Tribunal de première instance, 1 février 2018, La SAM B. c/ g. GI. et autres

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Abstract🔗

Procédure civile - Succession - Compulsoire - Recevabilité de la demande de compulsoire en l'état d'une procédure pendante au fond (oui) - Compétence des Tribunaux de la Principauté (non) - Intérêt et qualité à agir - Rétraction d'une ordonnance en raison de son inexécutabilité (non)

Résumé🔗

Dans le cadre d'un litige successoral opposant certains enfants et petits-enfants des défunts à leur sœur et tante, le Président du Tribunal a rendu une ordonnance sur requête les autorisant à mandater l'huissier de leur choix à l'effet d'obtenir la communication par une société de droit monégasque de certains éléments relatifs à un trust et à deux sociétés qu'elle administre. Estimant ne pas être en mesure d'exécuter cette ordonnance, la société en cause en demande la rétractation. Elle argue tout d'abord de l'irrecevabilité de la demande de compulsoire en l'état d'une procédure pendante au fond. Or il est établi qu'aucune juridiction du fond, monégasque ou étrangère, n'est actuellement saisie d'un différend successoral en lien avec la demande de compulsoire. Le moyen de rétraction tiré de l'irrecevabilité de la demande de compulsoire en l'état d'une procédure pendante au fond est donc rejeté.

Elle soulève également l'incompétence des juridictions monégasques. Or, la mesure d'instruction en cause doit être exécutée en Principauté, de sorte que les juridictions monégasques sont compétentes pour en décider.

Elle invoque encore l'inexécutabilité de l'ordonnance querellée pour défaut de qualité d'héritier réservataire de deux des demandeurs de la mesure. Or, ces derniers, ayant-cause d'un des défunts, ont qualité à agir. Par ailleurs, ils justifient d'un intérêt à agir dès lors que leur action tend, par l'obtention d'informations, à s'assurer de la non-dissimulation par un héritier d'une partie de l'actif successoral sur lequel ils auraient des droits. L'ordonnance contestée a donc été valablement rendue au profit de l'ensemble des demandeurs de la mesure d'instruction.

Elle invoque enfin l'impossibilité de transmettre les documents comptables demandés au motif de la dispense légale de tenue de comptabilité en droit panaméen jusqu'au 27 octobre 2016 et de l'absence corrélative de l'absence de comptabilité de la société concernée. Mais dispense ne vaut pas absence. Il incombe en conséquence à la demanderesse en rétractation d'établir par tous moyens l'inexistence des documents réclamés. Ce dernier moyen est également rejeté.

Afin de contraindre la société demanderesse en rétractation à l'exécution volontaire de la décision querellée, le Tribunal prononce une astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai de deux mois courant à compter de la signification de sa décision.

Le comportement dilatoire de la demanderesse a contraint les défendeurs à exposer des frais en justice. Elle est ainsi tenue de verser à chacun des défendeurs la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000214 (assignation du 22 novembre 2016)

JUGEMENT DU 1er FEVRIER 2018

En la cause de :

  • La SAM B., dont le siège social se trouve X4 à Monaco, prise en la personne de ses administrateurs délégués en exercice, a. MA. et f. FE., demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • g. GI., né le 26 mars 1952 à Turin, de nationalité italienne, gérant de sociétés, demeurant X1 à Monaco ;

  • m., r., s. GI., né le 5 avril 1949 à Turin, de nationalité italienne, sans profession, demeurant X2 à Turin ;

  • l., f. GI., né le 25 février 1977 à Turin, de nationalité italienne, travailleur indépendant, demeurant X3 à Turin ;

  • f. GI., né le 10 novembre 1980 à Turin, de nationalité italienne, employé, demeurant X3 à Turin ;

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Christophe BALLERIO, avocat près cette même Cour ;

En présence de :

  • Monsieur le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Monaco, séant en ses bureaux en son Parquet Général, Palais de Justice, Rue Colonel Bellando de Castor à Monaco ;

COMPARAISSANT EN PERSONNE,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître MA. e-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 novembre 2016, enregistré (n° 2017/000214) ;

Vu les conclusions de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de g. GI., m. GI., l. GI. et de f. GI. en date des 26 janvier 2017 et 18 juillet 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM B., en date des 8 juin 2017 et 5 octobre 2017 ;

Vu les conclusions du Ministère Public en date du 21 novembre 2017 ;

À l'audience publique du 9 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 1er février 2018 ;

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

l. GI. et l. a RO., tous deux de nationalité italienne, se sont mariés le 9 juillet 1931 devant l'officier d'état civil de Turin (Italie) sous l'ancien régime légal italien de communauté de biens ;

De leur union sont issus trois enfants :

  • m., né le 5 avril 1949,

  • g., né le 26 mars 1952,

  • ma., née le 3 mai 1959 ;

Le 25 septembre 1992, la société de droit panaméen A., administrée par la société de droit monégasque SAM B., a acquis un appartement situé dans l'immeuble « le Roqueville », sis 20 boulevard Princesse Charlotte à MONACO, ainsi qu'un emplacement de parking, sis 5 impasse de la Fontaine à MONACO;

Les époux GI. ont résidé dans cet appartement à compter de l'année 1993 ;

Le 28 octobre 1994, ces derniers ont acquis, en leur nom personnel, 31 emplacements de parking et 4 boxes situés dans un ensemble immobilier dénommé « le Monte-Carlo Palace », sis boulevard des Moulins et boulevard Princesse Charlotte à MONACO ;

Le 5 août 2005, ces biens ont été cédés à la société de droit des Iles Vierges Britanniques C., laquelle les a vendus, le 7 janvier 2009, à la société de droit panaméen D., administrée également par la SAM B. ;

l. GI. est décédé le 28 septembre 2012, laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants communs ;

l. a RO. veuve GI. est décédée le 3 février 2013, laissant pour lui succéder, outre ses trois enfants, l. et f. GI., les fils de m., en qualité de légataires ;

Un différend successoral oppose m., g., l. et f. GI. à leur sœur et tante, ma. GI.;

Maître CROVETTO-AQUILINA, notaire en charge de la partie monégasque de la succession de l. GI. et de la succession de l. a RO. veuve GI., a adressé plusieurs correspondances à la SAM B., en ce qu'elle est en charge de l'administration des sociétés A. et D., pour tenter, en vain, d'obtenir des informations sur les opérations et les relations des époux GI. défunts avec lesdites sociétés ;

Par ordonnance en date du 10 juillet 2014, le Président de ce Tribunal, faisant droit à la requête de m., g., l. et f. GI. (les consorts GI.), les a autorisés à mandater l'huissier de leur choix à l'effet de se rendre dans les locaux de la SAM B., situés 41 avenue Hector OTTO à MONACO, en sa qualité d'administrateur des sociétés A. et D., afin de se faire communiquer le ou les noms du ou des bénéficiaires économiques ainsi que du mandataire agréé desdites sociétés ;

Le 22 juillet 2014, un huissier de justice s'est rendu dans les locaux de la SAM B., en exécution de la précédente ordonnance, où il a trouvé a. MA., administrateur délégué de cette société, lequel lui a indiqué que le bénéficiaire économique des sociétés A. et D. était un trust néo-zélandais dénommé SAFE HARBOR TRUST, représenté par la société néo-zélandaise E. ;

Par ordonnance sur requête du 22 octobre 2014, le Président de ce Tribunal, faisant droit à la requête des consorts GI., les a autorisés à mandater l'huissier de leur choix à l'effet de se rendre dans les locaux de la SAM B. pour se faire communiquer:

  • le ou les noms du ou des bénéficiaires économiques effectifs actuels et précédents (à savoir pour les années 2012 et 2013) des sociétés de droit panaméen A. et D.,

  • le ou les noms du ou des bénéficiaires actuels et précédents du trust néo-zélandais SAFE HARBOR,

  • le ou les noms du ou des bénéficiaires économiques effectifs actuels et précédents dudit trust, de l'historique de l'actionnariat des sociétés de droit panaméen D. et A.,

  • la copie de tout acte de cession ou de mutation dont l. GI. et l. a RO. épouse GI. ont été parties ;

Le 27 octobre 2014, l'huissier diligenté a dressé un procès-verbal de carence constatant le refus d a. MA. d'exécuter l'ordonnance du 22 octobre 2014 au motif du secret professionnel ;

Suivant ordonnance de référé en date du 7 octobre 2015, le Président du Tribunal de première instance, saisi de cette difficulté d'exécution par les consorts GI., les a déclarés irrecevables en leur demande pour défaut d'intérêt actuel ;

Par arrêt en date du 21 juin 2016, la Cour d'appel a infirmé cette ordonnance et statuant à nouveau, a :

  • déclaré recevable la demande des consorts GI.,

  • dit que l'ordonnance sur requête du 22 octobre 2014 devait recevoir effet à l'égard de g. et m. GI., mais rejeté les demandes de l. f. GI. (en ce qu'ils avaient la qualité de légataires de l. RO. épouse GI. et non d'héritiers réservataires),

  • dit qu a. MA., ès-qualités de mandataire agréé des sociétés A. et D., et la SAM B., prise en la personne d a. MA., administrateur délégué, devraient exécuter l'ordonnance sur requête du 22 octobre 2014,

  • assorti sa décision d'une astreinte ;

Suivant arrêt en date du 24 mars 2017, la Cour de Révision a rejeté le pourvoi de la SAM B. et d a. MA., ès-qualités de mandataire agréé des sociétés A. et D. ;

Parallèlement, la SAM B. a exécuté l'ordonnance du 22 octobre 2014, en adressant à l'huissier, le 28 juillet 2016, une lettre recommandée aux termes de laquelle elle a indiqué que :

  • l. a RO. épouse GI. était titulaire des actions des sociétés A. et D.,

  • Le trust SAFE HARBOR a été constitué par la défunte et sa fille le 15 juin 2006,

  • Les actifs du trust SAFE HARBOR sont constitués par les actions des sociétés A. et D., lesquelles ont été apportées audit trust par l. a RO. épouse GI. ;

  • Les bénéficiaires économiques actuels et précédents (en 2012 et 2013) du trust SAFE HARBOR TRUST et par extension des sociétés A. et D. sont v. et b. GI. GR., nées le 11 octobre 1990 à Turin et résidant 20 boulevard Princesse Charlotte à Monaco ;

  • le trustee du trust SAFE HARBOR est la société E., société de droit néo-zélandais, dont les directeurs sont d. LI., demeurant à Monaco, m. j. RE. et d. f. WI., tous deux demeurant en Nouvelle-Zélande ;

  • le protector du trust est p. PE. résidant aux BAHAMAS ;

  • elle ne possédait aucun acte de cession ou de mutation auxquels l. GI. et l. a RO. épouse GI. ont été parties ;

Par courrier en date du 3 août 2016, les consorts GI. ont sollicité des informations complémentaires concernant le trust SAFE HARBOR, la société A. et la société D. ;

Par courrier en date du 4 août 2016, la SAM B. a répondu que les personnes habilitées à répondre étaient en congé ;

Par ordonnance en date du 20 octobre 2016, le Président de ce Tribunal, faisant droit à la requête des consorts GI., les a autorisés à mandater l'huissier de leur choix à l'effet d'obtenir la communication par la SAM B. des documents suivants :

Concernant le SAFE HARBOR TRUST :

  • un exemplaire de l'acte de constitution du trust ;

  • un exemplaire de tous actes de nomination du bénéficiaire du trust qui puissent être intervenus après l'acte de constitution ;

  • dans l'hypothèse où lors de la constitution du trust, ma. GI. aurait agi au nom et pour le compte d'un tiers, un exemplaire de la procuration conférée à ce titre ainsi que l'identité complète de ce tiers ;

  • un exemplaire complet de la comptabilité du trust, de sa constitution jusqu'à ce jour ;

  • la ou les identités du ou des bénéficiaires du trust, au jour de sa constitution et jusqu'en 2012 ;

Concernant la société A. : un exemplaire complet de sa comptabilité depuis que la société B. administre cette société jusqu'à ce jour ;

Concernant la société D. : un exemplaire complet de sa comptabilité depuis sa constitution jusqu'à ce jour ;

Considérant ne pas être mesure d'exécuter les dispositions de cette ordonnance, la SAM B. a, par acte d'huissier en date du 22 novembre 2016, fait assigner les consorts GI. devant le Tribunal de Première Instance aux fins:

  • à titre principal, de rétractation de l'ordonnance de compulsoire rendue le 20 octobre 2016 aux motifs de l'irrecevabilité de la demande devant le juge des requêtes d'une part, et de l'incompétence des juridictions monégasques d'autre part, en l'état de l'instance pendante au fond devant les juridictions italiennes concernant le litige successoral opposant les héritiers de l. GI. et l. a RO. épouse GI. ;

  • à titre subsidiaire, de rétractation de l'ordonnance de compulsoire rendue le 20 octobre 2016 au motif de son inexécutabilité, l. et f. ne pouvant se voir transmettre des informations en leur seule qualité de légataires de l. a GI. ;

  • à titre infiniment subsidiaire, de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de Révision sur l'arrêt du 21 juin 2016 ;

Dans le dernier état de ses écritures, la SAM B. :

  • réitère ses prétentions principale et subsidiaire et renonce à sa demande de sursis à statuer,

  • sollicite, à titre infiniment subsidiaire, la rétractation de l'ordonnance de compulsoire rendue le 20 octobre 2016 au motif qu'elle ne dispose d'aucun document comptable,

  • et en tout état de cause, conclut au rejet des prétentions des défendeurs ;

Dans leurs conclusions en défense en date des 26 janvier puis 18 juillet 2017, les consorts GI. concluent au débouté de la demanderesse et sollicitent, sous le bénéfice de l'exécution provisoire:

  • que l'ordonnance querellée reçoive plein et entier effet à leur égard,

  • l'exécution de ladite ordonnance par la demanderesse sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter du jugement à venir,

  • la condamnation de la SAM B. à payer à chacun des défendeurs la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Par conclusions communiquées en cours de délibéré, auxquelles les parties ne se sont pas opposées, le Procureur Général a indiqué s'en rapporter à justice sur les exceptions d'incompétence soulevées par la demanderesse ;

MOTIFS :

  • Sur le moyen de rétractation tiré de l'irrecevabilité de la demande de compulsoire des consorts GI. en l'état d'une procédure pendante au fond :

À l'appui de ce moyen, la SAM B. soutient que :

  • une requête aux fins de compulsoire ne peut être introduite s'il existe d'ores et déjà une instance pendante au fond, puisqu'en ce cas, seule la juridiction du fond est compétente pour apprécier l'opportunité d'une telle demande ;

  • les défendeurs ne contestent pas l'existence d'une procédure au fond pendante en Italie ;

  • selon l'arrêt du 24 mars 2017 rendu par la Cour de Révision, lorsqu'une juridiction du fond (monégasque ou étrangère) est saisie du différend successoral en lien avec la demande de compulsoire, cette dernière doit être rejetée ;

  • tel est le cas en l'espèce, la procédure italienne ne se cantonnant pas à deux points particuliers mais concernant l'entier litige successoral opposant les consorts GI. à ma. GI., dans la mesure où elle tend à répertorier les donations et les actes de libéralités effectués par le défunt en vue de la reconstitution de l'actif successoral ;

  • les défendeurs ont reconnu par ailleurs que leur démarche (demande de communication) s'inscrivait dans le prolongement du litige successoral pendant devant les juridictions italiennes ;

  • dans ces circonstances, les informations sollicitées aux termes de l'ordonnance du 20 octobre 2016 ayant pour objet d'alimenter la procédure actuellement pendante en Italie, le juge des requêtes n'est pas compétent et ne peut faire droit à la demande de compulsoire ;

Pour prétendre à la recevabilité de leur requête aux fins de compulsoire, les consorts GI. font valoir que :

  • les juridictions du fond monégasques ne sont saisies d'aucun litige sur le fond entre les parties, à savoir la SAM B. et eux-mêmes ;

  • il n'y pas identité de parties entre celles de la présente instance et celles s'opposant dans la procédure pendante devant les juridictions italiennes;

  • aucune juridiction, monégasque ou italienne, n'est saisie d'un différend successoral opposant les défendeurs à ma. GI. :

  • d'une part, le litige introduit devant les juridictions italiennes par assignation en date du 14 mars 2014 ne concerne que deux points : la validité du testament olographe de l. GI. du 21 mars 2006 et les contrats d'assurances Suisse Life souscrits par ce dernier ;

  • d'autre part, l'assignation délivrée le 10 février 2016 par g. GI. devant le Tribunal de TURIN est strictement limitée à des contestations portant sur quelques donations et libéralités provenant du patrimoine des époux GI. défunts au profit de ma. GI., et dont il est demandé l'annulation et le rapport à la masse ; dans cette assignation, il n'est pas fait référence aux sociétés A. et D., lesquelles en sont expressément exclues ;

  • leur demande d'informations auprès de la SAM B. est sans incidence sur les procédures pendantes en Italie ;

  • la Cour d'Appel et la Cour de Révision ont estimé la précédente demande de compulsoire recevable même en l'état de la procédure pendante en Italie ensuite de l'assignation du 14 mars 2014 ; la procédure introduite suivant assignation du 10 février 2016 devant le Tribunal de TURIN ne remet pas en cause la solution dégagée dans ces décisions ;

Il résulte de l'application de l'article 851 du Code de procédure civile que toute requête de compulsoire tendant à la communication de pièces détenues par un tiers doit être fondée sur un intérêt légitime, être utile et tendre à la manifestation de la vérité, présenter un caractère limité et ne pas porter atteinte aux droits des tiers;

Il convient de rappeler que toute demande de compulsoire ne saurait être accueillie hors tout débat contradictoire quand la juridiction du fond est déjà saisie du différend opposant les parties, et ce, par référence aux dispositions combinées des articles 177, 178 et 274 du Code de procédure civile ;

En l'espèce, l'objet de la requête aux fins de compulsoire des consorts GI. à l'encontre de la SAM B. tend, à l'instar des requêtes précédentes, à obtenir des informations en vue de vérifier si une partie de l'actif successoral (des immeubles situés à Monaco et des parts sociales de sociétés off-shore) n'a pas été dissimulée par un cohéritier ma. GI.) ;

Il est constant qu'aucune juridiction monégasque n'est saisie au fond d'un quelconque litige opposant la SAM B. aux consorts GI., et plus largement ces derniers à leur soeur et tante, ma. GI. ;

Deux procédures sont actuellement pendantes devant les juridictions italiennes opposant les consorts GI. à ma. GI. : l'une introduite par assignation du 14 mars 2014 et l'autre par assignation du 10 février 2016;

Il convient alors de vérifier si ces procédures portent sur un différend successoral en lien avec la demande de compulsoire querellée ;

S'agissant de la première procédure italienne (assignation du 14 mars 2014), il faut relever que dans son arrêt en date du 24 mars 2017 (afférent à la contestation de l'ordonnance sur requête du 22 octobre 2014), la Cour de Révision a retenu, pour rejeter le moyen de la SAM B. tirée de l'irrecevabilité de la demande de compulsoire en l'état de la procédure italienne, qu'aucune juridiction monégasque n'était saisie, au fond, du différend successoral opposant les consorts GI. à ma. GI., et que le tribunal de TURIN était saisi d'une demande tendant uniquement à l'annulation du testament olographe établi par l. GI. le 21 mars 2006 et à la contestation de la quotité disponible attribuée à ma. GI. à la suite de la souscription de plusieurs contrats d'assurance-vie;

S'agissant de la seconde procédure italienne (assignation du 10 février 2016), il y a lieu de constater que le Tribunal de TURIN est saisi d'une demande tendant seulement à l'annulation de certaines donations ou libéralités faites par les époux GI. défunts au profit de leur fille ma., limitativement listées et portant sur des liquidités (virements bancaires, chèques, retraits d'espèces et remboursements de dettes personnelles) ;

Ainsi, la contestation ne porte pas sur des gratifications relatives aux immeubles monégasques et aux parts sociales des sociétés A. et D., et plus largement elle n'est afférente ni à l'identification des masses successorales, ni à la détermination des quotes-parts des cohéritiers ;

Enfin, il convient de souligner que l'acte introductif d'instance du 10 février 2016 énonce une réserve expresse « d'agir dans le cadre d'une procédure distincte pour la vérification de la propriété des immeubles situés à Monte-Carlo et des quotes-parts relatives aux nombreuses sociétés étrangères liées aux défunts, et d'agir séparément, notamment en partage judiciaire aux fins de la vérification et du rapport à la masse des éventuelles, nombreuses, libéralités reçues par MA. elle GI. de la part de ses père et mère, à travers différentes opérations immobilières » ;

En l'état de ces éléments, il est établi qu'aucune juridiction du fond, tant monégasque qu'étrangère, n'est actuellement saisie d'un différend successoral en lien avec la demande de compulsoire querellée ;

En conséquence, le moyen de rétraction tiré de l'irrecevabilité de la demande de compulsoire des consorts GI. en l'état d'une procédure pendante au fond sera rejeté ;

  • Sur le moyen de rétraction tiré de l'incompétence des juridictions monégasques :

À l'appui de ce moyen, la SAM B. soutient que :

  • la mesure d'instruction litigieuse a pour objet l'obtention d'informations pour alimenter le différend successoral opposant les requérants à ma. GI. en Italie,

  • seules les juridictions italiennes sont compétentes pour connaître des questions de fond relatives aux successions ouvertes en Italie mais aussi des questions relatives à l'administration des preuves qui doivent être appréciées au regard du droit italien ;

  • les successions des défunts ont valablement été ouvertes en Italie, en l'état de leur nationalité italienne et de leur dernier domicile en Italie,

  • les consorts GI. invoquent de prétendus actes portant atteinte aux règles régissant les dévolutions successorales ouvertes en Italie,

  • dans l'assignation du 10 février 2016 devant le Tribunal de TURIN, g. GI. a reconnu la compétence des juridictions italiennes ;

Les consorts GI. contestent ce moyen au motif que les juridictions monégasques sont compétentes en raison du domicile du défendeur dans la Principauté de Monaco, s'agissant d'une société de droit monégasque ayant son siège social à Monaco ;

Ils avancent également que :

  • les informations sollicitées ne concernent pas le litige pendant devant les juridictions italiennes et sont sans incidence sur ces procédures, la demande de compulsoire ne poursuivant pas le même objet que celui des procédures italiennes qui tendent d'une part à contester la validité du testament olographe de l. GI. et les contrats d'assurance vie Suisse Life souscrits par lui, et d'autre part à l'annulation et au rapport à la succession de quelques donations et libéralités limitativement énumérées ;

  • aucune succession concernant l. a RO. épouse GI. n'est ouverte en Italie, ladite succession étant ouverte à Monaco, en l'étude d'un notaire monégasque, en raison de sa situation de résidente monégasque au moment du décès ;

Ils en déduisent que les juridictions monégasques sont territorialement compétentes en application de l'article 2° du Code de procédure civile ;

Il résulte de l'application de l'article 851 du Code de procédure civile que la juridiction territorialement compétente pour statuer sur requête aux fins de compulsoire est celle du lieu où la mesure d'instruction demandée doit être exécutée ;

En l'espèce, l'ordonnance querellée tend à obtenir la communication d'informations et de documents détenus par la SAM B., laquelle a son siège social à MONACO ;

Ainsi, la mesure d'instruction autorisée le 20 octobre 2016 doit être exécutée en Principauté ;

Les juridictions monégasques sont donc parfaitement compétentes ;

Le moyen de rétractation fondé sur l'incompétence des tribunaux de la Principauté sera donc rejetée ;

  • Sur le moyen de rétraction tiré de l'inexécutabilité de l'ordonnance du 20 octobre 2016 pour défaut de qualité d'héritier réservataire de l. et f. SAM B. :

Au soutien de ce moyen de rétraction, la SAM B. fait valoir que l'ordonnance du 20 octobre 2016 autorise m., g. mais aussi l. et f. GI. à mandater un huissier pour se voir communiquer des informations relatives aux sociétés A. et D. ainsi qu'au trust SAFE HARBOR, alors que dans son arrêt du 21 juin 2016, qui a désormais a acquis l'autorité de la chose jugée, la Cour d'appel avait expressément déclaré irrecevables l. et f. GI. à solliciter de telles informations, en ce qu'ils n'avaient pas la qualité d'héritier réservataire des époux GI.;

Les consorts GI. ne contestent pas que l. et f. GI. n'ont pas la qualité d'héritier réservataire, mais soulignent que ces derniers sont légataires de l. a GI. et que selon l'ordonnance querellée, ils justifient d'un intérêt légitime, né et actuel à obtenir la communication des informations sollicitées dans la requête ;

Ils ajoutent que m. et g. GI., héritiers réservataires, ont qualité et intérêt à obtenir la communication de ces informations ;

L'arrêt du 21 juin 2016 a effectivement rejeté la demande de l. et f. GI. de se voir communiquer les informations sollicitées dans la requête aux fins de compulsoire du 26 juin 2014 ;

Cependant, ce rejet n'est fondé sur aucune fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir des intéressés, mais s'appuie sur le secret professionnel invoqué ardemment par la SAM B. ;

En effet, la Cour d'appel a retenu que si le principe du secret professionnel n'était pas absolu et pouvait céder devant la préservation de l'intérêt public et de certains intérêts privés comme ceux des héritiers réservataires, qui ont des droits reconnus par la loi et disposent d'un intérêt légitime à solliciter des informations tendant à leur permettre de s'assurer qu'aucune atteinte n'a été portée à leurs droits, tel n'était pas le cas de l. et f. GI. qui n'ont que la qualité de légataire de l. a GI.;

Or, en l'espèce, la SAM B. n'allègue nullement, au soutien de son moyen de rétractation, la question du secret professionnel couvrant les informations visées dans l'ordonnance du 20 octobre 2016 et ne pouvant céder devant les intérêts privés des deux légataires de l. a GI.;

Au contraire, la demanderesse en rétraction se borne à prétendre que l'ordonnance querellée n'est pas exécutable en ce qu'elle autorise également l. et f. GI. à se voir communiquer des informations relatives aux sociétés A. et D. ainsi qu'au trust SAFE HARBOR, considérant qu'ils seraient irrecevables pour défaut de qualité d'héritier réservataire ;

Pourtant, l. et f. GI., en tant qu'ayant-cause d'un des défunts, ont qualité à agir ; en outre, ils justifient d'un intérêt à agir dès lors que leur action tend, par l'obtention d'informations, à s'assurer de la non-dissimulation par un héritier d'une partie de l'actif successoral sur lequel ils auraient des droits ;

Ainsi, l'ordonnance du 20 octobre 2016 ayant été valablement rendue au profit non seulement de m. et g. GI. mais aussi de l. et f. GI., lesquels disposent d'une qualité et d'un intérêt à agir, il n'y a aucun obstacle à son exécution de ce chef ;

En conséquence, ce moyen de rétractation sera également écarté ;

  • Sur moyen de rétractation tiré de l'impossibilité de transmettre les documents comptables demandés :

À titre infiniment subsidiaire, la SAM B. sollicite la rétraction de l'ordonnance du 20 octobre 2016 au motif qu'elle ne peut l'exécuter, ne disposant d'aucun document comptable des sociétés A. et D. ;

Elle expose n'avoir eu jusqu'à ce jour aucune mission de tenue de comptabilité tant pour ces sociétés que pour le trust SAFE HARBOR, dans la mesure où les sociétés de droit panaméen ne sont soumises à l'obligation de tenir des comptes que depuis 1er janvier 2017, et les sociétés de droit néo-zélandais que depuis le mois de février 2017, et ce, quand bien même la Nouvelle-Zélande n'est pas un paradis fiscal ;

Pour contester la position de la SAM B., les consorts GI. font valoir que :

  • l'ordonnance du 20 octobre 2016 ne les a pas autorisés à obtenir uniquement des informations comptables, puisqu'elle vise également une série de documents juridiques sur lesquels la partie adverse n'a émis aucune réserve ;

  • l'absence d'obligation légale de tenue d'une comptabilité avant le 1er janvier 2017 concernant les sociétés panaméennes, soulevée tardivement par la partie adverse, n'interdisait pas aux sociétés A. et D. de tenir une comptabilité ;

  • la perception de revenus locatifs conséquents en Principauté par lesdites sociétés permet de supposer qu'elles tenaient une comptabilité ;

  • la SAM B. ne verse ni ne précise la législation néo-zélandaise sur laquelle elle s'appuie pour prétendre à l'absence d'obligation de légale de tenue de comptabilité pour le trust SAFE HARBOR ;

  • la partie adverse ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle ne tenait pas de comptabilité pour les sociétés A. et D., ni pour le trust SAFE HARBOR : notamment elle ne produit pas son contrat de mandat spécifiant l'étendue de sa mission pour ces entités ;

En l'espèce, il faut rappeler que l'ordonnance du 20 octobre 2016 a autorisé les consorts GI. à obtenir la communication par la SAM B. de divers documents dont un exemplaire complet de la comptabilité du trust SAFE HARBOR, de la société A. et de la société D., et ce, de leur constitution jusqu'à ce jour ;

Il est constant que la SAM B. ne fait état d'aucune difficulté d'exécution concernant la communication des autres documents que les pièces comptables visées dans l'ordonnance du 20 octobre 2016 de sorte que pour ces documents, elle ne peut se prévaloir d'un quelconque empêchement d'exécuter l'ordonnance querellée ;

Par ailleurs s'agissant des pièces comptables réclamées, pour justifier des difficultés d'exécution alléguées, la SAM B. se cantonne à produire la loi panaméenne n° 52 du 27 octobre 2016 ayant instauré une obligation de tenue comptabilité pour les personnes morales de droit panaméen ;

Cependant, l'invocation de cette législation, qui ne concerne pas au demeurant le trust SAFE HABOR, ne saurait suffire à établir l'absence de tenue de comptabilité pour les trois entités juridiques visées dans l'ordonnance litigieuse ;

En effet, comme le suggèrent les consorts GI., la dispense légale de tenue de comptabilité en droit panaméen jusqu'au 27 octobre 2016 ne constitue pas une interdiction de tenir toute comptabilité, et il appartient à la SAM B. de rapporter la preuve par tous moyens de l'inexistence des documents réclamés, par exemple par la production du contrat la liant à ces trois entités relatif à l'étendue de sa mission d'administration ;

En conséquence, faute pour la demanderesse de justifier d'un empêchement légitime d'exécution de l'ordonnance du 20 octobre 2016, le moyen de rétraction tiré de son inexécutabilité sera rejetée ;

  • Sur la demande d'astreinte :

Les consorts GI. sollicitent que l'exécution de l'ordonnance litigieuse soit ordonnée sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard au motif du refus infondé et injustifié de la SAM B. d'exécuter ladite ordonnance et eu égard à l'importance des informations dont la communication est réclamée ;

La SAM B. n'a pas répondu sur cette demande adverse ;

En l'espèce, il est établi que la demanderesse refuse d'exécuter l'ordonnance du 20 octobre 2016 sans motif légitime ; plus largement, il faut observer qu'elle déploie depuis l'origine une résistance systématique aux demandes de communication de pièces et d'informations des consorts GI.;

Dans ces circonstances et afin de contraindre la SAM B. à l'exécution volontaire de la décision querellée, il convient de l'assortir d'une astreinte dont les modalités seront détaillées au dispositif ;

  • Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :

Les consorts GI. font état, à l'appui de leur demande, de la mauvaise foi et de l'audace de la SAM B. dans la présente procédure qui les a contraint à engager des frais pour se défendre ;

La SAM B. conteste avoir commis un abus dans l'exercice de ses droits ;

En l'espèce, il faut relever que non seulement la SAM B. n'a pas déféré à la demande amiable des défendeurs de communication des pièces et des informations litigieuses en invoquant un motif fallacieux (congé des personnes habilitées à répondre), mais encore elle a refusé d'exécuter l'ordonnance du 20 octobre 2016 sans motifs légitimes ;

Ce comportement dilatoire de la demanderesse (18 mois s'étant écoulés depuis la demande amiable de communication des consorts GI.) a contraint les défendeurs à exposer des frais en justice ;

En conséquence, la demanderesse en rétractation sera condamnée à verser à chacun des défendeurs la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

  • Sur l'exécution provisoire :

Les conditions de l'article 202 du Code de procédure civile n'étant pas réunies, il ne sera pas fait droit à la demande des consorts GI. d'exécution provisoire ;

  • Sur les dépens :

Ayant succombé à l'instance, la SAM B. en supportera la charge des dépens en application de l'article 231 du code procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Rejette les moyens de rétraction invoqués par la SAM B. ;

Dit que l'ordonnance sur requête rendue le 20 octobre 2016 par le Président du Tribunal de première instance doit recevoir son plein et entier effet à l'égard de m., g., l. et f. GI. ;

Dit que la SAM B., prise en la personne de ses administrateurs délégués en exercice, a. MA. et f. FE., devra l'exécuter dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;

Condamne la SAM B. à payer à m., g., l. et f. GI. la somme de 500 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la SAM B. aux dépens avec distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Mademoiselle MA. ne PISANI, Greffier en Chef adjoint ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 1ER FEVRIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, assistée de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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