Tribunal de première instance, 12 juillet 2018, M. c. PR. c/ La SAM A
Abstract🔗
Procédure civile - Compétence territoriale - Clause attributive de juridiction - Application (non)
Résumé🔗
Au regard de l'article 9 du Code de droit international privé issu de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, le tribunal monégasque est compétent pour connaître du litige entre une société de droit monégasque et un ressortissant français. En effet, aucun fondement ne permet d'étendre à un tiers au contrat les dispositions de la clause attributive de juridiction insérée dans la convention de cession de droits sociaux.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2016/000443 (assignation du 10 mars 2016)
JUGEMENT DU 12 JUILLET 2018
En la cause de :
M. c. PR. né le 9 avril 1945 à Aurillac (15), de nationalité française, demeurant X1 15130 Ytrac ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
d'une part ;
Contre :
La SAM A, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
En présence de :
M. le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, Parquet Général, Palais de Justice, Rue Colonel Bellando de Castro à Monaco (98000),
COMPARAISSANT EN PERSONNE,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 10 mars 2016, enregistré (n°2016/000443) ;
Vu la déclaration originaire, de la société G, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;
Vu la déclaration complémentaire formulée par la société G, par courrier en date du 23 mars 2016 ;
Vu le jugement avant-dire-droit rendu par ce Tribunal en date du 19 septembre 2018 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 19 octobre 2017 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date des 12 octobre 2017 et 20 mars 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de c. PR. en date des 19 octobre 2017 et 8 février 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, en date des 11 janvier 2018 et 19 avril 2018 ;
À l'audience publique du 17 mai 2018, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 12 juillet 2018 ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Aux termes d'un acte sous-seing privé en date du 25 septembre 2007, c. PR. et la société civile de droit français B, dénommés « Y » et agissant ensemble et solidairement, ont cédé à la société C, société par actions simplifiées de droit français dénommée « Z », les 152.000 actions dont le vendeur était propriétaire, représentant 100 % du capital social de la société D, et se sont engagés à céder à l'acquéreur dans les 30 jours qui suivent l'ensemble des actions et droits sociaux détenus directement par le vendeur dans les filiales.
Il était annexé à cet acte sous forme de tableau, la liste des filiales de la société D, avec le nombre de parts détenues, parmi lesquelles la SAM A, au capital divisé en 5.000 parts sociales dont 4.950 étaient détenues par la société D et 40 par le vendeur.
La cession est intervenue moyennant un prix se décomposant en un prix de base de 102.266.618 € et un complément de prix différé suivant modalités précisées à l'article 3.2 du contrat, dont le montant s'est élevé à 10.253.001 €.
Alléguant un principe certain de créance, tiré de sa qualité d'ancien associé et dirigeant de la SAM A, au titre de son compte courant à hauteur de la somme de 270.775,68 €, c. PR. a, sur requête, été autorisé par ordonnance présidentielle du 7 mars 2016 à faire pratiquer une saisie arrêt auprès de la société G à concurrence de la somme de 272.000 €, à l'encontre de cette société.
Par acte d'huissier du 10 mars 2016, il a fait procéder à la saisie-arrêt autorisée et assigné la SAM A, devant le Tribunal de première instance, aux fins de condamnation au paiement des causes de la saisie et de validation de cette mesure.
Par ordonnance rendue le 23 novembre 2016, le juge des référés a rétracté l'ordonnance précitée du 7 mars 2016 et ordonné en conséquence la mainlevée immédiate de la saisie-arrêt.
Au fond, c. PR. a sollicité sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la requise au paiement de la somme de 270.775,68 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 août 2015, ainsi qu'au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts.
La SAM A a conclu à voir :
déclarer prescrite et irrecevable l'action dirigée à son encontre, rejeter comme inopérante et douteuse la pièce adverse numéro 5 (pièce n°10), au fond débouter c. PR. de l'ensemble de ses demandes et le condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues.
Par jugement du 19 septembre 2017, le Tribunal a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à conclure sur la compétence de la présente juridiction au regard des dispositions de la loi n°1.448 du 28 juin 2017, et ordonné la communication de la procédure au Ministère Public.
Le Procureur Général conclut à ce qu'il soit ordonné une mesure d'instruction consistant en le versement par la défenderesse du procès-verbal de l'assemblée générale convoquée pour approbation des comptes des exercices 2007 à 2016 ainsi que des rapports des commissaires aux comptes, les parties étant invitées à conclure contradictoirement sur cette communication.
Il fait valoir que :
- le demandeur qui revendique une créance au titre de son compte courant produit un bilan de l'exercice arrêté au 31 décembre 2007 portant inscription de la somme de 270.775,68 € en compte courant ainsi que des réclamations par lettre recommandée, qu'il n'a pas pour autant assigné la société cocontractante C alors que l'article 4 du contrat passé avec elle comporte une clause évoquant la question des comptes courants dans les filiales qui renvoie à une annexe 4.2.
- la défenderesse suggère un abandon de créances sans formalisme écrit alors que le demandeur n'évoque qu'un simple projet qui ne s'est pas concrétisé, que le rapport du commissaire aux comptes n'est pas produit pas plus que le procès-verbal d'assemblée générale convoquée pour approbation des comptes de l'exercice 2007, que la communication de ces pièces permettrait au tribunal d'apprécier le caractère rattachable ou non de la créance revendiquée au contrat du 25 septembre 2007 et à la computation du délai de prescription.
- ce débat apparaît comme un préalable à la discussion sur la compétence du Tribunal monégasque.
Au dernier état de ses écritures, c. PR. demande au Tribunal de :
avant-dire droit au fond, au visa des articles 177, 274 et suivants du Code de procédure civile, ordonner la communication par la SAM A des Grands Livres certifiés pour l'année 2007 mais aussi pour les années 2012 et suivantes ;
lui donner acte de ce qu'il se réserve de conclure au fond une fois cette communication effectivement intervenue.
Il expose que :
- le Tribunal, pour inviter les parties à conclure sur la compétence indique que les parties auraient inséré dans le contrat de cession d'actions une clause attributive de compétence exclusive au tribunal de commerce de Paris.
Il fait valoir que :
- lui-même était partie à ce contrat de cession d'actions mais tel n'était pas le cas de la défenderesse qui ne peut donc se prévaloir de ce contrat ni de la clause attributive de compétence ;
- la défenderesse ne soulève pas l'incompétence du Tribunal de première instance et le Tribunal ne saurait relever d'office son incompétence faute pour la défenderesse d'avoir été partie à ce contrat, de sorte qu'il doit se déclarer compétent pour connaître de la demande ;
- en outre, la loi n°1448 dispose que le Tribunal est compétent lorsque le défendeur a son domicile en Principauté, ce qui est le cas en l'espèce, s'agissant d'une société anonyme monégasque dont le siège se trouve à Monaco. De plus, la créance en compte courant associé est née à Monaco et l'obligation de paiement doit être exécutée à Monaco ;
- la créance en compte courant revendiquée figure toujours aux grands livres comptables de la SAM A au 17 janvier 2012 valant pour l'exercice 2011 soit cinq années après la cession de créance, alors même que cette cession comprenait, selon la défenderesse abandon ferme de la créance en compte courant de sorte qu'il y a lieu d'ordonner la production des pièces sollicitée par le Procureur Général en y ajoutant celles relatives aux années postérieures à 2007 ;
- il n'a jamais renoncé à son droit de créance une telle renonciation ne pouvant résulter d'une mention figurant dans une clause équivoque insérée dans une simple annexe d'un contrat complexe alors que la renonciation à un droit ne se présume pas et doit résulter d'un acte manifestant la volonté claire et non équivoque de renoncer.
À la suite du jugement précité du 19 septembre 2017, la SAM A a modifié ses demandes et tend ainsi à voir le Tribunal:
In limine litis :
- ordonner le sursis à statuer par application de l'article 9 de la Loi n°1.448 du 28 juin 2017 en l'état du contrat de cession d'actions du 25 septembre 2007 et de ses annexes, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Paris pour trancher tout litige en lien avec ladite cession ;
- à défaut, dire et juger l'action de c. PR. en remboursement de son compte courant prescrite et l'y déclarer irrecevable ;
Avant dire droit au fond :
- rejeter la demande de mesures d'instruction formulée par le ministère public ;
- débouter c. PR. de sa demande avant-dire droit tendant à voir ordonner la communication des grands livres certifiés depuis 2007 ;
Sur le fond :
débouter c. PR. de l'intégralité de ses demandes ;
condamner c. PR. au paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues.
Elle soutient que la convention du 25 septembre 2007 signée par c. PR. avec la société C (devenue la société F), société mère de la SAM A, constitue un accord-cadre de cession global auquel c. PR. tente de passer outre en essayant « de se faire payer deux fois la même créance, à laquelle il a de surcroît formellement renoncé ».
Elle fait valoir que :
- le sursis à statuer doit être prononcé, en l'état d'une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Paris, aux motifs essentiellement que :
c. PR. feint d'ignorer que l'abandon de la créance alléguée est effectif pour être intervenu dans le cadre d'un contrat global de cession d'actions, régi par le droit français et que tout litige y afférent doit être soumis au tribunal de commerce de Paris, selon la volonté commune des parties ;
dans cet accord, il a formellement abandonné sa créance en compte courant dans la SAM A, de sorte que sa procédure caractérise une intention dolosive ;
le Tribunal a valablement relevé d'office son incompétence, en application de l'article 9 de la loi n° 1.448, mais elle-même ne pouvait le faire tant que la loi n'était pas entrée en vigueur ;
le contrat du 25 septembre 2007 est synallagmatique de sorte que c. PR. ne peut ni prétendre que la clause attributive de compétence a été prévue à son seul bénéfice, ni qu'il y aurait unilatéralement renoncé ;
la Cour de cassation française, dans une jurisprudence transposable au cas d'espèce, a formellement confirmé la possibilité pour une société membre d'un groupe de sociétés de se prévaloir d'une clause attributive de juridiction conclue par une autre société du groupe dans le cadre d'un ensemble contractuel ;
dès lors, bien que tierce au contrat, la SAM A peut légitimement en invoquer les dispositions puisque ce contrat constitue un fait juridique, entraînant des conséquences sur sa propre situation juridique, d'une part en raison de l'effacement de sa dette vis-à-vis du demandeur dans un accord-cadre, et d'autre part en raison de l'attribution de juridiction au tribunal de commerce de Paris pour tout litige lié à cet accord-cadre ;
le Procureur Général ne peut valablement solliciter, préalablement à la décision sur la compétence, la mise en œuvre d'une mesure d'instruction tenant au fond de l'affaire.
- la demande de communication de pièces avant dire droit au fond doit être rejetée, aux motifs essentiellement que :
la communication des pièces demandées n'est pas susceptible d'avoir une influence sur la résolution du litige dans la mesure où la traduction comptable de la prétendue créance de c. PR. ne suffirait pas à démontrer son caractère certain liquide et exigible ;
cela constituerait un renversement de la charge de la preuve, laquelle incombe au demandeur ;
la réouverture des débats ordonnée par le Tribunal dans son jugement avant-dire droit du 19 septembre 2017 est limitée aux explications de chacune des parties et du Ministère Public sur la compétence du Tribunal de première instance, or le Ministère public se désintéresse de la compétence pour aborder le fond qui constitue une approche contraire aux dispositions de l'article 9 précité dont il résulte que le fond ne peut être abordé tant que la question de la compétence n'a pas été tranchée, le cas échéant par la juridiction étrangère désignée ;
- à défaut, c. PR. est prescrit en ses demandes, aux motifs essentiellement que :
peu important que la créance invoquée soit de nature civile ou commerciale, elle se prescrit par cinq ans, or la cession de l'ensemble des actions de c. PR. dans la SAM A est intervenue le 25 septembre 2007 et l'assignation en paiement a été délivrée plus de cinq ans après ;
l'article 6 des statuts de la SAM A stipule que « Les dividendes qui ne seraient pas réclamés dans les cinq années de leur exigibilité seront acquis à la société » ce qui exclut conventionnellement les éventuelles réclamations qui pourraient être formées à l'encontre de la SAM A au-delà de ce délai ;
la convention de cession, lors de la signature de laquelle lui-même homme d'affaires très averti, était assisté de son conseil, règle en ses article 4 et 6-4, la question des comptes courants dont le montant, pour ce qui concerne la SAM A est porté pour 187.888 €, de sorte qu'il avait parfaitement connaissance d'une éventuelle créance en compte courant ;
- au fond, la prétention à paiement de c. PR. au titre d'un compte courant est infondée, aux motifs essentiellement que :
en l'état des articles 989 et 1011 du Code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et doivent être exécutées de bonne foi, et l'on doit rechercher dans les conventions la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ;
ainsi, à l'occasion de la cession d'actions du 25 septembre 2007, c. PR. a, d'une part clairement exprimé qu'il cédait également le compte courant d'associé qu'il détenait au sein de la SAM A, mais également qu'il ne détenait plus aucune créance en compte courant dans cette société, tel que le tout résulte du libellé de l'article 2, de celui de l'article 4 et de l'annexe 4-2 ;
il est indifférent qu'il ait pu produire un extrait du Grand livre pour l'exercice 2011, à supposer celui-ci authentique, dès lors que les conditions dans lesquelles il a pu rentrer en possession de ce document apparaissent douteuses ;
- la demande reconventionnelle en dommages et intérêts à hauteur de 30.000 € est justifiée, aux motifs essentiellement que :
c. PR. a fait diligenter une saisie-arrêt sur un compte mandataire praticien et non un compte commercial de la société, ce qui a eu pour effet de bloquer le reversement aux médecins de leurs honoraires ;
c. PR. avait connaissance de la nature de ce compte ;
cette saisie-arrêt s'est faite de manière abusive et vexatoire ;
l'attitude procédurale de c. PR. alimentée d'agissements déloyaux ne peut s'interpréter que comme une tentative d'enrichissement sans cause, ce qui engage sa responsabilité civile envers la SAM A, voire une tentative d'escroquerie au jugement.
SUR CE,
Sur la compétence :
le Procureur Général sollicite, à titre préalable que le Tribunal ordonne la production par la SAM A de diverses pièces comptables et que les parties soient invitées à conclure contradictoirement sur cette production :
Cette demande de mesure d'instruction qu'il estime être un préalable nécessaire à la décision sur la compétence impliquerait qu'il soit sursis à statuer sur la question de la compétence.
Cependant, le Tribunal, qui a évoqué par le jugement avant-dire droit du 19 septembre 2017 la question de sa compétence au regard des dispositions d'application immédiate de l'article 9 de la loi n°1448, et invité les parties à conclure sur ce point de droit, ne saurait statuer au fond que s'il est compétent, sauf à ce que la décision sur la compétence soit subordonnée à une question de fond qu'il devrait alors trancher préalablement.
Le Procureur Général n'allègue nullement que la communication des pièces auxquelles il s'intéresse serait de nature à conditionner l'appréciation de sa compétence par la juridiction et il n'apparaît pas que les informations relatives aux circonstances entourant le sort donné au compte courant du demandeur dans la comptabilité de la SAM A, qui s'emplace dans une question de fond, soient utiles à la décision du Tribunal sur la compétence.
Il n'y a donc pas lieu de sursoir à statuer sur la compétence.
la question de compétence au regard de l'article 9 du Code de droit international privé issu de la loi n°1.448 du 28 juin 2017 :
1 - la question posée par le Tribunal :
Ledit article 9 dispose en son alinéa 1: « Si les parties sont convenues, dans les conditions prévues à l'article précédent, de la compétence d'une juridiction étrangère, la juridiction monégasque saisie en méconnaissance de cette clause sursoit à statuer tant que la juridiction étrangère désignée n'a pas été saisie ou, après avoir été saisie, n'a pas décliné sa compétence. La juridiction monégasque saisie peut cependant connaître du litige si une procédure étrangère se révèle impossible ou s'il est prévisible que la décision étrangère ne sera pas rendue dans un délai raisonnable ou ne pourra pas être reconnue dans la Principauté . ».
L'article 10 dispose que : « Le tribunal monégasque qui n'est pas saisi conformément aux règles du présent chapitre relève d'office son incompétence . »
En l'espèce le contrat est passé entre c. PR. et la société B ensemble en qualité de vendeur et la société C en qualité d'acquéreur.
Elle porte sur 152.000 actions représentant 100 % des parts sociales d'une société D.
Parmi les filiales de cette société figure la SAM A.
La SAM A n'est pas une partie à la convention de cession d'actions du 25 septembre 2007, de sorte qu'en principe, en vertu de l'effet relatif des contrats, la clause attributive de compétence au profit du Tribunal de commerce de Paris de ce contrat ne lui est pas applicable.
À ce stade, il reste à déterminer s'il existe un mécanisme juridique reconnu en jurisprudence permettant d'étendre à un tiers au contrat les dispositions de la clause attributive de juridiction.
