Tribunal de première instance, 14 juin 2018, La SA A c/ La SAM C et j. LE.

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Abstract🔗

Faillites - Déclaration des créances - Absence de production de la créance au passif - Extinction de la créance (non) - Billet à ordre - Recevabilité de l'action contre l'avaliste

Saisie-arrêt - Validité (oui) - Principe de créance (oui) - Billet à ordre - Action contre l'avaliste - Vice du consentement (non)

Résumé🔗

Si le créancier, qui n'a pas produit ou pas valablement produit sa créance, est considéré comme hors procédure et voit ses charges de recouvrement de sa créance largement altérées, son droit de poursuite n'est pas éteint. En droit positif monégasque, la créance issue du rapport fondamental n'est pas éteinte, si bien que le bénéficiaire du billet à ordre peut valablement rechercher l'avaliste, malgré l'absence de production de sa créance au passif de la liquidation des biens du souscripteur. La banque est donc déclarée recevable.

La preuve de manœuvres frauduleuses ou de pressions susceptibles de caractériser un vice du consentement, dans le cadre d'une activité commerciale et de la vie des affaires pour une activité dépendant largement d'un financement bancaire, n'est pas rapportée. Le principe de créance de la banque, au titre de l'effet de commerce, sera ainsi consacré et la saisie-arrêt validée.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2008/000398 (assignation du 8 février 2008)

JUGEMENT DU 14 JUIN 2018

En la cause de :

  • La société anonyme de droit belge dénommée A, dont le siège social se trouve X1 - 1000 Bruxelles (Belgique), représentée par le président en exercice de son conseil d'administration, demeurant en cette qualité audit siège, elle-même prise en la personne du directeur général en exercice de sa succursale de Genève, la société B, Brussels, X2 - 1204 Genève (Suisse),

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

  • 1 - La société anonyme monégasque C, dont le siège social se situe X3 à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège, et en dernier lieu prise en la personne de c. BO., ès-qualités de syndic à la liquidation des biens de la SAM C, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de première instance du 17 avril 2008, intervenu volontairement à la présente instance par conclusions du 14 mai 2008,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • 2 - j. LE., né le 23 août 1941 à Juvisy Sur Orge, de nationalité française, demeurant X4 à Monaco,

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Philippe-Bernard FLAMANT, avocat au barreau de Nice,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit de saisie-arrêt et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 8 février 2008, enregistré (n° 2008/000398) ;

Vu la déclaration originaire, de la société dénommé D, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par la société D, par courrier en date du 20 février 2008 ;

Vu le jugement avant-dire-droit rendu par ce Tribunal en date du 5 janvier 2012 ayant notamment placé l'affaire au Rôle général ;

Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 6 mars 2013 et le courrier subséquent de Madame le Président en date du 21 janvier 2015 adressé aux parties ;

Vu les courriers en réponse des parties en date des 26, 28 et 29 janvier 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la SA A, en date des 7 mai 2015, 10 février 2016, 6 juillet 2016, 5 avril 2017 et 13 juillet 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de j. LE., en date des 24 septembre 2015, 24 mars 2016, 7 décembre 2016, 22 juin 2017 et 26 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de c. BO., en sa qualité de syndic à la cessation des paiements de la SAM C, en date des 29 octobre 2015 et 26 octobre 2017 ;

À l'audience publique du 9 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 22 février 2018, le délai ayant été prorogé au 14 juin 2018, les parties en ayant été avisées ;

FAITS CONSTANTS :

j. LE. est entré en relation avec la succursale de Genève de la SA A alors qu'il exerçait, pour le compte de tiers, une activité de couverture des fluctuations de cours liées aux contrats pétroliers, au travers d'une société de droit de l'île de Man dénommée E.

Au travers de la société anonyme monégasque F qui disposait elle aussi d'un compte auprès de la SA A, j. LE. exerçait également une activité de courtier dans des opérations internationales de commerce de pétrole.

j. LE. a par la suite indiqué à la SA A qu'il entendait entreprendre une activité de négoce de produits pétroliers au travers d'une société anonyme monégasque dénommée B et les parties ont régularisé une convention d'ouverture de compte en date du 3 février 2005.

Le même jour, la SAM C signait :

  • - un acte de gage et cession au profit de la banque de toute valeur ou marchandise détenue par la banque ou par des tiers en son nom, en garantie de toutes les dettes actuelles et futures de la SAM C,

  • - une convention de cession de toutes les créances afférentes à la revente de la marchandise financées par la banque.

La SA A finançait l'acquisition de produits pétroliers destinés à la revente à des gros distributeurs/importateurs, dont le paiement devait intervenir entre ses mains, tandis que les opérations de couverture des éventuelles pertes liées aux fluctuations des cours étaient effectuées par j. LE. au travers de la société E.

La SAM F, intervenant en qualité de courtier dans le cadre des ventes conclues par la SAM C, percevait une commission à titre de rémunération.

Au cours de l'année 2007, la SAM C obtenait l'autorisation de distribuer des produits pétroliers par camions en France, cette activité nécessitant la participation d'une banque monégasque ou française pour la domiciliation des paiements. j. LE. se rapprochait de la société D, qui acceptait que des paiements soient effectués auprès de lui et émettait une garantie au profit des douanes françaises.

Suivant jugement en date du 17 avril 2008, ce Tribunal a constaté l'état de cessation des paiements de la SAM C et prononcé concomitamment sa liquidation des biens, c. BO. étant désigné en qualité de syndic.

PROCÉDURE :

Suivant requête en date du 1er février 2008, la SA A, sollicitait l'autorisation de faire pratiquer une saisie-arrêt sur les avoirs de la SAM C et de j. LE. auprès de la société D en garantie de la somme de 5.133.000 euros.

Par ordonnance du 5 février 2008, il était fait droit à sa demande.

Les saisies-arrêts ont été pratiquées par exploit du 8 février 2008 et concernant j. LE., les sommes de 25.321,17 euros au crédit de son compte courant et 22.630,69 euros au crédit de son compte livret étaient saisies.

Par le même acte, la SA A faisait citer la SAM C et j. LE., en paiement des causes des saisies et en validation.

Suite à l'ouverture de la procédure collective à l'égard de la SAM C, la SA A a produit une créance au passif et a donné mainlevée le 31 juillet 2008 de la saisie-arrêt pratiquée sur le compte de la SAM C.

Saisi en rétractation de l'ordonnance du 5 février 2008, le Juge des référés a, par décision du 15 octobre 2008, rejeté les demandes de j. LE..

Suivant arrêt en date du 6 décembre 2011, la Cour d'appel confirmait cette ordonnance.

Le 17 novembre 2010, j. LE. déposait plainte avec constitution de partie civile à l'encontre des dirigeants de la banque pour escroquerie.

Par jugement en date du 5 janvier 2012, ce Tribunal, statuant avant-dire-droit au fond, recevait l'intervention volontaire de c. BO., ès-qualités de syndic, et ordonnait le sursis à statuer dans l'attente du résultat de la plainte de j. LE..

Suivant ordonnance en date du 25 juin 2012, le Juge d'instruction disait n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de la plainte déposée par j. LE.. Par arrêt en date du 6 mars 2013, la chambre du conseil de la Cour d'appel confirmait en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge d'instruction.

La présente instance était en conséquence rappelée au rôle.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes d'ultimes conclusions dites récapitulatives en date du 13 juillet 2017, la SA A sollicite désormais :

  • - le rejet des débats des pièces produites par j. LE. sous les numéros 88,89 et 90 du fait de leur absence de traduction en langue française,

  • - la nullité de l'attestation, objet de la pièce n° 12, produite aux débats par j. LE., pour violation des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile,

  • - l'irrecevabilité des demandes de j. LE. relatives à la nullité d'un billet à ordre et d'un aval en date du 22 novembre 2007,

  • - le rejet de la demande d'expertise présentée par j. LE.,

  • - la condamnation de j. LE. au paiement de la somme de 4.973.452,42 euros, outre des frais de protêt d'un montant de 59.714,64 euros, soit un montant total de 5.033.167,06 euros, avec intérêts courus au taux légal à compter du 31 décembre 2007 conformément à l'article 118 du Code de commerce,

  • - la condamnation de j. LE. au paiement d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

  • - la validation de la saisie-arrêt pratiquée sur les comptes de j. LE. par acte du 8 février 2008.

À l'appui de ses demandes, la banque fait valoir les arguments suivants :

  • 1/ Dans le domaine des faits, elle rappelle le système de financement qui avait été mis en place, la SA A apportant son concours pour l'acquisition de produits pétroliers par la SAM C, destinés à la revente exclusive à de gros distributeurs et importateurs. Du fait des conventions de gage et de cession du 3 février 2005, le prix de vente facturé par la SAM C aux acquéreurs devait être versé entre les mains de la banque. La banque ajoute qu'une partie de la marchandise financée avait été en réalité affectée par la SAM C et j. LE. à l'activité de distribution par camions, les prix de ventes ayant été versés sur des comptes de la SAM C auprès de la société D, échappant à la SA A.

La convention de cession de créances afférentes à la revente de marchandises financées par la banque aurait donc été violée et la SAM C se serait engagée à restituer les sommes afférentes. Malgré cette promesse, les remboursements seraient demeurés erratiques. Plusieurs échanges de courriers électroniques avaient eu lieu entre des préposés de la banque et j. LE., celui-ci s'engageant à cesser l'activité de distribution par camions et la banque l'assurant du maintien de son soutien en cas de régularisation de la situation. Aux termes d'un courriel du 21 novembre 2007, j. LE. aurait établi le montant des sommes à percevoir par la banque à 5.950.000 euros, qu'il se serait engagé à transférer à la SA A au fur et à mesure des entrées.

Lors d'un entretien qui s'était tenu à Monaco, dans les locaux de la SAM F, avec deux préposés de la banque, j. LE. avait signé, tant en qualité de représentant de la SAM C qu'à titre personnel en qualité d'aval, deux billets à ordre :

  • - l'un d'un montant de 5.950.000 euros, à échéance du 31 décembre 2007, qui correspondrait selon la banque au total des sommes qu'il déclarait comme étant à percevoir par la SA A du fait de l'affectation indélicate de produits financés par la SA A à l'activité de distribution par camions,

  • - l'autre d'un montant de 3.500.00 euros, à échéance au 31 janvier 2008, correspondant à une contre-garantie émise par la banque au profit de la société D. La banque ne va au final solliciter aucune condamnation sur le fondement de ce billet à ordre dans le cadre de la présente instance.

L'aval de ces lettres de change par j. LE. aurait été destiné à garantir l'exécution de l'engagement de la SAM C, tout en évitant la lourdeur et le coût d'inscriptions d'hypothèques conventionnelles sur les biens du dirigeant.

j. LE. aurait approuvé le compte-rendu qui avait été réalisé lors de ce rendez-vous.

Malgré le maintien du soutien de la SA A, manifesté par l'ouverture de plusieurs lettres de crédits pour la réalisation d'opérations d'achat et de revente, la SAM C n'aurait effectué qu'un seul règlement d'un montant de 1.500.000 euros au titre du transfert des sommes issues des ventes dites « distribution par camions ».

Dans ce contexte, la banque indique avoir présenté le premier billet à ordre à l'échéance du 31 décembre 2007 à la SAM C. Face à la réponse de j. LE., qui indiquait que la société était en cessation des paiements, la SA A faisait dresser protêt faute de paiement le 31 décembre 2007.

  • 2/ S'agissant des arguments juridiques invoqués, la SA A estime que les demandes en nullité du billet à ordre litigieux présentées par j. LE. seraient irrecevables car prescrites. En effet, l'article 1152 du Code civil prévoit une prescription quinquennale et le billet à ordre étant en date du 22 novembre 2007, aucun recours en nullité ne pouvait plus être intenté depuis le 22 novembre 2012. Or, ce n'était que dans ses conclusions du 7 décembre 2016 que j. LE. avait invoqué la nullité. En outre, la plainte pénale déposée le 17 novembre 2010 ne saurait interrompre valablement la prescription comme n'entrant pas dans le cadre limitatif légalement énoncé.

La SA A estime que ses propres demandes sont, contrairement aux allégations de j. LE., parfaitement recevables.

La banque indique en premier lieu que le fait de ne pas avoir déclaré au passif de la SAM C une créance au titre du billet à ordre litigieux n'aurait pas pour effet d'éteindre son droit de poursuite à l'égard de l'avaliste. En effet, en droit monégasque, les créances non déclarées au passif ne sont pas juridiquement éteintes, aux termes de l'article 464 du Code de commerce.

En tout état de cause, la banque estime que la créance d'un montant de 5.148.144,48 euros qu'elle a produit au passif de la SAM C correspondrait bien au montant figurant sur le billet à ordre du 22 novembre 2007, déduction faite de paiements intervenus.

Sur le fond, la validité du billet à ordre ne saurait être valablement contestée. Il serait la matérialisation des engagements de j. LE..

Ainsi, il n'y aurait nullement eu de changement brutal dans la politique de financement de la banque, celle-ci ayant entendu uniquement contre-garantir la société D mais jamais assurer le financement de l'activité de distribution par camions, s'agissant d'un commerce de détail qui n'entrait pas dans son domaine d'activité.

Le défendeur ne pourrait se prévaloir d'un vice du consentement qui résulterait d'un dol ou d'une violence économique. Au contraire, le montant du billet à ordre litigieux correspond à celui que j. LE. avait lui-même indiqué. Il n'y aurait pas eu de chantage consistant à subordonner le maintien du soutien de la banque à la signature du billet à ordre.

De même la SA A n'aurait nullement cessé brutalement ses concours par la suite, preuve en serait rapportée par le constat de l'ouverture de plusieurs lignes de crédit postérieurement au mois de novembre 2007.

  • 3/ S'agissant enfin du montant sollicité, la banque indique avoir opéré un décompte prenant en considération des paiements intervenus suite à la signature du billet à ordre. Pour autant, j. LE. tenterait d'imputer également d'autres paiements qui ne seraient pas liés à son objet. De même, il ne pourrait être considéré qu'il existerait des taxes à déduire.

Enfin, la banque considère qu'elle subit un préjudice du fait du comportement particulièrement dilatoire de j. LE. qui, depuis près de dix ans, tente d'user de toutes les voies procédurales pour se soustraire à ses engagements.

En défense, j. LE. a présenté le 26 octobre 2017 d'ultimes conclusions dites récapitulatives aux termes desquelles il sollicite :

  • - l'irrecevabilité des demandes de la SA A, ou à tout le moins, leur rejet et la mainlevée immédiate de la saisie-arrêt pratiquée le 8 février 2008,

  • - reconventionnellement, la condamnation de la banque au paiement d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

  • - subsidiairement, que soit constatée la qualification injustifiée du billet à ordre invoqué, en l'absence de créance certaine, liquide et exigible,

  • - très subsidiairement, que soit prononcée la nullité du billet à ordre du 22 novembre 2017 et de l'aval afférent,

  • - à titre encore plus subsidiaire, qu'il soit jugé que le montant de créance sollicitée par la SA A ne tient pas compte de taxes qui devraient pourtant être imputées et se trouve donc totalement injustifié, et que soit ordonnée telle expertise qu'il appartiendra pour établir la réalité desdites taxes.

  • 1/ À l'appui de ses demandes, j. LE. fait valoir qu'en réalité, la SA A était prise dans ce qui constituait les premiers soubresauts de la crise financière et que ses préposés, voyant leurs emplois menacés, auraient tenté abusivement d'obtenir des garanties exagérées de la part de certains clients, dans le seul but de contenter une direction aux abois.

La SA A ferait preuve d'une mauvaise foi certaine en affirmant avoir découvert l'activité de vente au détail, alors qu'elle en avait parfaitement connaissance et qu'elle avait même fourni une contre-garantie à la société D.

Il n'y aurait eu aucun détournement de marchandises et j. LE., dans sa communication du 21 novembre 2007, se serait borné à faire état d'un prévisionnel de trésorerie s'agissant de la somme de 5.950.000 euros.

À la vérité, j. LE. indique qu'il s'est rendu compte que de graves détournements avaient été opérés par d. LA. MI., lequel avait quitté la SAM C à l'automne 2007 et que les agissements frauduleux de ce dernier avait placé la société en difficulté.

  • 2/ Au plan juridique, la SA A serait irrecevable en ses demandes, dans la mesure où la créance qu'elle a produit au passif de la liquidation des biens de la SAM C correspond à un solde débiteur de compte courant et non à l'effet de commerce litigieux. Cet élément serait confirmé par le syndic et par les décisions judiciaires statuant tant sur l'état des créances qu'en matière pénale, dans le cadre de l'information judiciaire menée suite à la plainte du 17 novembre 2010.

j. LE. estime également qu'il peut soulever valablement la nullité du billet à ordre du 22 novembre 2007 sans encourir la prescription.

Sur les faits à l'origine des prétendus billets à ordre, il considère qu'il n'existait aucune créance certaine, liquide et exigible au moment de leur signature et de l'aval qu'il avait donné.

Il aurait été victime de manœuvres caractérisant un dol ou une violence au sens des articles 964 et suivants du Code civil. La SA A aurait subitement pris prétexte de la situation pour imposer l'arrêt de l'activité de distribution nationale, de nouvelles conditions pour l'activité internationale de la SAM C et pour se faire consentir abusivement des garanties personnelles par j. LE., tout en lui promettant fallacieusement que les billets à ordre ne seraient pas portés à l'encaissement. Au moment de leur signature en effet, un navire SIRUS se présentait au port et demandait l'ouverture d'une ligne de crédit pour une cargaison pétrolière. Les préposés de la banque auraient donc effectué un chantage sur le dirigeant de la SAM C puisque sans ce financement, toute l'activité sociale aurait cessé.

  • 3/ S'agissant des montants sollicités par la banque, ceux-ci seraient, quoi qu'il en soit, largement surévalués puisque plusieurs paiements étaient intervenus postérieurement au 22 novembre 2007 et surtout que des taxes (TVA et Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers dite TIPP) devaient être déduites.

Par conclusions en date du 26 octobre 2007, c. BO., ès-qualités de syndic de la SAM C a constaté que la SA A ne présentait plus de demandes à l'encontre de la société et s'en est rapporté à justice concernant les demandes résiduelles soumises à la juridiction.

SUR QUOI :

Attendu qu'il doit en premier lieu être constaté que la SA A ne présente plus de demandes à l'encontre de la SAM C ;

  • Sur les demandes de rejet de pièces et de nullité d'attestation :

Attendu qu'aux termes de l'article 8 de la Constitution, la langue française est la langue officielle de l'Etat et qu'il en découle que les débats judiciaires doivent être menés en employant, exclusivement, cette langue, les pièces produites en langue étrangère devant être traduites ;

Que tel n'est pas le cas des pièces en langue anglaise produites par j. LE. sous les numéros 88, 89 et 90, qui seront donc écartées des débats ;

Attendu que l'attestation de g. MA. produite par j. LE. en pièce n° 12 méconnait les dispositions de l'article 324 3° du Code de procédure civile en ce qu'il n'est pas mentionné l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;

Que sa nullité sera donc prononcée ;

  • Sur la recevabilité de la demande principale en paiement de la SA A :

Attendu qu'il ressort de la simple lecture de l'acte de production de créance de la SA A au passif de la liquidation des biens de la SAM C du 30 mai 2008 que le montant principal de 4.948.557,20 euros déclaré correspond « à la contre-valeur du solde débiteur du compte courant de la SAM C en dollars américains à la date du jugement de liquidation des biens soit 7.854.350,13 USD » ;

Que des sommes complémentaires sont produites au titre des frais de protêt du billet à ordre du 22 novembre 2007 d'un montant de 5.950.000 euros, qui seront finalement rejetées, mais qu'il n'existe pas de production de créance réalisée sur le fondement de cet effet de commerce litigieux ;

Attendu pour autant que cet élément ne peut être le support en l'espèce d'une fin de non-recevoir au sens des dispositions de l'article 278-1 du Code de procédure civile ;

Attendu en effet, qu'il résulte des dispositions de l'article 464 du Code de commerce « qu'à défaut de production dans les délais, les créanciers défaillants sont exclus de la procédure. Ils recouvrent l'exercice de leurs droits à la clôture de la procédure en cas de liquidation des biens et, lorsque le débiteur revient à meilleure fortune, en cas de règlement judiciaire » ;

Attendu dès lors que si le créancier, qui n'a pas produit ou pas valablement produit sa créance, est considéré comme hors procédure et voit ses charges de recouvrement de sa créance largement altérées, son droit de poursuite n'est pas éteint ;

Que les parties évoquent largement des dispositions de droit français mais dans des rédactions issues des lois récentes sans intérêt pour le litige et qu'il faut noter que ce n'est qu'en 1985 que le législateur français a considéré que les créances, qui n'ont pas été déclarées ou qui n'ont pas donné lieu à relever de forclusion, sont éteintes ; qu'une telle disposition peut effectivement permettre aux cautions ou aux avalistes de se prévaloir d'une exception inhérente à la dette à l'égard du créancier principal ;

Qu'en droit positif monégasque, la créance issue du rapport fondamental n'est pas éteinte, si bien que le bénéficiaire du billet à ordre peut valablement rechercher l'avaliste, malgré l'absence de production de sa créance au passif de la liquidation des biens du souscripteur ;

Que la SA A sera donc déclarée recevable en ses demandes ;

  • Sur la demande principale en paiement d'une somme de 5.033.167,06 euros présentée par la SA A :

  • 1/ Attendu que cette demande est fondée principalement sur l'action cambiaire afférente à un billet à ordre d'un montant de 5.950.000 euros en date du 22 novembre 2007 dont le souscripteur est la SAM C et j. LE. l'avaliste ;

Attendu que j. LE., défendeur, entend notamment voir prononcer la nullité de cet effet de commerce ; Qu'aux termes de l'article 95 du Code de commerce (relatif à la lettre de change mais également applicable au billet à ordre du fait du renvoi opéré par l'article 150 du Code de commerce), l'avaliste est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant, de sorte que j. LE. peut se prévaloir à l'encontre du bénéficiaire des mêmes causes de libération ou d'extinction de la dette que le souscripteur ;

Attendu que j. LE. n'invoquant pas la nullité par voie d'action mais, en qualité de défendeur, par voie d'exception, il faut constater qu'en application de la règle Quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles, la prescription quinquennale issue de l'article 1152 du Code civil ne peut lui être opposée (cf. notamment CA, 4 juin 1991, S c/SAM G) ;

  • 2/ Attendu sur le bien-fondé des demandes de la SA A que les nombreux échanges de courriers électroniques produits aux débats démontrent qu'à tout le moins, dès le 24 octobre 2007, la banque indiquait explicitement qu'elle ne pouvait financer l'activité de distribution dite par camions mais que pour ce qui était des ventes de produits (achetés par la SAM C du fait des lignes de crédit ouvertes par la SA A) à des clients traditionnels (N, M, O, H), elle entendait maintenir son soutien ;

Que la banque sollicitait des versements hebdomadaires de sommes perçues par la SAM C, issues des ventes de produits dans le cadre de l'activité de distribution par camions, dont l'achat par la SAM C avait été rendu possible par l'ouverture de lignes de crédit de la part de la SA A ;

Qu'au cours du mois de novembre 2007, les discussions ont porté sur le manque de couverture, la banque sollicitant à plusieurs reprises des informations sur les sommes à recevoir au titre de l'activité de distribution ;

Que par courriel du 21 novembre 2007, j. LE. chiffrait le montant des sommes à recevoir pour l'activité distribution à 5.950.000 euros, qu'il s'engageait à transférer à la banque « au fur et à mesure des entrées », tout en rappelant que le groupe qu'il contrôlait était propriétaire d'un appartement à Monaco, libre de toute hypothèque, d'une valeur de 5.000.000 euros, que son patrimoine immobilier personnel était évalué à 3.000.000 euros et que ces actifs pouvaient être mobilisés pour un montant total de 11.800.000 USD ;

Attendu qu'il faut donc déterminer si un dol ou une violence au sens de l'article 964 du Code civil affecte le billet à ordre litigieux du 22 novembre 2007 ;

Qu'un premier élément dans le sens de la négative est donc le fait que son montant corresponde au chiffrage réalisé par j. LE. lui-même, la veille ;

Que surtout, dès le 23 novembre 2007, la banque a établi un compte-rendu très détaillé de la réunion (pièce n° 27 de la demanderesse) adressé par voie électronique à j. LE., au terme duquel il est indiqué :

  • - que la réunion était organisée pour discuter du fait que « des matériaux que nous avons financés étaient utilisés pour fournir le marché national au détail, même si nous avons toujours bien fait comprendre que la SA A ne voulait pas financer cette activité »,

  • - que « la SAM C s'engage irrévocablement à transférer à son compte à la société B le montant total de toutes ces créances encaissées immédiatement et sans aucune déduction » et « qu'à réception de ces sommes d'argent sur notre compte et cession de la garantie de la société D, la SA A restituera les deux billets à ordre dûment avalisés par vous-mêmes » ;

Qu'enfin, par courriel en date du 26 novembre 2007, j. LE. indiquait en réponse « aucun commentaire sur l'objet de la réunion, et je soutiens tous les postes énumérés » ; qu'il confirmait l'engagement souscrit au titre du billet à ordre de 5.950.000 euros en ces termes explicites « Comme vous l'avez mentionné, la SAM C reconnait l'intérêt de garantie que détient la SA A sur toutes les sommes à encaisser de l'activité de distribution en gros, et en conséquence, j'ai dûment signé et endossé à la SA A un Billet à Ordre d'un montant de 5.950.000 euros » ;

Attendu également que le postulat selon lequel la banque entendait, quoi qu'il en soit, cesser sa collaboration et se garantir uniquement sur le patrimoine personnel de j. LE. ne peut être retenu puisque la SA A démontre qu'elle a financé au moins quatre opérations postérieurement :

  • - un règlement de 6.765.062 USD en faveur de la société H le 30 novembre 2007,

  • - un règlement de 28.224.939,38 USD en faveur de la société I (en règlement de la cargaison du navire SIRIUS) le 5 décembre 2007,

  • - un règlement de 3.844.775 USD en faveur de la société J le 6 décembre 2007,

  • - un règlement de 5.092.840 USD en faveur de la société K le 12 décembre 2007 ;

Attendu en conséquence, que la preuve de manœuvres frauduleuses ou de pressions susceptibles de caractériser un vice du consentement, dans le cadre d'une activité commerciale et de la vie des affaires pour une activité dépendant largement d'un financement bancaire, n'est pas rapportée ;

Attendu que le principe de créance de la SA A, au titre de l'effet de commerce, sera ainsi consacré ;

  • 3/ Attendu sur le montant réclamé, que la SA A reconnait avoir déduit diverses sommes au titre de versements effectués le 28 novembre 2007, d'où une demande de 4.973.452,42 euros dès sa requête en saisie-arrêt, qu'elle maintient dans ses dernières conclusions ;

Que s'agissant d'un virement de 2.500.000 euros en date du 20 novembre 2007, celui-ci est antérieur au billet à ordre et il est évoqué comme pris en compte par j. LE. dans son courriel du 21 novembre 2007 ;

Que s'agissant de deux virements du 20 décembre 2007, pour des montants de 1.772.132,88 euros et 1.930.093,25 euros, ceux-ci sont certes postérieurs au billet à ordre mais correspondent à l'activité de revente aux importateurs et gros distributeurs, s'agissant de ventes à la société M, sans lien donc avec l'objet de l'effet de commerce du 22 novembre 2007 ;

Qu'enfin que le compte-rendu de réunion suscitée du 23 novembre 2007 fait état de ce que les impôts et droits de douane sur les produits livrés aux clients nationaux au détail ont été réglés en totalité ; que cet élément corrobore le fait que le récapitulatif avait pour but de déterminer le montant des sommes effectivement à percevoir par la SA A ;

Qu'en définitive, la banque est bien fondée en son calcul de demande principale à hauteur de 4.973.452,42 euros et qu'il ne saurait y avoir lieu à mise en œuvre d'opérations d'expertise comme le sollicite à tort j. LE. ;

Attendu qu'elle peut également solliciter le paiement des frais de protêt pour un montant de 59.714,64 euros, en application des dispositions de l'article 118 du Code de commerce ;

Que j. LE. sera donc condamné au paiement de ces sommes, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2007 ;

  • Sur les autres chefs de demande :

Attendu que la SA A triomphant en ses demandes principales, la demande reconventionnelle de j. LE. en paiement d'une somme de 100.000 euros pour procédure abusive sera rejetée ;

Attendu que j. LE. n'a pas usé de son droit de se défendre en justice de telle manière qu'il aurait dégénéré en abus, puisque notamment sur certains moyens de la banque il a apporté une valable contradiction juridique ; que la demande en paiement d'une somme de 100.000 euros présentée à son encontre pour résistance abusive sera donc rejetée ;

Attendu qu'il a lieu de déclarer régulière, avec toutes ses conséquences de droit, la saisie arrêt pratiquée auprès de la société D, suivant exploit en date du 8 février 2008, et de la valider à concurrence de la somme, objet de la condamnation principale, outre intérêts et dépens ;

Attendu que j. LE. sera condamné aux dépens, en application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Constate que la SA A ne présente plus de demandes à l'encontre de la SAM C ;

Écarte des débats les pièces versées sous les numéros 88, 89 et 90 par j. LE. ;

Déclare nulle l'attestation versée aux débats sous le numéro 12 par j. LE. ;

Déclare la SA A recevable en ses demandes ;

Condamne j. LE. à payer à la SA A la somme de 5.033.167,06 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2007 ;

Déclare régulière et valide, avec toutes ses conséquences de droit, la saisie-arrêt pratiquée auprès de la société D, suivant exploit du 8 février 2008, pour le montant susvisé outre intérêts, frais et accessoires ;

Dit que la société D, tiers saisi, se libérera valablement des sommes qu'il détient pour le compte de j. LE. par le versement qu'il en opérera entre les mains de la SA A ;

Rejette le surplus des demandes des parties ;

Condamne j. LE. aux dépens qui comprendront ceux réservés par jugement du 5 janvier 2012, avec distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO et de Maître Christophe SOSSO, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun en ce qui le concerne ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Mademoiselle Marine PISANI, Greffier en Chef adjoint ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 14 JUIN 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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