Tribunal de première instance, 4 mai 2017, M. j., p., m. CH. c/ Mme n. KR.
Abstract🔗
Acte de prêt – Existence (non)
Enrichissement sans cause (non) – Conditions
Résumé🔗
Dans le cas où la signature est déniée ou méconnue, c'est à la partie qui se prévaut de l'acte qu'il appartient d'en démontrer la sincérité. En matière de prêt, la preuve de la remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue. En l'espèce, il résulte de ce qui précède qu'en l'absence du document original, le Tribunal n'est pas en mesure de procéder lui-même ou de faire procéder à la vérification d'écritures. Dans ces circonstances et en application des règles de preuve rappelées ci-dessus, il appartient à j. CH., demandeur qui se prévaut de l'acte de prêt conclu entre les parties, d'en démontrer la véracité. Or, à l'exception de pièces justifiant de la remise de fonds - laquelle n'est, au demeurant, pas contestée en son principe mais seulement en son montant - la partie demanderesse ne verse aucun élément de preuve complémentaire, susceptible de confirmer l'existence d'un quelconque prêt consenti le 2 décembre 2007 par j. CH. à n. KR.. Au contraire, dans deux attestations concordantes, versées en défense sous les numéros 8 et 9, les témoins p. C. et j. K. s'étonnent de la présente action engagée par j. CH. et déclarent que l'argent versé à n. KR. avait été dépensé pour les besoins de la vie commune. Le demandeur ne rapportant pas la preuve qui lui incombe de l'existence et de l'authenticité du prêt dont il se prévaut, ce moyen doit être écarté.
Il est de principe que nul ne peut s'enrichir injustement au détriment d'autrui. Celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement. Pour ouvrir droit à indemnisation, l'enrichissement doit être dépourvu de cause ou de justification. L'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il trouve sa justification dans une obligation naturelle fondée sur un devoir moral ou dans une intention libérale. Entre concubins, l'intention libérale est facilement présumée et il appartient à celui qui se prétend appauvri de rapporter la preuve de ce que la remise des fonds n'aurait pas eu un caractère libéral ou l'aurait excédé à raison de son importance. En l'espèce, le versement par j. CH. d'une somme mensuelle moyenne de 1.860 euros à n. KR. pour ses dépenses courantes et celles du couple procède d'une évidente intention libérale et n'excède pas manifestement la contribution du premier aux charges du ménage. Il s'ensuit que ce n'est pas sans cause que le patrimoine du demandeur s'est appauvri au profit de celui de la défenderesse. Son action n'étant bien fondée ni au titre du prêt, ni au titre de l'enrichissement sans cause, j. CH. ne pourra qu'être débouté de sa demande en remboursement de la somme de 92.454,90 euros.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000445 (assignation du 17 février 2015)
JUGEMENT DU 4 MAI 2017
En la cause de :
M. j., p., m. CH., né le 21 août 1954 à Colne (Angleterre), de nationalité anglaise, sans profession, demeurant X1 à Monaco ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
Mme n. KR., demeurant X2, Jurmala (Lettonie) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du bureau n°XX en date du 12 mai 2015
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sophie MARQUET, avocat stagiaire près la même Cour ;
En présence de :
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL, Parquet Général, Palais de Justice, 5 rue Colonel Bellando de Castro à Monaco ;
COMPARAISSANT EN PERSONNE,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 février 2015, enregistré (n° 2015/000445) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 20 septembre 2016 ayant notamment renvoyé la cause et les parties à l'audience du 13 octobre 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de j. CH., en date des 13 octobre 2016 et 15 décembre 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de n. KR., en date du 1er décembre 2016 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date du 19 janvier 2017 ;
À l'audience publique du 2 mars 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 4 mai 2017 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par exploit d'huissier délivré le 17 février 2015, j. CH., ressortissant britannique résidant à Monaco, a fait assigner n. KR. en paiement de la somme principale de 92.454,90 euros, outre intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts à compter du 22 novembre 2011, en remboursement d'un contrat de prêt sous seing privé.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
À l'appui de son action, j. CH. exposait que :
- les parties, alors engagées chacune dans les liens du mariage, se sont fiancées le 26 mai 2007, se promettant de s'unir à l'issue de leurs procédures de divorce respectives ;
- c'est dans ce contexte que, par acte sous seing privé du 2 décembre 2007, signé à Monaco, j. CH. a consenti à n. KR. une « Convention de prêt à durée variable », destinée à lui permettre de faire face à ses dépenses personnelles ;
- ce prêt était stipulé remboursable grâce, d'une part, à la vente à intervenir d'un bien immobilier sis en Lettonie et appartenant à l'emprunteuse et, d'autre part, au règlement de la prestation compensatoire qu'elle devait obtenir dans le cadre de son divorce ;
- il stipulait également que la dette serait annulée dès lors que le mariage entre les parties aurait eu lieu ;
- les fiançailles entre les parties ont été rompues le 22 novembre 2011 ;
- par courrier du 22 novembre 2011, j. CH. a mis n. KR. en demeure de lui rembourser la somme de 92.454,90 euros, correspondant au montant total des virements effectués à son profit de décembre 2007 à octobre 2011, en exécution du prêt susmentionné ;
- cette mise en demeure est demeurée infructueuse.
En défense, n. KR. concluait au rejet des prétentions adverses.
À titre principal, elle s'inscrivait en faux contre la pièce adverse n° 1 intitulée « Convention de prêt à durée variable entre j. CH. et n. KR.», dont elle conteste être la signataire.
Elle a ainsi formé une déclaration d'inscription de faux, reçue au Greffe général le 22 octobre 2015.
À ce titre, elle demandait au Tribunal :
- d'ordonner au demandeur de déposer au greffe l'original du document argué de faux ;
- de désigner un expert en vérification d'écriture ;
- de déclarer faux et, en conséquence d'écarter des débats le document litigieux ;
- en l'absence de preuve du contrat de prêt invoqué, de débouter j. CH. de sa demande en paiement.
Elle contestait avoir pris l'engagement de rembourser la somme réclamée aux motifs suivants :
- elle n'a jamais eu connaissance du document intitulé « Convention de prêt à durée variable entre j. CH. et n. KR.» et n'y a pas apposé sa signature, et ce même si celle qui y figure présente des similitudes avec la sienne ;
- seule la production du document en original serait de nature à permettre l'expertise de la signature litigieuse ;
- en effet, les copies d'acte, même certifiées conformes, ne peuvent faire foi du contenu de l'original dénié par celui auquel on l'oppose ;
- c'est de manière diffamatoire que le demandeur prétend que n. KR. aurait dérobé l'original du contrat de prêt ;
- du reste, il est invraisemblable qu'elle ait signé ce document, qui stipule qu'elle serait le propriétaire exclusif d'un appartement situé en Lettonie et qu'elle s'engagerait à le mettre en vente dans la perspective de solder le prêt, alors que ce bien immobilier ne lui appartenait pas, en ce qu'elle en avait précédemment fait donation à sa fille, par acte du 18 août 2005 ;
- par ailleurs, les parties ont certes vécu en concubinage mais ne se sont pas fiancées, l'attestation versée en demande sur ce point étant contredite par une attestation en défense.
Subsidiairement, dans l'hypothèse où le Tribunal ne ferait pas droit à son inscription de faux, n. KR. contestait la valeur probante du document litigieux, au motif que :
- l'article 1173 du Code civil prévoit que :
« Le billet ou la promesse sous seing privé par lequel une seule partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'argent ou une chose appréciable doit être écrit en entier par celui qui le souscrit ou du moins, il faut qu'outre sa signature, il ait écrit par lui-même un bon ou un approuvé, portant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose. » ;
- ces dispositions s'appliquent à tout engagement de payer une somme d'argent, à moins qu'il ne résulte d'un contrat synallagmatique, d'un acte authentique ou qu'il ait été souscrit par un commerçant ;
- il est de jurisprudence constante que le contrat de prêt est un contrat réel, qui n'emporte qu'une obligation de restitution à la charge de l'emprunteur, et non un contrat synallagmatique ;
- en l'espèce, le contrat critiqué ne respecte pas ces exigences, en ce qu'il ne comporte la mention manuscrite par n. KR. ni d'un « bon ou approuvé » ni de la somme prêtée, laquelle n'est au demeurant pas précisée ;
- il s'ensuit que ce document ne peut constituer qu'un commencement de preuve par écrit, devant être complété par d'autres éléments émanant de la partie à qui on l'oppose, ce qui fait défaut en l'espèce ;
- les seules autres pièces communiquées par le demandeur sont en effet des pièces bancaires établissant certains transferts de fonds et elles n'émanent nullement de n. KR..
