Tribunal de première instance, 19 octobre 2017, Mme a. c. M c/ La SCI A
Abstract🔗
Procédure civile - Attestation - Omission d'une mention obligatoire - Nullité (oui) - Vente - Action en nullité - Vice du consentement - Défaut de caractérisation - Action en rescision pour lésion - Recevabilité de l'action (oui) - Point de départ - Date de l'acte authentique - Présomptions suffisantes de lésion (oui) - Expertise ordonnée sur la valeur de l'immeuble
Résumé🔗
L'attestation qui ne mentionne pas le lien de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties, l'intérêt éventuel de son auteur au procès et la connaissance du risque de sanction en cas de fausse attestation, est entachée de nullité.
Dès lors qu'il n'est allégué ni l'erreur, ni la violence, ni le dol, et alors qu'il n'appartient pas au tribunal de se substituer à la partie demanderesse pour chercher à rattacher le contexte décrit à l'une ou à plusieurs de ces conditions, il doit être retenu qu'il n'est pas suffisamment démontré que le consentement de la venderesse a été vicié au sens de l'article 964 du Code civil.
La promesse synallagmatique de vente, n'ayant pas été constatée ou réalisée dans un acte authentique, ne vaut pas vente et ne peut donc constituer le point de départ de l'action en rescision pour lésion. Le point de départ de l'action en rescision pour lésion se situe à la date à laquelle a été dressé l'acte authentique portant vente du bien. L'action engagée moins de deux avant l'expiration du délai imparti par l'article 1518 du Code civil, n'est donc pas prescrite.
L'âge très avancé de la venderesse, la régression perceptible de ses capacités cognitives doivent être corrélés aux variations du prix, toujours à la baisse, proposées par les agences, à la tentative de l'agence immobilière de lui faire signer une vente en viager que le notaire a refusée, ainsi qu'aux conditions de la vente intervenue sans aléa, et constituent des présomptions suffisantes de lésion au sens de l'article 1519 du Code civil. Ces présomptions demeurent des présomptions simples. La valeur de l'immeuble à la date de la vente n'étant pas déterminable à ce stade de la procédure, il convient d'organiser une expertise et de sursoir à statuer sur l'action en nullité de la vente.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000615 (assignation du 28 mai 2015)
JUGEMENT DU 19 OCTOBRE 2017
En la cause de :
Mme a. c. M, née le 23 octobre 1959 à Stuttgart (Allemagne), coach consultant d'entreprises, demeurant X1, 71334 Waiblingen (Allemagne) ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La SCI A, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de ses gérants statutaires en exercice, Mme c. m. AT. épouse M et M. Elias M ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître m.-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 28 mai 2015, enregistré (n° 2015/000615) ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SCI A, en date des 14 octobre 2015, 23 juin 2016 et 7 décembre 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom d a. c. M, en date des 17 mars 2016, 27 octobre 2016 et 13 avril 2017 ;
À l'audience publique du 4 mai 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 13 juillet 2017, prorogé au 26 septembre 2017 et au 19 octobre 2017, les parties en ayant été avisées par le Président ;
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par acte dressé par devant Maître REY, notaire à Monaco le 29 mai 2013, d. dite Doris HA., âgée de 86 ans, a vendu à la SCI A un bien immobilier à usage d'habitation situé X3 à Monaco, en viager occupé moyennant :
- un versement d'un capital-bouquet de 150.000 €,
- assorti d'une rente viagère mensuelle de 15.000 €.
d. HA. est décédée le 10 août 2014 en France, laissant pour lui succéder a. M, sa nièce, instituée légataire universelle.
Estimant avoir découvert que sa tante présentait une altération de ses capacités cognitives dans un contexte de maladie d'Alzheimer et de cancer du poumon ayant produit des métastases cérébrales, dont avait abusé l'agent immobilier qui avait trouvé l'acquéreur pour faire sous-évaluer le bien, a. M entend contester la vente.
Par acte d'huissier du 28 mai 2015, a. M a fait assigner la SCI A devant le Tribunal de première instance de Monaco afin de voir déclarer la vente nulle sur le fondement de l'article 1516 du Code civil et subsidiairement pour vileté du prix sur le fondement de l'article 1434 du même code.
Au terme de la procédure, par voie de conclusions récapitulatives, elle demande au tribunal de :
- débouter la SCI A de son exception de forclusion ;
- déclarer nulle la vente intervenue le 28 mai 2013 pour vice du consentement et subsidiairement pour lésion - vileté du prix ;
- subsidiairement, si le tribunal s'estimait insuffisamment informé sur la valeur de l'immeuble cédé, ordonner une expertise judiciaire afin de fournir tous éléments permettant de déterminer les conditions de la vente notamment quant à son bouquet et à la rente, afin de permettre d'établir à dire d'expert son caractère aléatoire ;
- dans ce cas, surseoir à statuer sur le fond dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;
- débouter la SCI A de l'ensemble de ses demandes.
Elle expose que :
- le bien litigieux est un immeuble d'habitation sur quatre étages avec terrasse au dernier étage, d'une surface habitable de 200m², avec droit de construire au-dessus du niveau supérieur, situé sur le Rocher, non soumis à la loi du 28 décembre 2000 ;
- pour la période concernée, le prix du m² dans ce secteur pour des biens anciens variait de 24.000 € à 70.000 €, et concernant ce bien, une première agence sollicitée (Agence B) avait proposé un prix de 5.000.000 €.
Elle soutient :
Sur la prescription :
- que le délai de prescription de l'action en rescision de vente pour lésion court du jour de la vente par acte notarié en application des articles 1426 et 1432 du Code civil monégasque, soit en l'espèce du 29 mai 2013, de sorte que l'exception de prescription soulevée par la défenderesse est infondée.
À l'appui de la nullité de la vente :
- que le consentement de la venderesse a été vicié au sens des articles 963 et 964 du Code civil, aux motifs essentiellement que :
Le bien représente 200m² habitables, avec terrasse en toiture d'environ 20m² et droit de construire au-dessus du niveau supérieur ; En l'état d'une offre réduite pour ce type de bien, et d'une clientèle internationale, les prix se maintiennent dans une fourchette élevée ; Le montant du prix, très faible au regard du marché immobilier à la date de la vente pour ce type de biens, est incompréhensible alors qu'un précédent mandat avait été donné pour 4.600.000 € et qu'un projet de mandat encore antérieur l'estimait à 5.000.000 € ;
Madame HA. était âgée de 86 ans à la date de la vente, et son état de santé et de lucidité était diminué par la maladie d'Alzheimer et un cancer avec métastases cérébrales, de multiples éléments médicaux démontrant son incapacité à la gestion de ses affaires depuis au moins 2011 ;
La nature des pathologies présentées à la date du décès rend médicalement certain que son état déficient était largement antérieur à la vente survenue le 29 mai 2013.
Le comportement des agences immobilières et de l'acquéreur démontre le déficit mental de la venderesse :
* après avoir en 2011 proposé à d. HA. un projet de mandat exclusif dans lequel le bien était estimé à 5.000.000 € puis obtenu de se voir confier un mandat exclusif de vente dans lequel elle estimait le bien à une valeur de 4.500.000 €, l'agence B est parvenue à la convaincre de régulariser le 8 mars 2013 un compromis de vente pour une rente mensuelle viagère de 15.000 € avec un versement initial de 50.000 €, manipulation qui n'a échoué que grâce à la clairvoyance du notaire qui s'y est opposé ;
* cette agence, alors que la vente est intervenue par l'intermédiaire d'un autre professionnel de l'immobilier, a ensuite avec la plus grande mauvaise foi assigné la venderesse, pour obtenir sa condamnation au paiement d'une commission de 269.500 € en s'appuyant sur le mandat initial de vente pour 4.500.000 € ;
* l'agence C après lui avoir fait signer un mandat contenant une estimation en pleine propriété à 2.500.000 € lui a ultérieurement fait accepter une offre à 1.800.000 €, tout en lui faisant signer une reconnaissance de dette d'une commission de 149.500 € TTC, sur la base d'un prix de 2.500.000 € ;
* la SCI A s'est entendue avec l'Agence C en lui remettant un chèque de 200.000 € avant même que Madame HA. ait signé le mandat.
Le comportement de Madame HA. qui a accepté toutes ces modifications à la baisse ne peut s'expliquer que par les troubles cérébraux et la maladie d'Alzheimer dont elle était atteinte.
De manière subsidiaire, sur le fondement des articles 1803, 1807 et suivants, 1519 et 1516, 1519,1520 et 434 du Code civil elle conclut à la nullité de la vente pour cause de lésion de plus des sept douzièmes et pour vileté du prix, aux motifs essentiellement que la SCI A ne peut valablement invoquer le principe suivant lequel l'aléa chasse la lésion alors que la venderesse était gravement malade, que son espérance de vie à prendre en compte pour la fixation du prix du viager, s'établissait, hors ses pathologies, à 85 ans, soit quasiment nulle en l'espèce, que le caractère aléatoire de la vente avait de ce fait disparu, alors que le bien avait été sous-évalué ;
Plus subsidiairement, sur la demande d'expertise, qu'il y a lieu de déterminer la valeur du bien à la date de la vente et les conditions financières de celle-ci, afin d'établir le défaut de caractère aléatoire ;
Sur la demande reconventionnelle que :
L'acquéreur prétend à tort obtenir une diminution de 10% du prix du bouquet en s'appuyant sur la garantie des vices cachés au titre d'un prétendu défaut de conformité au permis de construire accordé en avril 1977 de travaux réalisés par un précédent propriétaire, alors que l'acte de vente l'exclut et que les travaux ont été déclarés conformes par les services de l'urbanisme en 1982.
En réponse, la SCI A conclut à voir :
- déclarer l'action en rescision pour lésion diligentée par a. M irrecevable comme prescrite ;
- déclarer l'action pour lésion diligentée par a. M irrecevable comme ayant pour objet une vente aléatoire ;
- rejeter la demande de dépôt au greffe de l'original de la pièce n°4 ;
Subsidiairement au fond :
- débouter a. M de l'intégralité de ses demandes ;
Reconventionnellement
- ordonner la réduction de 10% du montant du bouquet soit la somme de 15.000 ¿ ;
En tout état de cause,
- condamner a. M au paiement de la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts.
Dans le corps de ses « conclusions n°2 » déposées le 23 juin 2016, sans que cela soit repris au dispositif de ses écritures elle sollicite en outre le rejet des pièces adverses 14.1 à 16.4 et 17 et 18.
Elle soutient :
Sur la recevabilité de l'action :
- qu'une promesse synallagmatique de vente a été dressée devant notaire le 15 avril 201 sous condition suspensive de l'exercice de son droit de préemption par le Gouvernement Princier. Les acquéreurs ont été avisés le 7 mai 2013 que le Gouvernement Princier n'entendait pas exercer son droit de préemption ;
- que la vente entre les parties s'est donc trouvée parfaite à cette date qui, par voie de conséquence, constitue le point de départ du délai de deux ans dans lequel l'action est enfermée, de sorte qu'elle est prescrite.
- qu'en outre, il est admis que la lésion n'est pas admise dans les ventes en viager en vertu du principe : « L'aléa chasse la lésion » :
L'action fondée sur la lésion n'est admise qu'en l'absence d'aléa. Le demandeur supporte la charge de la preuve de la disparition de l'aléa.
L'aléa ne disparaît que si le contrat prétendument aléatoire ne comporte en réalité aucun risque pour l'une des parties.
En l'espèce, la demanderesse ne rapporte pas la preuve que Madame HA. était déjà malade lors de la vente et que c'est la même pathologie qui l'a emportée.
Il y a un aléa lorsqu'il existe un risque effectif et suffisant pour chacune des parties, lequel était présent en l'espèce puisque le bien était vétuste et nécessitait des travaux, qu'il est situé dans un environnement de commerces produisant des nuisances sonores et dégageant de fortes odeurs de cuisine, et que des irrégularités et non conformités de travaux ont été constatées, et qu'enfin la venderesse s'était ménagée un droit d'usage et d'habitation.
Tous ces éléments doivent être rapprochés de l'évaluation de la valeur du bien soit 1.800.000 € s'il avait été vendu libre, les estimations supérieures étant fantaisistes à une période où les prix immobiliers avaient baissé et alors que l'immeuble était insalubre et d'une surface inférieure (130m2) à celle prétendue par a. M (200m2).
Dès lors le prix en viager occupé, composé d'un bouquet de 150.000 € et d'une rente de 15.000 € par mois, est exempt de critiques.
- que l'aléa étant établi, l'action est irrecevable ;
- que la demanderesse est encore irrecevable à invoquer la vileté du prix, qui supposerait une absence de prix, ou un prix dérisoire. Dans une vente aléatoire, l'existence de l'aléa exclut la nullité pour vileté. En l'espèce, le prix n'est nullement dérisoire puisque la capitalisation de la rente correspond à une juste évaluation du bien. En outre l'existence de l'aléa a été démontrée.
- qu'enfin la demanderesse qui ne démontre pas que l'une des conditions prévues à l'article 410-2° du Code civil serait remplie est irrecevable à invoquer la nullité de la vente du chef de défaut de capacité du vendeur. À cet égard :
Il y a lieu de rejeter les pièces adverses 14.1 à 16.4 partiellement illisibles, et 17 et 18 qui sont des attestations non conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile.
Les compte rendus d'examens médicaux produits n'établissent ni un cancer, ni une dégénérescence cérébrale à la date de la vente mais sont en relation avec une fracture de la hanche.
Jusqu'à son décès la défunte a pris seule les décisions concernant ses affaires, en étant accompagnée de son conseil, sans qu'une procédure de protection n'ait été engagée.
Les attestations adverses produites révèlent un état de fatigue, sans établir une altération des facultés intellectuelles.
Reconventionnellement :
- que la clause excluant la garantie des vices cachés ne couvre que les vices ignorés du vendeur ;
- que l'action en garantie des vices cachés est valablement exercée au titre des vices cachés connus de la venderesse, tenant à d'importantes non-conformités des travaux réalisés par Madame HA. et à l'état de vétusté des locaux ;
- que l'action infondée de la demanderesse l'a contrainte à engager des frais pour assurer sa défense en justice, lui causant ainsi un préjudice qu'il y a lieu de réparer par l'allocation de la somme de 10.000 €.
SUR CE,
Sur la demande tendant à voir écarter des débats diverses pièces produites par a. M :
La SCI A demande que soient écartées des débats les pièces adverses n° 14.1 à 16.4 comme étant partiellement illisibles, et 17 et 18 comme n'étant pas conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile.
Les pièces produites par a. M sous les n° 14-1 et 14-2 de même que la pièce n°15 sont lisibles et exploitables.
La pièce n°16-1 consiste en un extrait de cahier hospitalier d'observations et consignes, comportant des écritures différentes dont certaines sont effectivement illisibles, de sorte qu'à défaut de compréhension, le tribunal ne pourra en tirer aucun effet, sans qu'il y ait pour autant matière à les écarter.
La pièce n°17 consiste en un courrier adressé au conseil de de la demanderesse par PO., ancien comptable de sa tante, dans lequel il décrit sa relation de travail avec cette dernière.
Ce document qui ne prétend pas être une attestation n'est pas soumis aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile qui énumère les conditions de validité des attestations en justice.
La pièce n°18 est une attestation de s. GR..
Le non-respect des formalités de l'article 324 du Code de procédure civile est sanctionné par la nullité de l'attestation concernée et non par le rejet ou le fait d'écarter la pièce.
En l'espèce, l'attestation de s. GR. (pièce n°18 d a. M) qui ne mentionne pas le lien de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties, l'intérêt éventuel de son auteur au procès et la connaissance du risque de sanction en cas de fausse attestation, est entachée de nullité.
Sur la demande en annulation de la vente :
Sur le fondement principal des vices du consentement :
Il convient liminairement de relever qu'après avoir introduit sa demande de nullité de la vente en se fondant à titre principal sur l'article 1516 du Code civil, qui est relatif à l'action en rescision pour lésion, et subsidiairement sur la vileté du prix au vu des dispositions de l'article 1434 du Code civil, a. M a dans ses conclusions récapitulatives réitéré sa demande de nullité de la vente, mais sur le fondement principal des vices du consentement résultant des articles 963 et 964 du Code civil, suivi à titre subsidiaire de celui de la « lésion-vileté du prix », et en sollicitant si le tribunal l'estimait nécessaire, une expertise sur la valeur de l'immeuble.
Il résulte de l'article 963 du Code civil que le consentement de la partie qui s'oblige constitue une condition essentielle de la validité d'une convention, l'article 964 disposant qu' : « Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».
a. M développe l'âge avancé de Madame HA., l'altération de ses facultés de gestion de son patrimoine tenant à la maladie d'Alzheimer dont elle aurait été atteinte, le comportement déloyal des agences B et C qui ont notamment sous-évalué le prix du bien, mais n'en tire directement ou indirectement aucune conséquence, au titre de l'erreur de la violence ou du dol qui ne sont pas invoqués.
Dès lors qu'il n'est allégué ni l'erreur, ni la violence, ni le dol, et alors qu'il n'appartient pas au tribunal de se substituer à la partie demanderesse pour chercher à rattacher le contexte décrit à l'une ou à plusieurs de ces conditions, il doit être retenu qu'il n'est pas suffisamment démontré que le consentement de la venderesse a été vicié au sens de l'article 964 du Code civil de sorte que les prétentions de a. M ne peuvent prospérer de ce chef.
Sur le fondement subsidiaire de la lésion et vileté du prix :
A titre subsidiaire, la nullité de la vente est sollicitée par a. M, sur le fondement unique de la « lésion-vileté du prix ».
Sur la recevabilité de l'action en justice d a. M :
L'action en rescision pour lésion est enfermée dans un délai prévu à l`article 1518 du Code civil qui dispose que : « La demande n'est plus recevable après l'expiration de deux années à compter du jour de la vente. »
Pour invoquer la prescription de l'action d a. M, la SCI A soutient que la vente était parfaite entre les parties qui avaient convenu de la chose et du prix par une promesse synallagmatique de vente signée le 15 avril 2013, soit plus de deux ans avant l'assignation délivrée le 28 mai 2015.
L'article 1426 du Code civil monégasque dispose s'agissant de la vente que : « Elle est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoi que la chose n'ait pas encore été délivrée et le prix payé.
Toutefois, lorsque la convention a pour objet un immeuble situé dans la principauté d'une valeur supérieure à 23 €, elle ne produit ses effets qu'à partir du moment où elle est constatée par acte authentique passé devant un Notaire monégasque. »
En outre, concernant la promesse synallagmatique, l'article 1432 du même code dispose que : « La promesse synallagmatique de vente vaut vente entre les parties, lorsqu'il y a consentement des deux parties sur la chose et sur le prix.
Lorsque la promesse synallagmatique a pour objet un immeuble situé dans la principauté d'une valeur à 23 €, elle ne vaut vente qu'à partir du moment où elle est constatée ou réalisée par un acte authentique dressé conformément au paragraphe deuxième de l'article 1426 ».
La SCI A ne peut donc valablement s'appuyer sur le dispositif général issu de l'alinéa 1er de chacun de ces deux articles, en omettant de tirer les conséquences des dispositions spécifiques aux ventes d'immeubles édictées par les seconds alinéas de ces mêmes articles.
En l'espèce, la promesse synallagmatique de vente du 15 avril 2013, consentie aux époux M n'a nullement été constatée ou réalisée dans un acte authentique et constitue seulement un acte sous seings-privés qui ne vaut pas vente à la SCI A à sa date de signature et qui ne peut donc constituer le point de départ de l'action en rescision pour lésion.
Le point de départ de cette action se situe au 29 mai 2013, date à laquelle a été dressé l'acte authentique portant vente du bien par d. HA. à la SCI A.
L'action engagée le 28 mai 2015, soit moins de deux avant l'expiration du délai imparti par l'article 1518 précité, n'est donc pas prescrite, de sorte que la fin de non-recevoir invoquée de ce chef doit être rejetée.
La SCI A excipe également du principe « L'aléa chasse la lésion » pour conclure à l'irrecevabilité de la demande.
Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription.
Ce moyen qui ne relève d'aucune de ces causes d'irrecevabilité constitue en réalité une défense au fond, portant sur la question des conditions de l'action en rescision pour lésion et sera examiné comme tel.
La prétention de la SCI A à voir déclarer irrecevables les demandes tirées de l'argumentaire subsidiaire de la demanderesse sur la vileté du prix, au motif que le prix de la vente serait conforme au prix du marché et à l'état dégradé de l'immeuble, ne peut pas plus caractériser un moyen d'irrecevabilité et relève du fond du droit.
Aucune cause d'irrecevabilité n'étant démontrée, l'action doit être déclarée recevable.
Sur le bien-fondé de l'action :
Au fond, l'action en rescision pour lésion est régie par les dispositions des articles 1516 à 1525 du Code civil.
Selon l'article 1516 : « Si le vendeur a été lésé de plus des sept douzièmes dans le prix d'un immeuble il a le droit de demander la rescision de la vente alors même qu'il aurait expressément renoncé, dans le contrat, à la faculté de demander cette rescision et qu'il aurait déclaré donner la plus-value. »
Selon l'article 1517 : « Pour savoir s'il y lésion de plus des sept douzièmes, il faut estimer l'immeuble suivant un état de sa valeur au moment de la vente ».
La SCI A se prévaut de la règle « L'aléa chasse la lésion » au motif que l'opération de vente dont la rescision pour lésion est demandée est une vente en viager qui comporte par nature un aléa.
Cette règle n'est pas directement écrite mais résulte de la force donnée à la convention des parties. Lorsqu'elles ont accepté le risque d'une perte, il est logique qu'elles ne puissent ensuite être admises à contester le défaut d'équivalence des obligations à la suite de la réalisation du risque.
Il appartient donc à celui qui sollicite la rescision pour lésion d'une vente aléatoire de démontrer l'absence d'aléa.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la SCI A, il ne suffit pas de relever que le contrat entre elle-même et Madame HA. consistait en une vente en viager prévoyant le versement d'un capital fixe et d'une rente viagère, contrat qui comporte par nature un aléa puisque la durée de vie du crédirentier est inconnue au jour de la vente, pour exclure la recherche d'une éventuelle lésion.
L'évaluation d'une vente en viager se fait en trois étapes :
- d'abord estimer la valeur vénale de l'immeuble,
- ensuite déterminer le bouquet voulu par le vendeur : plus il est âgé, moins la durée prévisible de versement de la rente sera longue, du moins d'un point de vue statistique, donc plus le bouquet sera élevé, mais cela n'est pas une exigence légale et dépend du vendeur ;
- enfin, déduire le bouquet du prix et calculer la rente correspondant au solde, en fonction des tables dites d'âge ou de mortalité établies par l'INSEE en FRANCE ou par les compagnies d'assurance et communément admises. La rente ainsi évaluée est légitime, et l'aléa naît de la différence entre la durée de vie statistiquement prévisible et la durée effective de vie du vendeur.
Au cas présent, d., HA. née le 31 janvier 1927 était âgée de 86 ans lors de la vente.
Au vu des pièces produites par a. M, elle avait soit une espérance de vie nulle, soit suivant les statistiques établies par l'INSEE, une espérance de vie de six ans et dix mois, soit 6,83 ans et non 7,35 ans comme l'indique a. M dans l'assignation.
Après une offre des époux M en date du 5 avril 2013 sur la base d'un prix de 1.800.000 € payable en viager par un bouquet de 150.000 € et une rente mensuelle de 15.000 €, l'acte de vente, qui ne reprend plus le prix de base de 1.800.000 €, fixe le prix de vente à une somme de 150.000 € payée comptant et le service d'une rente mensuelle et viagère de 15.000 €.
Sur la base d'une espérance de vie de 6,83 ans le prix total statistiquement prévisible s'établit comme suit :
150.000 € + (15.000 € X 12 X6,83) = 1.379.400 €
Dans une précédente offre du même jour, à laquelle d. HA. a renoncé, les époux M avaient proposé le même montant en viager mais sur une base en bien libre de 2.500.000 €, dont ils n'expliquent nullement pourquoi elle a été immédiatement remplacée par une offre à un montant de 1.800.000 € sur lequel la transposition en viager leur procure encore un gain théorique de 420.600 €, voire davantage si la venderesse décédait plus tôt.
Ainsi même dans l'hypothèse la plus favorable à la SCI A sur la base de la plus grande espérance de vie statistique de la venderesse et en retenant la valeur de l'immeuble fixée par les époux M dans leur dernière offre, la vente ne présente pas d'aléa puisque l'acquéreur était certain d'obtenir un bénéfice sans même tenir compte de la durée de vie effective du crédirentier.
Selon l'article 1519 du Code civil : « La preuve de la lésion ne pourra être admise que par jugement, et dans le cas seulement ou les faits articulés seraient assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion. »
Selon l'article 1520 : « Cette preuve pourra se faire par expertise ou par tout autre moyen que le tribunal appréciera »
La partie demanderesse, doit donc démontrer l'existence de présomptions suffisantes pour faire présumer la lésion.
Elle produit à cet effet un premier mandat de vente dressé par l'agence B, non daté, d'un immeuble évalué à 5.000.000 €.
Cette valeur comparée au prix théorique maximal résultant de l'acte de vente soit 1.379.400 € établit une différence de plus de 7/12ème.
a. M produit en outre à titre de comparaison des fiches de vente de biens situés à Monaco Ville pour des prix hautement supérieurs à 5.000.000 €.
Elle établit en outre que a. M a présenté à la fin de sa vie un cancer pulmonaire et cérébral dont elle est décédée.
Elle fournit des éléments en faveur d'une maladie d'Alzheimer sans toutefois l'établir de manière indubitable.
Elle ne démontre pas non plus que tant les agences B et C à qui sa tante avait consenti des mandats que les époux M, aient pu avoir connaissance de sa pathologie.
Cependant, et peu important que les témoins décrivent d. HA. comme une personne indépendante et peu encline à se faire soigner et à déléguer la gestion de ses affaires, divers éléments concordants établissent que depuis l'année 2011 au moins elle présentait un affaiblissement intellectuel évident :
Catherine CO. BE. atteste avoir constaté des changements en 2011 consistant en une régression au titre des soins personnels et de l'organisation, avec notamment l'accumulation de courriers à traiter « plus tard », qu'en 2012 ses capacités physiques et psychiques avaient diminué énormément, qu'elle lui avait confié être inquiète sur son état cérébral et ses affaires déclarant « je crois que je perds un peu la tête ».
Ces constatations sont corroborées par PO., qui a assisté d. HA. pour sa comptabilité et ses déclarations fiscales depuis « les années 80-90 » et qui pour l'avoir rencontrée le 7 mars 2014 décrit une personne présentant de fréquentes absences, s'exprimant de manière très confuse, n'ayant plus traité son courrier administratif depuis près de deux ans et demi, ce qui l'a conduit à découvrir de nombreux chèques anciens de plus d'un an, une annulation de son contrat d'assurance complémentaire maladie faute d'avoir répondu aux relances de son assureur.
Dans ce contexte, l'âge très avancé de la venderesse, la régression perceptible de ses capacités cognitives doivent être corrélés aux variations du prix, toujours à la baisse, proposées par les agences, à la tentative de l'agence B de lui faire signer une vente en viager que le notaire a refusée, ainsi qu'aux conditions de la vente intervenue sans aléa, et constituent des présomptions suffisantes de lésion au sens de l'article 1519 précité.
Ces présomptions demeurent des présomptions simples.
Les parties s'opposent toutefois sur la surface de l'immeuble soit 200 m2 pour a. M et 130m2 pour la défenderesse, mais aussi sur l'état du bien au moment de la vente, la demanderesse communiquant des éléments en faveur d'un bon état « à rafraîchir » et le bien étant présenté dans un document de l'agence B comme un produit exceptionnel, tandis que la défenderesse produit un rapport d'évaluation non daté faisant état d'une insalubrité évidente ainsi qu'un constat d'huissier daté du 6 novembre 2014 révélant un état usagé ou dégradé des revêtements et équipements et plusieurs zones d'infiltration.
Dès lors, la valeur de l'immeuble à la date de la vente n'est pas déterminable à ce stade de la procédure, en sorte qu'il convient d'organiser une expertise dont les modalités précises seront indiquées au dispositif ci-après et de sursoir à statuer dans l'attente du dépôt par l'expert de son rapport sur le surplus des demandes des parties.
Les dépens seront réservés en fin de cause.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Déclare nulle l'attestation établie par s. GUY (pièce n° 18 de a. M) ;
Déboute a. M de sa demande en nullité de la vente sur le fondement des vices du consentement ;
Déclare a. M recevable en son action en annulation de vente immobilière fondée sur l'article 1516 du Code civil;
Avant-dire-droit au fond,
Ordonne une expertise qui obéira aux dispositions des articles 344 à 368 du Code de Procédure Civile et désigne pour y procéder :
p. MA.-SE.
Résidence Stanislas
6, place Stanislas
CANNES (06400)
laquelle, serment prêté aux formes de droit, assistée le cas échéant de tout sapiteur de son choix aura pour mission de :
- de se faire remettre par les parties tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et notamment les différents mandats de vente consentis par Doris HA. et les diverses offres faites à cette dernière ;
- recueillir les pièces des parties ;
- se rendre sur les lieux X3 à Monaco, en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, les visiter, décrire l'état dans lequel ils se trouvaient lors de la vente (29 mai 2013) ;
- procéder à l'évaluation de la valeur vénale du bien à la date de la vente au besoin en en mesurant préalablement la surface ;
- fournir tous éléments permettant de déterminer la valeur du bien en viager occupé au regard de l'âge de d. HA. à la date de la vente ;
- formuler toutes observations lui paraissant utiles à la solution du litige ;
- répondre aux dires des parties ;
Impartit à l'expert ainsi commis un délai de HUIT JOURS pour l'acceptation ou le refus de sa mission, ledit délai courant à compter de la réception par lui de la copie de la présente décision qui lui sera adressée par le Greffe général ;
Dit qu'en cas d'acceptation de sa mission l'expert déposera un pré-rapport de ses opérations en laissant un délai aux parties pour formuler leurs observations ;
Dit que le même expert déposera au Greffe général un rapport écrit de ses opérations dans les SIX MOIS du jour où il les aura débutées, à défaut d'avoir pu concilier les parties, ce qu'il lui appartiendra de tenter dans toute la mesure du possible ;
Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance ;
Ordonne que les frais d'expertise seront avancés par a. c. M, laquelle sera tenue de verser une provision à l'expert ;
Charge Mme Geneviève VALLAR premier juge, du contrôle de l'expertise et dit qu'en cas d'empêchement de ce magistrat, il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance ;
Surseoit à statuer sur le surplus des demandes des parties
Réserve les dépens en fin de cause ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 OCTOBRE 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.