Tribunal de première instance, 25 janvier 2018, L'État du Sénégal c/ M. k. WA. et autres

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Abstract🔗

Saisie-arrêt – Régularité (oui) – Conditions

Sursis à statuer – Bonne administration de la justice (oui)

Résumé🔗

Les dispositions applicables aux saisies-arrêts sont prévues par les articles 490 et suivants du Code de procédure civile. L'article 491 de ce Code dispose ainsi que, « à défaut de titre, la saisie-arrêt peut avoir lieu en vertu de la permission du juge et pour la somme qu'il fixe ». Le créancier qui souhaite obtenir par voie de requête le bénéfice de cette autorisation judiciaire doit donc justifier de l'existence d'un principe certain de créance présentant un caractère suffisant d'évidence sans pour autant que la preuve de l'existence d'une créance liquide et exigible soit exigée. En l'espèce, il est constant que l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 25 février 2016 a autorisé l'État du Sénégal a pratiquer une saisie-arrêt à concurrence de la somme de 10 milliards de Francs CFA ou son équivalent en euros sur les comptes détenus par les défendeurs dans les livres de la SAM A. à Monaco dont le siège social se trouve X5 à Monaco. Or le 22 mars 2016 cette saisie-arrêt a été signifiée à la SAM C. dont le siège est situé X6 à Monaco, pour un montant de 10 milliards de Francs CFA ou son équivalent en euros. Il est établi par les extraits d'inscription au RCI versés aux débats que la A. (MONACO) SAM et la C. (MONACO) SAM sont deux entités juridiques distinctes en ce que la première est enregistrée sous le n° X et la seconde sous le n° X ; ces deux sociétés ont par ailleurs des sièges sociaux différents, respectivement situés au X1 et X2. Cependant, l'extrait concernant la société C. (MONACO) SAM mentionne que l'enseigne de cette société est A. (MONACO) SAM. Par application des articles 494 et 136 du Code de procédure civile, l'acte formant la saisie-arrêt doit contenir le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie requérante et de la partie à laquelle l'exploit sera signifié ou du moins une désignation précise de l'une et de l'autre. Si l'huissier instrumentaire a de façon non contestable visé dans la signification de la saisie-arrêt la SAM C. au lieu de la SAM A. (MONACO), cette erreur ne présente toutefois qu'un caractère formel qui n'affecte par la validité du fond de l'acte. En effet, il doit être tenu compte du fait que nonobstant la signification à cette personne morale en qualité de tiers saisi et non pas de partie à l'instance, l'acte de saisie-arrêt et de signification fait mention des comptes concernés pour chacun des débiteurs à l'encontre desquels la mesure est exercée. Les précisions données quant aux comptes bancaires concernés par la mesure correspondent exactement aux termes de l'autorisation accordée par l'arrêt de la Cour d'appel du 25 février 2016. Au vu de ces informations l'établissement C. SAM a renseigné l'huissier sur l'existence de ces comptes en précisant pour chacun d'entre eux « nous détenons à ce jour un compte qui fait déjà l'objet d'un blocage suite à une commission rogatoire internationale du 26 juin 2014 ». En outre, par courrier en date du 20 juin 2016, la société A. (MONACO) SAM a procédé à la déclaration complémentaire faisant suite à cette saisie-arrêt signifiée en date du 22 mars 2016 en indiquant les avoirs déposés sur chacun des comptes concernés par la mesure de saisie. De ces éléments, il résulte que la signification de la mesure de saisie-arrêt à la société C. (MONACO) SAM n'a constitué qu'une irrégularité formelle qui n'a été relevée ni par l'huissier ni par l'établissement destinataire de la signification et qui est restée sans incidence sur les effets de cette mesure telle qu'elle avait été autorisée par la Cour d'appel de Monaco. En application de l'article 264 du code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites après le 19 décembre 2015, « aucune nullité pour vice de forme d'exploit introductif d'instance ou d'autres actes de procédure ne pourra être prononcée que s'il est justifié que l'inobservation de la formalité à l'origine du vice a causé un grief à la partie l'ayant invoqué ». Au vu de ces dispositions et compte tenu de l'absence de grief dont peuvent se prévaloir les défendeurs dès lors que l'accomplissement de la signification litigieuse à la société A. aurait emporté des effets strictement identiques à ceux résultant de la signification faite à la société C. (MONACO) SAM, il convient de dire que l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016 est régulier et qu'il doit produire ses entiers effets.

Il a été jugé supra que la saisie-arrêt pratiquée le 22 mars 2016 était régulière. En conséquence, la saisie-arrêt pratiquée le 3 novembre 2016 se trouve dépourvue d'objet et sa main-levée doit dès lors être ordonnée.

Un sursis à statuer peut toujours être ordonné par le Tribunal en vue d'une bonne administration de la justice dès lors que la solution du litige dépend d'un évènement à venir. Il n'est pas contestable que la procédure aux fins d'exequatur engagée par l'État du Sénégal conduira, le cas échéant, à l'obtention d'un titre lui permettant d'obtenir la validation de la saisie-arrêt pratiquée le 22 mars 2016 ; l'aboutissement de cette procédure constitue ainsi un préalable nécessaire à l'examen du bienfondé de la demande en validation de la mesure de saisie-arrêt. Il convient en conséquence de faire droit à la demande de sursis à statuer.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000641 (assignation du 22 mars 2016)

N° 2017/000335 (assignation du 3 novembre 2016)

JUGEMENT DU 25 JANVIER 2018

En la cause de :

  • L'ÉTAT DU SÉNÉGAL, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État, M. a. DI., demeurant au Ministère de l'Economie et des Finances du SÉNÉGAL, avenue X1e & X1 à Dakar - (Sénégal) ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'une part ;

Contre :

  • 1. M. k. WA., né le 1er septembre 1968 à Paris, de nationalité sénégalaise, demeurant rue X2 - DAKAR (Sénégal) ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco substituée par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur en cette même Cour ;

  • 2. M. k. AB., né le 30 avril 1969 à TYR SOUR (Liban), de nationalité française, demeurant rue X3 à Ras Beyrouth à BEYROUTH (Liban) ;

  • 3. M. i. AB., né le 18 avril 1966 à BEYROUTH (Liban), de nationalité française, demeurant avenue X4 à DAKAR (Sénégal) ;

  • 4. M. m. PO., né le 18 décembre 1968 à Dakar (Sénégal), de nationalité française, demeurant n X5 - DAKAR (Sénégal) ;

  • 5. La société B. SA, dont le siège social se trouve X6 - TORTOLA (B. V. I) prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 6. La société D., dont le siège social se trouve X7 - TORTOLA (B. V. I) prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 7. La société E., dont le siège se trouve P. O. Box 662 X6 - TORTOLA (B. V. I.), prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 8. La société F., dont le siège se trouve X8 (B. V. I.) Ltd, Trident Chambers, X8 - TORTOLA (B. V. I.), prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 9. La société G., dont le siège social se trouve X9 - Marbella - PANAMA (République du Panama), prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 10. La société H., dont le siège social se trouve X8 (B. V. I.) Limited, Trident Chambers, X8 - TORTOLA (B. V. I.), prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • 11. La société I. (I.) (ex J. SA.), dont le siège social se trouve X10 - L 2168 Luxembourg, prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître HEYDARI, avocat au barreau de Paris substituant Maître Corinne DREYFUS-SCHMIDT, avocat en ce même barreau,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'arrêt de la Chambre du conseil civile de la Cour d'appel en date du 25 février 2016 ;

Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 mars 2016, enregistré (n° 2016/000641) ;

Vu la déclaration originaire, de l'établissement bancaire dénommé C. (MONACO) SA. M, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu les déclarations complémentaires formulées par l'établissement bancaire SAM A. MONACO, par courriers en date des 22 mars 2016, 25 mars 2016 et 20 juin 2016 ;

Vu l'exploit de saisie-arrêt, d'assignation et d'injonction du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 3 novembre 2016, enregistré (n° 2017/000335) ;

Vu la déclaration originaire, de l'établissement bancaire dénommé A. (Monaco) SAM, tiers-saisi, contenue dans ledit exploit ;

Vu la déclaration complémentaire formulée par l'établissement bancaire A. (Monaco) SAM, par courrier en date du 6 février 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de k. AB., d i. AB., m. PO., de la société B. SA, de la société D., de la société ABS CORPORATE LTS, de la société F., de la société G., de la société H. et de la société I. (I.), en date des 14 juillet 2016, 11 janvier 2017 et 8 mars 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de l'ÉTAT DU SÉNÉGAL, en date des 7 décembre 2016, 5 avril 2017 et 4 octobre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de k. WA., en date des 5 octobre 2016, 19 janvier 2017, 7 juin 2017, 8 mars 2017 et 8 novembre 2017 ;

À l'audience publique du 16 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 25 janvier 2018 ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Entre les années 2002 et 2012, Monsieur k. Meïssa WA. a exercé des fonctions auprès du Président et du Gouvernement de la République du Sénégal. Au cours de l'année 2012, une enquête a été ouverte compte tenu de l'écart existant entre ses revenus légaux et son niveau de fortune.

Au cours de cette enquête, l'ensemble des comptes détenus par les personnes concernées dans les livres de la SAM A. a fait l'objet d'une mesure de blocage à la demande des autorités sénégalaises. Ces comptes étaient notamment ouverts au nom de Monsieur k. Meïssa WA., Messieurs i. et k. AB., Monsieur m. PO..

La Cour de Répression et de l'Enrichissement Illicite du Sénégal a statué sur les suites de cette procédure le 23 mars 2015 et a prononcé les condamnations suivantes :

  • 6 ans d'emprisonnement et une amende de 138.239.086.396 francs CFA à l'encontre de Monsieur k. Meïssa WA.,

  • 5 ans d'emprisonnement et une amende de 138.239.086.396 francs CFA à l'encontre de Monsieur i. AB.,

  • 5 ans d'emprisonnement et une amende de 69.119.543.198 francs CFA à l'encontre de Monsieur m. PO.,

  • 10 ans d'emprisonnement et une amende de 138.239.086.396 francs CFA à l'encontre de Monsieur k. AB..

Statuant sur l'action civile, la Cour a alloué à l'État du Sénégal une somme de dix milliards de francs CFA et a condamné solidairement Monsieur k. Meïssa WA., Monsieur i. AB., Monsieur m. PO., Monsieur Alioune Samba DI., Monsieur k. AB., Monsieur m. AI., Madame Evelyne RI. DE. et Monsieur Mball TH. au paiement de cette somme.

Par requête en date du 17 novembre 2015, l'État du Sénégal a sollicité du Président du Tribunal de première instance de Monaco l'autorisation de saisir les comptes ouverts dans les livres de la société A. au nom des personnes condamnées ainsi qu'au nom de diverses sociétés dont ils seraient les bénéficiaires économiques ou les mandataires.

Par ordonnance en date du 26 novembre 2015, cette requête a été rejetée par le Président du Tribunal de première instance de Monaco au motif que :

  • des mesures de blocage des comptes concernés avaient été signifiées à la banque le 7 juillet 2014 suite à la commission rogatoire délivrée à cette fin le 26 juin 2014 par les autorités sénégalaises, ces mesures produisant toujours leurs effets et permettant de garantir le recouvrement de la créance alléguée par l'État du Sénégal à l'encontre des consorts WA., AB. et PO.,

  • l'État du Sénégal ne justifiait pas d'être titulaire d'une créance certaine à l'encontre des sociétés titulaires des comptes bancaires au sein de cette banque.

Par arrêt en date du 25 février 2016, la Cour d'appel de Monaco a infirmé partiellement ladite ordonnance et, statuant à nouveau, autorisé l'État du Sénégal à pratiquer une saisie arrêt à concurrence de la somme de 10.000.000.000 francs CFA ou son équivalent en euros sur toutes sommes, avoirs, deniers ou valeurs détenus par k. WA., k. et i. AB., m. PO. ainsi que par les sociétés H., I. SA, G., E., F., D., B. SA.

Selon exploit en date du 22 mars 2016, l'État du Sénégal a pratiqué les saisies-arrêts autorisées par la Cour d'Appel entre les mains de la SAM C. et par le même acte, assigné k. WA., k. AB., i. AB., m. PO. et les sociétés H., I. SA, G., E., F., D., B. SA en vue de voir déclarer régulière et valable les saisies-arrêts pratiquées et d'obtenir la condamnation des défendeurs au paiement des causes de celles-ci.

Aux termes de ses écritures déposées les 7 décembre 2016 et 7 avril 2017, l'État du Sénégal sollicite :

  • qu'il soit constaté que la A. a été valablement saisie et que l'erreur matérielle qui affecte l'exploit de saisie arrêt n'a causé aucun grief aux parties,

  • le débouté en conséquence des défendeurs de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de l'acte en date du 22 mars 2016, qu'il soit dit que la saisie-arrêt a été valablement réalisée et le renvoi des parties à conclure sur le fond,

  • en tout état de cause, que soit ordonnée la jonction des procédures introduites par assignations en date des 22 mars et 3 novembre 2016.

Il fait valoir qu'il est titulaire d'une créance certaine à l'égard des défendeurs et que l'erreur de l'huissier dans la réalisation de cette saisie arrêt ne constitue qu'une erreur matérielle affectant l'acte de signification quant à la dénomination du tiers saisi ; que le tiers saisi n'est pas une partie à l'instance en validation, que si l'acte lui est signifié, il n'emporte pas assignation à son égard ; qu'en outre seul le tiers saisi peut se prévaloir d'une erreur matérielle affectant sa dénomination sous réserve qu'elle lui ait causé un grief ; elle se prévaut en outre d'une nouvelle saisie arrêt pratiquée le 3 novembre 2016 dont la régularité n'est pas contestable.

k. WA., par conclusions déposées le 5 octobre 2016 a demandé que soit prononcée la nullité de l'exploit de saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016 avec toutes conséquences de droit et subsidiairement, le renvoi des parties à conclure au fond. Par ses écritures déposées les 19 janvier 2017 et 7 juin 2017 :

  • il s'oppose à la jonction de la présente procédure avec celle initiée par exploit en date du 3 novembre 2016 sollicitée par l'État du Sénégal,

  • il demande en tout état de cause qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve le droit de conclure au fond s'il n'était pas fait droit à sa demande de nullité ou si les demandes de l'État du Sénégal n'étaient pas déclarées irrecevables.

Monsieur WA. fait valoir que la saisie-arrêt a été pratiquée sans titre puisque l'arrêt de la CREI du 23 mars 2015 n'est pas exécutoire à Monaco et que l'exploit de saisie-arrêt et assignation a été notifié à la société C. qui n'est pas tiers saisi car non mentionné dans l'arrêt de la Cour d'appel du 25 février 2016 ayant autorisé la saisie-arrêt de sorte que cet exploit est entaché de nullité. Il soutient en outre que les demandes formées par ce même exploit de saisie-arrêt du 22 mars 2016 sont irrecevables puisque cet acte n'a pas été délivré au tiers saisi et que l'erreur commise ne saurait s'envisager comme une simple erreur matérielle. S'agissant de la demande de jonction, il considère qu'il y a lieu de la rejeter en ce qu'il ne s'agit pas d'une mesure d'administration judiciaire.

Monsieur k. AB., Monsieur i. AB., Monsieur m. PO. et les sociétés H., I. SA, G., E., F., D. et B. SA, par conclusions en date du 14 juillet 2016 demandent :

  • que soit prononcée la nullité de la saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016 avec toutes conséquences de droit,

  • en tout état de cause, qu'il soit constaté que la saisie-arrêt du 22 mars 2016 dont la validation est sollicitée par l'État du Sénégal est inexistante.

Par conclusions déposées le 11 janvier 2017, ils maintiennent ces demandes et sollicitent également :

  • que soit prononcée l'irrecevabilité de l'ensemble des demandes formulées dans la saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016,

  • en tout état de cause, qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils se réservent le droit de conclure au fond s'il n'était pas fait droit à la demande de nullité de saisie arrêt et que soit rejetée la demande de jonction des procédures introduites le 22 mars 2016 et le 3 novembre 2016.

Ils soutiennent que la saisie-arrêt et assignation du 22 mars 2016 est irrégulière pour ne pas avoir été pratiquée entre les mains du tiers saisi désigné par l'arrêt de la Cour d'appel en date du 25 février 2016 ; qu'ainsi cette saisie arrêt, pratiquée hors toute autorisation judiciaire, est entachée de nullité ; que cette nullité conduit à rendre irrecevables les demandes formulées par l'État du Sénégal et que la demande de jonction des deux instances n'est pas fondée.

S'agissant de la procédure initiée par l'État du Sénégal et justifiant la demande de jonction, celle-ci a été introduite suite à la signification d'une saisie-arrêt et assignation en date du 3 novembre 2016 par l'État du Sénégal aux mêmes parties en défense ainsi qu'à la SAM A. en qualité de tiers-saisi.

En effet, compte tenu de l'erreur commise dans l'acte du 22 mars 2016, par requête en date du 5 juillet 2016, l'État du Sénégal a à nouveau saisi le Président du Tribunal de première instance de Monaco afin d'être autorisé à pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de la SAM A. à Monaco, sur les comptes des personnes désignées par l'arrêt du 25 février 2016.

Par ordonnance en date du 11 juillet 2016, le Président du Tribunal de première instance a dit n'y avoir lieu de faire droit à la requête.

Par arrêt en date du 16 septembre 2016, la Cour d'appel de Monaco, a réformé cette ordonnance et déclaré irrecevable la requête du 5 juillet 2016 au motif que l'arrêt du 25 février 2016 continuait de « produire ses effets dès lors que, le 22 mars 2016, l'huissier l'avais signifié, à tort, à la société C., personne morale distincte de la société A., entre les mains de laquelle la saisie a été autorisée ».

Aux termes de ses écritures déposées le 4 octobre 2017 dans cette procédure enregistrée sous le n° 2017/335, l'État du Sénégal demande :

  • que soit ordonnée la jonction de cette procédure avec celle introduite par exploit de saisie-arrêt et assignation du 22 mars 2016,

  • que soit ordonné un sursis à statuer dans l'attente du jugement d'exequatur à intervenir dans le cadre de l'instance introduite par exploit d'assignation du 13 février 2017 et enfin qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve le droit de conclure sur le fond.

À l'appui de sa demande de jonction, l'État du Sénégal fait valoir que les deux procédures qu'il a successivement introduites sont fondées sur une même cause et que la validation de la saisie-arrêt litigieuse suppose que les décisions qui constituent le titre de la créance soient déclarées exécutoires en Principauté de Monaco. Il fait valoir que son action est recevable en ce que la première saisie-arrêt pratiquée le 22 mars 2016 n'a pas épuisé les effets de l'autorisation délivrée par arrêt du 25 février 2016.

k. WA., par conclusions déposées le 8 mars 2017 demande, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, que la procédure introduite selon exploit de saisie-arrêt et assignation du 3 novembre 2016 soit déclarée irrecevable et que la mainlevée de cette mesure soit ordonnée. Subsidiairement, il sollicite que les parties soient renvoyées à conclure sur le fond.

Pour soutenir son moyen d'irrecevabilité, il fait valoir que la saisie-arrêt en date du 3 novembre 2016 a été pratiquée en vertu de la même décision ayant déjà fait l'objet de la précédente saisie-arrêt en date du 22 mars 2016 et que l'unicité de la saisie judiciairement autorisée fait obstacle à cette nouvelle action.

k. AB., i. AB., m. PO., concluent le 8 mars 2017 à l'irrecevabilité de cette demande, au débouté de l'État du Sénégal de ses prétentions et à ce que soit ordonnée la main-levée des mesures de saisie-arrêt pratiquées en vertu de l'arrêt du 25 février 2016. Ils demandent en tout état de cause qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils se réservent le droit de conclure au fond.

Les sociétés H., I. SA, G., E., F., D. et B. SA, par conclusions en date du 8 mars 2017 ont formulé les mêmes prétentions.

Ils font notamment valoir qu'un seul exploit de saisie-arrêt peut être délivré sur la base d'une autorisation judiciaire de saisie de sorte que la deuxième saisie-arrêt et assignation ne peut être considérée comme valable.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

  • Sur la demande de jonction :

Les deux procédures enregistrées distinctement sous les numéros 2016/641 et 2017/335 sont relatives à des mesures de saisie-arrêt réalisées en vertu de la même autorisation donnée par la Cour d'appel de Monaco le 25 février 2016.

Au vu de la nature de ces litiges qui portent sur des actes similaires ayant le même objet et de l'identité des parties qui s'opposent dans les deux instances et compte tenu de l'incidence que la solution apportée dans la première instance pourra avoir sur la seconde, il est d'une bonne administration de la justice d'examiner ces deux dossiers simultanément.

Il convient en conséquence, par application des dispositions de l'article 271 du Code de procédure civile, d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 2016/641 et 2017/335.

  • Sur l'acte de saisie-arrêt et assignation du 22 mars 2016 :

Les dispositions applicables aux saisies-arrêts sont prévues par les articles 490 et suivants du Code de procédure civile. L'article 491 de ce Code dispose ainsi que, « à défaut de titre, la saisie-arrêt peut avoir lieu en vertu de la permission du juge et pour la somme qu'il fixe ». Le créancier qui souhaite obtenir par voie de requête le bénéfice de cette autorisation judiciaire doit donc justifier de l'existence d'un principe certain de créance présentant un caractère suffisant d'évidence sans pour autant que la preuve de l'existence d'une créance liquide et exigible soit exigée.

En l'espèce, il est constant que l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 25 février 2016 a autorisé l'État du Sénégal a pratiquer une saisie-arrêt à concurrence de la somme de 10 milliards de Francs CFA ou son équivalent en euros sur les comptes détenus par les défendeurs dans les livres de la SAM A. à Monaco dont le siège social se trouve 12 boulevard des Moulins à Monaco. Or le 22 mars 2016 cette saisie-arrêt a été signifiée à la SAM C. dont le siège est situé 5 avenue des Citronniers à Monaco, pour un montant de 10 milliards de Francs CFA ou son équivalent en euros.

Les défendeurs font valoir que la signification de cette saisie-arrêt du 22 mars 2016 a, en conséquence, été effectuée auprès d'une autre personne morale que celle mentionnée dans la décision de la Cour d'appel ayant autorisé la mesure.

L'État du Sénégal oppose que le procès-verbal de saisie arrêt vise les comptes ouverts dans les livres de la société A. ; que cette banque a par ailleurs procédé à la date du 20 juin 2016 aux déclarations complémentaires prévues par la loi de sorte qu'il convient de considérer qu'elle a été valablement saisie. Il considère ainsi que l'erreur commise dans la désignation du tiers saisi ne constitue qu'une erreur matérielle qui n'affecte pas la validité de l'acte. Il soutient enfin que c'est bien au tiers saisi visé par la requête et par l'ordonnance du juge que l'acte a été signifié et que celui-ci a procédé aux obligations légales résultant de cette signification.

Il est établi par les extraits d'inscription au RCI versés aux débats que la A. (MONACO) SAM et la C. (MONACO) SAM sont deux entités juridiques distinctes en ce que la première est enregistrée sous le n° 96S03173 et la seconde sous le n° 98S03555 ; ces deux sociétés ont par ailleurs des sièges sociaux différents, respectivement situés au 12 boulevard des Moulins/13 avenue de Grande Bretagne et 5 avenue des Citronniers. Cependant, l'extrait concernant la société C. (MONACO) SAM mentionne que l'enseigne de cette société est A. (MONACO) SAM.

Par application des articles 494 et 136 du Code de procédure civile, l'acte formant la saisie-arrêt doit contenir le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie requérante et de la partie à laquelle l'exploit sera signifié ou du moins une désignation précise de l'une et de l'autre.

Si l'huissier instrumentaire a de façon non contestable visé dans la signification de la saisie-arrêt la SAM C. au lieu de la SAM A. (MONACO), cette erreur ne présente toutefois qu'un caractère formel qui n'affecte par la validité du fond de l'acte. En effet, il doit être tenu compte du fait que nonobstant la signification à cette personne morale en qualité de tiers saisi et non pas de partie à l'instance, l'acte de saisie-arrêt et de signification fait mention des comptes concernés pour chacun des débiteurs à l'encontre desquels la mesure est exercée. Les précisions données quant aux comptes bancaires concernés par la mesure correspondent exactement aux termes de l'autorisation accordée par l'arrêt de la Cour d'appel du 25 février 2016. Au vu de ces informations l'établissement C. SAM a renseigné l'huissier sur l'existence de ces comptes en précisant pour chacun d'entre eux « nous détenons à ce jour un compte qui fait déjà l'objet d'un blocage suite à une commission rogatoire internationale du 26 juin 2014 ». En outre, par courrier en date du 20 juin 2016, la société A. (MONACO) SAM a procédé à la déclaration complémentaire faisant suite à cette saisie-arrêt signifiée en date du 22 mars 2016 en indiquant les avoirs déposés sur chacun des comptes concernés par la mesure de saisie.

De ces éléments, il résulte que la signification de la mesure de saisie-arrêt à la société C. (MONACO) SAM n'a constitué qu'une irrégularité formelle qui n'a été relevée ni par l'huissier ni par l'établissement destinataire de la signification et qui est restée sans incidence sur les effets de cette mesure telle qu'elle avait été autorisée par la Cour d'appel de Monaco.

En application de l'article 264 du Code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites après le 19 décembre 2015, « aucune nullité pour vice de forme d'exploit introductif d'instance ou d'autres actes de procédure ne pourra être prononcée que s'il est justifié que l'inobservation de la formalité à l'origine du vice a causé un grief à la partie l'ayant invoqué ».

Au vu de ces dispositions et compte tenu de l'absence de grief dont peuvent se prévaloir les défendeurs dès lors que l'accomplissement de la signification litigieuse à la société A. aurait emporté des effets strictement identiques à ceux résultant de la signification faite à la société C. (MONACO) SAM, il convient de dire que l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016 est régulier et qu'il doit produire ses entiers effets.

  • Sur l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 3 novembre 2016 :

Selon les défendeurs, les demandes formulées au titre de la seconde saisie-arrêt doivent être déclarées irrecevables au motif que l'État du Sénégal ne disposait d'aucun droit d'agir en validation de celle-ci, les effets de l'autorisation donnée par la Cour d'Appel ayant été épuisés lors de l'accomplissement de la saisie du 22 mars 2015.

L'État du Sénégal oppose que l'autorisation donnée par la Cour d'Appel le 25 février 2016 continuait de produire ses effets au moment de la réalisation de cette seconde saisie-arrêt, ainsi que l'a rappelé l'arrêt de la Cour d'appel du 16 septembre 2016 ; que les conditions d'irrecevabilité telles que prévues par l'article 278-1 du Code de procédure civile ne sont en conséquence par reunies.

Il a été jugé supra que la saisie-arrêt pratiquée le 22 mars 2016 était régulière.

En conséquence, la saisie-arrêt pratiquée le 3 novembre 2016 se trouve dépourvue d'objet et sa main-levée doit dès lors être ordonnée.

  • Sur la demande de sursis à statuer :

Un sursis à statuer peut toujours être ordonné par le Tribunal en vue d'une bonne administration de la justice dès lors que la solution du litige dépend d'un évènement à venir.

L'État du Sénégal indique que par exploit d'huissier en date du 13 février 2017, il a attrait Messieurs WA., AB. et PO. aux fins de voir déclarer exécutoire en Principauté de Monaco, l'arrêt rendu le 23 mars 2015 par la Cour de Répression de l'Enrichissement Illicite à Dakar ainsi que l'arrêt rendu par la Chambre Criminelle de la Cour Suprême du Sénégal le 20 août 2015. Il précise que lorsque ces deux décisions auront été déclarées exécutoires en Principauté, elles constitueront le titre en exécution duquel la validation desdites saisies-arrêts pourra être prononcée.

Il est en effet versé aux débats une copie de l'assignation en exequatur délivrée à la requête de l'État du Sénégal à l'encontre de Messieurs k. WA., k. AB., i. AB. et m. PO. ; cette action a pour objet de voir déclarer exécutoires les décisions précitées.

Il n'est pas contestable que la procédure aux fins d'exequatur engagée par l'État du Sénégal conduira, le cas échéant, à l'obtention d'un titre lui permettant d'obtenir la validation de la saisie-arrêt pratiquée le 22 mars 2016 ; l'aboutissement de cette procédure constitue ainsi un préalable nécessaire à l'examen du bienfondé de la demande en validation de la mesure de saisie-arrêt.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande de sursis à statuer dans les termes du dispositif ci-après.

Les dépens seront également réservés en fin de cause.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 2016/000641 et 2017/000335 ;

Dit que l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 22 mars 2016 signifié par l'État du Sénégal est régulier et qu'il doit produire ses entiers effets ;

Déboute en conséquence les défendeurs de leurs demandes tendant à en voir prononcer la nullité avec toutes conséquences de droit ;

Constate que la deuxième saisie-arrêt pratiquée par l'État du Sénégal le 3 novembre 2016 est sans objet et ordonne en tant que de besoin sa mainlevée ;

Sursoit à statuer sur le surplus des demandes des parties dans l'attente de l'issue de la procédure d'exequatur engagée par l'État du Sénégal selon exploit d'assignation en date du 13 février 2017 ;

Ordonne le placement de l'affaire au RÔLE GENERAL et dit qu'elle sera rappelée à toute audience utile à la requête de l'une ou l'autre des parties ;

Réserve les dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Séverine LASCH, Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 25 JANVIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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