Tribunal de première instance, 13 juillet 2017, Mme b. GE. c/ M. p. BU.
Abstract🔗
Procédure civile - Preuve - Attestations - Article 324 du Code de procédure civile - Omission de mentions obligatoires - Omission de mention de l'intérêt au procès - Cause de nullité (non) - Testaments - Bénéficiaire du legs - Médecin traitant - Nullité (oui)
Résumé🔗
Les attestations qui ne comprennent pas l'une des mentions exigées à l'article 323 du Code de procédure civile sont nulles et doivent être écartée des débats, sauf en ce qui concerne l'omission de préciser si l'auteur a quelque intérêt au procès. Une telle précision n'est à apporter par le témoin que lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt.
La nullité du legs consenti au médecin est constatée en application de l'article 777 du Code civil. Doit être considéré comme médecin traitant celui qui est resté en permanence avec le malade dans les mois qui ont précédé son décès, en lui prescrivant des soins divers et répétés. En revanche, ne saurait être assimilé au médecin traitant celui qui dispense une simple consultation, celui qui prodigue des conseils et avis de nature à apporter aide et réconfort au malade. La maladie dont meurt le disposant s'entend de sa dernière maladie, au cours de sa phase critique et désespérée, quelles que soient la durée et les intermittences de cette maladie. Lorsqu'il s'agit d'une maladie chronique, elle est considérée comme « dernière maladie » lorsqu'elle s'est aggravée au point d'ôter tout espoir de guérison. Le moyen de défense selon lequel le légataire ne pouvait être le médecin traitant de la défunte au motif qu'il n'est pas cardiologue est inopérant dès lors qu'il est établi que le spécialiste en cardiologie a, en l'espèce, initié le traitement dont il a ensuite confié le suivi au légataire. Il n'est d'ailleurs pas allégué que la défunte ait été suivie par un autre médecin généraliste.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000553 (assignation du 21 avril 2015)
JUGEMENT DU 13 JUILLET 2017
En la cause de :
Mme b. GE., née le 26 novembre 1943, à Boulogne Billancourt (France), de nationalité française, domiciliée en France, X1 75011 Paris ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
M. p. BU., né le 16 août 1967, de nationalité belge, exerçant la profession de médecin généraliste, domicilié à Monaco, X1, « X1 » ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean p. LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 21 avril 2015, enregistré (n° 2015/000553) ;
Vu les conclusions de Maître Jean p. LICARI, avocat-défenseur, au nom de p. BU., en date des 8 juillet 2015, 17 décembre 2015, 1er juin 2016, 9 décembre 2016 et 8 mars 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de b. GE., en date des 29 octobre 2015, 19 janvier 2016, 9 mars 2016 et 5 octobre 2016 ;
À l'audience publique du 11 mai 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour, 13 juillet 2017 ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Par un codicille daté du 17 juillet 2013, venant modifier les dispositions du testament déposé par elle le 18 juillet 2006 en l'étude de Maître Magali CROVETTO-AQUILINA, notaire à Monaco, c. PA., ressortissante française résidente en Principauté, a légué à p. BU. un appartement sis X1, immeuble « X1 ».
Quelques semaines plus tard, soit le 7 août 2013, c. PA. a établi au profit de p. BU. un certificat d'hébergement à titre gratuit dans l'appartement susdit.
c. PA. est décédée à Beausoleil (Alpes Maritimes) le 5 mai 2014.
Par exploit d'huissier délivré le 21 avril 2015, b. GE., fille unique de la défunte, a fait assigner p. BU. en nullité des dispositions testamentaires du 17 juillet 2013, sur le fondement de l'article 777 du code civil.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Outre l'annulation du codicille daté du 17 juillet 2013, b. GE. demande :
- la nullité de l'attestation communiquée par la partie adverse sous le numéro 14 ;
- la libération de l'appartement faisant l'objet des dispositions testamentaires querellées, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- le paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 15.000 euros, à compter du 7 août 2013 ;
- le paiement d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel ;
- le paiement d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- la capitalisation des intérêts ;
- l'exécution provisoire du présent jugement.
À l'appui de son action, elle expose que :
- p. BU., diplômé de l'Université de médecine de Bruxelles s'est installé en Principauté en décembre 2010 et s'y trouve inscrit au tableau de l'Ordre des Médecins en qualité de praticien libéral depuis janvier 2012 ;
- en 2011, il a fait la connaissance de c. PA. dont il est devenu le médecin traitant, et ce jusqu'au décès de cette dernière ;
- le bien immobilier, légué par codicille du 17 juillet 2013, est un luxueux appartement d'une superficie de 170 m2, dont la valeur est estimée à 7.200.000 euros ;
- le légataire était présent lors de la rédaction dudit codicille ;
- à l'ouverture de la succession, Maître Magali CROVETTO-AQUILINA a rappelé à p. BU. les dispositions de l'article 777 du Code civil et l'a interrogé sur le point de savoir s'il avait traité la de cujus pendant la maladie dont elle est décédée, ce à quoi l'intéressé a répondu par la négative ;
- or telle n'est pas la réalité puisqu'au contraire, p. BU. a été le médecin traitant de c. PA., à compter de février 2012 jusqu'à son décès, en ce que :
il lui a prescrit régulièrement divers traitements et examens médicaux, y compris quelques jours avant son décès ;
il était destinataire des compte-rendus d'examens et d'hospitalisation la concernant ;
il a lui-même établi le certificat de décès, et ce alors qu'au jour de son décès, c. PA. se trouvait en maison de convalescence.
La demanderesse fait ainsi valoir que :
- l'article 777 alinéa 1er du Code civil dispose :
« Les médecins ou les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie. » ;
- la jurisprudence définit le médecin traitant au sens de ce texte comme étant « celui qui a entrepris de soigner le malade et qui dirige de manière régulière et habituelle les soins, rédigeant les ordonnances nécessaires et prescrivant les thérapeutiques appropriées » ;
- le fait qu'un patient aille, même de façon régulière, consulter un spécialiste n'a pas pour effet de transférer à ce dernier la qualité de médecin traitant, que conserve celui qui le traite habituellement ;
- en l'espèce, il ressort des pièces communiquées (résultats d'analyses, feuilles d'honoraires, ordonnances, compte-rendus d'hospitalisation, datant de février 2012 au 2 mai 2014)) que le docteur BU. avait bien la qualité de médecin traitant de la de cujus ;
- il avait ainsi, à l'exclusion de tout autre médecin, une relation personnelle, suivie et habituelle, avec c. PA., patiente âgée et seule, dont il a su gagner la confiance ;
- c'est en vain que le défendeur prétend ne pas avoir traité cette dernière pour la maladie dont elle est décédée, alors que :
- il reconnaît dans ses propres écritures qu'elle est décédée des suites de complications d'une chute en date du 21 mars 2014, laquelle aurait aggravé son état de santé déjà fragilisé par une insuffisance cardiaque ;
- or il a été le destinataire principal des compte-rendus d'hospitalisation pour les périodes du 21 mars au 24 mars 2014 et du 30 mars au 23 avril 2014 ;
- de même, il a prescrit à c. PA. un traitement médical par ordonnances rédigées 8 jours, 5 jours et 3 jours avant son décès ;
- c'est donc bien qu'il l'a traitée juste avant son décès, de la maladie dont elle est précisément décédée et ce alors qu'il était son médecin traitant depuis plusieurs années et connaissait parfaitement son état de santé ;
- le cas d'espèce correspond à la jurisprudence française, rendue sous l'empire de l'ancien article 909 du Code civil français (rédigé dans les mêmes termes que l'article 777 du Code civil monégasque ;
- dans un arrêt du 22 janvier 1968, la Première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré que :
« le Docteur était le médecin habituel de la malade, qu'au cours de sa dernière maladie, il lui fit des visites de plus en plus fréquentes, rédigeait des ordonnances, lui faisait des piqûres et lui prodiguait des soins, les juges du fond constatent ainsi souverainement que ce médecin était celui qui avait soigné la malade au cours de sa dernière maladie, au sens de l'article 909 du Code civil, et sont fondés par cette seule considération à faire jouer l'incapacité résultant de ce texte » ;
- plus récemment, la Cour de Cassation a dépassé l'interprétation stricte des dispositions légales, en considérant que l'incapacité prévue à l'article 909 trouve à s'appliquer même si le médecin n'a pas soigné la maladie dont est décédé le testateur, à partir du moment où cette maladie, quoique distincte de celle dont le disposant est mort, lui est liée, comme consécutive ou secondaire ;
- dans son attestation du 2 mai 2016 (pièce adverse n° 9), le docteur TU., cardiologue, tout en indiquant que, lors d'une consultation à son cabinet, c. PA. était accompagnée par sa fille et par le docteur p. BU., « ami de la famille », constate qu'il s'agissait d'une « démarche familiale » et indique :
« C'est d'ailleurs dans ce cadre que j'ai demandé au Docteur BU. de poursuivre le suivi, de réaliser des bilans sanguins et de prolongations du traitement mis en place, afin d'éviter les déplacements inutiles à Mme PA., en se tenant au courant par téléphone de son évolution et intervenant seulement si nécessaire » ;
- il en résulte que c'est bien p. BU. qui coordonnait les interventions et consultations auprès des différents spécialistes, ainsi que le fait habituellement un médecin traitant ;
- bien que frappé d'une incapacité de recevoir en application des dispositions de l'article 777 précité, p. BU. occupe à titre gracieux un luxueux appartement, qu'il a indûment reçu, depuis le 7 août 2013, date à laquelle c. PA. a établi à son profit un certificat d'hébergement à titre gratuit ;
- il se trouve en conséquence redevable envers b. GE., seule héritière de la défunte, d'une indemnité d'occupation qui devra être fixée à la somme mensuelle de 15.000 euros, au paiement de laquelle il devra être condamné ;
- la résistance abusive opposée par p. BU. a par ailleurs causé à b. GE. un préjudice matériel, caractérisé par l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de devoir exposer des frais substantiels pour faire valoir ses droits en justice ;
- outre ce préjudice matériel, la demanderesse subit un préjudice moral, en ce qu'elle a été contrainte de gérer la présente procédure alors qu'elle était simultanément confrontée à la perte douloureuse de sa mère.
En défense, p. BU. conclut au rejet des prétentions adverses et demande reconventionnellement la condamnation de b. GE. à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il entend par ailleurs voir le tribunal écarter des débats les pièces adverses suivantes :
- attestations n° 15, 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25, non conformes aux prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile ;
- attestations n° 26, 27 et 28, dépourvues de valeur probante.
Il soutient en substance que les conditions d'application de l'article 777 du Code civil ne sont pas réunies en l'espèce, au motif qu'il n'a jamais été le médecin traitant de c. PA. au sens de ce texte, en ce que :
- il a rencontré c. PA. en dehors de tout cadre médical et tous deux ont noué des liens d'affection profonds, quasi filiaux ;
- l'intéressée souffrait depuis une dizaine d'années d'une insuffisance cardiaque pour laquelle elle était suivie par un cardiologue or le docteur BU. n'est pas un spécialiste en cardiologie mais un médecin généraliste ;
- il ne pouvait donc pas être le médecin traitant de c. PA. ;
- au demeurant, le décès de cette dernière n'est pas directement dû à son état cardiaque mais à l'aggravation de cet état survenu dans les suites de sa chute du 21 mars 2014 ;
- or la jurisprudence considère qu'en cas d'affection de longue durée, la date de la dernière maladie ayant causé la mort est celle à laquelle la maladie ayant entraîné le décès s'est aggravée, de sorte que le testament fait pendant une longue maladie mais avant la période de crise dont meurt le disposant n'est pas considéré comme fait au cours de la dernière maladie ;
- en l'espèce, il ressort des compte-rendus d'hospitalisation que c. PA. se portait bien, jusqu'à ce que l'hématome sous-dural causé par sa chute du 21 mars 2014 aggrave son état cardiaque ;
- or la libéralité contestée a été consentie en juillet 2013, soit plus de huit mois avant l'aggravation de son état de santé ayant causé la mort de c. PA. ;
- au surplus, lors de son hospitalisation, décidée en concertation par sa fille et p. BU., la défunte a été suivie par des praticiens hospitaliers et le docteur BU. n'est mentionné nulle part comme étant son médecin traitant ;
- l'incapacité prévue à l'article 777 du Code civil doit être interprétée strictement et la jurisprudence ne considère pas comme médecin traitant celui qui s'est borné à rendre quelques services au donateur vis-à-vis de l'administration hospitalière et à l'assister de conseils et avis de nature à lui apporter une aide et un réconfort moral ;
- en l'espèce, le docteur p. BU. n'a jamais initié le moindre traitement de c. PA. ; il s'est contenté de renouveler les ordonnances du cardiologue, de prescrire des analyses à la demande de celui-ci ;
- le fait qu'il ait par ailleurs rédigé le certificat de décès n'est pas probant ; il s'explique simplement par la proximité qu'il entretenait avec la défunte ;
- par la production de multiples attestations, il rapporte par ailleurs la preuve de sa parfaite moralité et de son honnêteté.
Il n'y a pas lieu de reprendre ici les longs développements de chacune des parties, relatifs à la nature de la relation entre b. GE. et sa mère, lesquels sont dépourvus de pertinence pour la solution du présent litige.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les demandes de rejet de pièces :
L'article 324 du Code de procédure civile dispose que :
« L'attestation doit, à peine de nullité :
1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;
2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;
3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;
4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;
5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du code pénal ;
6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature. ».
Sur la demande de rejet de pièces formée par b. GE. :
L'article 323 alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « les déclarations sont faites par attestation ou recueillies par voie d'enquête. »
En l'espèce, le document intitulé « déclaration sur l'honneur » établi le 6 avril 2016 par p. PI., à l'en-tête de l'agence immobilière LA., est une attestation au sens de ce texte, en ce qu'il contient la relation par son auteur de faits dont il aurait été le témoin.
Il se trouve donc soumis aux exigences de l'article 324 du code susvisé, lesquelles ne sont pas respectées en l'espèce.
Cette pièce, communiquée en défense sous le numéro 14, est donc frappée de nullité et sera écartée des débats.
Sur la demande de rejet de pièces formée par p. BU. :
La contestation par une partie de la valeur probante d'une attestation ne constitue en aucun cas une cause de rejet des débats, le tribunal se réservant la faculté de l'apprécier sur le fond.
Le défendeur sera donc débouté de sa demande de rejet des pièces adverses n° 26, 27 et 28.
L'attestation de j.-j. FA., produite en pièce n° 15, est nulle pour ne pas mentionner les date et lieu de naissance de son auteur et pour ne pas respecter les exigences des 4°, 5° et 6° de l'article 324 précité.
Il en va de même de l'attestation de m. AL., produite en pièce n° 22, qui ne mentionne pas les date et lieu de naissance de son auteur et ne respecte pas les exigences des 4° et 5° de l'article 324.
Les attestations produites en pièces n° 19, 20, 21, 23, 24 et 25 sont conformes aux prescriptions de ce texte, sauf en ce qu'elles omettent de préciser si leur auteur a quelque intérêt au procès.
Or il est admis qu'une telle précision n'est à apporter par le témoin que lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt, ce d'autant qu'il n'est pas soutenu qu'un tel intérêt existerait en l'espèce.
Il s'ensuit que l'absence de la mention prévue au 4° de l'article 324 ne peut être sanctionnée par la nullité des attestations susdites.
Sur la demande principale en nullité des dispositions testamentaires :
L'article 777 alinéa 1er du Code civil dispose :
« Les médecins ou les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie. ».
Ces dispositions visent aussi bien les donations entre vifs que les legs.
L'incapacité prévue par ce texte étant fondée sur une présomption irréfragable de captation, elle ne peut être combattue par la preuve de ce que le testateur était sain d'esprit ou de ce que les sentiments d'affection du testateur envers le gratifié ont été la cause déterminante de la libéralité.
La capacité étant le principe et l'incapacité l'exception, les dispositions de l'article 777 sont par ailleurs de droit étroit et supposent, pour leur application, que soit constatée la réunion des trois conditions suivantes :
- les dispositions testamentaires litigieuses doivent avoir été consenties alors que le disposant souffrait déjà de la maladie dont il est décédé ;
- le médecin gratifié doit être le médecin traitant du disposant au moment où la libéralité est consentie ;
- il doit également être celui qui l'a traité pendant et pour la maladie dont il est décédé.
La notion de médecin traitant s'entend de celui qui a entrepris de soigner le malade et dirige de manière régulière et habituelle les soins, rédigeant les ordonnances nécessaires et prescrivant les thérapeutiques appropriées.
Ainsi doit être considéré comme médecin traitant celui qui est resté en permanence avec le malade dans les mois qui ont précédé son décès, en lui prescrivant des soins divers et répétés.
En revanche, ne saurait être assimilé au médecin traitant celui qui dispense une simple consultation, celui qui prodigue des conseils et avis de nature à apporter aide et réconfort au malade.
La maladie dont meurt le disposant s'entend de sa dernière maladie, au cours de sa phase critique et désespérée, quelles que soient la durée et les intermittences de cette maladie.
Lorsqu'il s'agit d'une maladie chronique, elle est considérée comme « dernière maladie » lorsqu'elle s'est aggravée au point d'ôter tout espoir de guérison.
De même, il est admis que l'incapacité de l'article 777 s'applique lorsque la maladie pour laquelle le médecin gratifié a traité le disposant, quoique distincte de celle dont ce dernier est mort, lui est liée comme consécutive ou secondaire.
En l'espèce, les circonstances de la rencontre entre c. PA. et p. BU. sont discutées mais restent ignorées, aucune des parties ne rapportant la preuve de sa version, l'une soutenant que la première s'était rendue en consultation chez le second et l'autre soutenant que la rencontre s'est faite en dehors du cadre professionnel.
Il est en revanche constant que :
- c. PA. et p. BU. se sont rencontrés un peu plus de deux ans avant que la première ne teste en faveur du second ;
- ils ont noué des liens d'affection, se fréquentant très régulièrement, y compris avec leurs enfants respectifs ;
- lorsqu'elle a fait la connaissance de p. BU., c. PA. était âgée de 89 ans et souffrait déjà d'une insuffisance cardiaque ;
- elle est restée affectée de cette pathologie jusqu'à son décès.
Il ressort par ailleurs des pièces communiquées de part et d'autre que :
- pour son insuffisance cardiaque, c. PA. a certes consulté des spécialistes en cardiologie, en la personne des docteurs COCCHI d'abord et TURCHINA ensuite, lesquels ont mis en place le suivi et les traitements appropriés ;
- il résulte toutefois de l'attestation circonstanciée du docteur TURCHINA (pièce en défense n° 9), qu'en raison des liens amicaux et de la proximité existant entre la patiente et le docteur p. BU., les médecins ont convenu ensemble de « déléguer » le suivi et les traitements quotidien à ce dernier ;
- c'est ainsi que le docteur TU. écrit :
« J'atteste avoir rencontré, lors d'une consultation spécialisée, Mme c. PA., au cours du mois de juin 2012, afin de prendre la suite de son suivi cardiologique, assuré jusqu'alors par le Docteur COCCHI, en préretraite.
Elle était accompagnée, lors de ces consultations, par Mme b. GE. et par le Docteur p. BU., ami de la famille. J'ai pu constater qu'il s'agissait d'une « démarche familiale ».
Lors de ces consultations, des examens de spécialité (comportant électrocardiogramme, échographie cardiaque et MAPA) ont été réalisés et des bilans biologiques ont été prescrits.
Le traitement a été poursuivi avec quelques modifications, mises en place après la réalisation de la batterie de tests décrite plus haut.
C'est d'ailleurs dans ce cadre que j'ai demandé au Docteur BU. de poursuivre le suivi, de réaliser des bilans sanguins et de prolongations du traitement mis en place, afin d'éviter les déplacements inutiles à Mme PA., en se tenant au courant par téléphone de son évolution et intervenant seulement si nécessaire.
Jusqu'à son hospitalisation, la patiente n'a présenté aucun épisode majeur, d'après le suivi réalisé dans notre cabinet.» ;
- cela est corroboré par le fait que les bilans biologiques étaient prescrits par le docteur BU. et qu'il était seul destinataire des résultats d'analyse, à l'exclusion de tout autre praticien ;
- c'est ainsi que de février 2012 à janvier 2014, les analyses sanguines réalisées mensuellement sur la personne de c. PA. lui ont été prescrites par le docteur BU., à l'exception de celles du mois de juin 2012, prescrites par le docteur TURCHINA (pièces en demande n° 10) ;
Il résulte par ailleurs des feuilles de soins communiquées en demande (pièces n° 11) que juste avant le décès de c. PA., des analyses biologiques lui ont encore été prescrites par le docteur BU. les 27 avril et 1er mai 2014 ;
- hormis des consultations ponctuelles, dont une effectuée auprès du docteur TURCHINA, en présence de p. BU., il n'apparaît donc pas que c. PA. ait été suivie de manière continue et régulière par un cardiologue ;
- ainsi que le reconnaît le défendeur dans ses propres écritures, c. PA. n'est pas directement décédée du fait de sa pathologie cardiaque, mais des suites d'une chute, lui ayant occasionné un hématome sous-dural, ayant aggravé son état d'insuffisance cardiaque ;
- c'est donc bien l'aggravation de sa maladie cardiaque qui a causé son décès, à l'âge de 92 ans ;
- cette analyse est confirmée par le compte-rendu d'hospitalisation en date du 3 avril 2014 (pièce en défense n° 7), qui indique :
« Le docteur AS., cardiologue, consulté à ce sujet, indique que ces signes électro-cardiographiques sont fréquemment associés aux hématomes sous duraux. » ;
- suite à sa chute survenue le 21 mars 2014, c. PA. a été hospitalisée à deux reprises, du 21 au 24 mars 2014 et du 30 mars au 23 avril 2014, or le docteur BU. a été destinataire principal des deux compte-rendus de ces hospitalisations, avec copie au cardiologue (pièce en défense n° 7 et pièce en demande n° 12) ;
- c'est alors qu'elle se trouvait en maison de convalescence que, le 5 mai 2014, c. PA. est décédée ;
- durant les jours qui ont précédé son décès, le docteur BU. lui a délivré trois ordonnances, en dates des 27 avril, 30 avril et 1er mai 2014 (pièces en demande n° 13) ;
- alors qu'elle n'est pas décédée à son domicile mais en institution, c'est lui qui a signé l'acte de décès.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments de fait que les conditions d'application de l'incapacité prévue à l'article 777 du Code civil se trouvent en l'espèce réunies, en ce que :
- lorsqu'à l'été 2013, elle a gratifié p. BU., par legs du 17 juillet 2013 et par hébergement à titre gratuit à dater du 7 août 2013, c. PA. souffrait déjà de la pathologie cardiaque chronique dont l'aggravation en mars 2014 a causé son décès deux mois plus tard ;
- même si c. PA. a consulté des spécialistes en cardiologie, son médecin généraliste était le docteur p. BU., lequel a assuré de manière régulière et continue son suivi et son traitement, et ce depuis la date de leur rencontre jusqu'à son décès.
Le moyen de défense selon lequel p. BU. ne pouvait être le médecin traitant de c. PA. au motif qu'il n'est pas cardiologue est inopérant puisqu'il ressort précisément de ce qui précède que le spécialiste en cardiologie a, en l'espèce, initié le traitement dont il a ensuite confié le suivi au docteur BU..
Du reste, il n'est pas démontré ni même allégué que c. PA. ait été suivie par un autre médecin généraliste, et ce alors qu'en raison de son grand âge et de la pathologie chronique dont elle souffrait, elle devait nécessairement avoir son médecin généraliste habituel.
En réalité, celui-ci n'était autre que p. BU., peu important qu'ils aient par ailleurs été liés d'amitié et que la de cujus ait conséquemment eu la volonté de le gratifier.
En application des dispositions susmentionnées, il convient en conséquence de constater la nullité du legs consenti par c. PA. à p. BU. suivant codicille du 17 juillet 2013 et portant sur l'appartement sis à Monaco, immeuble « X1 », X1.
Bien qu'elle ne le spécifie pas expressément dans le dispositif de ses écritures, b. GE., en ce qu'elle réclame la libération immédiate des lieux et le paiement rétroactif d'une indemnité d'occupation, forme nécessairement la même demande d'annulation s'agissant de l'autre libéralité ayant pris effet du vivant de c. PA., à savoir la jouissance gratuite de l'appartement susdit, consentie à compter du 7 août 2013.
Il convient donc de la prononcer au dispositif du présent jugement.
La nullité ayant un effet rétroactif, p. BU. se trouve être occupant sans droit ni titre de l'immeuble litigieux, de sorte :
- qu'il a l'obligation de libérer les lieux ;
- qu'il est redevable d'une indemnité d'occupation.
b. GE. ne produisant toutefois aucun élément d'estimation à l'appui de sa demande de ce chef, elle ne pourra qu'en être déboutée, le tribunal n'étant pas en mesure d'apprécier la valeur locative de l'appartement.
Il convient en revanche d'ordonner la libération des lieux, sans toutefois qu'il ne soit nécessaire de l'assortir d'une astreinte.
Sur les demandes accessoires en paiement de dommages-intérêts :
b. GE. ne justifie d'aucun préjudice matériel distinct de celui qui relève de l'occupation sans droit ni titre, dont elle réclame l'indemnisation séparée.
Aucun texte du droit monégasque ne prévoyant par ailleurs l'indemnisation des frais de procédure non compris dans les dépens, le seul préjudice résultant des frais engagés pour la présente action ne saurait être retenu.
Enfin, aucune pièce n'est produite pour justifier de la réalité du préjudice moral allégué.
b. GE. sera en conséquence déboutée de l'intégralité de ses demandes de dommages-intérêts.
Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts :
Dans la mesure où il succombe, p. BU. se trouve mal fondé en sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; il en sera débouté.
Sur l'exécution provisoire :
Les conditions prévues à l'article 202 du Code de procédure civile n'étant, en l'espèce, pas réunies, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Sur les dépens :
La partie qui succombe au principal sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Constate la nullité de la pièce n° 14 communiquée par p. BU. ;
Constate la nullité des pièces n° 15 et 22 communiquées par b. GE. ;
Déboute p. BU. du surplus de sa demande de rejet de pièces ;
Prononce l'annulation du legs consenti par c. PA. à p. BU. suivant codicille du 17 juillet 2013 et portant sur un appartement situé X1, immeuble « X1 », à Monaco ;
Prononce l'annulation de l'attribution à p. BU. de la jouissance gratuite de l'appartement situé X1, immeuble « X1 », à Monaco qui lui a été consentie le 7 août 2013 par c. PA. ;
Constate en conséquence que p. BU. occupe, depuis le 7 août 2013, sans droit ni titre l'appartement situé X1, immeuble « X1 », à Monaco ;
Lui enjoint en conséquence de libérer les lieux, de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef, dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement ;
Déboute b. GE. de sa demande tendant à assortir cette injonction d'une astreinte ;
Déboute b. GE. de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation ;
Déboute b. GE. de l'intégralité de ses demandes accessoires en paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral ;
Déboute p. BU. de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne p. BU. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maitre Richard MULLOT, avocat-défenseur ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées lors des débats seulement, de Madame Carole FRANCESCHI, Greffier stagiaire ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 13 JUILLET 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.