Tribunal de première instance, 14 décembre 2017, L'État de Monaco c/ La SAM A

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Cessation des paiements - Caractérisation (oui) - Révocation de l'autorisation de constitution de la société anonyme - Élément sans incidence (oui) - Dissolution de la société (non)

Résumé🔗

L'État de Monaco est bien fondé à solliciter le prononcé de l'état de cessation des paiements au sens de l'article 408 du Code de commerce. Le fait que la société anonyme ait fait l'objet, en application de l'article 5 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964, d'une révocation de l'autorisation de constitution est sans incidence, puisque la société n'a pas fait l'objet d'une dissolution.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2017/000216 (assignation du 18 novembre 2016)

JUGEMENT DU 14 DECEMBRE 2017

En la cause de :

  • L'ÉTAT DE MONACO représenté au sens de l'article 139 du Code de procédure Civile par Son Excellence Monsieur le Ministre d'État, demeurant Palais du Gouvernement, Place de la Visitation, 98000 Monaco,

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Anonyme Monégasque dénommée A dont le siège social se trouve actuellement 11, boulevard du Jardin Exotique, 3ème étage à Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, Monsieur r. PR., demeurant en cette qualité audit siège,

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

En présence de :

  • M. le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'appel de Monaco, en son Parquet Général, Palais de Justice, Rue Colonel Bellando de Castro à Monaco

COMPARAISSANT EN PERSONNE

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 18 novembre 2016, enregistré (n° 2017 /000216) ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SAM A en date des 6 février 2017 et 4 mai 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de L'État de Monaco, en date des 16 mars 2017 et 22 juin 2017;

Vu les conclusions du Procureur Général en date du 24 avril 2017 ;

À l'audience publique du 2 novembre 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 11 janvier 2018 anticipé au 14 décembre 2017 les parties en ayant été avisées par le Président ;

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SAM A a exploité une salle de projection dans des locaux situés dans le Parking des Pêcheurs moyennant redevance conventionnellement déterminée. L'ÉTAT de MONACO et la SAM A ont signé plusieurs conventions d'occupation précaires successives dont la dernière a pris fin le 31 décembre 1997.

Par jugement en date du 14 février 2013, le Tribunal de première instance de Monaco a constaté la résiliation du contrat conclu entre la SAM A et l'ÉTAT de MONACO au 19 juin 2009 et a ordonné l'expulsion de la SAM A des lieux loués. Elle a en outre condamné la SAM A à payer à l'ÉTAT de MONACO les redevances et indemnités d'occupations échues et non payées.

Cette décision a été confirmée en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour d'Appel de Monaco du 30 septembre 2013.

N'étant pas parvenu à obtenir le paiement des sommes qui lui avaient été allouées, par acte d'huissier en date du 18 novembre 2016, l'État de Monaco a donné assignation à la SAM A devant le Tribunal de première instance de Monaco. Il demande que soit constaté l'état de cessation des paiements de cette société et d'en fixer la date au 4 juillet 2016 avec désignation des organes de la procédure collective.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives et en réponse déposées le 22 juin 2017, l'ÉTAT de MONACO maintient ses demandes principales. Il sollicite en outre la condamnation de la société A au paiement d'une somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.

Il fait valoir que les locaux concernés ont été définitivement libérés le 14 mars 2014 ; que les pourparlers engagés en vue d'obtenir le paiement des sommes allouées par le jugement du 14 février 2013 n'ont pas abouti alors que la dette s'élève désormais à la somme de 87.511,43€ ; il précise que l'autorisation de constitution de la société A a été révoquée par arrêté ministériel du 23 juillet 2015. L'ÉTAT de MONACO indique également qu'aucun accord verbal n'est jamais intervenu quant à une renonciation au paiement des redevances dues et à la mise à disposition d'autres locaux équivalents ou une reprise par un tiers ; il invoque également la bienveillance dont il a toujours fait preuve à l'égard de la SAM A. S'agissant de la liquidation de fait invoquée par la défenderesse, l'ÉTAT de MONACO oppose qu'une telle liquidation ne peut se déduire du seul retrait administratif de l'autorisation d'exploiter. Concernant les sommes dues, il fait valoir que celles-ci s'élèvent désormais à 97.011,86€ compte tenu des dépens des précédentes procédures de première instance et d'appel.

La Société Anonyme Monégasque A, conclut à l'entier débouté de l'ÉTAT de MONACO de ses demandes, les conditions requises pour que son état de cessation des paiements puisse être constaté n'étant pas réunies.

À titre subsidiaire, elle sollicite qu'il soit sursis à statuer sur les mérites des demandes formulées par l'ÉTAT de MONACO.

La société défenderesse se prévaut d'une renonciation de l'ÉTAT de MONACO à réclamer le paiement des redevances dues au titre de la convention d'occupation précaire des locaux concernés ; elle considère que le constat de son état de cessation des paiements ne peut pas intervenir dès lors que son autorisation de constitution a fait l'objet d'une révocation, donnant ainsi lieu à une liquidation de fait ; elle soutient que des discussions étaient en cours avec l'ÉTAT de MONACO au sujet de l'acquisition d'une collection d'affiches et de photos appartenant à Monsieur PR., dont la valeur était supérieure à la créance alléguée ; elle précise enfin que si elle ne remet pas en cause le principal de la créance de l'ÉTAT, elle conteste en revanche le montant des intérêts appliqués.

Le Procureur Général, aux termes de ses conclusions déposées le 25 avril 2017 demande au Tribunal, faute de paiement à la barre, de constater l'état de cessation des paiements de la société A et d'en fixer provisoirement la date au 18 novembre 2013.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

  • Sur la demande principale de constat de la cessation des paiements :

L'état de cessation des paiements est caractérisé dès lors qu'un débiteur n'est plus en mesure de faire face à son passif exigible avec l'actif disponible dont il dispose. Par application des dispositions de l'article 408 du Code de commerce, « l'état de cessation des paiements est constaté par jugement du tribunal de première instance rendu sur déclaration du débiteur ou sur assignation d'un créancier ou même d'office ».

En l'espèce, le passif de la SAM A ne fait l'objet, au titre de la créance principale dont se prévaut le demandeur, d'aucune contestation. En effet, cette créance a été consacrée par le jugement du 14 février 2013 à hauteur de « la somme de 76.041,38 euros au titre des redevances et indemnités d'occupation échues du 19 mai 2004 au 31 décembre 012, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2009 sur la somme de 41.7553,07 euros et à compter de la présente décision pour le surplus, outre les indemnités d'occupation pour la période postérieure jusqu'à libération effective des lieux ».

Si dans ses dernières écritures, la SAM A indique contester le taux d'intérêts que l'ÉTAT de MONACO applique à sa créance, elle ne remet pas en cause le bien-fondé du principal reconnu par cette décision désormais définitive après confirmation par la Cour d'appel le 30 septembre 2013.

S'agissant de l'impossibilité de faire droit aux demandes au motif de l'existence d'une situation de liquidation de fait, il est établi que par arrêté ministériel en date du 23 juillet 2015, le Ministre d'État de la Principauté de Monaco a effectivement prononcé la révocation de l'autorisation de constitution donnée à la SAM A et a rappelé la nécessaire dissolution et mise en liquidation de cette société dans les deux mois de la notification de cet arrêté.

En effet, par application des dispositions de l'article 5 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 relative à la révocation des autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions, « les sociétés ayant fait l'objet d'une révocation d'autorisation doivent procéder à leur dissolution et à leur mise en liquidation dans les deux mois de la notification dudit arrêté ».

Il résulte cependant de ces dispositions que la révocation de l'autorisation de constitution n'emporte pas de plein droit la dissolution d'une société et qu'il appartient à celle-ci de procéder aux démarches nécessaires en vue d'y parvenir. En l'espèce, ces démarches n'ont pas été réalisées par la SAM A de sorte que la liquidation de fait dont elle se prévaut ne saurait valoir accomplissement des formalités de dissolution. L'ÉTAT de MONACO est donc fondé à solliciter le prononcé de l'état de cessation des paiements au sens de l'article 408 du Code de commerce.

Si une telle cessation des paiements suppose une prise en compte du passif exigible et de l'actif disponible, la société défenderesse allègue l'existence d'un projet de rachat d'une collection d'affiches appartenant à Monsieur PR., président délégué de la SAM A. Sont ainsi versés aux débats les courriers justifiant de l'évocation de cette question entre Monsieur PR. et les autorités monégasques, notamment le courrier daté du 2 juin 2015 adressé par S. E. M. le Ministre d'État à Monsieur PR. faisant état d'un prix d'achat de 130.820 €. Ce courrier précise cependant que cette acquisition « demeure subordonnée au remboursement préalable et intégral de la dette locative de 87.511,43 €, hors intérêts au taux légal, de la société A ». Il en ressort que ce projet d'achat de la collection de Monsieur PR. n'a eu qu'une dimension hypothétique et qu'aucun engagement certain de l'ÉTAT n'est intervenu à ce titre. En tout état de cause, il doit être rappelé que la notion d'actif disponible s'entend en matière de procédures collectives comme l'actif réalisable immédiatement et constitué par les biens de l'entreprise elle-même. Ainsi, les biens détenus personnellement par le président délégué de la SAM, en l'espèce une collection d'images d'archives, ne peuvent pas être considérés comme un actif susceptible de faire face au passif exigible.

De même aucune créance de la SAM A à l'encontre de l'ÉTAT de MONACO ne peut en l'état être reconnue au titre du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de la cessation d'activité causée par l'attitude de ce dernier à son égard.

Concernant l'absence de risque d'aggravation du passif que la SAM fait également valoir dans ses écritures, ce moyen ne saurait prospérer dès lors que d'une part, l'aggravation de sa dette résultera nécessairement de l'application des intérêts tels que fixés par le jugement en date du 14 février 2013 et que, d'autre part, il est constant que la SAM A n'a plus d'activité de sorte qu'aucune perspective d'obtention de recettes ne permet d'envisager une amélioration de sa situation économique.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de faire droit à la demande formulée par l'ÉTAT de MONACO et le Procureur Général et de constater la cessation des paiements de la SAM A.

S'agissant de la date de cette cessation des paiements, en application de l'article 414 du Code de commerce, « le jugement qui constate la cessation des paiements en fixe provisoirement la date ; celle-ci ne peut être antérieure de plus de trois ans à compter du jour du prononcé du jugement ».

L'ÉTAT de MONACO conclut à la fixation de cette date au 4 juillet 2016 correspondant à la délivrance de l'itératif commandement de payer que le demandeur à fait délivrer à la SAM A prise en la personne de son administrateur délégué au siège social de la société 11, boulevard du Jardin Exotique à Monaco pour une somme de 97.011,86€ ; l'acte a été régulièrement remis à Monsieur r. PR..

Toutefois, compte tenu de l'antériorité de la reconnaissance de la créance dont se prévaut l'ÉTAT de MONACO, il convient de fixer provisoirement la date de cessation des paiements au 14 décembre 2014.

  • Sur la demande de dommages et intérêts :

L'ÉTAT de MONACO reproche à la SAM A d'avoir fait preuve d'une résistance abusive lui ayant occasionné un préjudice financier.

Cependant, il ne ressort pas des pièces de la procédure que la SAM A ait opposé à l'encontre de l'ÉTAT de MONACO une résistance fautive ayant occasionné un préjudice réparable.

Il convient en conséquence de rejeter ce chef de demande.

  • Sur les demandes annexes :

Les dépens seront enrôlés en frais privilégiés de procédure collective.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Constate avec toutes conséquences de droit l'état de cessation des paiements de la Société Anonyme Monégasque A exerçant sous l'enseigne MONTE-CARLO STORY ;

Fixe provisoirement la date de cette cessation des paiements au 14 décembre 2014 ;

Nomme Adrian CANDAU, Juge au Tribunal, en qualité de juge commissaire ;

Désigne Bettina RAGAZZONI, expert-comptable, en qualité de Syndic ;

Déboute l'ÉTAT de MONACO de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Dit que le présent jugement sera exécutoire sur minute et par provision en vertu de l'article 572 du Code de commerce et soumis à la publicité prévue par l'article 415 dudit Code ;

Ordonne l'enrôlement des dépens en frais privilégiés de procédure collective ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Monsieur Adrian CANDAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 14 DECEMBRE 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF