias peuvent également servir de support au dénigrement, et notamment les propos tenus par un dirigeant d'entreprise lors d'une interview reproduite dans un journal ou les communiqués de presse.

En l'espèce, l'utilisation par la SARL B dans sa communication de la formule « premier salon automobile à Monaco » ne saurait être considérée comme fautive, alors que :

  • elle a, dès le 22 décembre 2015, enregistré auprès de la Direction de l'Expansion économique de Monaco, la marque « Monaco Salon International de l'Automobile », alors que la SARL A n'a déposé la marque « P » que le 28 janvier 2016 ;

  • l'usage de l'adjectif « premier » n'avait, à l'évidence, que le sens de « première édition » du salon litigieux, aucun élément ne permettant de confirmer l'une ou l'autre des simples hypothèses émises à cet égard par la SARL A

En revanche, en se présentant, dans leurs interviews et communiqués de presse antérieurs à la première édition de la société K, comme les organisateurs du premier « grand salon international » de l'auto à Monaco ou d'un salon automobile d'un genre nouveau, les dirigeants de la SARL B se sont rendus coupables de dénigrement indirect à l'endroit de l'évènement de la SARL A et ce, alors qu'en leur qualité de professionnel du secteur (l'un des dirigeants, t. HE. est l'ancien Commissaire général de la société D) et eu égard à l'étroitesse du marché monégasque, ils ne pouvaient ignorer l'existence et l'antériorité de la SARL A organisé en Principauté depuis 2003.

C'est ainsi que dans un article du quotidien Monaco-matin daté du 17 février 2016, t. HE. a déclaré :

« Monaco accueille depuis 1911 un rallye automobile incontournable, depuis 1929 le GP le plus mythique du monde, désormais une course de FE, un musée de l'automobile ; il ne manquait plus qu'un grand salon international. Et bien, c'est désormais chose faite » ;

Quelques mois plus tard, dans le communiqué de presse du 7 décembre 2016 intitulé « la société K 2017 : un succès annoncé », la SARL B a présenté son évènement dans les termes suivants :

« Pour la toute première fois à Monaco, du 16 au 19 février 2017, sous le Haut Patronage de SAS le Prince Albert II, aura lieu un nouveau concept de Salon de l'Automobile grand public ».

En occultant l'existence d'un autre salon automobile en Principauté et en se présentant comme le seul « grand » salon « international », la SARL B a commis une faute vis-à-vis de la SARL A

Il n'est par ailleurs pas établi le caractère novateur de la société K, en ce que ni la présentation de véhicules écologiques ou innovants, ni l'exposition de stands à ciel ouvert, ni la pratique de tests des véhicules ne sont l'apanage de cet évènement.

Pour le reste, les annonces faites par la SARL B quant au nombre de sites d'exposition, au nombre de visiteurs attendus, au nombre d'exposants, bien qu'excessives, comparées a posteriori à la réalité de l'évènement, s'inscrivent dans une stratégie de promotion certes agressive mais non fautive à l'endroit de la SARL A

S'agissant de l'affiliation à la société H, outre qu'elle n'a pas été présentée comme telle par la SARL B il ressort des photographies, des courriers versés aux débats et des modalités d'organisation de la conférence de presse (dans les locaux dudit club) qu'à tout le moins, cet organisme a apporté son soutien et son concours à l'organisation de la société K, de sorte qu'aucune faute ne saurait être retenue de ce chef.

S'agissant de la SAM I, la réalité de son partenariat avec la société K est établie par :

  • le contrat de partenariat conclu le 21 avril 2016 entre la SAM I et la SARL B dûment daté et signé, et dont rien ne permet de douter de l'authenticité ;

  • la preuve de ce que l'absence de la SAM I à l'occasion de la première édition de la société K en 2017 était due à sa participation concomitante à un autre évènement (course de formula E à Buenos Aires) ;

  • le fait que ce constructeur était en revanche présent lors de la deuxième édition, ainsi qu'en atteste sa mention sur les affiches de la société K 2018.

Aucune tromperie n'est donc à retenir de ce chef.

  • Sur le grief d'utilisation de signes distinctifs :

La SARL A reproche également à la partie défenderesse d'avoir introduit, dans l'esprit du public, une confusion entre son évènement et la SARL A en utilisant les signes distinctifs de celui-ci.

La confusion caractérise un acte de concurrence déloyale lorsqu'une entreprise copie purement et simplement ou s'inspire nettement de la marque, du nom commercial ou du logo d'un concurrent.

Elle ne requiert pas la similitude absolue entre les noms et les enseignes ; il suffit que leur ressemblance crée un risque de confusion pour un client moyennement attentif.

Outre qu'elle ne présente pas le caractère de signe distinctif, l'utilisation de la formule « premier » au sujet de la société K 2017 n'est pas fautive, en ce qu'ainsi qu'il est dit ci-dessus, elle doit s'interpréter au sens de « première édition ».

De même, les modalités d'organisation de la société K n'empruntent aucune signe distinctif à la SARL A en ce que :

  • compte tenu de la multiplicité des évènements ayant lieu en Principauté au cours de l'année, il ne saurait être considéré que les dates d'organisation des deux salons soient particulièrement rapprochées, l'un se tenant en février et l'autre en avril, soit à deux mois d'intervalle ;

  • le recours au site X12 ne constitue pas non plus un signe distinctif, dans la mesure où il s'agit du principal lieu de congrès et d'exposition de la Principauté et qu'à la différence de la SARL A qui y organise l'intégralité de son évènement, la société K avait son siège principal de son exposition sur X3, X12 n'étant réservé qu'à des conférences ;

  • l'offre d'essai de véhicules n'est pas l'apanage de la SARL A il est proposé par de multiples salons automobiles, de sorte qu'il ne constitue pas un signe distinctif.

S'agissant du logo, il ne saurait pas plus être retenu comme constitutif d'un signe distinctif, en ce que :

  • même si elle le représente dans certaines de ses communications, la SARL A n'allègue pas avoir fait usage du logo litigieux avant 2015 et elle ne démontre pas en avoir fait publiquement usage lors des éditions 2016 et 2017 de son salon ;

  • s'il est exact que les deux logos présentent des similitudes, il ressort de l'examen des logos d'autres salons automobiles, que la représentation stylisée de la silhouette d'une voiture de sport sur fond de couleur sombre n'est nullement originale et se trouve être fréquemment utilisée par les opérateurs du secteur.

En l'absence de signes distinctifs dont l'utilisation pourrait être reprochée à la SARL B le grief de confusion doit être purement et simplement écarté.

À cet égard, les deux courriers électroniques invoqués par la SARL A pour tenter de démontrer que la confusion a été faite par deux clients exposants ne sont pas probants : dans les deux cas, les clients se contentent d'interroger le gérant de la SARL A sur sa connaissance ou son implication dans la société K, sans toutefois opérer de confusion entre les deux évènements.

  • Sur le grief de parasitisme :

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise, en profitant indûment des investissements consentis ou de sa notoriété.

Il ne suppose pas nécessairement l'existence d'une situation de concurrence entre les entreprises considérées.

En l'espèce, la SARL A se contente d'alléguer, sans pouvoir le démontrer, ni l'articuler précisément, que la SARL B se serait rendue coupable d'agissements parasitaires à son endroit.

  • Sur le préjudice et le lien de causalité :

À supposer qu'ainsi que le soutient la demanderesse, la charge de la preuve du préjudice en matière de concurrence déloyale serait plus légère qu'en droit commun - ce qui, au demeurant, n'a jamais été jugé par les tribunaux monégasques, la Cour de Révision ayant, au contraire, rappelé dans un arrêt du 20 octobre 2016, que l'action en responsabilité délictuelle du chef de concurrence déloyale requiert, pour sa mise en œuvre, la preuve de l'existence d'un préjudice consistant en un détournement de clientèle - il n'en reste pas moins que :

  • le préjudice doit être réel ;

  • la preuve contraire peut être rapportée.

En l'espèce, la SARL A invoque un détournement de clientèle, dont elle ne rapporte pas la moindre preuve.

Au contraire, il ressort de sa propre communication que son édition 2017, qui s'est tenue peu après la société K, a été un succès et a battu des records d'affluence et de vente.

C'est également sans le moindre élément de preuve à l'appui, qu'elle tente d'invoquer une perte de chance, caractérisée par le fait que son succès aurait été plus grand encore si elle n'avait pas été victime des agissements déloyaux de la SARL B.

Faute de preuve, aucun chef de préjudice matériel ne saurait être retenu pour ouvrir droit à indemnisation de la société demanderesse.

En revanche, la campagne de communication menée par la SARL B pour le lancement de la société K, marquée par l'exagération de ses ambitions et par l'occultation subséquente de son concurrent, a nécessairement porté atteinte à l'image et à la réputation de la SARL A

Ce préjudice moral sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.

  • Sur la demande accessoire de publication :

Ni la faute retenue à l'encontre de la SARL B ni le dommage subi par la SARL A ne sont d'une gravité telle qu'ils justifieraient que soit ordonnée par justice la publication du présent jugement, le préjudice étant ici suffisamment réparé par l'octroi de dommages-intérêts.

  • Sur les demandes reconventionnelles :

C'est en totale contradiction avec ses propres moyens de défense que la SARL B invoque reconventionnellement des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice par la partie adverse.

En effet, elle ne saurait valablement soutenir, d'une part, que les deux sociétés ne sont pas concurrentes, en ce qu'elles visent des clientèles distinctes, et d'autre part, que la SARL A l'aurait concurrencée de manière déloyale ; une telle argumentation ne peut donc être retenue.

En tout état de cause, aucun des griefs articulés de ce chef à l'encontre de la SARL A n'est sérieux et la SARL B ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice.

Pour le reste, aucun abus du droit d'agir ne saurait être retenu, dans la mesure où la demanderesse est partiellement accueillie en ses prétentions et les multiples échanges de conclusions démontrent que la SARL B a eu tout loisir d'organiser sa défense dans le respect du contradictoire.

S'agissant par ailleurs du fait d'avoir mis en doute la réalité du partenariat de la SARL B avec la SAM I, il s'inscrit dans l'exercice normal d'une argumentation en justice, sans qu'aucune diffamation ne puisse être reprochée à la SARL A de ce chef.

Enfin, aucune disposition légale ne prévoyant en droit monégasque l'indemnisation des frais irrépétibles, la demande formée au titre des frais de justice sera rejetée.

En définitive, la SARL B sera déboutée de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles.

  • Sur l'exécution provisoire :

Aucune des conditions prévues par l'article 202 du Code de procédure civile n'étant en l'espèce remplie, il n'y a pas lieu d'assortir le présent jugement de l'exécution provisoire.

  • Sur les dépens :

La charge des dépens sera répartie entre les parties qui succombent chacune pour partie.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Condamne la SARL B à payer à la SARL A la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Déboute la SARL A de ses demandes de publication de la présente décision ;

Déboute la SARL B de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés pour un tiers par la SARL A et pour deux tiers par la SARL B dont distraction au profit de Maîtres Olivier MARQUET et Joëlle PASTOR-BENSA, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui les concerne ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 12 JUILLET 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF