Tribunal de première instance, 8 mars 2018, La SARL A c/ La SAS B

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Abstract🔗

Force majeure – Caractérisation (non) – Conditions

Résolution judiciaire (non) – Conditions

Résumé🔗

Au mois d'août 2015, il n'existait pas d'évènement imprévisible, extérieur et insurmontable auquel aurait dû faire face la société B et qui lui aurait permis de se dispenser de son obligation d'exclusivité au bénéfice de la société A, à laquelle elle a donc manqué. Une faute contractuelle peut donc être reconnue concernant les contrats du 24 janvier 2012 et du 12 août 2014, puisque s'agissant du contrat de diffusion numérique du 11 juin 2014, il n'est pas démontré, ni même allégué que F aurait effectué une diffusion en numérique.

Aux termes de l'article 1039 du Code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit ; la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté a le choix de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. En application de ce texte, il appartient au juge d'apprécier si le manquement évoqué constitue une inexécution d'une importance telle que la résolution doive être prononcée ou s'il peut suffisamment être réparé par une condamnation à des dommages et intérêts. En l'espèce, que contrairement aux allégations de la société A, la clause d'exclusivité ne peut être considérée comme substantielle au point d'entraîner la résolution. En effet, l'obligation principale du contrat, contrepartie de la rémunération versée par la société A, est constituée par la diffusion des programmes de la société A sur les fréquences attribuées. Il ne peut être fait droit à la demande de prononcé de la résiliation judiciaire à effet au 1er septembre 2015 formée par la société A et que les manquements de la société B ne pourront se résoudre le cas échéant qu'en dommages et intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000315 (assignation du 18 janvier 2016)

N° 2016/000366 (assignation du 16 février 2016)

JUGEMENT DU 8 MARS 2018

En la cause de :

  • La SARL A, dont le siège social se trouve X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE sur assignation en date du 18 janvier 2016,

DÉFENDERESSE sur assignation du 16 février 2016, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gilles BRESSAND, avocat au barreau de Paris ;

d'une part ;

Contre :

  • La SAM B (B), dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE sur assignation en date du 18 janvier 2016,

DEMANDERESSE sur assignation en date du 16 février 2016, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 18 janvier 2016, enregistré (n° 2016/000315) ;

Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 16 février 2016, enregistré (n° 2016/000366) ;

Vu la déclaration originaire, de l'établissement bancaire dénommé C, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu les conclusions de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de la SAM B, en date des 20 avril 2016, 13 octobre 2016 et 13 mars 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SARL A en date des 23 juin 2016, 15 décembre 2016 et 5 juillet 2017 ;

À l'audience publique du 26 octobre 2017, les conseils des parties ont déposé leur dossier et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 18 janvier 2018, le délai ayant été prorogé au 8 mars 2018, les parties en ayant été avisées par le Vice-Président ;

FAITS CONSTANTS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société à responsabilité limitée de droit monégasque A (ci-après la société A) a pour activité la production et l'édition de programmes radiophoniques et télévisuels monégasques, notamment en langue russe, aux fins de diffusion par voie hertzienne à destination des auditeurs russophones résidant dans la Principauté de Monaco, et ce, sous la dénomination « D ».

La société anonyme monégasque B (ci-après la société B) est le concessionnaire exclusif pour l'exploitation des fréquences de radiodiffusion sonore de la Principauté de Monaco, les fréquences qui lui sont concédées étant définies et attribuées à Monaco par l'Union Internationale des Télécommunications.

Ces deux sociétés ont conclu trois contrats entre les années 2012 et 2014 :

  • un contrat de diffusion FM, en date du 24 janvier 2012, aux fins de diffusion sur la fréquence FM X Mhz du programme D en langue russe et française sur la Principauté de Monaco, pour une durée de quatre ans à compter du 1er avril 2012, avec un avenant en date du 10 avril 2012, aux termes duquel les parties ont convenu que la diffusion se ferait dorénavant sur la fréquence X Mhz. En contrepartie de cette diffusion, la société A devait verser à la société B une somme de 58.000 euros HT annuelle, par trimestre anticipé et avec clause d'indexation. À compter du 28 février 2014, les parties se sont accordées pour que soit diffusé sur cette fréquence un nouveau format dénommé E,

  • un contrat de diffusion numérique terrestre dite DAB, en date du 11 juin 2014, prévoyant la diffusion en DAB + du programme D, pour une durée de trois ans à compter du 1er juillet 2014. En contrepartie de cette diffusion, la société A devait verser à la société B la somme de 7.140 euros annuelle HT, par trimestre anticipé et avec clause d'indexation,

  • un contrat de diffusion FM, en date du 12 août 2014, aux fins de diffusion sur la fréquence FM X Mhz du programme D, en langue russe, sur la Principauté de Monaco et ses environs, pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2015. En contrepartie de cette diffusion, la société A devait verser à la société B la somme de 100.000 euros annuelle HT, par trimestre anticipé et avec clause d'indexation.

Les trois contrats contenaient une clause aux termes de laquelle la société B s'engageait à ne pas diffuser sur la Principauté de Monaco et sur la Zone de Couverture d'autres programmes en langue russe sans l'accord préalable et écrit de la société A, et ce, pendant toute la durée des accords.

Suivant procès-verbal de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 14 août 2015, la société A faisait constater qu'étaient audibles sur le territoire de la Principauté de Monaco, sur la fréquence X FM les émissions d'une station dénommée F, qui diffuse, au moins partiellement, des programmes et de la musique en langue russe et qui effectue une publicité sans équivoque à cet égard sur son site internet ainsi que les réseaux sociaux.

  • Instance n°2016/000315 :

Suivant acte en date du 18 janvier 2016, la société A faisait citer la société B devant le Tribunal de Première Instance. Aux termes de dernières conclusions dites récapitulatives en date du 5 juillet 2017, elle sollicitait, sous le bénéficie de l'exécution provisoire :

  • dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la jonction de l'instance avec celle initiée par la société B le 16 février 2016, enrôlée sous le numéro 2016/ 366,

  • que soit constatée la violation de la clause d'exclusivité de diffusion en langue russe par la société B, et qu'il soit jugé que celle-ci s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et que lui soit imputée l'initiative de la rupture commerciale,

  • qu'en conséquence soit prononcée la résolution judiciaire des trois contrats conclus entre les parties, et, ce avec effet rétroactif au 1er septembre 2015, aux torts exclusifs de la société B,

  • que la société B soit condamnée à réparer l'entier préjudice qu'elle subissait du fait de cette résiliation et en conséquence au paiement d'une somme d'un million quatre cent quarante-cinq mille quatre cent dix-sept euros (1.445.417 euros) avec intérêts à compter du 14 août 2015, date du constat des manquements dont il est fait grief,

  • le rejet de toutes les demandes reconventionnelles de la société B,

  • à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que l'avenant n°3 à la concession d'exploitation des installations techniques de radiodiffusion entraîne de jure la résiliation des contrats conclus entre B et la société A à compter du 1er avril 2015 et qu'il soit jugé, en conséquence, que la société B a indûment perçu des paiements au titre du 2ème trimestre 2015 et dans ce cas, que soit prononcée la condamnation de la société B au paiement de la somme de 37.416,35 euros au titre de la répétition de l'indu. Du fait d'une reconnaissance d'une dette de 16.106,55 euros par la société A, une compensation devrait être ordonnée et la société MR condamnée à l'issue au paiement de la somme de 21.309,80 euros,

  • en tout état de cause, la condamnation de la société B au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la nécessité d'agir en justice.

Aux termes de conclusions dites récapitulatives en date du 14 mars 2017, la société B sollicitait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

  • que soit ordonnée la jonction avec l'instance enrôlée sous le numéro 2016/366,

  • à titre principal, le rejet de l'ensemble des demandes de la société A,

  • à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que les sommes auxquelles elle pourrait être condamnée devront être compensées avec celles dont la société A reste redevable envers elle,

  • en tout état de cause et reconventionnellement, la condamnation de la société A au paiement de la somme de 166.170,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2015, date de la mise en demeure,

  • qu'il soit constaté que les trois contrats ayant lié les parties ont été résiliés, tout comme la location d'un studio et que soit ordonnée en tant que de besoin l'expulsion de la société A de ce lieu, le cas échéant avec le concours de la force publique,

  • la condamnation de la société A au paiement des sommes de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la mauvaise foi de sa cocontractante et de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et résistance abusive.

  • Instance n°2016/000366 :

La société B, se disant créancière à hauteur de la somme de 166.170,77 euros à l'égard de la société A, présentait requête au Président de ce Tribunal le 25 janvier 2016, aux fins de saisie-arrêt sur les sommes, avoirs et valeurs dont elle serait titulaire auprès de la BANQUE C, et ce, pour garantir une somme de 170.000 euros.

Suivant ordonnance en date du 8 février 2016, la saisie-arrêt était autorisée à concurrence de la seule somme de 76.880,44 euros, le Président estimant qu'une évidence de principe certain de créance existait pour des factures afférentes aux 4ème trimestre 2014, 1er, 2ème et 3ème trimestre 2015, mais que s'agissant des 4ème trimestre 2015 et 1er semestre 2016, en l'état du contentieux relatif à la date de résiliation des contrats ayant lié les parties, aucune évidence de principe de créance n'était caractérisée.

Suivant acte en date du 16 février 2016, la société B faisait procéder à la saisie-arrêt, la société BANQUE C déclarant détenir une somme de 3.650,09 euros pour le compte de la société A. Par le même acte, la société B faisait délivrer assignation à la société A et sollicitait la validation de la saisie-arrêt.

Aux termes de conclusions récapitulatives en date du 14 mars 2017, la société B présentait des demandes similaires à celles formées dans l'instance enrôlée sous le numéro 2016/315, sous réserve dans la présente instance de la demande de validation de la saisie-arrêt pratiquée.

Suivant conclusions dites récapitulatives en date du 5 juillet 2017, la société A sollicitait la jonction avec l'instance enrôlée sous le numéro 2016/315 et le rejet de l'intégralité des demandes de la société B, outre la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 16 février 2016.

MOYENS DES PARTIES :

Les parties ont présenté dans les deux instances des développements largement communs, il est donc opportun d'en faire une présentation groupée.

Au soutien de ses prétentions, la société A estime que la société B aurait gravement manqué à ses obligations en violant l'exclusivité de diffusion linguistique en russe qui avait pourtant été expressément stipulée dans les trois contrats.

Le caractère russophone des programmes de F ne ferait pas de doutes. La diffusion serait encore plus blâmable qu'en France, le CSA avait fait savoir à cette station, par courrier en date du 12 février 2016, que son projet de diffuser des programmes en langue russe n'était pas autorisé. Au cours du déroulement de l'instance, F aurait développé sa diffusion sur Monaco, émettant désormais sur les fréquences 93.2 et 96.4, avec un programme en langue russe dénommé G. Cet élément serait la preuve de l'intention de la société B de véritablement favoriser déloyalement un concurrent de la société A.

L'exclusivité étant un élément substantiel des trois contrats liant les parties, la société A estime qu'elle est légitime à solliciter leur résolution du fait des agissements de la société B.

Le préjudice subi par la société, qu'elle fonde sur la rupture brutale de relations commerciales établies, devrait se calculer en fonction de son chiffre d'affaires. Celui-ci a connu une augmentation de 35% entre l'exercice 1er avril 2013 / 31 mars 2014 et l'exercice 1er avril 2014 / 31 mars 2015, passant de 443.103 euros HT à 604.517 euros HT. Or, les comptes de l'exercice arrêté au 31 mars 2016 font apparaître un chiffre d'affaires de seulement 263.696 euros HT soit une baisse de 56%. La société A se base sur l'augmentation de 35% pour estimer à 816.097 euros le chiffre d'affaires hors taxe qui aurait pu être réalisé pour l'exercice 2015/2016. Le différentiel de chiffre d'affaires serait donc pour l'exercice de 816.097-263.696 = 552.401 euros sur l'exercice, du fait des fautes de la société B. La société A projetait ce manque à gagner sur les six derniers mois de l'exercice 2015/2016 (soit 276.200 euros) et sur les exercices 2016 et 2017 soit jusqu'au terme du contrat pour la fréquence 97.9 MHz qui devait s'achever le 31 décembre 2017. Le montant du manque à gagner serait donc de 1.380.002 euros. S'y rajouterait un investissement de l'ordre de 65.415 euros, d'où le montant de la demande en paiement d'une somme de 1.445.417 euros.

Sur les demandes en paiement présentées par la société B, la société A estime qu'elle ne devrait au titre de factures impayées qu'une somme de 16.106,55 euros. La société B ne pourrait être accueillie favorablement en ses demandes en paiement au titre des derniers trimestres de l'année 2015, puisque la résiliation des contrats devrait être prononcée à ses torts à la date du 1er septembre 2015.

De plus, à suivre l'argumentation développée par la société B qui se prévaut d'un avenant à la concession d'exploitation des installations techniques de radiodiffusion qui mettrait fin à l'exclusivité au 1er avril 2015, il y aurait donc dû y avoir lieu à résiliation des contrats à compter de cette date et négociation de nouvelles conventions. En conséquence, la société B serait redevable d'une somme de 37.416,35 euros.

Aux termes de ses conclusions, la société B estime quant à elle que la société A ne chercherait en réalité qu'à se soustraire au paiement de ses dettes en initiant une procédure judiciaire ne pouvant prospérer.

S'agissant de la question de la clause d'exclusivité, la société B estime que la diffusion de programmes en langue russe par F n'aurait en réalité d'impact que sur un seul des trois contrats qu'elle avait conclu avec la société A, celui en date du 12 avril 2014. En effet, en application du premier contrat du 24 janvier 2012, A diffuserait un format E au sein duquel il n'y avait pas de programme en langue russe et dans le cadre du deuxième contrat du 11 juin 2014 relatif à la diffusion numérique, il faudrait constater que la société F n'émet justement pas en numérique.

De plus, le principe même de l'exclusivité serait remis en cause par une Ordonnance Souveraine n° 5.784 du 22 mars 2016 qui avait approuvé un avenant n°3 à la concession d'exploitation des installations techniques de radiodiffusion. Il serait désormais exclu d'accorder une exclusivité linguistique et il était précisé que l'avenant entrait en vigueur le 1er avril 2015. Les manquements contractuels dont se prévaut la société A seraient donc la conséquence d'un évènement extérieur que la société B ne pouvait éviter. Un cas de force majeure au sens de l'article 1003 du Code civil serait caractérisé.

La société B estime également qu'il ne peut être fait droit à la demande de résiliation judiciaire sollicitée par la société A. En premier lieu, si les contrats prévoyaient tous trois des possibilités de résiliations unilatérales anticipées, elles étaient limitées aux cas de force majeure, notamment guerre, conflit armé, terrorisme, catastrophe naturelle ou retrait d'autorisations gouvernementales, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. En second lieu, la société A ne saurait ériger l'exclusivité linguistique en élément substantiel, sans lequel elle n'aurait pas contracté, puisque l'obligation essentielle du contrat serait le principe même de la diffusion de ses programmes.

En réalité, selon la société B, la résiliation des contrats serait d'ores et déjà intervenue, du fait d'échanges de courriers dénués d'équivoque entre les mois de septembre et novembre 2015. La société A ne poursuivrait le prononcé de la résiliation judiciaire aux torts de la société B que pour s'épargner le paiement de trimestrialités demeurant à sa charge, faisant preuve ainsi d'un manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution et la rupture des contrats, issue de l'article 989 du Code civil.

Enfin, la société A se prévaudrait d'un préjudice qu'elle ne démontrerait nullement. A la suivre, celui-ci serait constitué par le détournement des annonceurs avec lesquels elle était liée, ceux-ci pouvant préférer d'autres supports, du fait de la rupture de la clause d'exclusivité. Or, la société A ne produirait aucun document en ce sens aux débats. Mieux encore, elle fonderait également son préjudice sur la rupture de relations commerciales établies, ce qui ne correspondrait nullement au cas d'espèce et se réfèrerait à une notion définie par l'article L.442-6 du Code de commerce français, inconnue du droit monégasque.

Les éléments comptables que la société A produit aux débats ne pourraient être le valable support de la condamnation qu'elle réclame. En effet, l'évolution de 35% annuel du chiffre d'affaires sur laquelle se fonde la société A serait un postulat inadéquat. De plus, cette société a elle-même fait le choix à l'automne 2015 de cesser ses activités en Principauté pour émettre en Italie, ce choix ayant nécessairement une incidence sur son chiffre d'affaires. Dans le calcul qu'elle effectue pour les besoins de la cause, la société A prend également en compte des éléments de chiffre d'affaires réalisés hors de la Principauté, alors que ceux-ci ne sont nullement impactés par la problématique monégasque, ce qui confirme que la base de calcul sur laquelle se fonde la société A est totalement fausse.

Au soutien de ses demandes en paiement la société B fait état d'un décompte comprenant :

  • une somme de 76.880,44 euros au titre d'un solde de factures impayées des 4ème trimestre 2014, 1er trimestre 2015, 2ème trimestre 2015 et 3ème trimestre 2015,

  • une somme de 53.522,90 euros au titre de trois factures pour le 4ème trimestre 2015,

  • une somme de 35.767,43 euros au titre de trois factures pour le 1er trimestre 2016.

SUR QUOI :

  • I/ Sur la jonction des instances enrôlées sous les numéros 2016/000315 et 2016/000366 :

Attendu que les deux instances présentent une identité de parties et que le fondement des demandes présentées réside dans les rapports contractuels les liant ; qu'en conséquence un lien de connexité suffisant existe et qu'il convient, conformément aux demandes en ce sens des parties, d'ordonner leur jonction dans le cadre d'une bonne administration de la justice ;

  • II/ Sur les demandes de la société A relatives à la résiliation des contrats l'ayant liée à la société B et en paiement d'une somme de 1.445.417 euros :

    • A/ Sur l'existence d'un cas de force majeure :

Attendu que la société B et la société A se sont liés par trois contrats de diffusion en date des 24 janvier 2012 (avec avenant en date du 10 avril 2012), 11 juin 2014 et 12 août 2014 ; Que ces trois contrats contiennent tous une clause d'exclusivité ainsi rédigée :

« B s'engage à ne pas diffuser sur la Principauté de Monaco [et sur la Zone de Couverture] d'autres programmes en langue russe sans l'accord préalable et écrit du CONTTRACTANT, et ce, pendant toute la durée du présent accord. » ;

Attendu qu'il ressort d'un constat d'huissier en date du 14 août 2015 qu'au moins à compter de cette date, les émissions d'une entité « F » sont audibles en Principauté de Monaco sur la fréquence X Mhz, avec une programmation, notamment musicale et informative, en langue russe ; Que la réalité d'une telle diffusion pérenne est confirmée par les pièces produites aux débats par la société A, notamment des copies d'écrans de site internet et interview du dirigeant de F ;

Qu'une telle diffusion n'a pu être réalisée sans le consentement de la société B, concessionnaire exclusif pour l'exploitation des fréquences de radiodiffusion sonore de la Principauté de Monaco, même si la société B ne produit aucun document aux débats à cet égard ;

Attendu que la société B entend se prévaloir de la force majeure pour justifier qu'elle n'a pu faire ce à quoi elle s'était obligée, soit en l'espèce respecter une exclusivité, au sens de l'article 1003 du Code civil ;

Qu'à cet égard la société B rappelle qu'elle s'est liée avec l'État de Monaco par contrat de concession du 29 novembre 1994 et que le 26 février 2016 un avenant n°3 a été signé entre les parties ; Que cet avenant contient un article 3 qui supprime l'article 5 de la convention d'origine, remplacé notamment par un article 5.2 qui stipule « la société (B) encourage les Editeurs à accorder dans leur programmation une place aux événements culturels, sportifs ou artistiques de la Principauté. Afin de garantir les principes de liberté d'expression et de pluralisme des médias issus de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, aucune exclusivité n'est accordée à un Editeur, notamment pour la diffusion d'une programmation spécifique, ou destinée à une communauté linguistique ou autre catégorie sociale ». ; Que l'article 5 de l'avenant prévoyant une entrée en vigueur rétroactive au 1er avril 2015, la société B estime que la diffusion d'émissions en langue russe au mois d'août 2015 par une autre radio que celle exploitée par la société A a été réalisée en application de l'accord avec l'État concédant ;

Attendu cependant, que l'avenant à la concession d'exploitation des installations techniques de radiodiffusion a été signé le 26 février 2016 et a été approuvé par Ordonnance Souveraine n°5.784 du 22 mars 2016, publiée au Journal de Monaco du 1er avril 2016 ;

Qu'après son entrée en vigueur, cet avenant a nécessairement pour effet d'obliger la société B, si elle veut respecter ses obligations vis-à-vis de l'État, de revoir ses propres engagements avec les éditeurs ; Que son aspect rétroactif ne peut produite ses pleins et entiers effets qu'entre l'État de Monaco et la société B mais qu'il ne peut être opposé aux cocontractants de cette dernière au titre de la force majeure ;

Qu'en effet, au mois d'août 2015, il n'existait pas d'évènement imprévisible, extérieur et insurmontable auquel aurait dû faire face la société B et qui lui aurait permis de se dispenser de son obligation d'exclusivité au bénéfice de la société A, à laquelle elle a donc manqué ;

Qu'une faute contractuelle peut donc être reconnue concernant les contrats du 24 janvier 2012 et du 12 août 2014, puisque s'agissant du contrat de diffusion numérique du 11 juin 2014, il n'est pas démontré, ni même allégué que F aurait effectué une diffusion en numérique ;

  • B/ Les conséquences des fautes contractuelles de la société B :

    1/ Sur la demande de résolution judiciaire présentée par la société A :

Attendu qu'aux termes de l'article 1039 du Code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit ; la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté a le choix de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ;

Attendu qu'en application de ce texte, il appartient au juge d'apprécier si le manquement évoqué constitue une inexécution d'une importance telle que la résolution doive être prononcée ou s'il peut suffisamment être réparé par une condamnation à des dommages et intérêts ;

Attendu en l'espèce, que contrairement aux allégations de la société A, la clause d'exclusivité ne peut être considérée comme substantielle au point d'entraîner la résolution ;

Qu'en effet, l'obligation principale du contrat, contrepartie de la rémunération versée par la société A, est constituée par la diffusion des programmes de la société A sur les fréquences attribuées ;

Que la société A ne peut se borner à affirmer que sans la clause d'exclusivité, elle n'aurait pas contracté, alors même que de nombreuses fréquences étrangères notamment françaises et italiennes, peuvent être reçues en Principauté de Monaco et qu'à cet égard, un aléa indépendant de la société B existait quant à la possibilité que A soit la seule fréquence audible en langue russe à Monaco, si une radio était amenée à émettre en langue russe depuis d'autres pays ;

Que de même, la société A aurait dû démontrer dans le cadre de la présente instance en quoi cette exclusivité aurait été déterminante notamment par rapport à ses annonceurs mais qu'elle demeure silencieuse sur ce point ;

Attendu en conséquence, qu'il ne peut être fait droit à la demande de prononcé de la résiliation judiciaire à effet au 1er septembre 2015 formée par la société A et que les manquements de la société B ne pourront se résoudre le cas échéant qu'en dommages et intérêts ;

  • 2/ Sur la demande en paiement d'une somme d'1.445.417 euros présentée par la société A :

Attendu que pour solliciter cette somme à titre de dommages et intérêts, la société A se fonde sur son chiffre d'affaires pour l'exercice mars 2014 / mars 2015, en augmentation de 35% par rapport à l'exercice mars 2013 / mars 2014, et entend appliquer un tel pourcentage pour ce qui aurait dû être selon elle son chiffre d'affaires pour l'exercice mars 2015 / mars 2016 ;

Attendu qu'un tel postulat ne peut en lui-même être admis, tant il n'est pas démontré qu'une telle croissance était une prévision normale dans ce secteur d'activité ;

Que de plus, il n'est pas pertinent de prendre comme base le chiffre d'affaires total de la société A, étant précisé qu'il ressort des pièces comptables produites qu'une répartition peut s'opérer entre le chiffre d'affaires réalisé à Monaco et hors du territoire de la Principauté ;

Qu'à cet égard, le chiffre d'affaires réalisé à Monaco pour l'exercice 2013/2014 est de 381.668,31 euros et pour l'exercice 2014/2015 de 378.248,76 euros, ce qui contredit l'évolution alléguée de 35% ;

Que surtout, la société A ne démontre pas en quoi la violation de la clause d'exclusivité aurait eu, à elle seule, une influence sur la baisse du chiffre d'affaires, et ce, à compter du mois d'août 2015 ;

Qu'aucun élément n'est fourni quant à une éventuelle baisse d'audience et surtout une éventuelle désaffection de la part des annonceurs (aucun contrat n'est produit) qui aurait permis à la juridiction de bénéficier d'éléments objectifs ;

Qu'au contraire, les échanges de courriers entre les parties versés aux débats démontrent que la société A a souhaité rapidement, à compter de septembre 2015, résilier les contrats la liant à la société B et reprendre son activité depuis l'Italie pour émettre son programme D ;

Attendu en conséquence, qu'en l'absence d'éléments tangibles permettent de calculer l'éventuel préjudice en lien avec le manquement à la clause d'exclusivité, les demandes de la société A seront rejetées ;

  • 3/ Sur la demande subsidiaire de la société A :

Attendu qu'il a été jugé que l'entrée en vigueur de l'avenant n°3 de la concession d'exploitation des installations techniques de radiodiffusion n'avait pas d'effet rétroactif de plein droit vis-à-vis des tiers, si bien que les demandes de la société A fondées sur la perception d'un indu par la société B à compter du 1er avril 2015 doivent être rejetées ;

  • III/ Sur les demandes de la société B :

Attendu que les trois contrats contiennent tous la clause suivante : « Dans le cas où le CONTRACTANT souhaiterait arrêter définitivement la diffusion de son programme, il doit en avertir B par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de trois mois, étant noté que tout trimestre commencé sera dû » ;

Attendu que les courriers produits aux débats démontrent que la société A a souhaité résilier les contrats la liant à la société B dès le mois de septembre 2015 ;

Que par courrier recommandé en date du 7 novembre 2015, cette société manifestait encore sa volonté de mettre fin à toutes les relations contractuelles, à compte du 1er septembre 2015, date dont il a été jugé supra qu'elle ne pouvait être retenue ;

Attendu que les termes des contrats retenus seront les suivants :

  • le 3 décembre 2015, s'agissant du contrat relatif à la fréquence 91.4, compte tenu d'une demande de résiliation du 3 septembre 2015,

