Tribunal de première instance, 11 janvier 2018, M. m. BA. c/ La société A. et la société B.

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Abstract🔗

Accident du travail - Loi n° 636 du 11 janvier 1956 - Altercation sur le lieu de travail entre deux salariés - Faute inexcusable de la victime (non) - Application du contrat d'assurance de l'employeur (oui)

Résumé🔗

Une altercation survenue sur le lieu de travail entre deux pilotes d'hélicoptère constitue bien un accident du travail au sens de la loi n° 636 du 11 janvier 1956 en raison de la soudaineté de ces violences, de leur lien avec l'activité professionnelle des protagonistes et des lésions médicalement constatées qui en sont résulté. Un tel fait n'est pas dépourvu d'aléa de sorte que l'assureur-loi doit appliquer le contrat d'assurance.

Si le comportement injurieux de la victime pouvait être considéré comme hors de propos et inadapté dans un contexte de relations professionnelles, cette attitude ne pouvait justifier la réplique violente de son adversaire, ni la rendre prévisible. La victime n'a donc pas adopté intentionnellement un comportement l'ayant exposé sciemment à un risque dont il devait avoir conscience lors de l'accident litigieux. Aucune faute inexcusable n'étant en définitive caractérisée à son encontre, il n'y a pas lieu à réduction de la rente à laquelle il pourra, le cas échéant, prétendre.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000520 (assignation du 15 mai 2017)

JUGEMENT DU 11 JANVIER 2018

En la cause de :

  • M. m. BA., né le 18 avril 1975 à Monaco (98000), de nationalité monégasque, pilote d'hélicoptère, demeurant X1 à Monaco (98000) ;

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

  • 1- La société anonyme de droit français A., dont le siège social se trouve X2 à Paris (75009), prise en la personne du Président de son Conseil d'administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, représentée en Principauté de Monaco par son agent général M. Thierry FO., commerçant exploitant sous l'enseigne C., domicilié en cette qualité X2 à Monaco ;

  • 2- La société anonyme monégasque B., exploitant sous l'enseigne D. - E., dont le siège social se trouve X3 de Monaco, enceinte de l'héligare à Monaco (98000), prise en la personne de son Président délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSES, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 15 mai 2017, enregistré (n° 2017 /000520) ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SAM A. et de la SAM B., en date des 27 juillet 2017 et 8 novembre 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de m. BA., en date du 4 octobre 2017 ;

À l'audience publique du 30 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 11 janvier 2018 ;

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Monsieur m. BA. est employé de la société B.. Le 24 juin 2014 une altercation est intervenue dans les locaux professionnels entre Monsieur BA. et Monsieur m. GU., également pilote au sein de la même société.

Le 25 juin 2014, l'employeur a complété une déclaration d'accident du travail qui a été adressée à la Sûreté publique de Monaco ; la SA A., assureur-loi, a par la suite refusé la prise en charge de cet accident au motif qu'une rixe entre salariés n'entrait pas dans les cas de prise en charge au titre d'un accident du travail.

Par courrier en date du 30 juin 2014, Monsieur m. BA. a saisi le juge chargé des accidents du travail de ce refus.

Par ordonnance en date du 3 juin 2016, le Juge chargé des accidents du travail a rendu une ordonnance constatant le désaccord de la société A. quant à la prise en charge de cet accident.

Par arrêt en date du 1er juin 2015, la Cour d'appel correctionnelle de la Principauté de Monaco a déclaré Monsieur m. GU. coupable des faits de violences volontaires avec ITT inférieure à 8 jours commis sur Monsieur m. BA. le 24 juin 2014 à Monaco.

Par acte d'huissier en date du 15 mai 2017, Monsieur m. BA. a donné assignation à la SA de droit français A. devant le Tribunal de première instance de Monaco en vue de voir dire que l'accident du 24 juin 2014 constitue un accident du travail dont les conséquences doivent être prises en charge par l'assureur-loi.

Par ses dernières écritures déposées le 4 octobre 2017, Monsieur BA. demande :

  • qu'il soit pris acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la mise hors de cause de la SAM B. en l'état de la présence de la SA A.,

  • qu'il soit dit que l'accident survenu le 24 juin 2014 constitue un accident du travail au sens de la loi n°636 du 11 janvier 1956,

  • le débouté de la SA A. de ses demandes et le renvoi des parties devant le Juge chargé des accidents du travail.

Il fait notamment valoir que les faits de violences de la part d'un salarié envers un autre sur un lieu de travail occasionnant des blessures constituent un accident du travail ; que l'assureur-loi ne peut en conséquence pas se soustraire à ses obligations légales ; que la demande subsidiaire de diminution de la rente est prématurée dans le cadre de la présente instance.

La SAM A. et la SAM B., par conclusions déposées le 27 juillet 2017 demandent :

  • la mise hors de cause de la SAM B.,

  • qu'il soit dit que l'accident du 24 juin 2014 ne constitue pas un accident du travail et qu'il ne doit pas être pris en charge par l'assureur-loi,

  • le débouté de Monsieur BA. de l'ensemble de ses demandes et qu'il soit dit qu'il existe un motif d'exclusion de la garantie,

  • à titre subsidiaire, qu'il soit dit que Monsieur BA. a commis une faute inexcusable justifiant la diminution de la rente.

Par leurs écritures déposées le 8 novembre 2017, elles sollicitent qu'il soit donné acte à la Cie A. de ce qu'elle se réserve ultérieurement le droit de solliciter la diminution de la rente qui pourrait être allouée à Monsieur BA..

Elles font valoir que la SAM B. doit être mise hors de cause dans la mesure où l'assureur-loi se substitue à l'employeur ; que l'accident de Monsieur BA. ne présente pas les conditions nécessaires pour être reconnu en tant qu'accident du travail en raison d'une absence de soudaineté, de lien avec le travail et du statut de victime de Monsieur BA..

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la mise hors de cause de la SAM B. :

Compte tenu de la substitution de la SA A. à la SAM B. dans la présente instance, conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 relative aux accidents du travail, il convient de mettre hors de cause la SAM B..

  • Sur la nature de l'accident du 24 juin 2014 :

En application de l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, les accidents du travail se définissent comme étant « les accidents survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du travail, en quelque lieu que celui-ci s'effectue » ; au sens de cet article doit en conséquence être considéré comme un accident de travail tout fait précis survenu soudainement au cours du travail, occasionnant une lésion corporelle.

La réalité de l'altercation survenue le 24 juin 2014 entre Monsieur BA. et Monsieur GU. n'est pas contestée et a donné lieu à une reconnaissance de culpabilité et une condamnation de ce dernier par arrêt de la Cour d'appel du 1er juin 2015.

Il ressort des procès-verbaux d'audition établis par la Sûreté Publique le 19 juillet 2014 que cette rixe est intervenue suite à un différend opposant les deux protagonistes relativement à l'accomplissement d'une mission de pilotage d'hélicoptères supervisée par Monsieur BA. et au cours de laquelle Monsieur GU. a estimé ne pas devoir, pour des raisons de sécurité, exécuter les instructions données par Monsieur BA. en sa qualité de chef de mission. Une altercation s'en est suivie dans la « salle pilotes » au cours de laquelle des insultes réciproques ont été proférées et au terme de laquelle Monsieur GU. a reconnu avoir porté un premier coup de poing à Monsieur BA.. Il a précisé que ce coup faisait réponse à des insultes à caractère raciste proférées par Monsieur BA., lesquelles n'ont été entendues par aucun témoin.

L'arrêt de la Cour d'appel en date du 1er juin 2015 n'a pas retenu l'excuse atténuante de provocation prévue par les dispositions du Code pénal ; la Cour a cependant considéré qu'il y avait lieu de « prendre en considération les circonstances particulières dans lesquelles les faits ont été commis qui font apparaître le comportement virulent de m. BA. à l'encontre de m. GU. à travers des propos injurieux répétés totalement hors de propos dans le cadre d'un conflit professionnel opposant deux pilotes salariés ».

Les défenderesses considèrent que les violences exercées sur Monsieur BA. ne présentent pas un caractère fortuit, mais qu'elles sont la conséquence d'un différend entre deux personnes et d'un climat de méfiance, sans intervention de l'employeur. Elles font valoir que les deux salariés ont intentionnellement voulu provoquer l'accident et se sont réciproquement portés des coups.

Monsieur BA. oppose qu'il est admis de façon constante qu'une altercation entre deux salariés constitue un accident de travail dès lors que le fait dommageable survient sur le lieu de travail et pendant l'exécution du contrat de travail ; qu'en tant que victime d'une telle agression, il est fondé à solliciter une prise en charge au titre des accidents du travail, ayant notamment été reconnu comme seule victime dans le cadre de cette altercation.

Au vu des pièces produites et des conclusions des parties la rixe au cours de laquelle Monsieur BA. a été blessé a été précédée d'invectives et d'injures réciproques en lien avec un désaccord des protagonistes sur les modalités d'une mission de pilotage d'hélicoptère que Monsieur BA. supervisait. Ces paroles injurieuses, relevées par la Cour d'appel et qualifiées de « hors de propos », ont nécessairement participé à la montée en tension qui a conduit aux faits de violences. Si les échanges intervenus sous une telle forme peuvent certes être considérés comme inappropriés et inadaptés à des relations professionnelles dans lesquelles les situations habituelles de conflit et de désaccord ne sont pas de nature à justifier l'utilisation de termes injurieux, ces propos, bien que déplacés, ne peuvent toutefois rendre admissible le recours à une agression physique et au port d'un premier coup que Monsieur GU. a reconnu avoir donné ; dans le contexte objectivé par les éléments de la procédure, une telle réaction de Monsieur GU. ne présentait pas de caractère prévisible. Ainsi, c'est vainement que les défenderesses soutiennent que Monsieur BA. ne pouvait qu'avoir conscience du fait que son comportement était de nature à l'exposer sans raison valable à un danger. Par ailleurs si l'initiative de Monsieur GU. a effectivement été suivie d'une riposte de Monsieur BA., cette riposte ne peut être considérée comme disproportionnée au vu de l'agression.

Dès lors, la soudaineté de ces violences, leur lien avec l'activité professionnelle des protagonistes ainsi que les lésions médicalement constatées qui en sont résultées imposent de considérer l'altercation survenue le 24 juin 2014 comme un accident du travail au sens de la loi n°636 du 11 janvier 1956.

En outre, compte tenu des éléments évoqués ci-dessus, les défenderesses ne sont pas fondées à soutenir que le fait dont Monsieur BA. a été victime est dépourvu d'aléa de sorte que le contrat d'assurance, de nature aléatoire, ne devrait pas s'appliquer.

Il sera en conséquence intégralement fait droit à la demande présentée par Monsieur BA..

  • Sur la faute inexcusable de Monsieur BA. et la réduction de la pension :

Selon Monsieur BA., la demande formulée au titre de la réduction de son droit à pension est prématurée, l'objet de la présente instance étant simplement de déterminer si l'évènement survenu le 24 juin 2014 est ou non constitutif d'un accident du travail. Selon l'article 30 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 relative aux accidents du travail, « aucune des indemnités prévues par la présente loi ne peut être attribuée à la victime qui a intentionnellement provoqué l'accident. Le tribunal a le droit, s'il est prouvé que l'accident est dû à une faute inexcusable du salarié, de diminuer la pension fixée au titre premier ».

Aux termes de cet article, il appartient donc au Tribunal de statuer sur l'existence de la faute inexcusable qui aurait été commise par Monsieur BA. dans la réalisation de l'accident du travail du 24 juin 2014.

Au sens des dispositions précitées, doit être considérée comme inexcusable la faute commise par le salarié dès lors que cette faute a eu intentionnellement pour effet de l'exposer sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

En l'espèce, il a été retenu supra que le comportement de Monsieur BA. à l'égard de Monsieur GU. pouvait être considéré comme hors de propos et inadapté dans un contexte de relations professionnelles ; que cependant, cette attitude n'était ni de nature à justifier la réplique violente de Monsieur GU. à son encontre, ni de rendre celle-ci prévisible. Il ne saurait en conséquence être considéré que Monsieur BA. ait adopté de façon intentionnelle un comportement l'ayant exposé sciemment à un risque dont il devait avoir conscience lors de l'accident survenu le 24 juin 2014.

Aucune faute inexcusable n'étant en définitive caractérisée à l'encontre de Monsieur BA., il n'y a pas lieu à réduction de la rente à laquelle il pourra, le cas échéant, prétendre.

  • Sur les demandes annexes :

Compte tenu de la solution du litige, il convient de condamner la SAM A. aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Me Arnaud ZALBADANO, Avocat-Défenseur.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Met hors de cause la SAM B. ;

Dit que l'accident survenu le 24 juin 2014 et dont Monsieur m. BA. a été victime constitue un accident du travail, au sens de la loi n°636 du 11 janvier 1956 ;

Déboute la SAM A. de sa demande visant à voir retenir l'existence d'un motif d'exclusion de sa garantie ;

Dit que Monsieur BA. n'a pas commis de faute inexcusable justifiant la diminution de la pension à laquelle il pourra le cas échéant prétendre ;

Renvoie l'affaire et les parties devant le juge chargé des accidents du travail aux fins qu'il appartiendra ;

Condamne la SAM A. aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de l'administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 11 JANVIER 2018, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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