Tribunal de première instance, 22 mars 2018, M. c. AL. c/ M. p. BA.

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Abstract🔗

Jugement étranger – Exequatur (oui) – Conditions

Résumé🔗

En application des dispositions de l'article 15 de cette loi, « un jugement rendu par un Tribunal étranger n'est ni reconnu ni déclaré exécutoire dans la Principauté si : 5. un litige est pendant devant un Tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet ». Par acte en date du 13 juillet 2016, Monsieur AL. a en effet fait délivrer à la société D en qualité de tiers saisi et à Monsieur p. BA. un acte de saisie arrêt et assignation visant à voir déclarer bonne, régulière et valable la saisie arrêt pratiquée à l'encontre de Monsieur p. BA. et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 47.612 € ; il était également sollicité qu'il soit dit que la société D, tiers-saisi, pourra valablement se libérer entre les mains de l'huissier des sommes détenues pour le compte de Monsieur BA.. Cet acte a été délivré suite à une ordonnance du Président du Tribunal de première instance de Monaco du 8 juillet 2016 ayant autorisé Monsieur c. AL. à faire pratiquer une saisie-arrêt auprès de cet établissement bancaire à concurrence de la somme de 47.612 €. Il convient de rappeler que la présente instance n'a pas pour objet d'obtenir la validation d'une sûreté prise sur des sommes dont Monsieur BA. est redevable mais de voir déclarer exécutoire à Monaco l'arrêt de la Cour de cassation italienne en date du 16 juin 2015 rectifié le 3 février 2016. En conséquence, les deux instances qui opposent les parties ont des objets distincts de sorte que les dispositions de l'alinéa 5 de l'article 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ne sont pas de nature à faire obstacle en l'espèce à la demande d'exequatur.

Sur le défaut de motivation, Monsieur BA. fait valoir que les arrêts et jugements rendus par les juridictions italiennes sont totalement dépourvus de motivation alors que l'exigence de motivation constitue un principe d'ordre public auquel aucun jugement ne saurait déroger pour être rendu exécutoire en Principauté de Monaco. Il ressort cependant de l'examen des décisions produites dans le cadre de la présente instance que le jugement prononcé par le Tribunal d'Imperia le 29 novembre 2013 comprend une motivation qui fonde cette décision en se référant à la fois aux éléments de fait et de droit retenus par le Tribunal. L'arrêt de la Cour d'appel de Gênes ne porte qu'une référence aux textes applicables et se limite à une confirmation du premier jugement sans indication des motifs qui déterminent cette décision. Il doit cependant être souligné que la demande d'exequatur ne porte pas sur ces décisions mais sur celles rendues par la Cour de cassation italienne en 2015 et 2016. A ce titre, le premier arrêt en date du 16 juin 2015 qui a reçu le recours de Messieurs BA. comporte effectivement une motivation ; c'est également le cas de l'arrêt en rectification d'erreurs matérielles en date du 3 février 2016. Il en résulte que les deux décisions dont l'exequatur est demandé sont motivées en fait et en droit, qu'elles ont permis à Monsieur BA. d'avoir une connaissance éclairée des motifs qui ont donné lieu aux solutions retenues de sorte qu'un défaut de motivation ne peut pas être invoqué pour s'opposer à la demande d'exequatur de ces décisions de justice.

S'agissant du droit monégasque et de la conformité à l'ordre public international, les dispositions de l'article 578 du Code de procédure pénale italien emportent une dissociation du régime applicable à l'action publique et aux intérêts civils dans le procès pénal ; qu'ainsi, l'extinction de l'action publique ne fait pas obstacle à la reconnaissance des droits de la partie civile et à l'indemnisation de ses préjudices. Un tel dispositif, s'il ne connaît pas de stricte équivalence en droit monégasque, constitue une construction juridique spécifique que chaque pays est en droit d'adopter et, en opérant une distinction entre les effets civil et pénal d'une infraction, est de nature à préserver les droits des victimes indépendamment des effets de prescription que ce même droit connaît. En ce sens, au vu de sa nature et de ses objectifs, un tel mécanisme, bien que non prévu par le droit monégasque n'apparaît pas contraire à l'ordre public international. Ainsi, il n'apparaît pas que les termes des décisions objet de la procédure d'exequatur puissent être considérés comme contraires à la conception monégasque de l'ordre public international.

S'agissant du moyen de Monsieur BA. consistant à dire que la décision du 3 février 2016 est contraire aux dispositions législatives sur la rectification d'erreur matérielle, cet argument n'est soutenu par aucune démonstration ; en effet, dès lors que le droit italien permet aux juridictions compétentes de se prononcer sur les droits de la partie civile, la reprise d'une première décision par la voie de la rectification suite à l'omission de statuer sur ce point ne saurait davantage être considérée comme contraire à la conception monégasque de l'ordre public international.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande d'exequatur présentée par Monsieur AL.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000183 (assignation du 14 novembre 2016)

JUGEMENT DU 22 MARS 2018

En la cause de :

  • M. c. AL., de nationalité italienne, né le 25 juin 1954 à Barrafranca (Italie), enseignant, domicilié Via X1 à Sanremo (Italie) ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du bureau n° 161 BAJ 16 en date du 14 janvier 2016,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • M. p. BA., de nationalité italienne, né le 10 juillet 1969 à Monaco, employé de banque, domicilié X2 à Monaco ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

En présence de :

  • M. le PROCUREUR GÉNÉRAL de la Principauté de Monaco, séant en son Palais de Justice, rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 14 novembre 2016, enregistré (n° 2017/000183) ;

Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de p. BA., en date des 19 janvier 2017, 23 mars 2017 et 30 novembre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de c. AL., en date des 23 février 2017, 19 juin 2017 et 21 décembre 2017 ;

Vu les conclusions du Ministère Public en date des 20 mars 2017, 25 avril 2017 et 28 novembre 2017 ;

À l'audience publique du 18 janvier 2018, les conseils des parties ont déposé leur dossier, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 22 mars 2018 ;

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Au cours de l'année 1999, Monsieur c. AL. a ouvert un compte bancaire auprès de la banque C à Monaco, la gestion de ses intérêts étant assurée par Monsieur p. BA. au sein de cette banque.

Monsieur BA. a par la suite exercé des fonctions de gestionnaire de biens immobilier au sein de la SAS E ; par son intermédiaire, le 2 octobre 2004, Monsieur AL. a signé un compromis de vente portant sur un bien immobilier avec Monsieur f. BA., père de Monsieur p. BA.. Il indique avoir versé une somme de 25.000 € au moment de la signature de ce compromis sans qu'aucune suite ne soit donnée à ce premier acte.

Monsieur AL. indique avoir dans ces circonstances déposé une plainte pour escroquerie à l'encontre de Messieurs f. et p. BA. ; que par jugement du 29 novembre 2013 du Tribunal d'Imperia, ces derniers ont été reconnus coupables en tant qu'auteur et co-auteur du délit reproché et condamnés à l'indemniser à hauteur de 40.000 € outre les frais de procédure, soit une somme totale de 45.075 €.

Par arrêt rendu par la Cour d'appel de Gênes le 1er décembre 2014, cette première décision a été confirmée et une somme supplémentaire a été allouée à Monsieur AL. à hauteur de 2.537 €.

Le 16 juin 2015, la Cour suprême de cassation de Rome, statuant sur pourvoi a relaxé Messieurs BA. au motif de ce que le délit était prescrit. Par arrêt en rectification d'erreur matérielle du 3 février 2016, la Cour suprême a confirmé les décisions prises s'agissant de l'indemnisation accordée à Monsieur AL..

Monsieur c. AL. soutient que les sommes dues par Messieurs f. et p. BA., aux termes des décisions précédemment rendues, s'élèvent en conséquence à la somme de 48.353,95 €. Ne parvenant pas à obtenir le paiement de cette somme, par acte d'huissier en date du 14 novembre 2016, il a donné assignation à Monsieur p. BA. en présence de Monsieur le Procureur Général devant le Tribunal de première instance de Monaco en vue d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, le prononcé de l'exequatur de l'arrêt rendu le 16 juin 2015 et rectifié le 3 février 2016 par la Cour de cassation de Rome.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives et en réponse déposées le 21 décembre 2017, Monsieur c. AL. maintient sa demande d'exequatur et sollicite la condamnation de Monsieur BA. au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour comportement dilatoire et mauvaise foi.

Monsieur AL. indique que la mesure de saisie-arrêt à laquelle il a eu recours auprès du Tribunal de première instance de Monaco au mois de juillet 2016 n'a pas été fructueuse ; il soutient qu'il y a lieu de rejeter la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur BA. en ce qu'elle est juridiquement infondée et que les conditions légales de fond et de forme pour le prononcé d'une mesure d'exequatur sont en l'espèce réunies ; s'agissant de la demande d'instruction complémentaire formulée par Monsieur le Procureur Général, il indique avoir versé un avis de droit complémentaire établi le 8 juin 2017 ; il considère que l'urgence est caractérisée compte tenu de la mauvaise foi de Monsieur BA. et de la volonté de ce dernier d'organiser son insolvabilité.

Monsieur p. BA., par conclusions déposées le 19 janvier 2017 sollicite un sursis à statuer compte tenu de l'instance pendante devant cette juridiction s'agissant de la validation de la saisie-arrêt qui a été pratiquée sur son compte bancaire et qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve le droit de conclure sur le fond.

Par conclusions déposées le 23 mars 2017, il maintient sa demande principale de sursis à statuer. A titre subsidiaire, il sollicite qu'il soit dit que les conditions de l'article 473 du Code de procédure civile ne sont pas remplies et que Monsieur AL. doit en conséquence être débouté de ses demandes. À titre reconventionnel, il sollicite la condamnation de Monsieur AL. au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

Aux termes de ses conclusions déposées le 30 novembre 2017, p. BA. demande :

  • qu'il soit pris acte de ce qu'il ne sollicite plus de sursis à statuer,

  • que soit déclarée irrecevable la demande en exequatur formée par Monsieur AL.,

  • si la demande était déclarée recevable, qu'il soit dit que les conditions permettant d'ordonner l'exequatur ne sont pas réunies et le débouté de Monsieur AL. de toutes ses demandes,

  • à titre reconventionnel, la condamnation de Monsieur AL. au paiement de la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

Il soutient que l'irrecevabilité de la demande résulte du fait que ce même Tribunal a été saisi par assignation en date du 13 juillet 2016 aux fins d'obtenir condamnation pour les mêmes sommes et les mêmes causes que celles développées dans la présente instance. Il fait en outre valoir que la décision est contraire à la loi monégasque et à l'ordre public monégasque notamment compte tenu de la prescription du délit pour lequel il a été poursuivi, que la décision est contraire aux dispositions législatives relatives à la rectification d'erreur matérielle et que cette décision n'est par ailleurs pas motivée.

Monsieur le Procureur Général, par écritures déposées le 21 mars 2017 conclut au rejet de la demande de sursis à statuer.

Par écritures du 25 avril 2017, il conclut à la réalisation d'une mesure d'instruction complémentaire s'agissant de la possibilité de procéder à une reconnaissance de culpabilité pour permettre d'allouer une réparation aux parties civiles avec déclaration de prescription privant de toute possibilité de prononcer une peine.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la recevabilité de la demande :

Pour soutenir sa demande d'irrecevabilité de l'action en exequatur engagée par Monsieur AL., Monsieur BA. fait valoir que selon la loi n° 1.448 du 28 juin 2017, article 15, « un jugement rendu par un Tribunal étranger n'est ni reconnu ni déclaré exécutoire dans la Principauté si : 5. Un litige est pendant devant un Tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet ». Il considère en effet que le demandeur ne peut pas présenter en l'espèce des demandes qui sont également soumises dans l'instance engagée au titre de la procédure de saisie-arrêt.

Cependant les dispositions invoquées par le défendeur, l'absence de litige pendant devant un Tribunal de la principauté ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action en exequatur mais un motif de rejet au fond.

Il convient en conséquence de rejeter le moyen d'irrecevabilité soulevé par Monsieur BA., de déclarer recevable l'action engagée par Monsieur AL. aux termes de son acte introductif d'instance en date du 14 novembre 2016 et d'examiner au fond le moyen tiré de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé dont excipe le défendeur.

  • Sur l'accomplissement d'une mesure d'instruction supplémentaire :

Monsieur le Procureur Général rappelle les dispositions de l'article 473 du Code de procédure civile et notamment la nécessité de la conformité du jugement objet de la procédure d'exéquatur avec l'ordre public monégasque, s'agissant de la possibilité d'allouer des dommages et intérêts lorsqu'une infraction est déclarée prescrite.

Monsieur BA. considère également que la décision en rectification d'erreur matérielle a eu pour effet de revenir sur la prescription qui avait été précédemment retenue ; qu'ainsi l'indemnisation allouée à Monsieur AL. ne repose plus sur aucun fondement et que la décision ayant retenu cette solution ne peut donc pas être déclaré exécutoire en Principauté de Monaco.

Selon Monsieur AL., la décision concernée ne contient aucune disposition qui soit contraire à l'ordre public monégasque ; il considère que le fondement de cette décision n'est pas contestable et que le fait que les dispositions légales appliquées pour parvenir à cette décision n'existent pas en droit monégasque n'est pas un obstacle à ses demandes ; qu'en outre la question de la prescription relève du fond du droit, de sorte que cette question ne peut pas être révisée par un jugement étranger.

Selon l'article 13 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé, les jugements rendus par les tribunaux étrangers et passés en force de chose jugée sont reconnus de plein droit dans la Principauté s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'article 15. Selon l'article 14 de cette loi, lorsqu'ils sont exécutoires dans l'Etat dans lequel ils sont intervenus, les jugements rendus par les tribunaux étrangers, passés en force de chose jugée, ainsi que les actes reçus par les officiers publics étrangers, ne sont susceptibles d'exécution dans la Principauté qu'après avoir été déclarés exécutoires par le Tribunal de première instance, sauf stipulations contraires des traités.

En l'espèce, par jugement du Tribunal d'Imperia en date du 29 novembre 2013, Monsieur p. BA. a effectivement été condamné à une peine d'une année de réclusion outre une amende de 400 € et au paiement à Monsieur c. AL. de la somme de 40.000 €. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de Gênes le 4 novembre 2014.

Le 16 juin 2015, la Cour suprême de Cassation a annulé ce dernier arrêt au motif que le délit poursuivi était atteint par la prescription ; cette décision a fait l'objet d'une rectification d'erreur matérielle le 3 février 2016 en ajoutant la mention « Il confirme les dommages et intérêts ».

Selon l'avis de droit daté du 30 septembre 2016 de M. e. SP. produit par le demandeur, selon les dispositions de l'article 578 du Code de procédure pénale italien, « lorsque le prévenu a été condamné, même génériquement, aux restitutions ou aux dommages-intérêts en conséquence du délit en faveur de la partie lésée, le juge d'appel et la cour de cassation, qui déclarent le délit éteint par amnistie ou par prescription, décident sur l'impugnation seulement en ce qui concerne les sanctions civiles ». Selon Monsieur SP., « les règles de procédure ont été respectées » dans le prononcé de ces décisions. Par un complément d'avis daté du 8 juin 2017, il précise que selon cet article, la prescription de l'action publique n'entraîne pas la prescription de l'action civile selon les règles spécifiques du droit italien. Il indique en outre que la notion d'impugnation utilisée pour traduire le terme « impugnazione » ne se réfère pas à l'idée d'imputation mais désigne le « recours à un juge de degré supérieur contre la décision de degré inférieur ».

Le défendeur produit en revanche un avis juridique de Maître Pietro Paolo GUGLIELMI daté du 23 mars 2017 selon lequel « le jugement du Tribunal ne peut pas constituer un titre juridique approprié pour obtenir le paiement des montants indiqués par le Tribunal ». Il considère en effet que par application de cet article 578 du Code de procédure pénale, le jugement du Tribunal aurait dû faire l'objet d'une confirmation de la part de la Cour d'appel de Gênes en ce qui concerne les décisions à caractère civil ; que ceci n'ayant pas eu lieu, l'arrêt de la Cour de cassation ayant annulé la décision de la Cour d'appel a mis fin aux effets civils et pénaux de la décision de première instance.

Au vu de ces éléments, il est établi que selon l'article 578 précité, le droit interne italien permet de statuer sur les conséquences civiles d'une infraction malgré l'extinction de l'action publique par amnistie ou prescription. La décision de rectification en erreur matérielle ne fait cependant pas référence à cet article 578 et vise l'article 130 du Code de procédure pénale dont Monsieur SP. indique dans son avis du 8 juin 2017 qu'il constitue la disposition légale uniquement relative à la rectification d'erreur matérielle en matière pénale. Ce dernier point n'est pas contesté.

En conséquence, au vu du caractère explicite de ces dispositions et de leur effet juridique, il n'apparaît pas nécessaire de procéder à des investigations supplémentaires de sorte que la présente affaire peut être jugée en l'état.

  • Sur l'exequatur :

    S'agissant de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 relative au droit international privé :

En application des dispositions de l'article 15 de cette loi, « un jugement rendu par un Tribunal étranger n'est ni reconnu ni déclaré exécutoire dans la Principauté si : 5. un litige est pendant devant un Tribunal de la Principauté, saisi en premier lieu, entre les mêmes parties portant sur le même objet ».

Par acte en date du 13 juillet 2016, Monsieur AL. a en effet fait délivrer à la société D en qualité de tiers saisi et à Monsieur p. BA. un acte de saisie arrêt et assignation visant à voir déclarer bonne, régulière et valable la saisie arrêt pratiquée à l'encontre de Monsieur p. BA. et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 47.612 € ; il était également sollicité qu'il soit dit que la société D, tiers-saisi, pourra valablement se libérer entre les mains de l'huissier des sommes détenues pour le compte de Monsieur BA.. Cet acte a été délivré suite à une ordonnance du Président du Tribunal de première instance de Monaco du 8 juillet 2016 ayant autorisé Monsieur c. AL. à faire pratiquer une saisie-arrêt auprès de cet établissement bancaire à concurrence de la somme de 47.612 €.

Il convient de rappeler que la présente instance n'a pas pour objet d'obtenir la validation d'une sûreté prise sur des sommes dont Monsieur BA. est redevable mais de voir déclarer exécutoire à Monaco l'arrêt de la Cour de cassation italienne en date du 16 juin 2015 rectifié le 3 février 2016. En conséquence, les deux instances qui opposent les parties ont des objets distincts de sorte que les dispositions de l'alinéa 5 de l'article 15 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 ne sont pas de nature à faire obstacle en l'espèce à la demande d'exequatur.

  • Sur le défaut de motivation :

Monsieur BA. fait valoir que les arrêts et jugements rendus par les juridictions italiennes sont totalement dépourvus de motivation alors que l'exigence de motivation constitue un principe d'ordre public auquel aucun jugement ne saurait déroger pour être rendu exécutoire en Principauté de Monaco.

Il ressort cependant de l'examen des décisions produites dans le cadre de la présente instance que le jugement prononcé par le Tribunal d'Imperia le 29 novembre 2013 comprend une motivation qui fonde cette décision en se référant à la fois aux éléments de fait et de droit retenus par le Tribunal. L'arrêt de la Cour d'appel de Gênes ne porte qu'une référence aux textes applicables et se limite à une confirmation du premier jugement sans indication des motifs qui déterminent cette décision. Il doit cependant être souligné que la demande d'exequatur ne porte pas sur ces décisions mais sur celles rendues par la Cour de cassation italienne en 2015 et 2016. A ce titre, le premier arrêt en date du 16 juin 2015 qui a reçu le recours de Messieurs BA. comporte effectivement une motivation ; c'est également le cas de l'arrêt en rectification d'erreurs matérielles en date du 3 février 2016.

Il en résulte que les deux décisions dont l'exequatur est demandé sont motivées en fait et en droit, qu'elles ont permis à Monsieur BA. d'avoir une connaissance éclairée des motifs qui ont donné lieu aux solutions retenues de sorte qu'un défaut de motivation ne peut pas être invoqué pour s'opposer à la demande d'exequatur de ces décisions de justice.

  • S'agissant du droit monégasque et de la conformité à l'ordre public international :

Il a été vu ci-dessus que les dispositions de l'article 578 du Code de procédure pénale italien emportent une dissociation du régime applicable à l'action publique et aux intérêts civils dans le procès pénal ; qu'ainsi, l'extinction de l'action publique ne fait pas obstacle à la reconnaissance des droits de la partie civile et à l'indemnisation de ses préjudices.

Un tel dispositif, s'il ne connaît pas de stricte équivalence en droit monégasque, constitue une construction juridique spécifique que chaque pays est en droit d'adopter et, en opérant une distinction entre les effets civil et pénal d'une infraction, est de nature à préserver les droits des victimes indépendamment des effets de prescription que ce même droit connaît. En ce sens, au vu de sa nature et de ses objectifs, un tel mécanisme, bien que non prévu par le droit monégasque n'apparaît pas contraire à l'ordre public international.

Ainsi, il n'apparaît pas que les termes des décisions objet de la procédure d'exequatur puissent être considérés comme contraires à la conception monégasque de l'ordre public international.

S'agissant du moyen de Monsieur BA. consistant à dire que la décision du 3 février 2016 est contraire aux dispositions législatives sur la rectification d'erreur matérielle, cet argument n'est soutenu par aucune démonstration ; en effet, dès lors que le droit italien permet aux juridictions compétentes de se prononcer sur les droits de la partie civile, la reprise d'une première décision par la voie de la rectification suite à l'omission de statuer sur ce point ne saurait davantage être considérée comme contraire à la conception monégasque de l'ordre public international.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande d'exequatur présentée par Monsieur AL..

  • Sur les demandes annexes :

Monsieur BA. succombant à l'instance, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de dommages et intérêts.

Il ne ressort pas des éléments de la procédure que les moyens développés par Monsieur BA. pour s'opposer aux prétentions de Monsieur AL. puissent relever de la résistance fautive ; il convient en conséquence de rejeter la demande de dommages et intérêts présentée par le demandeur à l'encontre de Monsieur BA..

S'agissant de l'exécution provisoire de la décision, Monsieur AL. soutient que celle-ci est justifiée en l'espèce compte tenu de l'urgence dans laquelle il se trouve du fait de sa situation financière obérée et de ce qu'il tente depuis 14 années de récupérer les sommes dues par Monsieur BA.. Selon l'alinéa 2 de l'article 202 du Code de procédure civile, l'exécution provisoire « peut être ordonnée, avec ou sans caution dans tous les cas d'urgence, à moins qu'elle ne soit de nature à produire des effets irréparables » ; en l'espèce, la situation d'urgence dont se prévaut Monsieur AL. n'est pas justifiée par les pièces produites et ne saurait se déduire de la seule ancienneté de la créance. Il convient en conséquence de rejeter cette demande d'exécution provisoire de la décision.

Monsieur p. BA. sera condamné aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Me Christine PASQUIER-CIULLA.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

  • Déclare recevable l'action engagée par c. AL. aux termes de son acte introductif d'instance délivré le 14 novembre 2016 ;

  • Dit n'y avoir lieu à accomplissement d`une mesure d'instruction complémentaire ;

  • Déclare exécutoire en Principauté de Monaco la sentence rendue le 16 juin 2015 par la Cour Suprême de Cassation italienne rectifiée par Ordonnance du 3 février 2016 en ce qu'elle a confirmé les dispositions civiles de la sentence rendue le 4 novembre 2014 par la Cour d'appel de Gênes et déposée en chancellerie le 1er décembre 2014, confirmant elle-même la sentence du Tribunal d'Imperia en date du 29 novembre 2013 ;

  • Déboute p. BA. de sa demande de dommages et intérêts ;

  • Déboute c. AL. de sa demande de dommages et intérêts ;

  • Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;

  • Condamne p. BA. aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Séverine LASCH, Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 22 MARS 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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