Tribunal de première instance, 26 octobre 2017, M. j-p. PI. c/ La Société A et autres
Abstract🔗
Expertise - Expertise judiciaire - Magistrat chargé de suivre l'expertise - Fixation des honoraires de l'expert - Critères d'évaluation - Remboursement du trop-perçu
Résumé🔗
Le magistrat chargé du contrôle des expertises ne pouvait s'appuyer sur les décisions rendues par les juridictions du fond, se prononçant sur la base du rapport d'expertise en cause, pour fixer le montant des honoraires de l'expert mais devait procéder à une évaluation de l'accomplissement de la mission de ce dernier au moment du dépôt du rapport d'expertise, le cas échéant, au regard des éléments soulevés par les parties sur le travail accompli notamment à travers les dires, la réponse qui leur a été apportée et les conclusions expertales. En l'espèce, la présente juridiction ne peut que constater qu'une partie importante de la mission d'expertise concernant le chiffrage des malfaçons et non-façons n'a pas été réalisée de manière précise et détaillée par l'expert assisté de son sapiteur, en dépit des remarques formulées par les parties, et que la réponse apportée au dire sur cette question n'est pas claire et renvoyait aux accédits précédents sans conclusion définitive suffisamment exploitable. Le tribunal évalue la rémunération à une somme inférieure à celle correspondant aux provisions octroyées et ordonne donc la restitution du trop-perçu.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2016/000561 (assignation du 29 avril 2016)
JUGEMENT DU 26 OCTOBRE 2017
En la cause de :
M. j-p. PI., expert judiciaire, architecte DPLG, né le 10 avril 1941, demeurant X1 à Nice (06100), France ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jean-Marie CANAC, avocat au barreau de Nice ;
DEMANDEUR
d'une part ;
Contre :
La Société A, société de l'Ile de Man, dont le siège social se trouve X4, prise en la personne de son Directeur en exercice Paul, Michel VA. LI., demeurant X2 à Monaco,
La SA B, société de droit panaméen, dont le siège social se trouve X5 à Panama City (République de Panama), pris en la personne de son Président en exercice, Paul, Michel, VA. LI., demeurant X2 à Monaco,
La société des Iles vierges Britanniques C, dont le siège social se trouve X6 Tortola (Iles Vierges Britanniques), prise en la personne de son Directeur en exercice, Paul, Michel, VA. LI., demeurant X2 à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Véronique LARTIGUE, avocat au barreau de Paris ;
La SAM D, dont le siège social se trouve X3 à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Jean-Louis FACCENDINI, avocat au barreau de Nice ;
La SARL E, dont le siège social se trouve X4 à Nice, prise en la personne de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Frédéric ROMETTI et Maître Thibault POZZO di BORGO, avocats au barreau de Nice ;
La société F, dont le siège social se trouve X7, 92727 Nanterre Cedex, pris en la personne de son Président du Conseil d'Administration en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Françoise ASSUS JUTTNER, avocat au barreau de Nice ;
DÉFENDERESSES
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'opposition à ordonnance de taxe et assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 29 avril 2016, enregistré (n° 2016/000561) ;
Vu les conclusions de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de la société A, la SA B et la société des Iles Vierges Britannique C, en date des 23 juin 2016 et 5 avril 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la SARL E, en date du 7 juillet 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM D, en date du 26 juillet 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, au nom de la Compagnie F, en date du 9 novembre 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de j-p. PI., en date des 11 janvier 2017 et 18 mai 2017 ;
À l'audience publique du 8 juin 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 19 septembre 2017 et a été prorogé à ce jour 26 octobre 2017, les parties en ayant été informées par le Président ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par ordonnance de référé du 15 février 2012, le Président de ce Tribunal a ordonné une expertise confiée à j-p. PI., architecte, dans les instances opposant les sociétés A, B et C ainsi que v. SC., intervenant volontaire, à la SAM D, la SARL E et la compagnie F, aux frais avancés des sociétés demanderesses et de l'intervenant volontaire, aux fins notamment de rechercher et décrire les malfaçons et inachèvements affectant le chantier relatif à l'appartement appartenant à v. SC., sis aux 2ème et 3ème étages de l'immeuble « G » à Monaco, de décrire les travaux nécessaires pour l'achèvement du chantier conformément au marché du 29 octobre 2010 et d'en chiffrer le coût au moyen de devis, d'évaluer le coût des malfaçons et non-façons des ouvrages réalisés par la SAM D et le décorateur ZU., de chiffrer le préjudice éventuel lié au trouble de jouissance en déterminant si l'appartement était habitable.
Au cours des opérations d'expertise, le juge chargé du contrôle de l'expertise a octroyé à l'expert une provision de 5.000 euros le 15 mars 2012, de 31.059,40 euros le 11 juillet 2012 et de 34.624,20 euros le 5 mars 2013, soit une somme totale de 70.683,60 euros.
L'expert PI. a déposé le 17 juin 2013 son rapport en date du 29 mai 2013.
Selon jugement du 28 mai 2015, le Tribunal de première instance a, dans l'instance opposant la SAM D à v. SC., aux sociétés A, B et C :
condamné solidairement v. SC., les sociétés A, B et C à payer à la SAM D la somme de 567.224,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 1er septembre 2011,
condamné la SAM D à payer à v. SC., aux sociétés A, B et C la somme de 10.305,79 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,
ordonné la compensation de ces sommes et rappelé les dispositions de l'article 762 ter du Code procédure civile concernant l'inscription définitive des hypothèques judiciaires provisoires prises le 2 novembre 2011 par la SAM D,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
mis les frais d'inscription d'hypothèque à la charge de v. SC., des sociétés A, B et C,
fait masse des autres dépens qui seront supportés par moitié entre les parties, en ce compris les frais de l'expertise.
Suivant ordonnance du 19 avril 2016, le juge chargé du contrôle de l'expertise a taxé à la somme de 48.000 euros le montant des honoraires de l'expert et ordonné la restitution de la somme de 22.683,60 euros par j-p. PI. aux sociétés A, B et C.
Par arrêt du 27 septembre 2016, la Cour d'appel a constaté que les dispositions du jugement du 28 mai 2015 relatives à la compensation ordonnée et au rejet des demandes indemnitaires sur les trois non-façons non établies, les malfaçons d'ordre esthétique, les non-conformités des matériaux, et le préjudice moral et financier, étaient définitives, a réformé partiellement la décision et statuant à nouveau, a :
condamné solidairement v. SC., les sociétés A, B et C à payer à la SAM D la somme de 782.290,11 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 1er septembre 2011,
condamné la SAM D à payer à v. SC., aux sociétés A, B et C la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,
constaté la compensation de plein droit entre les sommes dues au titre dudit arrêt,
déclaré régulière l'inscription d'hypothèque provisoire prise le 2 novembre 2011 et dit que l'arrêt produira les effets prévus par l'article 762 ter du Code de procédure civile,
fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seraient partagés par moitié entre la SAM D et v. SC., les sociétés A, B et C.
Selon exploit en date du 29 avril 2016, j-p. PI. a fait assigner les sociétés A, B et C, la SAM D, la SARL E et la société F aux fins de voir réformer l'ordonnance de taxe susvisée et statuant à nouveau de fixer le montant de ses honoraires à la somme de 70.683,60 euros.
À l'appui de sa prétention, il fait valoir que :
le juge chargé du contrôle de l'expertise n'a pas rendu d'ordonnance de taxation définitive de ses honoraires lors du dépôt du rapport, alors que le récapitulatif adressé aux parties à cette époque n'a pas été contesté,
v. SC. a même payé deux fois le montant de sa dernière facture, si bien qu'il a dû lui rembourser la somme en cause, laquelle n'apparaissait dès lors pas à l'époque trop élevée,
à aucun moment après le dépôt du rapport, pas plus que lors de l'audience ayant conduit au jugement du Tribunal du 28 mai 2015 (ayant donné lieu à un arrêt de la Cour d'appel du 27 septembre 2016 ayant condamné les consorts SC. à payer à la SAM D la somme de 782.790,11 euros), ni le juge ni aucune des parties n'a jugé utile, sur le fondement de l'article 367 du Code de procédure civile, de l'inviter à compléter son rapport, à préciser ou expliquer ses constatations ou même à les justifier au contradictoire des parties,
de même, ni au cours des accédits, ni par voie de dire, ni par une quelconque information donnée au juge chargé du contrôle, aucune des parties n'a mis en cause le professionnalisme et la rigueur de l'expertise, pas plus que la rémunération,
la décision du 28 mai 2015, à laquelle il n'est pas partie, lui impute, selon le juge chargé du contrôle de l'expertise, des manquements dans l'exécution de sa mission, alors qu'elle ne saurait servir de base à un tel raisonnement, dès lors qu'il n'a pas été à même de se défendre à cet égard et qu'elle n'était pas définitive,
l'arrêt de la Cour d'appel du 27 septembre 2016 a d'ailleurs considéré que les critiques formulées par les consorts SC. à l'encontre de son rapport ne sauraient prospérer faute de demande de contre-expertise,
au surplus, l'ensemble des chefs de mission a donné lieu à une réponse dans son rapport et en particulier aux pages 11 et suivantes,
s'il s'est fait assister par un sapiteur, en l'espèce un économiste de la construction, au regard des chefs de mission excédant sa compétence d'architecte, il a parfaitement explicité au juge chargé du contrôle de l'expertise, par courrier du 22 mars 2016 ou sa correspondance antérieure du 6 juillet 2012, les raisons impérieuses nécessitant la présence de ce dernier, au demeurant non contestée au cours des réunions techniques et des neuf accédits,
aux termes de son ordonnance de taxe, ce magistrat a d'ailleurs rejeté le principal argument des parties relatif à la présence du sapiteur mais les a déclarées recevables à réclamer une taxation inférieure aux honoraires taxés provisionnellement,
outre que subsiste un doute sur la possibilité pour les parties de saisir le juge du contrôle dans le cadre de la taxation (la lettre de l'article 365 du Code de procédure civile n'indiquant pas cette possibilité), les motifs utilisés par le magistrat quant à la réduction de ses honoraires sont surprenants,
le principe du contradictoire n'a pas été respecté, tandis que les éléments soulevés par le juge chargé du contrôle de l'expertise (qui n'était pas en possession du dossier de la juridiction du fond) sont ceux qui l'ont été par le Tribunal, sans que ce dernier en ait tiré la moindre conséquence,
outre les arguments techniques en réponse aux pétitions du Tribunal, l'instance juridictionnelle ayant conduit à la réduction de ses honoraires ne saurait être considérée comme un procès équitable au sens des dispositions de la CEDH, dès lors qu'il n'a pas pu faire valoir son point de vue,
les consorts SC. réitèrent leurs précédents arguments (absence de réponse précise aux dires, conclusions globales, mission sur pièces du sapiteur dont la présence aux accédits était inutile), alors que la simple lecture objective du rapport conduit à penser, malgré les critiques du Tribunal, qu'il a bien répondu à sa mission, sans quoi la juridiction ne se serait pas prononcée et n'aurait pas condamné les consorts SC. sur la base du rapport d'expertise,
la SAM D qui a été condamnée à régler la moitié des frais d'expertise ne conteste pas ses diligences,
la mauvaise foi des consorts SC. n'a d'égal que leur désir de ne pas honorer leurs dettes.
Aux termes de leurs écritures judiciaires, les sociétés A, B et C ont sollicité la confirmation de l'ordonnance du 19 avril 2016 ainsi que la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu des frais qu'elles ont dû engager dans le cadre de la présente instance. Elles soutiennent pour l'essentiel que :
le juge chargé du contrôle de l'expertise est compétent pour fixer la rémunération globale de l'expert sur justification de l'accomplissement de sa mission,
les demandes de taxations provisionnelles présentées au cours de l'expertise ne sont pas susceptibles de recours et par courriel du 5 février 2016, l'expert a présenté une demande de taxation définitive égale au montant des provisions octroyées, en sorte que la procédure a été strictement respectée,
l'expert ne répond aucunement sur la proportion des honoraires demandés au regard des diligences accomplies, de la qualité des travaux réalisés et/ou des difficultés rencontrées, mais sur le fait faussement allégué de ce qu'aucune partie ne se serait plaint de la qualité de son travail pendant et après le cours de l'expertise,
elles n'ont eu de cesse au cours des accédits mais également par voie de dire de critiquer la conduite des opérations d'expertise et de solliciter des travaux complémentaires de l'expert,
ainsi, le dire du 5 septembre 2012 exposait sur plus de 19 pages la position de Monsieur SC. et sollicitait, comme entrant dans le champ de la mission de l'expert, de voir figurer au rapport l'ensemble des désordres et inachèvements affectant l'appartement, qu'il soit procédé à diverses vérifications, d'acter que certains travaux et facturations supplémentaires n'avaient fait l'objet d'aucun devis accepté, la recherche de l'origine des particules incrustées dans le marbre posé au sol,
de même, le dire du 5 mars 2013 rédigé en réponse au pré-rapport comporte l'ensemble des critiques qu'elles ont ultérieurement formulées et évoque l'évaluation globale des malfaçons sans qu'il soit possible d'identifier leur coût,
l'expert n'apportera aucune réponse et ne tiendra nullement compte de leurs observations,
les parties ne peuvent contester les honoraires que sur la base d'une taxation définitive, si bien qu'elles ont émis leur contestation quand elles ont été en capacité et en mesure de la faire,
il est plus que cohérent que les appréciations du juge taxateur quant aux travaux accomplis soient de même nature et aboutissent aux mêmes conclusions que celles des juges du fond sauf à encourir une contrariété de décisions,
aucune conclusion ne peut être tirée du fait que l'appréciation du juge taxateur rejoigne celle du juge de fond,
l'arrêt de la Cour d'appel du 27 septembre 2016 reflète également les carences du rapport d'expertise (pages 26 et 28 sur le chiffrage global de 35.000 euros sans détail du coût poste par poste),
l'expert ne saurait tirer avantage du fait que les autres parties s'en remettent à justice sur le montant de la rémunération dès lors qu'à l'exception de la SAM D, elles ne sont pas concernées,
cette dernière a déjà considéré de fait que les honoraires devaient être ramenés au montant fixé par l'ordonnance du 19 avril 2016 et a refusé de payer sa quote-part de prise en charge sur la base des règlements déjà effectués,
l'ordonnance de taxe doit en conséquence être confirmée,
par ailleurs, l'expert a répondu le 6 juillet 2012 que le sapiteur, en sa qualité d'économiste de la construction, était chargé d'analyser toutes les pièces produites et les documents comptables, le chiffrage des travaux réalisés et non réalisés et l'analyse des devis de réparation,
il s'ensuit que sa présence au cours des 36 heures d'accédit n'était nullement justifiée et ce d'autant que le rapport d'expertise est totalement défaillant sur l'évaluation des coûts de reprise ou des moins-values, ainsi que l'ont relevé le Tribunal et la Cour d'appel,
l'expertise n'a pas répondu à la mission confiée tandis que l'expert n'a pas répondu à leurs demandes et a déposé un rapport extrêmement succinct, imprécis et incomplet, dont les conclusions générales sont lapidaires et vagues tant en ce qui concerne la nature des désordres que la description des reprises,
de même, la mission du sapiteur n'a pas été réalisée, en sorte que les heures comptabilisées pour ce dernier sont formellement contestées en totalité (170 heures facturées),
les 42 heures de secrétariat facturées au même taux horaire que les heures d'expertise doivent être diminuées de moitié, soit 21 heures,
c'est donc la somme totale hors taxes de 28.650 euros (191 heures) qui est contestée, ramenant les honoraires à la somme de 30.450 euros hors taxes,
elles avaient demandé la taxation à hauteur de 36.418,20 euros TTC correspondant à plus de 200 heures de travail, ce qui apparaît comme une rémunération élevée au regard de la médiocrité et de l'indigence du rapport d'expertise.
La SARL E, la SAM D et la compagnie F s'en sont rapportées à justice quant aux mérites de la demande formée par l'expert.
SUR QUOI
Les parties n'ont pas contesté la recevabilité de l'opposition formée par j-p. PI. à l'encontre de l'ordonnance du 19 avril 2016, la date de la signification de l'ordonnance de taxe n'ayant d'ailleurs nullement été justifiée.
L'article 365 du Code de procédure civile prévoit « Sur justification de l'accomplissement de la mission, le juge chargé du contrôle fixe la rémunération globale de l'expert et autorise celui-ci à se faire remettre, par la ou les parties désignées les sommes restant dues.
Il ordonne, s'il échet, la restitution par l'expert, à l'une ou l'autre partie, des sommes versées en excédent.
Il peut délivrer un titre exécutoire soit à l'expert, soit à la partie ».
Il est exact que le juge chargé du contrôle n'avait pas épuisé sa compétence en matière de taxation définitive (laquelle fixe seule les droits définitifs de l'expert), dès lors qu'elle n'était pas intervenue à la suite du dépôt du rapport d'expertise.
Il n'en demeure pas moins cependant que ce magistrat ne pouvait s'appuyer sur les décisions rendues par les juridictions du fond, se prononçant sur la base du rapport d'expertise en cause, pour fixer le montant des honoraires de l'expert mais devait procéder à une évaluation de l'accomplissement de la mission de ce dernier au moment du dépôt du rapport d'expertise, le cas échéant, au regard des éléments soulevés par les parties sur le travail accompli notamment à travers les dires, la réponse qui leur a été apportée et les conclusions expertales, et ce, sans qu'il ait lieu de s'interroger plus précisément sur la violation invoquée des dispositions de la CEDH (le principe du contradictoire ayant en tout état de cause été respecté dans la mesure où l'expert a pu formuler ses observations sur les critiques émises) ou sur l'application de l'article 367 du Code de procédure civile (qui concerne la seule juridiction du fond ayant, dans son appréciation souveraine, estimé devoir statuer, en l'absence d'une demande de contre-expertise, en fonction des éléments en sa possession, notamment les chiffrages du maître de l'ouvrage).
Il convient également de rappeler qu'aux termes de l'article 353 du Code de procédure civile, « Les parties peuvent formuler des dires à tout moment ; il en est fait mention dans le rapport » et de l'alinéa 3 de l'article 354 de ce même code que « L'expert peut également, dans les mêmes conditions, recueillir, sur un point particulier, l'avis d'un autre technicien ».
Il est constant que l'expert a fait appel à un sapiteur tandis que les explications données à cet égard au juge chargé du contrôle de l'expertise, sur sa demande, par j-p. PI. le 6 juillet 2012 sont les suivantes « je vous précise que Monsieur Pierre CHIOSSONE est un économiste de la construction et que son intervention à ce titre m'est nécessaire pour la vérification des pièces écrites, l'analyse des documents comptables, le chiffrage des travaux réalisés et non réalisés et l'analyse des devis de réparations que fourniront les parties. Celles-ci m'ont adressé neuf dossiers importants d'environ 10 cm d'épaisseur, comprenant le détail de toutes les pièces du marché ».
Le recours à ce sapiteur et sa présence aux neuf accédits organisés par l'expert n'a pas donné lieu à la moindre contestation ou discussion de la part des parties au cours des opérations, si bien qu'ils ne peuvent être désormais reprochés à j-p. PI..
Il n'en demeure pas moins que le Tribunal doit déterminer, tant pour les travaux de l'expert que de son sapiteur, si la rémunération sollicitée est en adéquation avec le travail réalisé et les missions confiées.
La décision de référé du 15 février 2012 ayant ordonné l'expertise litigieuse comprenait notamment deux chefs de mission :
rechercher et décrire s'ils existent l'ensemble des malfaçons et inachèvements affectant le chantier relatif à l'appartement susmentionné et dire à quelle date ils ont été effectifs, (...)
évaluer le coût des malfaçons, non-façons de l'ensemble des ouvrages réalisés par la SAM D et le décorateur ZU. (...) ».
Les conclusions expertales sur ces points réalisent une analyse des malfaçons et inachèvements allégués en donnant un avis sur les différents postes (pages 12 à 19 du rapport), bien qu'elles se contentent d'un chiffrage global des prestations à déduire à hauteur de 35.000 euros, et ce, sans expliquer pour chaque poste l'évaluation effectuée notamment par le sapiteur.
Il convient de souligner sur cette question que le dire du 5 mars 2013 du conseil de v. SC., des sociétés A, B et C, lequel fait suite au pré-rapport, mentionne clairement :
« (...) Sur les déductions pour non-façons : 47.555 euros
Nous comprenons de votre pré-rapport que vous avez procédé à une évaluation globale de la déduction à opérer au titre des prestations non exécutées, des prestations modifiées, des prestations de qualité non satisfaisantes, des interventions de révision et que vous les avez globalement évaluées à 35.000 euros.
Or, la simple prise en compte des non-façons, relevées lors de vos opérations d'expertise, conduit sur la base des prix mentionnés au devis d'origine, à une somme supérieure à 35.000 euros et l'absence d'individualisation de ces postes dans votre pré-rapport ne permet pas de faire un comparatif avec les postes relevés lors des accédits.
Ainsi, il ressort de votre pré-rapport (...)
MALFACONS : 102.800 euros
Votre évaluation étant globale sans qu'il soit possible d'identifier le coût des malfaçons (...) ».
La réponse apportée par l'expert à ce dire est la suivante « (...) votre dire présente un chiffrage qualitatif de prestations qui, soit figurent en estimation dans notre rapport, soit ne se justifient pas car en conformité aux attendus et conclusions de notre rapport, soit ont été traitées au cours des divers accédits (...) ».
Dans ces conditions, la présente juridiction ne peut que constater que cette partie importante de la mission d'expertise concernant le chiffrage des malfaçons et non-façons n'a pas été réalisée de manière précise et détaillée par l'expert assisté de son sapiteur, en dépit des remarques formulées par les parties, et que la réponse apportée au dire sur cette question n'est pas claire et renvoyait aux accédits précédents sans conclusion définitive suffisamment exploitable.
Par ailleurs, ainsi que l'a rappelé le juge chargé du contrôle de l'expertise, et conformément à la lettre de l'article 365 du Code de procédure civile précité, ce magistrat peut fixer la rémunération définitive de l'expert à une somme inférieure à celle correspondant aux différentes provisions octroyées au cours de l'expertise, étant souligné que les ordonnances rendues à cet égard sont insusceptibles de recours de la part des parties. De plus, il apparaît que la dernière « note de frais » du 12 février 2013 ayant donné lieu à l'ordonnance de complément de provision du 5 mars 2013 ne constituait qu'un prévisionnel du coût de l'expertise (calcul prévisionnel des heures de travail nécessaires pour la finalisation du rapport d'expertise) et n'a pas fait l'objet d'une réévaluation concrète de l'expert en fonction de ses dernières diligences lors de la clôture de ses opérations, en sorte qu'elle n'est même pas le reflet définitif du travail accompli.
En outre, bien que les 42 heures de « rédaction », qui concernent manifestement le rapport (les autres heures se rapportant à l'analyse des pièces), ne correspondent pas à du simple travail de secrétariat en dépit de la mention attenante « lettres RAR, pages, photocopies, photos », la présente juridiction ne peut pas conclure de manière certaine que 42 heures de travail ont été consacrées à la rédaction du rapport, tel qu'il a été déposé par l'expert (27 pages sans les annexes ; pages 11 à 27 relatives aux réponses aux chefs de mission et aux dires).
En l'état de l'ensemble de ces éléments, et en particulier de l'analyse globale du rapport d'expertise et du travail effectué, au regard de la mission qui avait été confiée à l'expert, le Tribunal évalue la rémunération devant lui revenir à la somme de 55.000 euros, si bien qu'il convient également d'ordonner la restitution aux sociétés A, B et C de la somme de 15.683,60 euros.
La demande en paiement de dommages et intérêts n'a pas lieu de prospérer, la prétention de l'expert étant partiellement fondée.
En l'état des succombances respectives, les dépens du présent jugement seront supportés par moitié par j-p. PI. d'une part et les sociétés A, B et C d'autre part.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement et par jugement susceptible d'un recours en révision dans les conditions prévues par l'article 238 du Code de procédure civile,
Reçoit j-p. PI. en son opposition formée contre l'ordonnance de taxe du juge chargé du contrôle de l'expertise en date du 19 avril 2016 ;
La réformant partiellement, fixe à la somme de 55.000 euros le montant de la rémunération devant revenir à l'expert j-p. PI. ;
Ordonne, en conséquence, la restitution par ce dernier aux sociétés A, B et C de la somme de 15.683,60 euros ;
Déboute les sociétés A, B et C de leur demande en paiement de dommages et intérêts ;
Fait masse des dépens du présent jugement et dit qu'ils seront supportés par moitié d'une part, par j-p. PI. et d'autre part, par les sociétés A, B et C, avec distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, Maître Frank MICHEL, Maître Patrice LORENZI, Maître Joëlle PASTOR-BENSA et Maître Yann LAJOUX, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun pour ce qui le concerne ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Mademoiselle Magali GHENASSIA, Vice-Président, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 26 OCTOBRE 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Marine PISANI, Greffier en Chef Adjoint, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.