Tribunal de première instance, 19 avril 2018, Mme e. SK. c/ M. c., l., m. RE.
Abstract🔗
Procédure civile - Incidents de procédure - Rejet de pièces - Mesures d'instruction - Exequatur (non) - Jugement russe - Jugement établissant la paternité du défendeur - Force de chose jugée
Résumé🔗
Un jugement du Tribunal B de la ville de Moscou a établi la paternité du défendeur, de nationalité belge et demeurant à Monaco, vis-à-vis de l'enfant, aujourd'hui âgé de huit ans, ordonné la modification de l'acte de naissance de l'enfant concernant l'identité du père, le nom de famille et le patronyme de l'enfant et mis à la charge du père une pension alimentaire équivalente à ¼ de tout type de revenu, jusqu'à la majorité de l'enfant. La mère, de nationalité russe et demeurant à Moscou, demande l'exequatur en Principauté de cette décision.
Le Tribunal déclare recevable la demande de rejet de la pièce produite par la mère entre les deux derniers jeux d'écritures autorisés pour le défendeur en raison de son caractère tardif. Il rejette toutefois cette demande dès lors qu'aucun texte n'exige que sa traduction soit effectuée par un expert assermenté et que le père n'indique nullement en quoi cette traduction serait approximative. Pat ailleurs, il n'établit pas l'absence d'objectivité de la traduction en démontrant qu'elle a été effectuée pour servir les besoins de la cause.
Le père estime que le certificat de coutume produit par la mère ne justifierait pas du respect des droits de la défense et que l'absence de traduction des textes légaux russes par un traducteur assermenté prive leur traduction de toute objectivité. Le Tribunal relève toutefois que les critiques du père à l'encontre du certificat de coutume portent sur le fond et qu'il tirera toute conséquence du respect ou non par la juridiction russe des droits de la défense sans qu'il soit nécessaire d'exiger la communication de pièces complémentaires sur ce point. En ce qui concerne la traduction non assermentée des textes légaux, il reprend sa motivation sur la demande de rejet de cette même pièce pour les mêmes motifs.
Pour vérifier si le jugement litigieux est entré en force de chose jugée dans des conditions garantissant le respect des droits de la défense, le Tribunal se réfère à deux certificats de coutume rédigés par une avocate française inscrite sur la liste des avocats étrangers de la Fédération de Russie et avocat-conseil du consulat de France à Moscou, et par une avocate Russe. A l'appui de ces certificats ont été produits des extraits d'articles du Code de procédure civile russe, traduits en langue française.
Il résulte de l'ensemble des éléments produits que « la date d'adoption du jugement sous sa forme définitive », point de départ du délai d'appel, ne découle que des écritures de la mère. En raison de l'incertitude relative à la date du point de départ du délai d'appel, rien ne permet de s'assurer de la régularité de la date à laquelle le jugement est devenu insusceptible de recours suspensif. Par ailleurs, rien ne permet davantage de s'assurer que le jugement en cause a été régulièrement notifié, en temps utile, au conseil du père, conformément à sa demande. Le tribunal ne peut en conséquence vérifier que la décision en cause est passée en force de chose jugée et que les droits de la défense, en matière de recours, ont été respectés.
Il déboute ainsi la mère de sa demande d'exequatur et rejette les demandes de mesures d'instruction afférentes à sa vie conjugale, devenues sans objet.
La demande d'exéquatur étant rejetée, la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formulée par la mère est infondée. Pour sa part, le père ne démontre pas la malice ou la mauvaise foi de la mère et il ne lui reproche pas précisément d'avoir abusé du droit d'agir en exéquatur, de sorte qu'il est également débouté de ses prétentions indemnitaires présentées à l'encontre de la mère.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2016/000268 (assignation du 23 décembre 2015)
JUGEMENT DU 19 AVRIL 2018
En la cause de :
Mme e. SK., de nationalité russe, demeurant X1 à Moscou (Russie) ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
M. c., l., m. RE., né le 3 août 1970 à Dendermonde (Belgique), de nationalité belge, demeurant X2 à Monaco ;
DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
En présence de :
M. le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Monaco, en son Parquet sis au Palais de Justice, X à Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 23 décembre 2015, enregistré (n° 2016/000268) ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de c. RE., en date des 24 mars 2016, 9 mars 2017, 18 janvier 2018 et 8 février 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom d e. SK., en date des 13 octobre 2016, 8 juin 2017, 19 octobre 2017 et 25 janvier 2018 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date des 11 juillet 2017, 21 novembre 2017 et 8 février 2018 ;
À l'audience publique du 15 février 2018, les conseils des parties ont déposé leurs dossiers, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 19 avril 2018 ;
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
e. SK. a, le 6 juin 2009, donné naissance à Moscou (Russie), à un enfant de sexe masculin, prénommé a. s., dont le père mentionné sur l'acte de naissance est s. g. SK. ;
La mère et le père mentionné sur l'acte de naissance sont désormais divorcés ;
Suivant jugement en date du 15 octobre 2014, le Tribunal B de la ville de Moscou (Russie), saisi à la requête d e. SK., a :
établi la paternité de c. RE. vis-à-vis de l'enfant mineur a. s. SK., né le 6 juin 2009 à Moscou, de e. SK. ;
ordonné la modification de l'acte de naissance de l'enfant concernant l'identité du père, le nom de famille et le patronyme de l'enfant ;
obligé c. RE. à payer à e. SK., pour l'entretien de l'enfant mineur, une pension alimentaire équivalente à ¼ de tous les types de salaire et (ou) d'autres sources de revenu chaque mois à partir du 6 mars 2014 et ce jusqu'à sa majorité.
Par acte d'huissier en date du 23 décembre 2015, e. SK. a assigné c. RE. devant le tribunal de première instance, en présence du Procureur Général, afin de voir déclarer exécutoire à Monaco la décision susmentionnée, en se fondant sur les dispositions des articles 472 et suivants du Code de procédure civile ;
Dans ses conclusions récapitulatives en date du 25 janvier 2018, e. SK. :
conclut à la recevabilité de ses pièces numérotées 7 et 13 ;
réclame que soient déclarées satisfactoires les pièces complémentaires versées aux débats et notamment le certificat de coutume ;
réitère sa demande principale ;
sollicite la condamnation de c. RE. à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des frais qu'elle a engagés pour faire valoir les droits de l'enfant et en raison de son attitude dilatoire et abusive ;
conclut au débouté des prétentions adverses.
Dans le dernier état de ses écritures, c. RE. :
Sollicite, à titre principal et avant dire droit :
la communication par e. SK., sous astreinte :
des factures de fourniture d'électricité, de téléphone, de gaz et les éventuels avis d'imposition relatifs à la taxe d'habitation concernant le logement d e. SK. à compter de la naissance de l'enfant ;
du (des) contrat(s) de bail successif(s) concernant l'appartement constituant le logement d e. SK. à compter de la naissance de l'enfant ;
de l'acte de signification du jugement litigieux ;
du jugement de divorce des époux SK. ;
de l'avis d'imposition du foyer fiscal d e. SK. à compter de la naissance de l'enfant et du divorce des époux SK. ;
l'autorisation de mandater un huissier avec pour mission de rendre à l'hôtel Métropole et à l'hôtel l'Hermitage pour se faire remettre par les directions desdits établissements :
une copie anonymisée des pages de leurs registres mentionnant e. SK. et/ ou h. MA. SK. et/ ou s. g. SK. et / ou s. SK., avec les mentions relatives à l'identité des personnes les ayants accompagnées, à compter de la naissance de l'enfant ;
une copie des factures et des détails des règlements effectués concernant les réservations faites aux noms des personnes précitées, à compter de la naissance de l'enfant.
la communication par e. SK., sous astreinte :
des dispositions légales russes relatives à la signification des jugements rendus en Russie, avec une traduction assermentée ;
des dispositions légales russes autorisant la juridiction à s'abstenir de motiver sa décision sur sa compétence territoriale malgré sa contestation par le défendeur, avec une traduction assermentée.
le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure après exécution des mesures d'instruction sollicitées.
Conclut, à titre subsidiaire sur le fond :
au rejet des pièces adverses numérotées 1bis, 19, 27, 29, 30, 31, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, et 50 ;
au débouté de la demande d'exéquatur ;
au débouté de la demande de dommages et intérêts.
Réclame, à titre reconventionnel, la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Dans ses conclusions récapitulatives en date du 8 février 2018, le Procureur Général conclut au rejet de la demande d'exéquatur.
MOTIFS :
SUR LES INCIDENTS DE PROCÉDURE :
Sur les demandes de rejet de pièces :
Sur la recevabilité des pièces numérotées 7 et 13 versées par la demanderesse :
Le défendeur ne sollicitant plus le rejet desdites pièces, cette prétention d e. SK. est devenue sans objet.
Sur les pièces non accompagnées d'une traduction assermentée :
c. RE. demande le rejet des pièces adverses n°1bis, 19, 27, 29 à 43, 45 et 50 pour défaut de traduction certifiée ; il ajoute que la pièce 27 ne fait l'objet d'aucune traduction, que pour les pièces 35 à 43, l'original ayant fait l'objet de la traduction n'est pas communiqué, et que certaines pièces ayant été traduites par des membres du cabinet juridique ayant établi les certificats de coutume à la demande d' e. SK., l'objectivité des traductions peut être légitimement contestée ;
e. SK. n'a pas répondu sur ce point, n'ayant pas eu connaissance de cette demande avant ses dernières conclusions ;
En effet, cette demande de rejet de pièces a été formée par c. RE. pour la première fois dans ses dernières conclusions du 8 février 2018 ; celle-ci ne pouvait dès lors faire l'objet d'une réponse adverse avant l'audience de plaidoirie compte tenu du calendrier procédural fixé par le tribunal ;
Or, il faut relever que les pièces critiquées ont été communiquées par la demanderesse aux dates suivantes :
le 20 octobre 2016 s'agissant de la pièce n°1bis,
le 1er juin 2017 s'agissant des pièces n°19, 27, 29 à 31,
le 12 octobre 2017 s'agissant des pièces n° 35 à 43 et 45,
le 25 janvier 2018 s'agissant de la pièce n° 50.
Ainsi, il apparaît que seule la dernière pièce a été communiquée tardivement par e. SK. (précisément entre les deux derniers jeux d'écritures autorisés pour le défendeur) ;
En outre, il faut souligner que dans ses avant-dernières écritures du 18 janvier 2018, le défendeur n'a émis aucune critique sur toutes les pièces communiquées jusqu'au 12 octobre 2017 ;
En conséquence, au regard de l'attitude procédurale de c. RE. contraire au principe de la loyauté des débats, seule la demande de rejet de pièces concernant la pièce n° 50 communiquée par e. SK. sera jugée recevable ;
En vertu de l'article 8 de la Constitution, aux termes duquel la langue française est la langue officielle de l'État de Monaco, les débats devant les juridictions monégasques doivent être menés dans cette langue et les pièces produites en langue étrangère dument traduites ;
La traduction en langue française des pièces produites par les parties dans une instance n'est soumise à aucun formalisme particulier (Cour de Révision 30 mars 2011) ;
Ainsi aucun texte n'exigeant une traduction par un expert assermenté, les traductions libres peuvent être admises, sous réserve que leur véracité et leur fidélité au texte original ne soient pas mises en cause ;
En l'espèce, le défendeur n'indique nullement en quoi la traduction non assermentée de la pièce adverse n° 50 serait approximative;
De plus, il ne démontre pas l'absence d'objectivité de la traduction, n'établissant pas qu'elle a été effectuée pour servir les besoins de la cause ;
Il ne sera donc pas fait droit à la demande de rejet de la pièce n°50 de ce chef ;
Sur les photos représentants des enfants mineurs dont la communication n'a pas été autorisée par leurs représentants légaux :
c. RE. demande le rejet de la pièce adverse n° 46 qui consiste en des clichés photographiques sur lesquels apparaissent les enfants de sa sœur aux motifs qu e. SK. a utilisé l'image de ces mineurs sans l'autorisation de leurs représentants légaux, lesquels ignoraient l'existence de ces photos ayant été prises par ruse ;
e. SK. n'a présenté aucun argument en réponse sur ce point, cette demande ayant été également formée par c. RE. pour la première fois dans ses dernières conclusions du 8 février 2018 alors que la pièce litigeuse avait été communiquée par la demanderesse le 12 octobre 2017 ;
Or, comme indiqué ci-avant, en l'état du calendrier procédural fixé par le tribunal, cette demande de rejet de pièce présentée tardivement par c. RE. ne pouvait faire l'objet d'une réponse d e. SK. avant l'audience de plaidoirie ;
Ainsi au regard de l'attitude procédurale du défendeur contraire au principe de la loyauté des débats, cette demande de rejet de pièce sera également jugée irrecevable ;
Sur les demandes avant dire droit formées par le défendeur :
Sur les demandes de pièces afférentes à la vie conjugale de la demanderesse (communication de pièces par e. SK. et obtention de pièces par huissier) :
c. RE. fonde ses demandes de mesures d'instruction sur l'article 15-3 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé et il expose qu'elles sont justifiées par un motif sérieux tenant à la contrariété à l'ordre public monégasque du jugement russe litigieux et de la présente procédure ;
Le défendeur avance que si la preuve du maintien de la vie commune d e. SK. avec son ex-mari malgré le divorce était avérée, l'exéquatur du jugement russe serait manifestement contraire à l'ordre public car :
ce jugement, en ignorant la possession d'état d'enfant légitime dont disposerait a. à l'égard de l'ex-époux de la mère, et ce depuis sa naissance jusqu'à ce jour, serait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ;
ce jugement aurait été obtenu grâce à des manouvres frauduleuses (le divorce d e. SK. avec son conjoint concomitant à la naissance de l'enfant, et l'acquiescement de l'ex-mari aux demandes dans la procédure en contestation de filiation) en vue de procurer des revenus indus à la demanderesse et à son concubin (la finalité de la procédure russe aurait été d'obtenir la condamnation d'un autre que celui qui se comporterait comme le père depuis la naissance de l'enfant au paiement d'une part contributive) ;
e. SK. s'oppose aux demandes de mesures d'instruction afférentes à sa vie conjugale, contestant toute vie commune avec son ex-mari et considérant que les mesures réclamées ne sont pas pertinentes eu égard à l'objet du litige, s'agissant d'une procédure d'exéquatur et non d'établissement de filiation.
Elle ajoute que les demandes du défendeur sur ce point sont dilatoires ;
Au vu des différents chefs de contestation de la demande d'exéquatur, l'examen de cette demande de mesures d'instruction à ce stade est prématuré, dans la mesure où il convient, avant d'aborder la conformité, au fond, du jugement litigieux à l'ordre public monégasque, de vérifier sa régularité formelle ;
Sur la demande de mesures d'instruction conjointe à celle formée par le Procureur Général :
c. RE. estime que les dernières pièces communiquées par e. SK. ne répondent pas à la demande d'informations complémentaires du Procureur Général :
le certificat de coutume ne justifierait pas du respect des droits de la défense ;
les textes légaux russes n'étant pas traduits par un traducteur assermenté mais par le cabinet d'avocats rédacteur du certificat de coutume, ce qui ôterait toute objectivité à leur traduction.
e. SK. estime avoir satisfait à la demande du Procureur Général avec la communication des pièces n° 49 et 50 - 50 bis ;
En l'espèce, le Procureur Général avait, dans ses conclusions du 21 novembre 2017, demandé la communication par la demanderesse :
d'éléments complémentaires sur les textes organisant la signification des jugements rendus ;
d'éléments complémentaires sur l'absence de débats devant la juridiction russe sur sa compétence en dépit de sa contestation par c. RE..
Pour y répondre, la demanderesse a versé le 25 janvier 2018 un certificat de coutume (pièce n°49) et des articles du Code de procédure civile russe avec leur traduction (pièces n° 50 et 50 bis) ;
Au regard de ces pièces, le Procureur Général n'a pas réitéré sa demande de mesures d'instruction ;
Nonobstant la communication de pièces par la partie adverse et l'évolution de la position du Ministère public, c. RE. a maintenu sa demande de ce chef ;
Mais les arguments qu'il avance à son appui ne sont pas pertinents :
s'agissant du certificat de coutume, les critiques du défendeur portent sur le fond ; le tribunal tirera toute conséquence du respect ou non par la juridiction russe des droits de la défense sans qu'il soit nécessaire d'exiger la communication de pièces complémentaire sur ce point ;
s'agissant de la traduction non assermentée des textes légaux (pièce n°50 et 50bis), il convient de se reporter à la motivation ci-avant énoncée sur le demande de rejet de cette même pièce pour les mêmes motifs.
En conséquence, cette demande de c. RE. de mesures d'instruction sera rejetée.
SUR LE FOND :
Aux termes de l'article 13 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé, d'application immédiate : « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et passés en force de chose jugée sont reconnus de plein droit dans la Principauté s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'article 15. Toute partie intéressée peut agir devant les tribunaux de la principauté en reconnaissance ou en non reconnaissance d'un jugement rendu par un tribunal étranger. »
L'article 14 de cette même loi énonce que « lorsqu'ils sont exécutoires dans l'Etat dans lequel ils sont intervenus, les jugements rendus par les tribunaux étrangers ne sont susceptibles d'exécution dans la Principauté qu'après avoir été déclarés exécutoires par le tribunal de première instance, sauf stipulations contraires des traités. »
Selon l'article 15 de la même loi, « un jugement rendu par un tribunal étranger n'est ni reconnu ni déclaré exécutoire dans la Principauté si :
il a été rendu par une juridiction incompétente au sens de l'article 17,
les droits de la défense n'ont pas été respectés, notamment lorsque les parties n'ont pas été régulièrement cités ni mises à même de se défendre,
la reconnaissance ou l'exécution est manifestement contraire à l'ordre public monégasque,
il est contraire à une décision rendue entre les mêmes parties dans la Principauté ou avec une décision antérieurement rendue dans un autre Etat et reconnue dans la Principauté,
un litige est pendant devant un tribunal de la Principauté saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet ».
L'article 17 précise que « le tribunal étranger ayant rendu un jugement est considéré comme incompétent lorsque les tribunaux de la principauté avaient une compétence exclusive pour connaître de la demande, ou si le litige ne présentait pas un lien suffisant avec l'État dont relève cette juridiction, notamment lorsque sa compétence n'était fondée que sur la présence temporaire du défendeur dans l'État dont relève cette juridiction ou de biens lui appartenant sans lien avec le litige, ou encore sur l'exercice par le défendeur dans ce même État d'une activité commerciale ou professionnelle sans lien avec le litige.
Ces dispositions ne reçoivent pas application au cas où la compétence du tribunal étranger a été acceptée par la partie s'opposant à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement rendu par ce tribunal ».
Enfin l'article 18 de la loi susmentionnée exige que le demandeur à fin d'exécution ou de reconnaissance produise :
« une expédition authentique du jugement ;
l'original de l'exploit de signification ou de tout autre acte en tenant lieu dans l'État où le jugement aura été rendu ;
un certificat délivré, soit par la juridiction étrangère dont émane le jugement, soit par le greffier de cette juridiction, constatant que cette décision n'est ni frappée, ni susceptible d'être frappée d'opposition ou d'appel, et qu'elle est exécutoire sur le territoire de l'État où elle est intervenue. »
Cet article dispose en outre que « ces pièces devront être légalisées par un agent diplomatique ou consulaire de la Principauté accrédité auprès de l'État étranger, ou, à défaut, par les autorités compétentes de cet État.
Elles devront en outre, quand elles ne sont pas rédigées en français, être accompagnées de leur traduction en langue française, faite par un traducteur assermenté ou officiel et dûment légalisée. »
Selon l'article 13 de la loi n° 1.448 susvisée, seuls les jugements étrangers passés en force de chose jugée peuvent faire l'objet d'un exéquatur ;
Il convient dès lors de vérifier si le jugement du 15 octobre 2014 rendu par le Tribunal B de la ville de Moscou est insusceptible de recours suspensif et dans ce cadre de s'assurer que les droits de la défense ont été respectés, comme le prescrit l'article 15-5 ;
e. SK. affirme que le jugement du 14 octobre 2015 rendu par le Tribunal B de la ville de Moscou est exécutoire et passé en force de chose jugée ;
Elle s'appuie sur deux certificats de coutume rédigés à sa demande par des avocats présentés comme experts du droit russe, et expose que :
le jugement n'a pas été notifié en tant que tel dans la mesure où une telle formalité n'est pas exigée en Russie lorsque les parties sont représentées à l'audience ;
le jugement litigieux a été rendu et lu lors de l'audience du 15 octobre 2014 où toutes les parties étaient présentes ou représentées ;
le jugement a été rendu sous sa forme définitive (c'est-à-dire motivé) le 19 décembre 2014 ;
il a été notifié directement au représentant de c. RE. par courrier du Tribunal B de la ville de Moscou, suite à sa demande ;
cette démarche vaut signification du jugement en Russie ;
le délai d'appel d'un mois qui court à compter de l'adoption du jugement sous sa forme définitive, a expiré le 20 janvier 2015 : aucune partie n'ayant exercé de recours (cf. : le certificat de non recours pièce n°24 et cachet exécutoire sur le jugement) ;
à cette date, la décision est ainsi passée en force de chose jugée ;
c. RE. fait grief à la demanderesse de n'avoir communiqué aucun exploit de signification du jugement litigieux, précisément il formule les reproches suivants :
l'original de l'acte qui tiendrait lieu de signification (le courrier de notification allégué par e. SK.) n'est pas versé aux débats ;
le certificat de coutume produit par e. SK. n'établit pas que la signification des jugements n'est pas exigée en Russie, dans la mesure où il s'appuie sur des articles du Code de procédure civile Russe partiellement communiqués et traduits par les auteurs mêmes du certificat de coutume et les textes communiqués n'énoncent pas que le prononcé du jugement tiendrait lieu de notification ;
l'original du certificat attestant du caractère exécutoire du jugement n'est pas produit et sa traduction n'est pas légalisée.
Le Procureur Général soutient que :
le jugement dont l'exéquatur est demandé n'est pas celui rendu sous sa forme définitive qui serait un jugement du 19 décembre 2014 selon la demanderesse ;
les pièces 5 et 24 produites par e. SK. (courriers du Tribunal B de la ville de Moscou) qui tiendraient lieu de signification ne font état que de l'envoi d'une décision sans préciser la forme de l'envoi ;
la demanderesse n'établit pas que le jugement du 19 décembre 2014 a été notifié au conseil de c. RE..
Il résulte des deux certificats de coutume rédigés par Maître Julie LOSSON, avocate française inscrite sur la liste des avocats étrangers de la Fédération de Russie et avocat-conseil du consulat de France à Moscou, et Maître Tatiana RAKOVSKAIA, avocate Russe, versés par e. SK. que :
seul l'appel est suspensif d'exécution (article 209 du Code de procédure civile russe) ;
le délai d'appel est d'un mois (article 321 du Code de procédure civile russe) ;
il court à compter de la « date de rédaction du jugement sous sa forme définitive » (article 321), sans que l'une des parties ne soit tenue de notifier à l'autre la décision de quelque manière que ce soit ; précisément :
lors de la dernière audience, le dispositif du jugement est lu (article 193) ;
puis la décision est rédigée sous sa forme motivée dans un délai de 2 semaines à 2 mois (mais elle portera la date de l'audience à laquelle le dispositif a été lu (sic)),
il appartient aux parties comparantes lors de la dernière audience de se renseigner sur la « date de rédaction du jugement sous sa forme définitive » afin de ne pas manquer le délai d'appel (sic), car le tribunal n'est pas tenu de leur notifier le jugement rédigé ;
les parties peuvent cependant faire une demande de notification officielle du jugement ;
lorsque le délai d'appel est épuisé, le jugement entre en force de chose jugée (article 209,1°) ;
son caractère exécutoire est définitif est attesté par l'apposition par le greffier du tribunal d'un cachet rectangulaire portant la mention de l'entrée en force de chose jugée et de sa signature.
À l'appui de ces deux certificats de coutume ont été produits des extraits d'articles du Code de procédure civile russe, traduits en langue française ;
c. RE. ne communiquant aucune pièce venant déconsidérer les avis de droit sur ces points, il convient de s'y référer pour vérifier si le jugement litigieux est entré en force de chose jugée dans des conditions garantissant le respect des droits de la défense :
En l'espèce, il est constant que la décision du Tribunal B de la ville de Moscou a été rendue oralement à l'audience du 15 octobre 2014, en présence de toutes les parties;
Mais, le dossier est dépourvu de tout élément d'information sur « la date d'adoption du jugement sous sa forme définitive », point de départ du délai d'appel ;
En effet :
Le procès-verbal de l'audience du 15 octobre 2014 n'indique nullement la date à laquelle les parties pouvaient prendre connaissance de la décision motivée ;
Pourtant, l'article 193 du Code de procédure civile russe dispose que lorsqu'il annonce la partie résolutive d'une décision de justice, le président doit expliquer quand les parties ou leur représentant peuvent prendre connaissance de la décision motivée du tribunal ;
Le jugement rédigé ne comporte lui-même aucune mention sur cette date ;
La pièce n°5 versée par e. SK. qui constituerait la notification au défendeur du jugement du 15 octobre 2014 « sous sa forme définitive » par le Tribunal de district de B de la ville de Moscou, à la suite de la demande par le conseil de c. RE. d'une copie du jugement motivé, ne fait pas état de la date à laquelle le jugement a été rendu dans sa forme définitive ;
Bien plus ce courrier n'est pas daté et aucun élément ne permet de savoir à quelle date, il aurait été reçu par le conseil du défendeur ;
Or selon les spécialistes du droit russe consultés par e. SK., la faculté offerte aux parties présentes lors du délibéré d'obtenir une notification du jugement sous sa forme définitive a pour objet d'éviter aux parties de devoir de se renseigner (chaque jour) sur la « date de rédaction du jugement sous sa forme définitive » afin de ne pas manquer le délai d'appel ;
Ainsi, si l'objet de ce courrier est d'éviter aux parties de manquer le délai d'appel, en l'absence de date d'envoi et de date de réception, rien ne permet de s'assurer que son objet a été rempli ;
En complément, e. SK. verse un courrier du 21 novembre 2016 du tribunal moscovite (pièce n°24) qui n'indique pas non plus « la date d'adoption du jugement sous sa forme définitive », mais qui précise que le jugement du 15 octobre 2014 a été envoyé le 22 décembre 2014 au conseil de c. RE. et que le jugement est entré en vigueur le 20 janvier 2015, dans la mesure où aucun appel n'a été formé ;
Or cette pièce a été établie à la demande de la demanderesse plus de deux années après le prononcé du jugement ;