Très subsidiairement, n. KR. invoquait l'illicéité du contrat de prêt qui lui est opposé, en soutenant que :
- il stipule :
- « la dette sera annulée et considérée comme acquittée dès lors qu'un mariage en vertu du droit monégasque aura lieu »
« Le prêt se prolongera jusqu'à ce qu'il soit remboursé dans son intégralité, ou jusqu'à ce qu'un mariage ait lieu. » ;
- il en ressort que cette convention n'avait pas d'autre finalité que celle de contraindre l'emprunteuse à se marier ou du moins d'exercer sur elle une pression en ce sens ;
- un tel engagement est illicite en ce qu'il porte atteinte à la liberté fondamentale de se marier ou de ne pas se marier, dont la limitation ou l'aliénation est contraire à l'ordre public.
n. KR. sollicitait en outre :
- qu'il soit enjoint à la partie adverse de produire une copie traduite du jugement rendu le 28 décembre 2015 par la Cour d'appel de Riga, dans l'instance parallèle ayant opposé les parties en Lettonie ;
- que soit déclarée nulle et écartée des débats la pièce adverse n° 4 (attestation de la société A), comme ne satisfaisant pas aux exigences de l'article 324 du Code de procédure civile.
À l'appui de sa demande et en réplique aux arguments adverses, j. CH. faisait valoir que :
1) n. KR. est tenue au remboursement des sommes prêtées :
- bien que la défenderesse le conteste, les parties ont bien été fiancées, ainsi qu'en atteste le témoin g. LO., mais ce point de fait n'a, en tout état de cause, aucune incidence sur la solution du présent litige, relatif à l'exécution d'un contrat de prêt ;
- l'article 1730 du Code civil dispose que :
« Le simple prêt est un contrat par lequel l'une des parties livre à une autre une certaine quantité de choses, à la charge pour cette dernière de lui en rendre autant de mêmes espèces et qualité. » ;
- par la production de ses relevés bancaires et d'un tableau récapitulatif, pour la période du 30 novembre 2007 au 31 octobre 2011, le demandeur rapporte la preuve du montant des sommes prêtées, à hauteur de 92.454,90 euros ;
- les évènements stipulés dans le contrat de prêt comme constituant le terme de remboursement sont advenus, en ce que le jugement de divorce de n. KR. a été rendu courant 2010, le bien immobilier sis en Lettonie a été vendu en août 2010 et le mariage entre les parties n'a pas eu lieu ;
- le contrat de prêt est parfaitement licite au regard de la liberté de se marier, en ce que :
il était évident que pour des raisons d'ordre moral et sentimental, la créance de j. CH. aurait été annulée dans l'hypothèse d'une union matrimoniale, sans toutefois violer d'une quelconque manière la liberté de se marier de la défenderesse ;
le mariage des parties n'a finalement jamais eu lieu, ce qui rend inopérant l'argument adverse selon lequel la convention litigieuse avait pour finalité de contraindre l'emprunteuse au mariage ;
- c'est en vain que la partie adverse tente de contester certains virements alors qu'il ressort desdits avis de virement qu'elle y était mentionnée en qualité de bénéficiaire ou dans l'encart précisant le motif du règlement ;
- c'est également en vain que, pour contester la valeur probante du contrat litigieux, elle invoque les règles de forme prévues à l'article 1173 du Code civil pour les actes unilatéraux, alors que la convention de prêt constitue un contrat et non un engagement unilatéral ;
2) n. KR. est mal fondée en son incident d'inscription de faux en écriture privée :
- lorsqu'elle a quitté le domicile qu'elle partageait avec le demandeur, elle a emporté avec elle l'original de l'acte de prêt ;
- pour attribuer à la défenderesse la signature figurant sur la convention de prêt, le Tribunal dispose de suffisamment d'éléments et notamment du courrier qu'elle a elle-même adressé à la juridiction le 26 mars 2015, avant d'avoir constitué avocat ;
- il n'en ressort en effet aucun signe pouvant caractériser « les signatures grossièrement imitées (lenteur excessive, hésitation, tremblements, reprises) », habituellement requis par la jurisprudence ;
- c'est en vain que la défenderesse croit pouvoir tirer argument de ce que le bien immobilier stipulé au contrat de prêt comme lui appartenant n'était pas sa propriété alors que :
elle ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle en aurait fait donation à sa fille, l'acte de donation n'étant pas produit aux débats ;
à supposer cette donation effective, elle démontrerait que l'emprunteuse aurait ainsi trompé le prêteur, en lui faisant croire qu'elle disposait d'un bien immobilier dont la vente était supposée garantir le remboursement des fonds, turpitude dont elle ne saurait se prévaloir aujourd'hui ;
3) Subsidiairement, n. KR. s'est enrichie, sans cause légitime, au détriment de j. CH. :
- le fait qu'un déplacement de valeur d'un patrimoine d'une personne vers celui d'une autre soit sans cause le rend injuste et fait naître l'obligation de restituer ;
- en l'espèce, les versements dont n. KR. a bénéficié l'ont été pour ses dépenses personnelles ;
- le montant élevé des sommes versées exclut en effet que celles-ci puissent s'analyser comme une simple contribution aux dépenses du ménage ;
- de surcroît, j. CH. démontre qu'il assumait l'intégralité des frais du ménage (loyers et dépenses afférentes au logement, assurances, entretien des quatre véhicules automobiles dont une Smart exclusivement utilisée par la défenderesse, loisirs et voyages), en sus des sommes versées à n. KR. ;
- en droit français, la jurisprudence de la Cour de Cassation estime qu'il y a lieu de faire application de la théorie de l'enrichissement sans cause, dès lors que l'appauvrissement de l'un des concubins dépasse sa participation normale aux dépenses de la vie courante ;
- ainsi, même à supposer que le Tribunal considère qu'en l'espèce la somme de 92.454,90 euros inclut les dépenses de la vie courante du couple, il est établi que la participation du demandeur a été largement supérieure à la normale ;
- au demeurant, dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de contribution aux charges du ménage entre concubins, chacun doit supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées pour lui-même ;
- il s'ensuit que même à supposer que la somme de 92.454,90 euros corresponde à des dépenses courantes, n. KR. devait en assumer la charge et a donc enrichi son patrimoine au détriment de celui de j. CH. ;
- en conséquence, elle devra être condamnée à la restituer sur le fondement de l'action de in rem verso.
À l'encontre du fondement subsidiaire de l'enrichissement sans cause, n. KR. répondait que :
- il ressort des propres relevés bancaires du demandeur que le montant total des sommes qu'il a virées sur son compte s'élève à 49.361,10 euros et non à 92.454,90 euros ;
- la preuve n'est pas rapportée du surplus de la somme réclamée en ce que :
l'attestation produite sous l'en-tête de la société A est nulle car elle ne satisfait pas aux exigences de l'article 324 du Code de procédure civile ;
il ne résulte pas des pièces adverses n° 5 et 6, concernant des virements de j. CH. vers un compte domicilié en Allemagne, que ledit compte serait celui de n. KR. ;
il s'ensuit qu'à supposer sa demande recevable sur le fondement de l'enrichissement sans cause, le demandeur ne serait fondé à réclamer que la somme de 49.361,10 euros ;
- or il n'est pas démontré que ce montant excède la participation normale à l'entretien du ménage, pour la période de vie commune entre les parties ;
- rapportée au nombre de mois de vie commune (59 mois), la somme de 49.361,10 euros correspond en effet à un montant mensuel de 836,63 euros, dont j. CH. ne saurait raisonnablement soutenir qu'il excède les charges normales afférentes aux dépenses de la vie courante en Principauté de Monaco, et ce d'autant que l'intéressé mène un train de vie aisé qu'il a naturellement partagé avec sa compagne ;
- c'est en vain que j. CH. prétend avoir assumé la totalité des frais du ménage alors que :
sa pièce n° 13 correspond aux frais de sa ligne de téléphone portable personnel ;
les réservations de vols adressées sur sa messagerie ne suffisent pas à établir que les billets d'avion auraient été financés par le demandeur ;
l'un des contrats d'assurance automobile concerne une période postérieure à la fin de la vie commune et l'autre est toujours en vigueur au 10 février 2016, ce qui démontre que le véhicule y afférent n'était pas destiné à l'usage de n. KR. ;
- il résulte de l'ensemble de ces éléments que j. CH. ne démontre pas que les sommes dont il réclame le remboursement étaient destinées aux dépenses personnelles de n. KR. et excédaient sa participation normale aux dépenses courantes du ménage ;
- il s'ensuit qu'il est mal fondé en sa demande au titre de l'enrichissement sans cause.
Dans ses conclusions du 18 mai 2016, le Ministère public requérait la production aux débats de l'original de la pièce en demande n° 1 intitulée « Convention de prêt à durée variable entre j. CH. et n. KR. » en date du 1er décembre 2007 et s'en est rapporté à justice sur le fond de l'affaire.
Il estimait en effet indispensable que l'original du document litigieux soit produit afin que le Tribunal et, le cas échéant, un expert par lui désigné puisse apprécier le caractère éventuellement falsifié de la signature apposée.
Par jugement du 20 septembre 2016, le Tribunal a :
- débouté n. KR. de sa demande de rejet des conclusions adverses en date du 19 mai 2016 ;
- constaté la nullité de l'attestation établie par h. WH. et sa traduction, communiquées par n. KR. en pièces n° 5 et 5 bis ;
- débouté j. CH. de sa demande de rejet des débats de la pièce adverse n° 2 ;
- débouté n. KR. de sa demande de nullité de la pièce adverse n° 4 ;
- débouté n. KR. de sa demande de communication du jugement rendu le 28 décembre 2015 par la Cour d'appel de Riga ;
et avant dire droit :
- ordonné la réouverture des débats ;
- ordonné à j. CH. de communiquer l'original de sa pièce n° 1 intitulée « Convention de prêt à durée variable entre j. CH. et n. KR. » ;
- ordonné à n. KR. de communiquer en original des pièces de comparaison consistant en des documents signés par elle et établis à une date proche du 2 décembre 2007 ;
- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 13 octobre 2016 ;
- sursis à statuer sur les demandes.
j. CH. n'a pas communiqué la pièce demandée par le Tribunal, expliquant qu'il n'était plus en possession du document litigieux en original, au motif que n. KR. l'aurait emporté avec elle lors de la séparation du couple.
Pour le reste, il maintient l'intégralité de ses prétentions et sollicite en outre la condamnation de n. KR. au paiement d'une somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour manœuvres « trompeuses et dilatoires » ;
Il invoque à ces diverses fins les moyens nouveaux suivants :
- la partie adverse n'a jamais contesté avoir reçu de lui les sommes importantes dont il lui réclame aujourd'hui le remboursement ;
- c'est à tort qu'elle les qualifie de dons manuels alors qu'elle échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de l'intention libérale qu'elle invoque ;
- la comparaison des signatures apposées sur le contrat de prêt litigieux, d'une part, et sur un acte de donation du 18 août 2005, versé par la défenderesse, d'autre part, démontre leur identité exacte, de sorte que c'est de manière mensongère qu'elle prétend que ces deux signatures ne correspondent en rien ;
- il conteste enfin la véracité des dernières attestations produites en défense et émanant de témoins indirects.
En défense, n. KR. maintient, elle aussi, l'intégralité de ses prétentions et moyens, y ajoute les éléments suivants :
- en conformité avec les dispositions du jugement avant dire droit, elle verse aux débats deux documents originaux, datés du 19 septembre 2005, au bas desquels figure sa signature, laquelle ne correspond en rien à celle figurant sur l'acte litigieux ;
- au vu de cette disparité et de l'absence de production du document en original, le Tribunal n'est pas en mesure de vérifier qu'elle aurait donné son consentement au prétendu prêt invoqué en demande ;
- par trois attestations, elle démontre par ailleurs que les circonstances de la rupture, particulièrement soudaine et brutale, ne lui ont pas permis de dérober le document litigieux, ainsi que l'allègue mensongèrement le demandeur ;
- enfin, la demande formée subsidiairement au titre de l'action de in rem verso est irrecevable en ce que j. CH. ne rapporte pas la preuve de ce que la requise aurait été la bénéficiaire des sommes visées dans les pièces adverses.
Dans ses conclusions du 19 janvier 2017, le Ministère Public conclut à la comparution personnelle des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'inscription de faux en écriture privée :
L'article 294 du Code de procédure civile, relatif au faux civil, renvoie, pour l'instruction de l'affaire, aux dispositions des articles 279 à 286 relatifs à la vérification des écritures.
Ces articles sont rédigés ainsi qu'il suit :
Article 279 : « Lorsque, soit sur une demande principale en reconnaissance d'écritures, soit au cours d'une instance, l'une des parties déniera ou déclarera ne pas reconnaître l'écriture ou la signature d'un acte sous seing privé, le Tribunal de première instance statuera immédiatement, s'il possède des éléments d'appréciation suffisants.
Sinon, il ordonnera que les parties comparaîtront en personne, à l'audience ou en chambre du conseil, au jour par lui fixé pour fournir leurs explications respectives, produire les pièces et écrits pouvant servir à la comparaison des écritures et exposer les faits et moyens à l'aide desquels elles entendront établir leurs prétentions. Ce jugement ne sera ni levé ni signifié : il vaudra sommation aux parties ».
Article 280 : « Ne seront dispensées de la comparution que les parties qui, à raison d'absence ou d'empêchement grave, se trouveraient dans l'impossibilité de se rendre à l'audience, et, dans ce cas, elles devront se faire représenter par un fondé de pouvoir spécial ».
Article 281 : « Si le Tribunal ne trouve ni dans les réponses et moyens des parties, ni dans les documents produits par elles, ni dans les corps d'écriture que le président a le droit de leur dicter, des éléments suffisants pour établir sa conviction, il pourra ordonner la vérification par experts de l'écriture déniée ou méconnue. Dans ce cas, il déterminera les écrits qui devront servir de pièces de comparaison ».
Article 282 : « Le Tribunal pourra aussi autoriser les parties à faire par témoins la preuve des faits dont il reconnaîtra la pertinence et l'admissibilité ».
Article 283 : « Dans les cas prévus aux deux articles précédents, le Tribunal prescrira le dépôt au greffe de la pièce contestée, dont l'état sera préalablement, et séance tenante, constaté par un procès-verbal signé par les parties, le président et le greffier ».
En l'espèce, à titre de pièces de comparaison avec le document dont elle conteste l'authenticité, n. KR. verse aux débats :
- un acte de donation daté du 18 août 2005 (pièce n° 4),
- deux reçus de la société B datés du 19 septembre 2005 (pièce n° 6), comportant sa signature.
Ces éléments ne constituent pas pour le Tribunal des éléments d'appréciation suffisants, au sens de l'article 279 du Code de procédure civile, en ce que les signatures comportent à la fois des points de similitude et des discordances, sans que l'une ou l'autre ne paraissent déterminantes.
La comparution personnelle des parties est par ailleurs rendue impossible par le fait que n. KR. réside à l'étranger (Lettonie) et a, dès le début de la procédure, fait connaître son impossibilité de se rendre sur place.
Enfin, l'original de la convention de prêt sur laquelle est apposée la signature déniée n'est pas produit aux débats de sorte qu'il ne peut être procédé à une expertise en vérification d'écriture.
Dans ces conditions, la vérification d'écritures est impossible et la défenderesse ne pourra qu'être déboutée de son inscription de faux incidente.
Pour autant, il convient d'examiner la valeur probante de l'acte de prêt invoqué à titre principal à l'appui de la demande en paiement formée par j. CH..
Sur le moyen tiré de l'existence d'un prêt entre les parties :
Aux termes de l'article 1162 du Code civil, « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».
L'article 1169 du même Code prévoit que « l'acte sous seing privé reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique ».
En vertu de l'article 1170 alinéa 1er, « celui auquel on oppose un acte sous seing privé est obligé d'avouer ou de désavouer formellement son écriture ou sa signature ».
L'article 1171 précise que « dans le cas où la partie désavoue son écriture ou sa signature, la vérification en est ordonnée en justice ».
Dans le cas où la signature est déniée ou méconnue, c'est à la partie qui se prévaut de l'acte qu'il appartient d'en démontrer la sincérité.
En matière de prêt, la preuve de la remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue.
En l'espèce, il résulte de ce qui précède qu'en l'absence du document original, le Tribunal n'est pas en mesure de procéder lui-même ou de faire procéder à la vérification d'écritures.
Dans ces circonstances et en application des règles de preuve rappelées ci-dessus, il appartient à j. CH., demandeur qui se prévaut de l'acte de prêt conclu entre les parties, d'en démontrer la véracité.
Or, à l'exception de pièces justifiant de la remise de fonds - laquelle n'est, au demeurant, pas contestée en son principe mais seulement en son montant - la partie demanderesse ne verse aucun élément de preuve complémentaire, susceptible de confirmer l'existence d'un quelconque prêt consenti le 2 décembre 2007 par j. CH. à n. KR..
Au contraire, dans deux attestations concordantes, versées en défense sous les numéros 8 et 9, les témoins p. CE. et j. KE. s'étonnent de la présente action engagée par j. CH. et déclarent que l'argent versé à n. KR. avait été dépensé pour les besoins de la vie commune.
Le demandeur ne rapportant pas la preuve qui lui incombe de l'existence et de l'authenticité du prêt dont il se prévaut, ce moyen doit être écarté.
Sur le moyen tiré de l'enrichissement sans cause :
Il est de principe que nul ne peut s'enrichir injustement au détriment d'autrui.
Celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.
Pour ouvrir droit à indemnisation, l'enrichissement doit être dépourvu de cause ou de justification.
L'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il trouve sa justification dans une obligation naturelle fondée sur un devoir moral ou dans une intention libérale.
Entre concubins, l'intention libérale est facilement présumée et il appartient à celui qui se prétend appauvri de rapporter la preuve de ce que la remise des fonds n'aurait pas eu un caractère libéral ou l'aurait excédé à raison de son importance.
En l'espèce, j. CH. justifie avoir versé à n. KR. :
- 33.000 euros sous forme d'un virement permanent de compte à compte, mis en place de décembre 2007 inclus à décembre 2008 inclus, ainsi que le certifie la société A dans un document daté du 20 octobre 2001 (pièce n° 4),
- 52.589 euros sous forme de virements ponctuels mais réguliers, effectués de janvier 2008 à octobre 2011, ainsi que cela ressort de l'examen de ses relevés de compte sur la période considérée (pièce n° 8),
soit une somme totale de 85.589 euros (et non de 92.454,90 euros).
Ces sommes ont été virées soit sur le compte de la société A de l'intéressée, soit sur un compte ouvert à son nom à la société B en Lettonie, soit sur un compte ouvert en Allemagne à la société C, non libellé au nom de n. KR. mais à son bénéfice (ainsi que cela est mentionné dans l'encart « motifs » des avis de virement).
C'est donc en vain que cette dernière soutient n'avoir reçu qu'une somme de 49.361,10 euros de la part de j. CH..
Le versement d'une somme totale de 85.589 euros entre le 3 décembre 2007 (date du premier virement permanent) et le 3 octobre 2011 (date du dernier virement) correspond à une moyenne mensuelle de 1.860 euros (sur 46 mois).
S'il est exact que durant la vie commune, j. CH. a assumé l'essentiel des charges fixes du couple, notamment loyer et factures, ainsi qu'il en justifie, il n'en est pas moins établi, par les attestations concordantes et circonstanciées versées en défense (pièces n° 7, 8 et 9) que :
- après que les parties aient noué une relation amoureuse, n. KR. est venue vivre à Monaco, au domicile du demandeur, à l'invitation de ce dernier ;
- elle ne parlait ni le français, ni l'anglais, était sans emploi et sans ressource en Principauté, de sorte qu'elle se trouvait sous la dépendance financière de son concubin, lequel pourvoyait naturellement à ses besoins ;
- j. CH. a ainsi fait bénéficier sa compagne de son propre train de vie confortable.
Dans ces circonstances, le versement par j. CH. d'une somme mensuelle moyenne de 1.860 euros à n. KR. pour ses dépenses courantes et celles du couple procède d'une évidente intention libérale et n'excède pas manifestement la contribution du premier aux charges du ménage.
Il s'ensuit que ce n'est pas sans cause que le patrimoine du demandeur s'est appauvri au profit de celui de la défenderesse.
Son action n'étant bien fondée ni au titre du prêt, ni au titre de l'enrichissement sans cause, j. CH. ne pourra qu'être débouté de sa demande en remboursement de la somme de 92.454,90 euros.
Dans la mesure où il succombe en sa demande principale, il ne pourra qu'être débouté de sa demande additionnelle tendant à la condamnation de son adversaire au paiement de la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour manœuvres trompeuses et dilatoires.
Enfin conformément aux dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile j. CH. sera condamné aux dépens de l'instance en ce compris ceux réservés par jugement du 20 septembre 2016 ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déboute j. CH. de sa demande principale en paiement de la somme de 92.454,90 euros ainsi que de sa demande additionnelle en dommages et intérêts pour manœuvres trompeuses et dilatoires ;
Condamne j. CH. aux dépens de l'instance en ce compris ceux réservés par jugement en date du 20 septembre 2016 dont distraction au profit de l'administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabel DELLERBA, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 4 MAI 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.