Tribunal de première instance, 15 février 2018, La société A. c/ La société B.
Abstract🔗
Faillite - Conflits de lois - Exequatur - Effets de la faillite prononcée à Luxembourg - Suspension des poursuites individuelles - Mainlevée de la saisie-arrêt (oui)
Résumé🔗
La faillite de la société de droit luxembourgeois ayant fait l'objet d'un jugement d'exequatur, les pleins et entiers effets de la faillite prononcée à Luxembourg ont nécessairement des conséquences sur le sort de la présente instance, dans la mesure où le droit luxembourgeois connaît, à l'instar du droit monégasque, la suspension des poursuites individuelles. La demande de paiement est donc irrecevable et la saisie-arrêt doit être levée.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE
N° 2016/000369 (Assignation du 14 janvier 2016)
JUGEMENT DU 15 FÉVRIER 2018
En la cause de :
La Société Anonyme de droit Luxembourgeois dénommée A., dont le siège social se trouve X1-1420 Luxembourg, agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration en exercice, M. Atanas SA., domicilié en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre
La Société Anonyme de droit luxembourgeois dénommée B., dont le siège social se trouve X2 - 1420 Luxembourg, prise en la personne de Maître Alain RUKAVINA, demeurant L-1142 Luxembourg, X3, agissant en sa qualité de curateur de la faillite de ladite société anonyme déclarée en état de faillite par jugement rendu par le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 23 décembre 2013 ;
Maître Alain RUKAVINA, demeurant L-1142 Luxembourg, X3, agissant en sa qualité de curateur de la faillite de la Société Anonyme de droit luxembourgeois dénommée B., dont le siège social se trouve X2 - 1420 Luxembourg .
DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco remplacé par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur, désignée à cette fin par jugement rendu le 27 octobre 2017 par la Chambre du Conseil de ce Tribunal ;
En présence de :
La Société Anonyme Monégasque C., dont le siège social est situé à Monaco (98000), X4, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, M. BASSANI-ANTIVARI, domicilié en cette qualité audit siège
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 14 janvier 2016, enregistré (n°2016/000369) ;
Vu la déclaration originaire, de la société anonyme monégasque C., tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 1er juin 2017 ayant notamment sursis à statuer dans l'attente d'un arrêt devant être rendu par la Cour d'appel de Monaco (cause enrôlée sous le n° 2017/000076) et renvoyé la cause et les parties à l'audience du 4 octobre 2017 ;
Vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Monaco en date du 29 septembre 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, pour la SA B. et pour Maître Alain RUKAVINA, pris en sa qualité de curateur de la SA B., en date du 20 octobre 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SA A., en date du 23 novembre 2017 ;
À l'audience publique du 7 décembre 2017, les conseils des parties ont déposé leur dossier et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 15 février 2018 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement en date du 23 décembre 2013, la quinzième chambre du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg déclarait la faillite de la société de droit luxembourgeois B. et par jugement en date du 18 mai 2015, cette juridiction admettait au passif chirographaire de cette faillite la créance de la société de droit luxembourgeois A., pour un montant de 2.320.000 euros.
La société A., déposait le 5 janvier 2016 une requête au greffe général, tendant à frapper temporairement d'indisponibilité les 19.997 des 20.000 actions constituant le capital social de la société anonyme monégasque C., propriété de la société B.. Le récépissé prévu par l'article 487 du Code de procédure civile était délivré ce même jour à 17 heures 55.
Par ordonnance en date du 7 janvier 2016, le Président du Tribunal de Première Instance, statuant en application des dispositions des articles 487 et suivants du Code de procédure civile, confirmait en tant que de besoin l'indisponibilité temporaire résultant de la remise au tiers saisi, soit la société C., du récépissé délivré le 5 janvier 2016. Il autorisait en outre la société A. à faire pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de tous actionnaires, administrateurs, directeurs ou représentants de la société C. de la totalité des 19.997 actions détenues par la société B. dans le capital de la société C. et ce pour avoir sûreté, garantie et paiement de la somme de 2.320.000 euros.
Par acte en date du 14 janvier 2016, la société A. faisait pratiquer la saisie-arrêt de titres nominatifs ainsi autorisée et citer devant le Tribunal de Première Instance la société B. ainsi qu'Alain RUKAVINA ès-qualités de curateur de la faillite de cette société, désigné par jugement du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 23 décembre 2013. La demanderesse sollicitait la condamnation de la société B. au paiement de la somme de 2.820.142,50 euros ainsi que la validation de la saisie-arrêt pratiquée.
À l'appui de ses demandes, la société A. exposait que l'objet de la société B. est la détention de participations dans des sociétés luxembourgeoises et étrangères, qu'elle est la maison mère d'un groupe de sociétés spécialisé dans la construction de yachts de luxe et qu'elle détient notamment la quasi-totalité du capital social de la société C. Aux termes de deux contrats en date des 30 mars et 24 avril 2009, la demanderesse avait prêté à la société B. les sommes respectives de deux millions d'euros et un million d'euros. Le 10 décembre 2010, une compensation est intervenue avec une dette de la société A. à l'égard de la société B., d'un montant de 680.000 euros. En conséquence, la somme de 2.300.000 euros demeure due. Après calcul des intérêts, le montant de sa créance s'élève à la somme de 2.820.142,50 euros.
Par exploit du 1er février 2016, la société B., représentée par son curateur, Maitre Alain RUKAVINA, agissant en qualité de représentant de la masse des créanciers de la faillite de la société B., a assigné la société A. en référé devant le Président du Tribunal de Première instance en rétractation de l'ordonnance du 7 janvier 2016.
Par ordonnance de référé du 24 février 2016, le Président du Tribunal de Première Instance a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 7 janvier 2016, la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 et a condamné la société A. aux dépens.
Par arrêt en date du 31 mai 2016, la Cour d'appel à infirmé cette décision et dit que l'ordonnance du 7 janvier 2016 devait recevoir plein effet. Le pourvoi formé par la société B. à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par la Cour de révision par arrêt du 24 mars 2017.
Suivant jugement en date du 1er juin 2017, ce Tribunal a :
- avant dire droit au fond, ordonné le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties, dans l'attente de l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco à intervenir dans la cause enrôlée sous le numéro 2017/000076,
- renvoyé la cause et les parties à l'audience du 4 octobre 2017,
- réservé le surplus des demandes et les dépens en fin de cause.
Suivant arrêt en date du 29 septembre 2017, la Cour d'appel de Monaco a confirmé en toutes ses dispositions appelées le jugement d'exequatur rendu par le Tribunal de Première Instance le 1er décembre 2016.
Par conclusions en date du 23 octobre 2017, la société B. et son curateur ont conclu au débouté des demandes de la société A. et à titre subsidiaire à leur irrecevabilité et en tout état de cause à ce que soit ordonnée la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016. Ils ont par ailleurs maintenu leur demande en paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Au soutien de leurs prétentions ils estiment que la confirmation sans ambigüité par la Cour d'appel du jugement du Tribunal de Première Instance du 1er décembre 2016 prohibe toute condamnation et validation de saisie-arrêt, en application du principe de l'arrêt des poursuites individuelles.
Par conclusions en date du 23 novembre 2017, la société A. sollicite à titre principal qu'il soit sursis à statuer sur l'ensemble des demandes. A titre subsidiaire, elle maintient ses prétentions initiales.
Elle indique avoir formé un pourvoi en révision à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 29 septembre 2017 et qu'en conséquence, la décision déclarant la faillite de la société B. exécutoire en Principauté de Monaco n'est pas définitive. L'intérêt d'une bonne administration de la justice commande le prononcé d'un sursis à statuer.
SUR QUOI
Attendu que, selon le principe de l'universalité de la faillite reconnu en droit international privé monégasque, une procédure de faillite étrangère produit ses effets partout où le débiteur a des biens, sous réserve des traités internationaux et dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques étrangers ;
Que néanmoins, toute exécution sur les biens situés à l'étranger est suspendue à l'obtention dans l'Etat du lieu de situation du bien d'un jugement de reconnaissance et d'exécution des décisions de justice du lieu d'ouverture de la procédure collective ;
Que le droit monégasque maintient ainsi une distinction entre le caractère personnel de la procédure qui s'attache au seul débiteur insolvable et l'effet réel de la procédure qui s'attache à son patrimoine ;
Que l'universalité de la faillite s'applique à l'effet personnel tandis que l'effet réel, marqué par les notions de saisie et de voies d'exécution collectives, reste cantonné aux limites territoriales de l'Etat d'ouverture de la procédure collective ;
Qu'il en résulte que les biens délocalisés échappent aux organes de la procédure puisque les actes d'exécution à leur égard dépendent des pouvoirs régaliens de l'Etat du lieu de leur situation et que les voies d'exécution restent nationales et territoriales cantonnant la procédure collective aux frontières de son Etat d'ouverture ;
Que pour passer outre, les organes de la procédure collective doivent engager une procédure d'exequatur dans l'Etat du lieu de situation des biens du débiteur convoités ;
Attendu que tel a bien été le cas en l'espèce, puisque la faillite de la société de droit luxembourgeois B. prononcée par jugement du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg du 23 décembre 2013 et le jugement rendu par cette même juridiction, saisie sur opposition, le 26 mai 2014, ont été rendus exécutoires en Principauté de Monaco par jugement du Tribunal de Première Instance du 1er décembre 2016, assorti de l'exécution provisoire ;
Attendu que dans le cadre de la présente instance, un sursis à statuer a été ordonné par jugement du 1er juin 2017 en l'état d'un arrêt de la Cour d'appel à intervenir à bref délai sur l'exequatur ;
Que par arrêt en date du 29 septembre 2017, la Cour d'appel a confirmé l'exequatur des décisions de faillites luxembourgeoises prononcées à l'encontre de la société B. ;
Attendu que si un pourvoi est en cours à l'encontre de cet arrêt, ce recours n'a toutefois pas d'effet suspensif ;
Que les pleins et entiers effets de la faillite prononcée à Luxembourg ont nécessairement des conséquences sur le sort de la présente instance, dans la mesure où le droit luxembourgeois connait, à l'instar du droit monégasque, la suspension des poursuites individuelles, la nécessité pour les créanciers de produire au passif, un paiement potentiel régi par des règles dérogatoires du droit commun et un dessaisissement des biens du débiteur, le curateur de la faillite recevant de la loi des pouvoirs de disposition à leur égard (articles 452 et 453 du Code de commerce) ;
Attendu en outre qu'il n'est pas valablement contesté que dans le cadre de la procédure collective ouverte au Luxembourg, il a été procédé à la cession des actifs de la société B. et que par jugement du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 6 janvier 2016, cette juridiction a homologué la cession au profit de la société D. de divers actifs et notamment des 19.997 actions détenues par la société B. dans le capital social de la société anonyme monégasque C.. D'autres offres de rachat, dont celle de la société A. ont été écartées ;
Attendu en conséquence que ces éléments commandent qu'il soit désormais immédiatement statué ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer ;
Attendu que l'obligation de déclarer sa créance aux organes de la procédure collective ouverte au Luxembourg rend irrecevables les demandes en paiement présentées par la société A. ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 ;
Attendu pour autant que la société A. n'ayant pas usé de son droit d'agir en justice dans des circonstances qui l'auraient fait dégénérer en abus manifeste, la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 40.000 euros présentée la société B. et son curateur Alain RUKAVINA sera rejetée ;
Attendu que l'urgence étant intrinsèquement attachée aux opérations qui se déroulent dans le cadre de la faillite de la société B., laquelle produit donc ses pleins et entiers effets en Principauté de Monaco, il convient donc d'assortir la présente décision du bénéfice de l'exécution provisoire ;
Attendu que la société A., qui succombe, sera condamnée aux dépens, y compris ceux réservés par jugement du 1er juin 2017 ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort,
Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel le 29 septembre 2017 (R.8057) ;
Déclare la société A. irrecevable en ses demandes en paiement à l'encontre de la société B. ;
Ordonne la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 par la société A. sur les 19.997 actions de la société C. détenues par la société de droit luxembourgeois B. ;
Rejette la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts présentée par la société B. et Alain RUKAVINA ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne la société A. aux dépens, avec distraction au profit de l'avocat-défenseur de la SA B. et de Maître Alain RUKAVINA, sous sa due affirmation ;
Ordonnance que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 15 FÉVRIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.