  • le 20 février 2016, s'agissant du contrat relatif à la fréquence 97.9, compte tenu d'une demande explicite par courrier recommandé avec accusé de réception du 18 novembre 2015 reçue le 20 novembre 2015,

  • le 20 février 2016, s'agissant du contrat relatif à la diffusion numérique, en se fondant sur le même courrier que pour le contrat du 12 août 2014 ;

Attendu que pour les demandes relatives à une période antérieure au dernier trimestre 2015, la société A demeurait redevable de plusieurs factures, comme elle le reconnaissait d'ailleurs par courrier du 28 février 2014 ; que de même par courriel du 31 août 2015, elle reconnaissait ne plus pouvoir payer pour la fréquence 91.4 FM ;

Que le montant détaillé des factures restant dues, pour le 4ème trimestre 2014, 1er trimestre 2015, 2ème trimestre 2015 et 3ème trimestre 2015 figure en pièce 11 produite par la société B ; Que les montants portés correspondent bien aux sommes trimestrielles dues en application des trois contrats, pour un total de 76.880,44 euros en ce compris la mise à disposition d'un studio que la société A ne conteste pas avoir occupé ;

Que pour le 4ème et dernier trimestre 2015, les factures, demeurées impayées, pour un montant total de 53.522,90 euros, correspondent également aux contrats ; que du fait des dates de résiliation retenues, ces sommes sont également dues par la société A ;

Attendu enfin qu'en vertu de la règle contractuelle selon laquelle tout trimestre débuté est dû, le montant de 35.767,43 euros sollicité pour l'année 2016 est également valablement justifié ;

Attendu que la société A se borne à affirmer avoir effectué des paiements sans nullement le démonter ;

Attendu en conséquence, qu'il sera fait droit à la demande en paiement d'une somme de 166.170,77 euros présentée par la société B, avec intérêts au taux légal à compter seulement de l'assignation du 16 février 2016, seule mise en demeure relative à la totalité de cette somme ;

Attendu qu'il n'est pas démontré l'existence d'un contrat de bail en tant que tel d'un local mis à disposition par la société B, mais dont la société A ne conteste ni l'occupation ni le montant des sommes afférentes, en sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'expulsion de ce local ;

  • IV/ Sur les autres chefs de demande :

Attendu que la société B triomphant en ses demandes principales, son action n'est nullement abusive et la demande en paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts présentée par la société A sera rejetée ;

Attendu que la société B ayant elle-même commis des fautes, elle ne peut se prévaloir valablement de la mauvaise foi de sa cocontractante ; que sa demande en paiement d'une somme de 50.000 euros sera rejetée, tout comme celle relative au paiement d'une somme de 20.000 euros pour procédure et résistance abusive, la société A n'ayant nullement fait dégénérer en abus ses droits d'agir et de défendre en justice ;

Attendu qu'aucune urgence ne justifie le prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision ;

Attendu qu'il y a lieu de déclarer régulière avec toutes ses conséquences de droit la saisie arrêt pratiquée auprès de l'établissement bancaire C, suivant exploit en date du 16 février 2016 et de la valider à concurrence de la somme de 166.170,77 euros outre intérêts, frais et accessoires ;

Attendu que la société A, qui succombe principalement, sera condamnée aux dépens, en application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 2016/000315 et 2016/000366 ;

Condamne la société A à payer à la société B la somme de 166.170,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2016 ;

Déclare régulière et valide avec toutes ses conséquences de droit la saisie-arrêt pratiquée auprès de l'établissement bancaire C suivant exploit du 16 février 2016, pour la somme de 166.170,77 euros outre intérêts, frais et accessoires ;

Dit que l'établissement bancaire C, tiers saisi, se libérera valablement des sommes qu'il détient pour le compte de la société A par le versement qu'il en opérera entre les mains de la société B ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société A aux dépens, avec distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

  • Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Françoise DORNIER, premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Carole FRANCESCHI, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 8 MARS 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires

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