Afin d'asseoir l'incompétence de la juridiction monégasque, qu'elle n'avait pourtant pas soulevée avant toute défense au fond alors que l'article 3-9 bis du Code de procédure civile était applicable à la présente procédure lorsqu'elle a été initiée et jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi 1448, la SAM A soutient que la jurisprudence de la Cour de cassation française en la matière est transposable en droit monégasque.
La Cour de Justice des Communautés Européennes a, dans un arrêt S du 7 février 2013, d'une part, affirmé que la clause contractuelle attributive de compétence à une juridiction d'un État membre n'est valable qu'entre les parties au contrat et, de seconde part, précisé qu'elle ne pouvait être opposée au tiers sous-acquéreur, sauf s'il a donné son consentement effectif à l'égard de ladite clause.
Ce débat pour la France relève des dispositions du Règlement (CE) n° 44/2001, dit Règlement Bruxelles 1.
Par un arrêt du 25 mars 2015, la Cour de cassation statuant sur la question de l'opposabilité d'une clause attributive de juridiction en matière internationale, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, a cassé l'arrêt déféré qui estimait applicable dans les relations entre le fournisseur et le sous-acquéreur, la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat originaire entre le fabricant et le fournisseur initial.
Au visa de l'article 23 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 et en se référant à l'arrêt S, elle énonce que : « une clause attributive de compétence, convenue dans un contrat conclu entre le fabricant fournisseur d'un bien et l'acquéreur de celui-ci, ne peut être opposée au tiers sous-acquéreur qui, au terme d'une succession de contrats translatifs de propriété conclue entre des parties établies dans différents états membres, qui a acquis ce bien et veut engager à l'encontre du fabricant fournisseur une action en remboursement des sommes versées à titre de paiement du prix de la marchandise, sauf s'il est établi que ce tiers a donné son consentement effectif à l'égard de cette clause dans les conditions de l'article susmentionné ». (Cass. civ 1re, 25 mars 2015, n°13-24.796).
En l'espèce, en l'absence de chaîne de contrats, et en l'absence de tout élément de preuve d'une volonté expresse ou implicite de la SAM A d'adhérer à la clause attributive de compétence du contrat du 25 septembre 2007, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence française d'application d'un règlement européen auquel la Principauté de Monaco n'a pas adhéré, que l'article 9 du Code de droit international privé, lorsqu'il utilise le terme « Les parties » en référence à un contrat, vise également les tiers pouvant présenter un lien avec l'une des parties au contrat.
En conséquence, la juridiction n'a pas lieu de se déclarer d'office incompétente.
2- sur l'exception d'incompétence :
La SAM A conclut à voir ordonner le sursis à statuer par application de l'article 9 de la loi n° 1.448 ce qui s'analyse en une exception d'incompétence.
Or, elle pouvait, si elle estimait devoir soulever l'incompétence, le faire dès l'origine de la procédure sur le fondement de l'article 3-9° bis du Code de procédure civile applicable à la date de l'assignation, dont le mécanisme est repris dans le Code de droit international privé, de sorte qu'elle avait connaissance dès l'assignation de cette même cause d'incompétence éventuelle.
Ayant conclu au fond sans évoquer la question de la compétence, elle n'est plus recevable à formuler une exception d'incompétence, outre surabondamment qu'elle n'explique nullement ce qui la rattacherait à la clause attributive de compétence.
Elle doit donc être déboutée de son exception d'incompétence.
Enfin, le Tribunal est compétent à raison de la domiciliation à Monaco de la partie défenderesse, société anonyme de droit monégasque.
Il convient en conséquence, de renvoyer l'affaire à une prochaine audience, sur le surplus des demandes des parties, en ce inclus la demande de communication de pièces formulée par le Procureur Général, comme indiqué au dispositif ci-après.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement et par jugement avant-dire-droit au fond,
Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer sur la question de la compétence ;
Se déclare compétent pour statuer sur l'action introduite par c. PR. à l'encontre de la SAM A par assignation du 10 mars 2016 ;
Renvoie la cause et les parties à l'audience du MERCREDI 3 OCTOBRE 2018 à 9 heures pour les conclusions au fond de c. PR. ;
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Mademoiselle Marine PISANI, Greffier en Chef adjoint ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 12 JUILLET 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Marine PISANI, Greffier en Chef Adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.