Il résulte de l'analyse de ces éléments que la date du 19 décembre 2014, présentée comme « la date d'adoption du jugement sous sa forme définitive », point de départ du délai d'appel, ne découle que des écritures d e. SK. ;
La date du point de départ du délai d'appel étant inconnue, rien ne permet de s'assurer de la régularité de la date à laquelle le jugement est devenu insusceptible de recours suspensif ;
Au surplus rien ne permet de s'assurer qu'à l'époque, le jugement du 15 octobre 2014 a été régulièrement notifié, en temps utile, au conseil de c. RE., conformément à sa demande ;
Le tribunal n'est donc pas en mesure de vérifier que le jugement du 15 octobre 2014 rendu par le Tribunal B de la ville de Moscou est passé en force de chose jugée ni que les droits de la défense (quant au droit de recours) ont été respectés ;
En conséquence, sans qu'il soit besoin d'aller plus avant dans l'analyse de la conformité du jugement litigieux aux prescriptions des articles 15 et 18 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, e. SK. sera déboutée de sa demande d'exequatur ;
Il s'ensuit que les demandes de mesures d'instruction afférentes à la vie conjugale d e. SK. devenues sans objet seront rejetées ;
SUR LES DEMANDES DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS :
e. SK. demande la condamnation du défendeur à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive aux motifs qu'elle a été contrainte de saisir les juridictions russes pour faire établir le lien de filiation paternelle et obtenir la condamnation de c. RE. au paiement d'une pension alimentaire ; qu'en raison de la carence de ce dernier, elle a été contrainte de solliciter l'exéquatur de la décision russe à Monaco où réside le débiteur défaillant ; qu'elle a dû faire face à des frais d'avocats et de traduction importants et que la résistance du défendeur est fautive en raison du préjudice psychologique causé (elle éduque et entretient seule l'enfant) ;
c. RE. s'oppose à la demande adverse et sollicite la condamnation d e. SK. à lui payer la somme de 80.000 euros à titre de dommages pour procédure abusive et aux dépens, faisant valoir que les procédures initiées par la demanderesse l'ont été sur la base de manœuvres frauduleuses destinées à obtenir sa condamnation au paiement d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ; qu'il a subi un préjudice important du fait de la procédure en exéquatur exercée abusivement par e. SK. résultant des frais qu'il a dû supporter pour se défendre dans la présente instance ;
En l'espèce, la demande d'exéquatur étant rejetée, la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formulée par e. SK. est infondée et sera rejetée ;
De son côté, c. RE. n'évoque ni ne démontre l'existence de la mauvaise foi ou de la malice de la part de la demanderesse dans la présente instance en exéquatur, évoquant une tentative d'escroquerie au jugement obtenu en Russie; ainsi, il ne reproche pas précisément à e. SK. d'avoir abusé du droit d'agir en exéquatur ;
Il sera donc également débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
La demanderesse, partie succombante, supportera les dépens en application de l'article 231 du Code de procédure civile ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déclare sans objet la demande tendant à voir déclarer recevables les pièces 7 et 13 versées par e. SK. ;
Déclare irrecevables comme tardives les demandes de c. RE. tendant au rejet des pièces n°1 bis, 19, 27, 29 à 43 et 45 communiquées par e. SK. ;
Dit n'y avoir lieu à écarter des débats la pièce n° 50 communiquée par la demanderesse ;
Déboute c. RE. de sa demande de mesures d'instruction tendant à obtenir la communication par e. SK. d'éléments complémentaires sur les dispositions légales russes relatives à la signification des jugements et autorisant la juridiction à s'abstenir de motiver sa décision sur la compétence territoriale malgré sa contestation par le défendeur ;
Déboute e. SK. de sa demande d'exequatur du jugement rendu le 15 octobre 2014 par le Tribunal B de la ville de Moscou ;
Déboute c. RE. de ses demandes de mesures d'instruction afférentes à la vie conjugale d e. SK. ;
Déboute les deux parties de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure et résistance abusives ;
Condamne e. SK. aux dépens avec distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Léa PARIENTI, Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 AVRIL 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.