Tribunal de première instance, 25 janvier 2018, Mme m. MO. divorcée RI. c/ SARL A.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Contrats et obligations - Sociétés - Demande en paiement d'une indemnité de gérance - Preuve du paiement (oui) - Approbation des comptes par le gérant - Solde débiteur du compte courant d'associé - Condamnation (oui)

Résumé🔗

Il appartient à l'associé qui réclame le montant de sa créance d'apporter la preuve de son droit. S'il n'apporte pas de contradiction motivée aux éléments de comptabilité produits par la société, c'est la somme figurant dans celle-ci qui doit être retenue. En l'espèce, en approuvant les comptes, la demanderesse a admis adhérer au mode de fonctionnement très particulier de la société concernant le montant et le versement de ses indemnités de gérance. Le fait que la phrase ait été conjuguée au futur n'a aucune incidence, au regard des autres éléments démontrant que la somme totale lui a été en réalité d'ores et déjà été versée. La société défenderesse rapporte la preuve du paiement à la demanderesse de l'intégralité de son indemnité de gérance au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013.

À titre reconventionnel, il y a lieu de condamner la demanderesse la somme correspondant au solde débiteur de son compte courant d'associé, assortie des intérêts au taux légal.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000602 (assignation du 24 mai 2016)

JUGEMENT DU 25 JANVIER 2018

En la cause de :

  • Mme m. MO. divorcée RI., née le 25 octobre 1954 à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant « X1 », X1, 98000 Monaco ;

Bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du bureau n° 55 BAJ 15 du 19 février 2015,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La SARL A., dont le siège social se trouve X2, 98000 Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI huissier, en date du 24 mai 2016, enregistré (n° 2016/000602) ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SARL A. en date des 27 octobre 2016, 30 mai 2017 et 26 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de m. MO. divorcée RI., en date des 8 février 2017 et 18 juillet 2017 ;

À l'audience publique du 16 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 25 janvier 2018 ;

FAITS ET PROCÉDURE :

m. MO. est associée fondatrice de la SARL A., créée en 2008, aux côtés de j-p. CE., tous deux ayant été désignés par les statuts constitutifs comme étant les cogérants statutaires.

Aux termes d'un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire en date du 30 septembre 2013, m. MO. a démissionné de ses fonctions de cogérante et a été embauchée le 1er octobre 2013 par la SARL A., selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de secrétaire comptable.

Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2014, m. MO. à nouveau été nommée cogérante de la SARL A. à compter du 1er octobre 2014, avant qu'il ne soit mis fin à ce second mandat selon procès-verbal d'assemblée générale du 6 mai 2015.

Par ordonnance rendue le 10 juillet 2015, le Juge des référés du Tribunal du Travail a rejeté les demandes de m. MO. visant à condamner la SARL A. à lui verser une somme provisionnelle au titre de ses salaires pour la période du 15 novembre 2014 au 30 avril 2016.

Par exploit d'huissier en date du 24 mai 2016, m. MO. a fait assigner la SARL A. devant la présente juridiction, aux fins de voir condamner celle-ci à lui verser les sommes de :

  • 89.243,38 euros au titre des indemnités de gérance impayées pour l'exercice 2013,

  • 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moraux et financiers subis.

m. MO. prétend ne pas avoir perçu l'intégralité de l'indemnité de gérance d'un montant de 135.033,38 euros, votée en sa faveur pour l'exercice 2013 lors de l'assemblée générale annuelle du 30 juin 2014.

Elle soutient n'avoir perçu que la somme de 45.790 euros par virements bancaires intervenus entre le 30 janvier et le 30 septembre 2013, outre la remise de deux chèques de 2.745€ le 30 octobre 2013 et 745€ le 12 décembre 2013.

Elle allègue donc être créancière de la SARL A. à hauteur de la somme de 89.243,28 euros, l'emploi dans le procès-verbal d'assemblée générale du temps futur démontrant bien selon elle qu'elle n'avait pas reçu ces sommes au 30 juin 2014.

m. MO. a maintenu ses demandes dans ses conclusions postérieures déposées le 8 février 2017 puis le 18 juillet 2017 et a en outre sollicité le débouté des demandes reconventionnelles formées par la SARL A..

Elle affirme que l'approbation annuelle des comptes sociaux par ses soins et l'absence de contestation antérieure du versement de ses indemnités de gérante ne permettent pas de prouver le versement de l'indemnité au titre de l'exercice 2013.

Elle réfute la force probante des éléments versés aux débats par la défenderesse pour justifier du versement de l'indemnité de gérance à son profit, alors même que nombre des mouvements prétendument effectués par elle-même apparaissent sur l'extrait du troisième compte courant, qui ne lui était pas attribué.

Elle affirme que la SARL A. ne rapporte pas la preuve d'une créance à son encontre d'un montant de 5.500 euros au titre du solde débiteur du compte courant d'associé, en l'absence de production du relevé de compte bancaire correspondant.

***

Dans ses écritures en réponse du 27 octobre 2016, du 3 mai puis du 26 octobre 2017, la SARL A. sollicite :

  • le débouté de l'ensemble des demandes formées par m. MO.,

  • la condamnation de m. MO. à lui verser :

  • la somme de 5.500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014,

  • la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

La SARL A. prétend tout d'abord que m. MO. a reconnu dans le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 2014 avoir perçu l'intégralité du montant de son indemnité de gérance pour l'exercice 2013, en votant en faveur de l'approbation des comptes de la SARL A. pour l'exercice clos le 31 décembre 2013.

Elle affirme avoir fourni l'ensemble des documents comptables, juridiques et bancaires justifiant de la réalité du versement de cette indemnité de gérance à la demanderesse.

Elle soutient que le versement de cette indemnité est prouvé par le bilan de la société, qui présente un solde nul pour le compte courant d'associé de m. MO. au 31 décembre 2013.

Elle fait valoir que le compte courant d'associé de m. MO. est débiteur à hauteur de 5.500 euros depuis le 31 décembre 2014 et qu'elle détient donc à l'encontre de cette dernière une créance certaine, liquide et exigible du même montant depuis cette date.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la demande en paiement :

En vertu de l'article 1162 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Il appartient à l'associé qui réclame le montant de sa créance d'apporter la preuve de son droit. S'il n'apporte pas de contradiction motivée aux éléments de comptabilité produits par la société, c'est la somme figurant dans celle-ci qui doit être retenue.

m. MO. divorcée RI. prétend n'avoir perçu que la somme de 45.790 euros sur un montant total fixé au titre de ses indemnités de gérance à 135.033,38 euros pour l'exercice 2013, et affirme par conséquent que la SARL A. lui est encore redevable du différentiel, soit la somme de 89.243,28 euros.

Il ressort clairement du procès-verbal d'assemblée générale annuelle de la société du 30 juin 2014, que le montant de l'indemnité annuelle de gérance attribuée à m. MO. pour l'année 2013 s'élevait en effet à la somme totale de 135.033,38 euros. Les parties s'accordent sur ce quantum.

m. MO. démontre ainsi l'obligation de la société défenderesse à lui verser cette somme, en vertu du procès-verbal d'assemblée générale du 30 juin 2014.

Le procès-verbal est rédigé ainsi : « Madame m. RI. recevra une indemnité annuelle de gérance de 135 033,38 euros ».

Selon cette dernière, l'emploi du futur indique que l'indemnité n'avait pas encore été versée en juin 2014.

Il appartient donc à la SARL A. de démontrer qu'elle s'est acquittée de son obligation de paiement de l'indemnité de gérance à l'égard de la requérante.

S'agissant de faits juridiques, la preuve du paiement desdites indemnités peut être administrée par tous moyens.

Cette démonstration est accomplie par la production des éléments suivants :

  • l'approbation par m. MO. des comptes pour l'exercice 2013.

Celle-ci était en effet tout à fait en droit de refuser d'approuver les comptes, ce qu'elle a d'ailleurs fait pour l'exercice suivant lors de l'assemblée générale ordinaire du 29 juin 2015.

Il y a lieu de relever qu'en revanche, m. MO. avait approuvé l'ensemble des comptes annuels antérieurs, alors même que le fonctionnement des comptes courants d'associés, à savoir, le débit de ceux-ci jusqu'au 31 décembre de l'exercice en cours, puis leur compensation avec les indemnités de gérance attribuées aux associés, était identique.

  • l'attestation établie le 10 septembre 2014 par Monsieur T., expert-comptable de la SARL A., remise directement à m. MO., dans laquelle celui-ci indique que Madame MO. a perçu au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013 une indemnité de gérance d'un montant de 135.033,38 euros.

  • Contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, ce document ne repose pas sur les seules déclarations et documents établis par le gérant, mais bien sur les pièces et justificatifs comptables des encaissements et dépenses afférents à l'exercice 2013 de la SARL A., et relate des mouvements comptables objectivement constatés par Monsieur TU. en sa qualité d'expert-comptable de la société.

  • les extraits du grand livre 2013 de la SARL A., qui permettent de constater que la société dispose de quatre comptes courants d'associés, dont deux au nom de chacun des associés, un troisième n 455000 intitulé « associés comptes courants » et un quatrième intitulé « Principal ».

Le solde du compte n 455000 était débiteur de la somme de 65.546,38 euros le 31 décembre 2013, et a été compensé par une ligne à cette même date, intitulée «  reaff compte courant », à hauteur de cette même somme.

Le compte courant d'associé de Madame RI., n 0455RIC, a ainsi également présenté un débit au cours de l'exercice 2013, causé par des virements réguliers à son profit à hauteur de 4 700 euros à 9 reprises, outre un virement de 2.000 euros intitulé « B. » le 19 septembre 2013, et trois chèques à hauteur de 5.000 €, 2.745 € et 745 € prélevés les 19 septembre, 24 octobre et 10 décembre 2013.

Ce débit a été compensé en totalité par la dernière ligne de l'exercice en date du 31 décembre 2013, intitulée « Indemnités de gestion 2013 », pour un montant total de 52.790 euros, ramenant ainsi à zéro le compte courant d'associé.

Enfin, le quatrième compte courant d'associé numéro 455100 intitulé « Principal », accusait un débit total de 16 695€ le 25 juin 2013, suite au débit de trois chèques au cours de l'exercice, et a été également compensé par une ligne dénommée « Indemnités, reaff compte courant » le 31 décembre 2013.

m. MO. conteste le fait que les nombreux débits enregistrés sur le compte courant intitulé « associés » pour l'exercice 2013 soient liés à des dépenses la concernant, compte tenu des intitulés de ces mouvements, qui ne correspondraient pas à des achats personnels la concernant.

Cependant, force est de constater que l'addition du montant des trois comptes susvisés correspond exactement au montant des indemnités de gérance qui lui ont été accordées pour l'exercice, soit 52.790 € + 16.695 € + 65.548,38 € = 135.033,38 euros.

Le caractère très spécifique de ce montant, aurait nécessairement interpellé la demanderesse au moment d'approuver les comptes si elle estimait ne pas avoir perçu réellement cette somme.

Il est par ailleurs précisé dans le rapport de la gérance de l'assemblée générale du 30 juin 2014, au paragraphe intitulé « Compte courant d'associés », que « Les avances en compte courant des associés de Madame m. RI. et de Monsieur j-p. CE. au 31 décembre 2013 sont soldées », ce qui démontre la connaissance par la requérante de ce mécanisme particulier.

Lors des années antérieures, les montants alloués à m. MO. au titre de ses indemnités de gérance relevaient de ce même système, soit leur compensation au 31 décembre avec le solde débiteur de chacun des comptes courants d'associés.

Ainsi, l'examen des rapports de gérance des années antérieures permet de vérifier ce même fonctionnement, puisqu'il y est également indiqué pour les exercices 2010, 2011 et 2012, que les avances en compte courant ont été soldées par les indemnités de gérance accordées aux associés, avec des montants versés à titre d'indemnité de gérance à m. MO. correspondant également à des chiffres qui ne sont pas ronds, soit 156.269,30 euros pour l'exercice 2010, 210.770,66 euros pour l'exercice 2011, 175.299,41 euros pour l'exercice 2012.

Par ailleurs, force est de constater que le futur est également employé dans les procès-verbaux d'assemblée générale des années antérieures, sans que m. MO. n'y ait manifestement trouvé à redire.

En approuvant les comptes, la demanderesse a admis adhérer au mode de fonctionnement très particulier décrit ci-dessus en ce qui concerne le montant de ses indemnités de gérance et les conditions de versement.

Le fait que la phrase ait été conjuguée au futur n'a aucune incidence, au regard des autres éléments démontrant que la somme totale lui a été en réalité d'ores et déjà été versée.

Par conséquent, la SARL A. rapporte la preuve du paiement à m. MO. de l'intégralité de son indemnité de gérance au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013.

m. MO. sera donc déboutée de sa demande de ce chef.

  • Sur la demande reconventionnelle :

Il résulte de l'analyse :

  • du bilan et des comptes annuels de la SARL A. de l'exercice clos le 31 décembre 2014,

  • du rapport de la gérance à l'assemblée générale ordinaire du 29 juin 2015,

  • de l'extrait du Grand Livre de la SARL A. relatif au compte courant d'associé de m. MO. RI. au titre de cet exercice,

  • des relevés du compte bancaire de ladite société d'octobre à décembre 2014,

  • du bilan et des comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2015 ;

  • que le compte courant d'associé de m. MO. était à cette date débiteur de la somme de 5.500 euros.

Or, en vertu de l'article 1684 du Code civil, l'associé qui devait apporter une somme dans la société et qui ne l'a point fait, devient de plein droit, et sans demande, débiteur des intérêts de cette somme, à compter du jour où elle devait être payée.

Il y a donc lieu de condamner m. MO. à reverser cette somme à la SARL A., qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014, date de clôture de l'exercice au cours duquel a été constaté pour la première fois la position débitrice du compte d'associé de la demanderesse.

  • Sur les dommages et intérêts :

  • Sur la demande principale :

Ayant été déboutée de sa demande principale, m. MO. sera également déboutée de sa demande à ce titre.

  • Sur la demande reconventionnelle :

La société défenderesse invoqué la mauvaise foi de m. MO., ainsi que le caractère hâtif et abusif de son action, pour fonder sa demande de dommages et intérêts.

Une action en justice constitue toutefois un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que si elle constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équivalente au dol.

En l'espèce, la SARL A. ne démontre pas que Madame MO. ait commis une faute en l'assignant en justice.

Elle sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

  • Sur les dépens :

La partie succombante sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déboute m. MO. de sa demande en paiement par la SARL A. de la somme de 89.243,38 euros au titre des indemnités de gérance afférentes à l'exercice 2013 ;

Condamne m. MO. à verser à la SARL A. la somme de 5.500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2014 ;

Déboute m. MO. de sa demande de dommages et intérêts ;

Déboute la SARL A. de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne m. MO. divorcée RI. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, Madame Virginie HOFLACK, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 25 JANVIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF