Tribunal de première instance, 15 février 2018, Mme m. HE. c/ M. b. FI. et la Société B.

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Abstract🔗

Rapport d'expertise – Violation du contradictoire (non) – Nullité (non) – Contre-expertise (non)

Résumé🔗

Les parties défenderesses invoquent la nullité du rapport d'expertise établi 26 novembre 2016 par les docteurs GA. et FO., pour trois motifs tirés du non-respect du contradictoire : une rencontre entre les experts et la demanderesse, sans convocation ni présence des défendeurs ; un délai insuffisant pour présenter leurs dires ; une absence de prise en considération de leurs dires.

C'est en vain que le docteur b. FI. et son assureur tentent de tirer argument de la mention « rapport dicté en présence du patient », figurant à la fin du pré-rapport et du rapport d'expertise litigieux, pour supposer, sans autre élément de preuve ni démonstration, que la demanderesse aurait été reçue, à leur insu et en leur absence, par les deux experts judiciaires. Outre que ces allégations ne sont confortées par aucun autre élément de preuve, elles sont contredites par la chronologie du déroulement des opérations d'expertise, telle qu'elle est rappelée dans le rapport et telle qu'elle ressort du dossier de procédure Expertise dont dispose le tribunal. La mention litigieuse « rapport dicté en présence du patient » comme le soutient à juste titre la demanderesse, ne correspond ainsi pas à la réalité mais constitue une erreur matérielle dans la mise en forme du rapport, sans incidence sur le respect par les experts du principe du contradictoire.

C'est également en vain que le docteur b. FI. et son assureur prétendent que les droits de la défense et le principe du contradictoire auraient été violés, au motif que les experts leur aurait adressé tardivement leur pré-rapport, de sorte que le délai pour présenter leur dires aurait été réduit par rapport à celui dont avait bénéficié la partie adverse. Ce moyen est dépourvu de pertinence puisque, saisi de la difficulté, le Juge chargé du contrôle des expertises, y a remédié, en prolongeant le délai accordé aux experts pour déposer leur rapport définitif, dans le but explicite de « permettre à l'avocat de b. FI. de présenter ses dires, dans les mêmes conditions que celles dont a bénéficié la partie adverse ». Rendus destinataires du pré-rapport le 1er septembre 2016, ainsi qu'ils l'indiquent dans leurs écritures, les défendeurs avaient donc jusqu'aux jours précédant la date du 30 novembre 2016, soit près de trois mois, pour formuler leurs éventuelles observations, ce qu'ils ont d'ailleurs fait les 24 octobre et 14 novembre 2016. Les droits de la défense ont donc été parfaitement respectés à cet égard.

En même temps que leur rapport définitif, les experts GA. et FO. ont déposé un document complémentaire intitulé « Réponses aux dires », en indiquant en préambule : « La grande majorité des arguments développés trouvaient déjà leur réponse dans le corps du rapport mais on va, néanmoins, les reprendre ». Y faisant suite, les experts judiciaires répondent dans ce document de quatre pages à l'intégralité des observations formulées par l'avocat et le médecin-conseil du docteur FI. dans leurs dires des 24 octobre et 14 novembre 2016. En répondant point par point aux dires des défendeurs, les experts ont respecté le principe du contradictoire, leur contestation des arguments en défense et leur refus de faire droit à certaines demandes d'actes complémentaires relevant du débat sur le fond et n'étant pas susceptibles d'entacher de nullité le rapport d'expertise litigieux. Il s'ensuit qu'aucun manquement au respect du principe du contradictoire ne peut être imputé aux experts GA. FO. que leur rapport n'encourt pas la nullité de ce chef.

La demande de contre-expertise, qui, en réalité, s'analyse davantage en une demande de complément d'expertise, est fondée sur le moyen suivant : entre la fin des soins pratiqués par le docteur FI. et son examen par les expert judiciaires, m. HE. aurait fait procéder à de nouveaux traitements prothétiques par d'autres praticiens, de sorte que les constatations faites par les docteurs GA. et FO. ne correspondraient pas au résultat du travail effectué par b. FI. et qu'ainsi, les symptômes relevés ne lui seraient pas imputables. Or, tout en reconnaissant avoir consulté divers praticiens postérieurement à la fin de son traitement par le docteur FI., m. HE. a toujours contesté avoir fait l'objet de soins ayant modifié son état dentaire. En toute hypothèse, il lui appartiendra d'en faire la preuve complète, dans le cadre du débat au fond, par la production de tous éléments utiles, tels que des certificats desdits praticiens et attestations de remboursement de soins par son organisme social et sa mutuelle, le tout sans qu'il y ait lieu de l'ordonner par justice, ainsi que le réclament les défendeurs, le Tribunal étant libre de tirer ultérieurement toute conséquence d'une éventuelle abstention de la demanderesse. Au vu de l'ensemble des éléments, la demande de contre-expertise formée par les défendeurs s'avère dépourvue de pertinence, outre qu'elle aurait pour effet de retarder inutilement l'issue de la présente instance.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000248 (assignation du 10 novembre 2015)

JUGEMENT DU 15 FÉVRIER 2018

En la cause de :

  • Mme m. HE., née le 5 mars 1952 à Stroke Upon Trent (Royaume-Uni), administrateur de société, domiciliée X1 à Monaco (98000) ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

  1. M. b. FI., chirurgien-dentiste, demeurant X2 à Monaco (98000) ;

  2. La SA B., dont le siège social se trouve X3 à Paris (75002), prise en la personne du Président de son Conseil d'Administration en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDEURS ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 10 novembre 2015, enregistré (n° 2016/000248) ;

Vu le jugement avant-dire-droit rendu par ce Tribunal en date du 17 mars 2016 ayant notamment ordonné une mesure d'expertise confiée au Docteur Michel GA. ;

Vu le rapport de cet expert déposé au greffe général le 30 novembre 2016 ;

Vu l'ordonnance du Magistrat chargé de suivre l'expertise en date du 16 décembre 2016 ayant ajourné la cause et les parties à l'audience du Tribunal du 19 janvier 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de b. FI. et de la SA B., en date des 3 mars 2017 et 16 novembre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, au nom de m. HE., en date des 8 mars 2017 et 15 juillet 2017 ;

À l'audience publique du 7 décembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 15 février 2018 ;

FAITS ET PROCÉDURE

En 2012-2013, le docteur b. FI., chirurgien-dentiste exerçant en Principauté de Monaco, a procédé à une réhabilitation prothétique sur la personne de m. HE..

Insatisfaite du résultat et en l'absence d'accord amiable possible, m. HE. a, par exploit d'huissier délivré le 10 novembre 2015, fait assigner le docteur b. FI. ainsi que son assureur, la société anonyme de droit français B., en responsabilité, aux fins de désignation d'un expert.

Par jugement avant dire droit du 17 mars 2016, ce Tribunal a ordonné une mesure d'expertise, confiée au docteur Michel GA., avec mission :

  • « - d'entendre contradictoirement les parties et tous sachants dans le respect de l'article 354 du Code de Procédure Civile ; de prendre communication de tous documents utiles et plus particulièrement du dossier médical de Mme HE. ;

  • d'examiner Mme m. HE. ;

  • de faire l'historique complet de l'état de Mme HE. au point de vue dentaire, en précisant notamment :

    • l'état de la patiente avant la consultation et sur la finalité des soins envisagés,

    • les actes précis accomplis par le Docteur FI. avec leur chronologie détaillée, en donnant toute explication sur les termes médicaux employés,

    • les soins prodigués ;

  • de dire si la pose de prothèses en céramique telle que prescrite et réalisée était adaptée au cas de Mme HE. et plus généralement si les actes et traitements médicaux étaient justifiés, en argumentant son avis ;

  • de dire si les actes accomplis et les soins réalisés étaient diligents, attentifs et conformes aux données acquises et actuelles de la science médicale (en précisant quelles sont ces données) ; dans la négative donner son avis circonstancié sur la nature des erreurs, des imprudences, manque de précautions, négligences pré, per ou post opératoires qui ont été commises ;

  • de fournir au Tribunal les éléments médicaux permettant de statuer sur l'éventuelle responsabilité du Docteur FI. ;

  • de décrire avec précision, les lésions et séquelles directement imputables aux soins et traitements critiqués ;

  • de fixer la date de consolidation des blessures ;

  • d'apporter les éléments permettant de déterminer les préjudices subis par la victime ;

Au titre des préjudices patrimoniaux temporaires avant consolidation :

  • Dépenses de Santé Actuelles (DSA) ;

  • Frais divers (FD) : au vu des décomptes et des justificatifs fournis, donner son avis sur d'éventuelles dépenses de santé ou de transport exposées par la victime avant la consolidation de ses blessures qui n'auraient pas été prises en charge par les organismes sociaux ou par des tiers payeurs, en précisant le cas échéant si le coût ou le surcoût de tels faits se rapporte à des soins ou plus généralement à des démarches nécessitées par l'état de santé de la victime et s'ils sont directement en lien avec les lésions résultant des faits à l'origine des dommages ;

  • Perte de gains professionnels actuels (PGPA) : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été avant sa consolidation et du fait de son incapacité fonctionnelle résultant directement des lésions consécutives aux faits à l'origine des dommages, dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement une activité professionnelle ou économique ou encore sportive ;

Au titre des préjudices patrimoniaux permanents après consolidation :

  • Dépenses de santé futures (DSF) ;

  • Perte de gains professionnels futurs (PGPF) : indiquer si en raison de l'incapacité permanente dont la victime reste atteinte après sa consolidation, celle-ci va subir des préjudices touchant à son activité professionnelle autres que ceux résultant de la perte de revenus liée à l'invalidité permanente ;

  • Incidence professionnelle (IP) : indiquer si en raison de l'incapacité permanente dont la victime reste atteinte après sa consolidation, celle-ci va subir des préjudices touchant à son activité professionnelle autres que ceux résultant de la perte de revenus liée à l'invalidité permanente ;

Au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires avant consolidation :

  • Déficit fonctionnel temporaire (DFT) : indiquer si la victime a subi un déficit fonctionnel temporaire, en préciser sa durée, son importance et au besoin sa nature ;

  • Souffrances endurées (SE) : décrire les souffrances physiques et psychiques endurées par la victime, depuis les faits à l'origine des dommages jusqu'à la date de consolidation, du fait des blessures subies et les évaluer sur une échelle de 1 à 7 degrés ;

  • Préjudice esthétique temporaire (PET) : décrire la nature et l'importance du dommage esthétique subi temporairement jusqu'à consolidation des blessures et l'évaluer sur une échelle de 1 à 7 degrés ;

Au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents après consolidation :

  • Déficit fonctionnel permanent (DFP) : indiquer si la victime a subi un déficit fonctionnel permanent subsistant après la consolidation des lésions ; en évaluer l'importance et en chiffrer le taux ;

  • Préjudice d'agrément (PA) : donner son avis sur l'existence d'un préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ;

  • Préjudice esthétique permanent (PEP) : décrire la nature et l'importance du préjudice esthétique subi de façon définitive après la consolidation des blessures et l'évaluer sur une échelle de 1 à 7 degrés ; ».

Par ordonnance du 28 avril 2016, le Juge chargé du contrôle des expertises a désigné un co-expert en la personne du docteur b. FO..

L'examen s'est déroulé le 30 juin 2016, les experts ont établi un pré-rapport à la date du 22 juillet 2016 et ont déposé leur rapport définitif le 26 novembre 2016.

S'agissant de la qualité des soins prodigués, leurs conclusions sont les suivantes :

  • « Les actes et traitements réalisés n'ont pas été conformes aux données acquises de la science.

  • La prothèse a été effectuée avec une avancée des dents du haut, proalvéolie plus l'absence de calage.

  • Ceci a donné lieu à une dysfonction des articulations temporo mandibulaires qui a provoqué un recul des condyles mandibulaires et donc à une pseudo dysharmonie mandibulo maxillaire avec rétro positionnement mandibulaire.

  • Normalement, l'attitude consciencieuse, attentive et conforme aux données acquises de la science, dans le cadre d'une obligation de moyens, eut été de refaire rapidement la réhabilitation prothétique en passant éventuellement par une mise en place d'un nouveau bridge transitoire.

  • Tel n'a pas été le cas.

  • On peut donc considérer que l'obligation, dans le cadre des traitements effectués par le Docteur FISSOIRE, n'a pas été remplie.

  • Les doléances exprimées par madame HE. sont imputables aux soins pratiqués ».

Postérieurement au dépôt du rapport d'expertise, le docteur b. FI. et la société B. concluent à sa nullité, au motif que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté.

Ils invoquent principalement la mention, portée en dernière page - « rapport dicté en présence du patient » - pour soutenir qu'elle démontre qu'après l'accedit du 30 juin 2016, tenu en présence de l'ensemble des parties, les experts auraient reçu m. HE. hors la présence du défendeur et auraient discuté avec elle des conclusions auxquelles ils aboutissaient.

Ce faisant, ils auraient violé les droits de la défense et méconnu le principe du contradictoire, ce qui, en vertu d'une jurisprudence établie, doit conduire à la nullité de l'expertise.

Accessoirement, ils critiquent le comportement des experts qui ne leur auraient pas accordé un délai suffisant pour présenter leurs dires après le dépôt du pré-rapport.

Les défendeurs exposent en effet que, contrairement à ce qu'ils avaient annoncé, les experts n'ont transmis leur pré-rapport à leur conseil que le 1er septembre 2016, ne lui laissant qu'un mois pour présenter ses observations, alors que la partie adverse avait, pour sa part, bénéficié d'un délai de deux mois.

Enfin, le docteur FI. et la compagnie B. invoquent, à l'appui de leur exception de nullité, un moyen, qui relève davantage du fond, selon lequel les experts n'auraient pas tenu compte de leurs dires selon lesquels m. HE. aurait reçu des soins de prothèse dentaire postérieurement à la fin du traitement effectué par le défendeur, de sorte que :

  • - son état dentaire au jour de l'expertise n'était pas celui qui résultait des soins pratiqués par le docteur FI. ;

  • afin de s'en assurer, il convenait que les experts se fassent communiquer les moulages réalisés par les praticiens dentaires consultés postérieurement par la patiente.

Pour ce même motif, tiré du caractère incomplet de l'expertise, les défendeurs réclament subsidiairement, une contre-expertise, avec même mission que précédemment, y ajoutant que les experts nouvellement désignés « devront se faire communiquer les modèles effectués par les praticiens consultés par Madame HE. tels que résultant de son dire du 2 novembre 2016 ».

Enfin, le docteur FI. et la compagnie B. entendent se voir donner acte ce que, s'il n'était pas fait droit à leurs présentes demandes, ils se réservent de conclure sur le fond.

m. HE. conclut au rejet des prétentions adverses, estimant que le rapport d'expertise des docteurs GA. et FO. est respectueux du contradictoire, impartial et complet :

  • Elle soutient que :

    • c'est par suite d'une erreur matérielle que la mention « rapport dicté en présence du patient », habituellement utilisée pour les comptes rendus de consultation, a été laissée dans le rapport d'expertise critiqué ;

    • cette mention est en effet contredite par la chronologie des opérations d'expertise, qui démontre qu'un seul et unique accedit a été tenu, en présence de toutes les parties, et qu'il a été suivi de la rédaction du pré-rapport puis du rapport définitif, sans que la demanderesse n'ait été revue par les deux experts ;

    • s'il est par ailleurs exact que, par suite d'une erreur d'adresse de messagerie électronique, le conseil des parties défenderesses n'a été destinataire du pré-rapport qu'un mois après le conseil de la demanderesse, il a été remédié à cet incident par le Juge chargé du contrôle des expertises, qui, saisi de la difficulté par les défendeurs, a, par ordonnance du 9 septembre 2016, accordé aux experts un délai supplémentaire jusqu'au 30 novembre 2016, « afin de permettre à l'avocat de b. FI. de présenter ses dires, dans les mêmes conditions que celles dont a bénéficié la partie adverse » ;

    • c'est donc en vain que les défendeurs se plaignent à cet égard d'une violation des droits de la défense, ceux-ci ayant eu tout loisir de présenter leur dires, lesquels ont d'ailleurs été déposés les 24 octobre et 14 novembre 2016 ;

    • contrairement à ce que soutient la partie défenderesse, les experts ont tenu compte de ses observations puisqu'ils ont déposé, le même jour que leur rapport définitif, soit le 26 novembre 2016, une réponse aux dires, dans laquelle ils contestent les arguments soulevés par le docteur FI. et son médecin-conseil.

Outre ses demandes d'indemnisation - qui seront examinées ultérieurement, dans le cadre du débat au fond - m. HE. forme une demande additionnelle tendant à voir « ordonner la remise par le docteur FI. de l'original ou de la copie de l'intégralité des moulages ainsi que des bridges transitoires en résine haut et bas réalisés dans le cadre du travail de réhabilitation effectué et ce sous astreinte comminatoire de 150 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir ».

Bien qu'il n'ait pas conclu sur ce point, le docteur b. FI. a acquiescé, à l'audience, à la demande de restitution des moulages ; s'agissant des « bridges » provisoires, il a indiqué ne pas s'opposer au principe de leur restitution, tout en émettant des réserves sur le fait qu'ils soient encore sa possession.

MOTIFS DE LA DÉCISION

  • Sur la demande de restitution des moulages et bridge provisoire :

C'est à bon droit que m. HE. entend se voir remettre les moulages et bridge réalisés par le docteur FI., ceux-ci lui étant utiles pour reprendre les soins destinés à remédier aux dommages qu'elle a subis.

La partie adverse n'étant pas opposée à la restitution demandée, le prononcé d'une astreinte n'apparaît pas nécessaire en l'état.

  • Sur la demande de nullité du rapport d'expertise :

Les parties défenderesses invoquent la nullité du rapport d'expertise établi 26 novembre 2016 par les docteurs GA. et FO., pour trois motifs tirés du non-respect du contradictoire :

  • - une rencontre entre les experts et la demanderesse, sans convocation ni présence des défendeurs ;

  • - un délai insuffisant pour présenter leurs dires ;

  • - une absence de prise en considération de leurs dires.

  • Sur le premier moyen :

C'est en vain que le docteur b. FI. et son assureur tentent de tirer argument de la mention « rapport dicté en présence du patient », figurant à la fin du pré-rapport et du rapport d'expertise litigieux, pour supposer, sans autre élément de preuve ni démonstration, que la demanderesse aurait été reçue, à leur insu et en leur absence, par les deux experts judiciaires.

Outre que ces allégations ne sont confortées par aucun autre élément de preuve, elles sont contredites par la chronologie du déroulement des opérations d'expertise, telle qu'elle est rappelée dans le rapport et telle qu'elle ressort du dossier de procédure Expertise dont dispose le Tribunal.

Il en résulte que :

  • - par ordonnance du 9 juin 2016, le Juge chargé du contrôle des expertises a fixé au jeudi 30 juin 2016 à 15 heures, au pavillon Odontologie de l'hôpital de la Timone à Marseille, la date et le lieu de commencement des opérations d'expertise ;

  • - un accedit s'est tenu à cette date, en présence de m. HE., accompagnée de sa fille, et du docteur b. FI., accompagné du docteur Patrick MISSIKA, médecin-conseil de la compagnie B. ;

  • - il a été procédé à l'examen de m. HE. à cette occasion ;

  • il n'y a pas eu d'autre accedit ;

  • un pré-rapport a été établi à la date du 22 juillet 2016 ;

  • le rapport d'expertise définitif a été déposé le 26 novembre 2016.

La mention litigieuse « rapport dicté en présence du patient » comme le soutient à juste titre la demanderesse, ne correspond ainsi pas à la réalité mais constitue une erreur matérielle dans la mise en forme du rapport, sans incidence sur le respect par les experts du principe du contradictoire.

  • Sur le deuxième moyen :

C'est également en vain que le docteur b. FI. et son assureur prétendent que les droits de la défense et le principe du contradictoire auraient été violés, au motif que les experts leur aurait adressé tardivement leur pré-rapport, de sorte que le délai pour présenter leur dires aurait été réduit par rapport à celui dont avait bénéficié la partie adverse.

Ce moyen est dépourvu de pertinence puisque, saisi de la difficulté, le Juge chargé du contrôle des expertises, y a remédié, en prolongeant le délai accordé aux experts pour déposer leur rapport définitif, dans le but explicite de « permettre à l'avocat de b. FI. de présenter ses dires, dans les mêmes conditions que celles dont a bénéficié la partie adverse ».

Rendus destinataires du pré-rapport le 1er septembre 2016, ainsi qu'ils l'indiquent dans leurs écritures, les défendeurs avaient donc jusqu'aux jours précédant la date du 30 novembre 2016, soit près de trois mois, pour formuler leurs éventuelles observations, ce qu'ils ont d'ailleurs fait les 24 octobre et 14 novembre 2016.

Les droits de la défense ont donc été parfaitement respectés à cet égard.

  • Sur le troisième moyen :

En même temps que leur rapport définitif, les experts GA. et FO. ont déposé un document complémentaire intitulé « Réponses aux dires », en indiquant en préambule :

  • « La grande majorité des arguments développés trouvaient déjà leur réponse dans le corps du rapport mais on va, néanmoins, les reprendre ».

Y faisant suite, les experts judiciaires répondent dans ce document de quatre pages à l'intégralité des observations formulées par l'avocat et le médecin-conseil du docteur FI. dans leurs dires des 24 octobre et 14 novembre 2016.

En répondant point par point aux dires des défendeurs, les experts ont respecté le principe du contradictoire, leur contestation des arguments en défense et leur refus de faire droit à certaines demandes d'actes complémentaires relevant du débat sur le fond et n'étant pas susceptibles d'entacher de nullité le rapport d'expertise litigieux.

Il s'ensuit qu'aucun manquement au respect du principe du contradictoire ne peut être imputé aux experts GA. et FO. et que leur rapport n'encourt pas la nullité de ce chef.

  • Sur la demande de contre-expertise :

La demande de contre-expertise, qui, en réalité, s'analyse davantage en une demande de complément d'expertise, est fondée sur le moyen suivant : entre la fin des soins pratiqués par le docteur FI. et son examen par les expert judiciaires, m. HE. aurait fait procéder à de nouveaux traitements prothétiques par d'autres praticiens, de sorte que les constatations faites par les docteurs GA. et FO. ne correspondraient pas au résultat du travail effectué par b. FI. et qu'ainsi, les symptômes relevés ne lui seraient pas imputables.

Or, tout en reconnaissant avoir consulté divers praticiens postérieurement à la fin de son traitement par le docteur FI., m. HE. a toujours contesté avoir fait l'objet de soins ayant modifié son état dentaire.

En toute hypothèse, il lui appartiendra d'en faire la preuve complète, dans le cadre du débat au fond, par la production de tous éléments utiles, tels que des certificats desdits praticiens et attestations de remboursement de soins par son organisme social et sa mutuelle, le tout sans qu'il y ait lieu de l'ordonner par justice, ainsi que le réclament les défendeurs, le Tribunal étant libre de tirer ultérieurement toute conséquence d'une éventuelle abstention de la demanderesse.

Bien plus, les experts GA. et FO., interrogés sur ce point par les dires présentés le 24 octobre et 14 novembre 2016 aux intérêts de b. FI. et de son assureur, y ont dûment répondu, en considérant que :

  • « Ce dossier possède une excellente iconographie.

  • Toutes les étapes ont été photographiées, d'avant le traitement à ce jour.

  • Et toutes objectivent qu'avant le traitement, les relations interdentaires étaient normales et que dès le stade de la réhabilitation prothétique, les dents ont été placées en avant, sans calage, ce qui explique les troubles au niveau des articulations temporo mandibulaires, avec un rétro positionnement progressif du condyle, matérialisé par un recul dentaire d'une demie cuspide en classe d'Angle.

  • Les avis de tous les praticiens consultés convergent dans ce sens.

  • Le docteur FI. lui-même, ainsi que son conseil, ont reconnu « leur prothèse », avec les corono plasties qu'ils avaient effectuées et n'ont pas retrouvé traces d'éventuels traitements ainsi qu'il est développé dans leur argumentaire.

  • Si l'examen direct ne leur a pas permis de trouver des signes probants, l'étude d'autres moulages ne pourra rien apporter de plus ».

De manière encore plus précise, les deux experts ont, dans le document précité du 26 novembre 2016, pris soin de répondre, point par point, aux contestations élevées par le docteur MISSIKA, médecin-conseil de la compagnie B., quant aux constatations de l'état dentaire de m. HE., s'agissant de : la non-concordance des points inter incisifs, l'over jet, la dimension verticale d'occlusion, le décalage antéro-postérieur.

De plus, dans les commémoratifs de leur rapport, au chapitre « Historique de la pathologie », les experts judiciaires ont fait état de l'ensemble des consultations rapportées et documentées par m. HE. postérieurement à la fin de son traitement par le docteur FI. (certificats des docteurs ORTHLIEB du 17 septembre 2015, LAPLANCHE du 4 octobre 2015, BENKIRAN du 1er juillet 2015, annexés au rapport) et il n'en ressort pas que l'un ou l'autre de ces chirurgiens-dentistes ait pratiqué de quelconques soins sur la personne de la demanderesse.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la demande de contre-expertise formée par les défendeurs s'avère dépourvue de pertinence, outre qu'elle aurait pour effet de retarder inutilement l'issue de la présente instance.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la restitution à m. HE. de l'original ou de la copie de l'intégralité des moulages ainsi que des bridges transitoires en résine haut et bas réalisés dans le cadre du travail de réhabilitation prothétique effectué par le docteur b. FI. ;

Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte;

Déboute le docteur b. FI. et la société anonyme de droit français B. de leur demande principale d'annulation du rapport d'expertise établi le 26 novembre 2016 par les docteurs GA. et FO. ;

Déboute le docteur b. FI. et la société anonyme de droit français B. de leur demande subsidiaire tendant à voir ordonner la communication par m. HE. de son entier dossier de remboursement de soins effectués par la CCSS et/ou son organisme privé pour la période d'octobre 2013 à ce jour ;

Déboute le docteur b. FI. et la société anonyme de droit français B. de leur demande encore plus subsidiaire de désignation d'un nouvel expert ;

Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience du JEUDI 15 MARS 2018 à 9 heures ;

Enjoint au docteur b. FI. et la société anonyme de droit français B. de conclure sur le fond pour cette date ;

Réserve les dépens en fin de cause ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 15 FÉVRIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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