Tribunal de première instance, 30 mars 2017, La SARL A c/ La SAM B

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Abstract🔗

Banque - Responsabilité - Blanchiment de capitaux - Séquestre - Mainlevée - Responsabilité contractuelle - Obligations réciproques - Obligation d'information et de conseil - Perte de chance - Dommages et intérêts (non)

Résumé🔗

L'article 1162 du Code civil dispose : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ». L'article 1801 du même code dispose : « L'établissement d'un gardien judiciaire produit, entre le saisissant et le gardien des obligations réciproques. Le gardien doit apporter, pour la conservation des objets saisis, les soins d'un bon père de famille. Il doit les représenter, soit à la décharge du saisissant pour la vente, soit à la partie contre laquelle les exécutions ont été faites, en cas de mainlevée de la saisie ». L'article 1802 alinéa 2 prévoit que « celui auquel la chose a été confiée est soumis à toutes les obligations qu'emporte le séquestre conventionnel ». Le séquestre conventionnel est défini à l'article 1795 comme « le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige à la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir », ce qui renvoie aux dispositions relatives au contrat de dépôt. L'article 1766 impose au dépositaire d'« apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». L'article 1771 lui fait obligation de « rendre identiquement la chose même qu'il a reçue » et précise que « le dépôt des sommes monnayées doit être rendu dans les mêmes espèces qu'il a été fait, soit dans les cas d'augmentation, soit dans le cas de diminution de leur valeur ». Le séquestre doit conserver et administrer les biens séquestrés dans la mesure que commandent la nature même de ceux-ci et l'étendue de sa mission. Ses pouvoirs sont essentiellement provisoires et doivent être strictement limités à la conservation de la chose séquestrée, les actes de disposition lui sont donc interdits. Il ne lui appartient pas de prendre des risques de hausse ou de baisse des valeurs mobilières pour le compte du saisi. Le dépositaire, comme le séquestre, est tenu de rendre la chose séquestrée elle-même, en respectant sa nature et l'affectation qui lui a été donnée. Par ailleurs, en vertu de la loi n° 1.362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, seule une déclaration de soupçon formée de mauvaise foi est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur et il appartient à celui qui invoque une déclaration fautive de rapporter la preuve de cette mauvaise foi. Enfin, même en l'absence de mandat de gestion, l'établissement dépositaire de titres et qui exécute les ordres donnés par un client pour la gestion de son portefeuille, est tenu, à l'égard de celui-ci d'une obligation générale d'information et de conseil pendant toute la durée de la relation contractuelle.

En l'espèce, M. e. TE. a donné mandat à la SAM B de constituer en République du Panama une SARL dénommée A, dont lui et son épouse sont les bénéficiaires économiques. Cette société a ouvert auprès de la SAM B un compte en dollars américains. La SAM B a formé une déclaration de soupçon concernant ce compte, puis une information judiciaire a été ouverte à Monaco à l'encontre des époux TE. du chef de blanchiment du produit d'une infraction. Leur compte a été bloqué sur commission rogatoire du juge d'instruction. La Cour d'appel de Monaco a par la suite, ordonné la mainlevée de la mesure de séquestre sur le compte bancaire. Ainsi, la SARL A a fait assigner la SAM B en responsabilité contractuelle. En outre, le Tribunal a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SAM B et le juge d'instruction a ordonné le non-lieu ouvert contre les époux TE.

Le Tribunal écarte la demande de la SARL A du rejet de certaines pièces qui monteraient le manque de probité de la SAM B, car ces articles concernent des entités tierces au présent litige et cela ne constitue pas un motif de rejet des débats. Il rejette d'autres pièces qui sont issus d'une traduction française contestée. En effet, aucun texte exige une traduction par un expert assermenté et le Tribunal n'est pas en mesure de s'assurer de la fidélité de la traduction. D'autres pièces n'ont pas à être écartées de débats, car elles émanent de la banque et ne comportent uniquement des chiffres et des noms propres. Le Tribunal déboute la SARL A de sa demande de communication de pièces car le seul manquement avéré de la banque à son obligation de bonne exécution des ordres donnés par sa cliente est l'erreur de devise qui, en raison du taux de change euros/dollar, a préjudicié à la SARL A. Pour le reste, la demanderesse ne rapporte pas la preuve suffisante d'une exécution sans ordre du virement litigieux et du préjudice qu'elle aurait prétendument subi à raison d'un double débit, la preuve du second virement n'ayant jamais été faite. Le Tribunal condamne toutefois la SAM B à rembourser à la SARL A la somme issue de cette erreur.

Le Tribunal condamne la SAM B à payer à la SARL A la somme de 150 000 USD, seulement au regard du préjudice causé par son manquement à l'obligation d'information et de conseil. En effet, le Tribunal analyse les manquements de la banque tant du fait de sa qualité de partie à la convention de compte, que de sa qualité de séquestre judiciaire. Si la SARL A a obtenu la restitution de l'intégralité du montant après la mainlevée, la SAM B n'était tenue à la restitution de titres qu'en nombre et en nature, non de leur valeur du fait des variations boursières quotidiennes. La banque a satisfait à son obligation de restitution, a géré en bon père de famille et les allégations de la SARL A sont manifestement insuffisantes à caractériser la mauvaise foi de nature à engager la responsabilité de la SAM B au titre de la déclaration de soupçon formée à l'encontre du compte litigieux.

S'agissant du manquement à l'obligation d'information et de conseil, il appartient à la banque d'informer son client en temps utile de tout évènement qui risque de lui causer un préjudice et qui concerne notamment l'évolution de la situation financière de l'émetteur du titre. Dès lors que les comptes avaient été bloqués par le séquestre, il appartenait à la banque d'exercer un devoir de vigilance et d'alerte. Or, il est établi qu'elle a non seulement manqué à cette obligation mais qu'elle a délibérément privé sa cliente de l'accès à l'information sur son compte pendant toute la durée de la mesure du séquestre, soit deux ans et demi. Par ailleurs, la SAM B a unilatéralement et sans préavis mis fin à l'abonnement souscrit par la SARL A aux « Services bancaires par internet », en bloquant son accès à l'intranet par le moyen duquel M. e. TE. consultait ses comptes et dialoguait avec son gestionnaire de relation. Pourtant, la mise sous séquestre du compte n'imposait nullement le blocage de l'accès internet. En privant la SARL A de son accès intranet, sans motif valable, dans des conditions contestables, et en s'abstenant de l'alerter sur la diminution de valeur de ses titres dans un contexte boursier à la baisse, la SAM B a agi envers sa cliente avec une particulière déloyauté et a manqué à son obligation d'information, ainsi qu'à son obligation de bonne foi contractuelle. Le préjudice de la SARL A ne consiste qu'en une perte de la chance d'avoir été alertée en temps utile et d'avoir pu ainsi saisir l'autorité judiciaire aux fins de se voir autorisée à prendre toute disposition de nature à garantir la préservation de tout ou partie des avoirs. Ce préjudice est apprécié au vu de l'aléa inhérent, tant à la nature spéculative des fonds placés, qu'au contexte boursier défavorable et à l'intervention judiciaire. La SARL A ne justifie d'aucun autre chef de préjudice et est en conséquence déboutée de sa demande accessoire de dommages-intérêts, tout comme pour la demande de la partie défenderesse dans la mesure où il est fait partiellement droit à la demande adverse.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2014/000551 (assignation du 29 avril 2014)

JUGEMENT DU 30 MARS 2017

En la cause de :

  • La société à responsabilité limitée de droit panaméen dénommée « A », immatriculée au registre des sociétés de Panama, dont le siège est sis X1 à Panama (République du Panama), agissant poursuites et diligences de ses administrateurs en exercice, domiciliés et demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La Société Anonyme Monégasque dénommée B, immatriculée au registre du commerce et de l'industrie sous le n°YY, dont le siège est sis X2 à Monaco, prise en la personne de son Président délégué en exercice, domicilié et demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 29 avril 2014, enregistré (n° 2014/000551) ;

Vu le jugement avant-dire-droit au fond en date du 4 décembre 2014 ayant rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SAM B, condamné celle-ci à payer à la SARL A la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts et renvoyé l'affaire à l'audience du 14 janvier 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SARL A, en date des 2 avril 2015, 24 novembre 2015, 27 octobre 2016 et 11 janvier 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM B, en date des 30 juillet 2015, 18 février 2016, 1er juin 2016 et 7 décembre 2016 ;

À l'audience publique du 26 janvier 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 30 mars 2017 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Par lettre du 8 février 2007, e. TE. a donné mandat à la SAM B de constituer en République du Panama une SARL dénommée A, dont son épouse, a. c. AV., et lui-même, tous deux ressortissants brésiliens, sont les bénéficiaires économiques.

Par acte sous seing privé du 19 mars 2007, la SARL de droit panaméen A a ouvert auprès de la SAM B un compte en dollars américains, sous le numéro WW (n° client VV), assorti d'une clause de conservation de la correspondance en agence et d'une convention d'abonnement aux « Services bancaires par internet ».

La SAM B, faisant application des dispositions de la loi n° 1362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, a formé une déclaration de soupçon concernant le compte susdit.

Le 25 novembre 2010, une information judiciaire a été ouverte à Monaco à l'encontre des époux TE. du chef de blanchiment du produit d'une infraction.

Dans ce cadre, le blocage du compte précité a été requis, par procès-verbal de police du 10 décembre 2010, sur commission rogatoire du juge d'instruction.

Le compte présentait alors un solde créditeur en liquidités, d'un montant de 201.984,74 USD et le portefeuille titres y afférent était valorisé à la somme de 1.230.290,54 USD.

Par arrêt du 27 juin 2013, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel de Monaco a ordonné la mainlevée de la mesure de séquestre opérée le 10 décembre 2010 sur le compte bancaire n°VV ouvert dans les livres de la SAM B.

Par exploit d'huissier délivré le 29 avril 2014, la SARL de droit panaméen A a fait assigner la SAM B en responsabilité contractuelle. Tel est l'objet de la présente instance.

Par jugement avant dire droit du 4 décembre 2014, le Tribunal a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SAM B et l'a condamnée au paiement d'une somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts.

Par décision du 30 juin 2016, le juge d'instruction a ordonné le non-lieu dans l'information judiciaire ouverte contre e. TE. et a. c. AV. TE. du chef de blanchiment.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans le dernier état de ses écritures, la SARL A demande :

  • - le rejet des débats des pièces adverses n° 19 et 19 bis, ne comportant pas de traduction assermentée en langue française ;

  • - la communication par la partie adverse de l'intégralité des relevés du compte courant et du portefeuille, comportant les avis d'opéré et le détail des opérations intervenues sur le compte n°VV, pour la période du 13 décembre 2010 (date du placement sous séquestre judiciaire) au 19 février 2015 (date de clôture du compte) ;

  • - le remboursement de la somme de 40.973 euros, correspondant à un virement effectué à tort, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2010 (date du virement litigieux) ;

  • - la restitution de la somme de 798.663, 95 euros correspondant au montant des avoirs non remis à l'issue du séquestre, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

  • - le paiement de la somme de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices matériel et moral ainsi que pour résistance abusive ;

  • - la capitalisation des intérêts ;

  • - l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Elle fait valoir en substance que :

Sur le virement litigieux de la somme de 40 973 euros :

  • - en juillet 2010, la SARL A a donné à la SAM B instruction de procéder au virement de la somme de 40.000 USD au profit d'un compte détenu auprès d'une société chinoise, la société G ;

  • - en raison d'une impossibilité technique alléguée par la SAM B, lui demandant de prendre d'autres dispositions, la demande de virement a été annulée et la SARL A y a fait procéder par l'intermédiaire d'un autre établissement bancaire ;

  • - pourtant, quelques semaines plus tard, la SAM B a finalement procédé au virement d'une somme de 40.973 euros (en non dollars), et ce sans instruction et sans avoir préalablement vérifié que le virement n'était pas déjà intervenu par ailleurs ;

  • - ce faisant, le virement a été effectué deux fois, au préjudice de la SARL A ;

  • - en dépit de ses demandes répétées, celle-ci n'a jamais pu obtenir de la SAM B le remboursement de cette somme débitée à tort ;

  • - en plus d'une erreur de devise, la banque a exécuté une opération sans instruction et s'est toujours abstenue de réparer le préjudice qui en est résulté pour sa cliente ;

  • - or, en application de l'article 1162 du Code civil - qui dispose que « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation » - c'est à la banque de prouver qu'elle s'est conformée aux instructions de sa cliente, ce qu'elle échoue à démontrer en l'espèce ;

  • - il résulte par ailleurs des dispositions du Code monétaire et financier français, en ses articles L 133-22 et suivants - applicables à Monaco en vertu de l'accord franco-monégasque conclu sous forme d'échange de lettres du 8 novembre 2005 - que la banque est tenue d'une obligation de remboursement en cas d'ordre de paiement mal exécuté ;

  • - dans tous les cas, l'obligation de restitution à la charge de la banque résulte des dispositions du code civil monégasque relatives au contrat de dépôt (articles 1771 et suivants) ;

  • - la Cour de Cassation française l'a d'ailleurs confirmé, jugeant que le banquier dépositaire de fonds a une obligation de restitution qui est de résultat, et, qu'à ce titre, il doit, même en l'absence de faute, supporter les conséquences d'un mauvais paiement ;

Sur l'obligation de restitution des avoirs à l'issue du séquestre judiciaire :

  • - la banque a commis plusieurs manquements à ses obligations vis-à-vis de la SARL A : manquement à l'obligation de restitution du dépositaire, manquement à l'obligation d'information et de conseil, manquement à la bonne foi contractuelle ;

  • - en premier lieu, le banquier dépositaire est tenu d'une obligation de restitution, qui s'applique au dépôt de titres financiers ;

  • - dans ce cadre, elle a l'obligation de veiller à la conservation des avoirs qui lui sont confiés, de les gérer en bon père de famille et de tout mettre en œuvre pour éviter des pertes ;

  • - en l'espèce, l'inertie fautive de la SAM B pendant la durée du séquestre judiciaire a causé la perte de la moitié de la valeur des titres détenus sur le portefeuille de la SARL A ;

  • - bien plus, la banque échoue à démontrer qu'elle n'aurait pris aucune position spéculative pendant la durée du séquestre, dans la mesure où elle s'abstient de communiquer l'intégralité des relevés de position, la période de janvier 2011 à juillet 2012 faisant défaut ;

  • - or, l'examen comparé de la composition du portefeuille avant et après le séquestre fait apparaître que :

    • entre novembre et décembre 2010, le nombre de titres de la société D et de la société E a baissé, ce qui signifie que des ventes sont intervenues sans instruction et sans aucune contrepartie ;

    • de même, entre la date de mainlevée du séquestre et le transfert des avoirs vers le compte client de l'avocat, le nombre de titres de la société F a baissé car en avril 2013, la banque a procédé à des ventes sans instruction ;

    • c'est en vain que la défenderesse prétend que ces ventes étaient obligatoires, c'est-à-dire imposées par le gestionnaire du fonds, la production des états financiers consolidés de la société F n'étant pas probante sur ce point ;

    • du reste, la SARL A conteste avoir jamais donné ordre d'acquérir des titres de la société F et la banque ne produit d'ailleurs aucun ordre d'achat de ces titres ;

    • plus généralement, aucun des ordres d'achat de titres communiqués par la banque ne comporte de date, et ce en contravention avec les dispositions impératives de l'ordonnance n° du 10 septembre 2007 ;

  • - au surplus, la banque a contrevenu à la mesure de séquestre, en continuant de prélever des frais de garde, de tenue de compte et autres, alors que la réquisition du 10 décembre 2010 lui imposait le blocage au débit des avoirs détenus, ce qui signifie qu'aucune opération débitrice n'était autorisée ;

  • - en deuxième lieu, la banque est tenue en toutes circonstances, y compris pendant la durée du séquestre, d'une obligation d'information et de conseil ;

  • - il lui appartenait en effet d'exercer sur le compte portefeuille bloqué un devoir de vigilance, de conseiller sa cliente sur l'évolution de son portefeuille et de lui suggérer, le cas échéant, toute opération utile pour garantir son capital ;

  • - pendant la durée du séquestre, la gestion des titres détenus par la SARL A pouvait en effet s'effectuer avec son accord et son information or la SAM B n'a pas respecté son obligation d'information ;

  • - au contraire, la SAM B a unilatéralement et sans préavis bloqué l'accès de la SARL A à l'intranet reliant la banque à ses clients, la privant ainsi de la faculté de suivre l'évolution de son compte ;

  • - c'est en vain que la défenderesse invoque la clause contractuelle lui offrant la faculté de résilier unilatéralement et sans préavis l'accès au service bancaire par intranet dans la mesure où s'agissant d'une clause potestative, au sens de l'article 1025 du code civil, une telle clause est sans effet et inopposable au cocontractant ;

  • - en l'espèce, la SAM B pouvait valablement neutraliser le service de virement à distance, pour tenir compte de la mesure de séquestre judiciaire, mais elle avait le devoir de conserver à sa cliente une visibilité quant à la situation de ses avoirs ;

  • - dès lors qu'elle a privé la SARL A de tout accès à son compte et que cette dernière ne disposait pas de ses relevés, la banque se trouve mal fondée à lui opposer l'expiration du délai contractuel de 30 jours à l'issue duquel aucune réclamation ne pourrait être admise ;

  • - l'obligation d'information, qui perdure pendant la durée du séquestre, impose non seulement l'envoi de relevés mais également l'information du client quant à la survenue d'opération sur les titres telles que ventes obligatoires, regroupement d'actions ou autres ;

  • - si la SARL A avait été informée de l'évolution de ses avoirs, elle aurait pu saisir le Juge d'instruction aux fins de se faire autoriser à procéder à des opérations de sauvegarde de son portefeuille ;

  • - en troisième lieu, la SAM B a manqué à la bonne foi contractuelle envers la SARL A, en formant à son encontre une déclaration de soupçon fautive, qui est à l'origine des poursuites pénales et de leurs conséquences dommageables ;

  • - en application des dispositions de l'article 29 de la loi n° 1.362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption a contrario, une déclaration de soupçon formée de mauvaise foi engage la responsabilité du déclarant ;

  • - il résulte par ailleurs des articles 3, 4 et 18 de cette loi que la déclaration de soupçon doit être formée par la banque, soit au moment de l'entrée en relation avec le client, soit à l'occasion d'une opération particulière et, dans ce cas, avant que l'opération ne soit effectuée ;

  • - en l'espèce, la déclaration de soupçon formée par la SAM B à l'encontre de la SARL A n'a été effectuée qu'en 2010, alors qu'aucun mouvement n'avait eu lieu sur le compte litigieux au cours de cette année ;

  • - les parties étaient entrées en relation en 2007 et les versements effectuées au crédit du compte ont eu lieu en septembre 2007 et janvier 2008, sans qu'aucune déclaration de soupçon n'intervienne ;

  • - lorsque la SAM B a formé sa déclaration de soupçon, l'enquête pénale visant les époux TE. en Principauté n'avait pas encore débuté et ce n'est que dans le cadre de cette enquête ouverte à Monaco, qu'il est apparu qu e. TE. faisait l'objet de poursuites au Brésil ;

  • - c'est dire qu'au moment où elle a formé la déclaration de soupçon litigieuse, la banque ne disposait d'aucun indice pour ce faire ;

  • - sa mauvaise foi est d'autant plus caractérisée qu'elle connaissait l'origine, non délictueuse, des fonds ayant alimenté le compte ouvert en ses livres par la SARL A ;

  • - en réalité, la déclaration de soupçon critiquée relève de manœuvres de la banque correspondant à une volonté de représailles vis-à-vis d'un client qui portait réclamation, au sujet d'un virement litigieux ;

  • - pour ajouter à sa déloyauté, ce n'est que par courriel du 3 mai 2011 que la SAM B a informé sa cliente du blocage de son compte, intervenu près de cinq mois plus tôt ; ce faisant, elle a tenté de dissimuler le plus longtemps possible ses agissements fautifs ;

  • - au total, la déclaration de soupçon téméraire et de mauvaise foi a eu pour conséquence le séquestre judiciaire durant lequel les positions spéculatives de la demanderesse se sont considérablement dépréciées.

En défense, la SAM B conclut au rejet de l'ensemble des prétentions adverses et sollicite reconventionnellement :

  • - le rejet des pièces adverses n° 1, 3, 9, 10, 15, 18, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 91 et 92 ;

  • - l'allocation d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Elle soutient que :

Sur le rejet des pièces adverses :

  • - la jurisprudence n'admet la recevabilité des traductions libres que pour autant que la partie adverse ne s'y oppose pas et ne conteste pas leur fiabilité ;

  • - en l'espèce, la SAM B conteste la traduction libre des pièces adverses, communiquées sous les numéros 1, 3, 9,10, 15 et 18, ce qui doit conduire à leur rejet des débats ;

  • - les pièces adverses n° 32 à 37, 91 et 92 sont des extraits d'articles de presse qui concernent des tiers à l'instance, sans rapport avec le présent litige, de sorte qu'elles doivent être également rejetées des débats ;

Sur la demande adverse de communication de pièces :

  • - la partie demanderesse est déjà en possession de ses relevés de compte pour la période du 1er janvier 2011 au 30 juin 2013, qui couvrent des dates de valeur correspondant à l'intégralité de la période de séquestre ;

  • - il s'ensuit que sa demande de ce chef est sans objet ;

Sur le virement litigieux de la somme de 40 973 euros :

  • - le 12 juillet 2010, la SARL A a donné à la banque instruction de virer la somme de 40.918 USD au profit d'une société dénommée H sur le compte détenue par cette dernière auprès de la société G ;

  • - y déférant, elle a exécuté cet ordre et procédé audit virement en date du 16 juillet 2010, c'est-à-dire dans un délai raisonnable ;

  • - elle n'a donc pas manqué à ses obligations et ne reconnaît, en l'espèce, qu'une erreur de devise, dans la mesure où le virement a été effectué en euros, et non en dollars ;

  • - la banque a vainement tenté des démarches pour obtenir le recouvrement de la différence correspondant à cette erreur de devise, sans que la SARL A ne lui fournisse les éléments d'information nécessaires pour ce faire ;

  • - au demeurant, la SARL A avait la possibilité de demander directement le remboursement du trop-perçu correspondant à cette différence de devise auprès de la société bénéficiaire du virement ;

  • - au surplus, les dispositions du Code monétaire et financier français, invoquées par la partie adverse (articles L 133-22, L 133-23 et L 133-25), ne sont pas applicables en Principauté, dans la mesure où elles sont issues d'une ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, c'est-à-dire d'un texte postérieur à l'échange de lettres du 8 novembre 2005, conclu entre la France et Monaco ;

  • - quant aux articles 1771 et 1783 du Code civil monégasque, également invoqués par la demanderesse, ils ne sont pas non plus applicables au cas d'espèce car ils concernent les obligations du dépositaire du fonds or la réclamation relative au virement litigieux porte sur une prestation de service de paiement et non sur une prestation de dépositaire de fonds ;

Sur l'absence d'opérations de la banque sur le portefeuille pendant le séquestre :

- la comparaison de la composition du portefeuille détenu par la SARL A entre le 13 décembre 2010 (date du placement sous séquestre) et le 30 juin 2013 (date de sa mainlevée) démontre que sa consistance est restée identique en nombre d'actions, à l'exception de deux titres - la société I et la société J- qui ont fait l'objet respectivement les 2 avril 2013 et 9 mai 2011, de regroupements obligatoires d'actions, qui ne relèvent pas de la banque dépositaire ;

  • - ce que la SARL A croit par ailleurs dénoncer comme étant des opérations de cession, réalisées durant la période de séquestre, sont en réalité des versements de dividendes, appelés « coupons » ;

  • - de même, l'allégation adverse relative à l'acquisition prétendue de titres de la société K le 18 juillet 2013, outre qu'elle est postérieure à la mainlevée du séquestre ordonnée par la Cour d'appel, correspond en réalité à un changement de dénomination sociale de la société L, intervenue le 21 mai 2013, étant précisé que les actions de la société K figuraient déjà au portefeuille de la SARL A avant son placement sous séquestre ;

  • - le remplacement des titres de la société D par les titres de la société F correspond à un échange obligatoire dû à une restructuration des fonds concernés, indépendante de la volonté de la banque dépositaire ;

  • - de même, la cession des titres de la société D et de la société F, intervenue en novembre 2012 et avril 2013, est une vente obligatoire, réalisée sur initiative du fonds gestionnaire, s'agissant de titres non liquides et non transférables ;

  • - il en va de même pour la vente obligatoire des titres de la société E, en mars et avril 2013 ;

  • - au total, la SAM B rapporte la preuve de ce que les seules opérations réalisées sur le portefeuille pendant la durée du séquestre judiciaire sont soit des échanges, soit des ventes obligatoires de titres, soit des regroupement obligatoires d'actions, soit des réceptions de dividendes au crédit du compte, soit des prélèvements de frais (de garde, de tenue de compte, de conservation de la correspondance ...) au débit du compte ;

  • - du reste, si la banque avait effectivement effectué des opérations sur le compte litigieux, elle se serait rendue coupable du délit de détournement d'objet saisi, prévu à l'article 324 du code pénal, et dans ce cas, sa cliente n'aurait pas manqué de déposer plainte à son encontre, ce qu'elle n'a pas fait ;

  • - en réalité la perte de valeur du portefeuille n'est due qu'à la variation à la baisse du marché boursier, causée par la crise de la dette en Europe, pendant la durée du séquestre judiciaire ;

Sur l'absence de manquement à l'obligation d'information et de conseil :

S'agissant de la suppression de l'accès à intranet :

  • - l'accès de la SARL A au service bancaire par intranet a fait l'objet d'une convention entre les parties, signée en même temps que la convention d'ouverture du compte ;

  • - or l'article 14 des conditions générales de cette convention permet à la banque d'annuler tout ou partie du service en ligne sans préavis ;

  • - en l'état du séquestre judiciaire et dans la mesure où ce service permet au client d'initier en ligne des ordres de virement sur son compte, la SAM B était tenue d'annuler l'accès de la SARL A aux « Services bancaires par internet », à défaut de quoi elle risquait de se rendre complice du délit de détournement d'objets saisis ;

  • - dans ces conditions, il ne saurait lui être reproché d'avoir manqué à ses obligations vis-à-vis de la demanderesse ;

S'agissant de la tenue du compte :

  • - les parties n'étaient liées que par une convention de Réception Transmission d'ordres, sans mandat de gestion ;

  • - dans ce cadre, la banque n'est pas tenue d'une obligation de préservation du portefeuille titres de son client ;

  • - en l'espèce, l'obligation d'information de la banque, outre qu'elle était atténuée par la qualité d'investisseur avisé d e. TE., bénéficiaire économique de la société titulaire du compte et donneur d'ordre, a été remplie, ainsi que cela ressort de chacun des ordres d'achat de titres aux termes desquelles il reconnaît avoir été parfaitement informé des risques ;

  • - au surplus, la SARL A a, lors de l'ouverture du compte, opté pour la conservation de la correspondance en agence et, au titre des Conditions générales, déchargé la banque de toute responsabilité en cas de conséquence dommageable de la non-réception par le client des documents émis par la banque ;

  • - elle est donc mal fondée à reprocher à la SAM B un quelconque manquement à son obligation de communication des relevés bancaires, et ce d'autant que la banque a scrupuleusement conservé lesdits relevés en ses locaux ;

Sur le rejet de la demande adverse de restitution du montant des avoirs :

  • - liminairement, c'est par erreur que la partie adverse libelle le quantum de sa demande en euros, alors que le compte litigieux était en dollars et que le montant de la perte alléguée serait donc en dollars, ce qui témoigne de la légèreté avec laquelle elle a introduit son action ;

  • - sur le fond, un portefeuille de titres n'est pas un simple dépôt d'argent et sa valeur de marché varie quotidiennement tout au long de la période de détention du compte ;

  • - dans ce cadre, la « chose déposée » au sens de l'article 1776 du Code civil, qui prévoit l'obligation de restitution à la charge de dépositaire, correspond aux titres composant le portefeuille et non à leur valeur de marché au jour de leur acquisition ;

  • - en l'espèce, conformément aux instructions qui lui ont été données par sa cliente après la mainlevée du séquestre, la SAM B a procédé à la vente des titres et transféré les fonds reçus en contrepartie vers le compte professionnel de son avocat ;

  • - ce faisant, elle a satisfait à son obligation de restitution ;

Sur sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts :

  • - dans le cadre de la présente instance, la SARL A n'a cessé de lui reprocher sa déclaration de soupçon, alors que celle-ci n'a fait que se conformer à ses obligations légales ;

  • - la demanderesse a par ailleurs tenté de faire peser sur la banque la perte de valeur de son portefeuille alors que cette perte n'est imputable qu'aux époux TE. et aux poursuites pénales dont ils ont fait l'objet ;

  • - au total, la SARL A ne rapporte la preuve ni de la faute, ni du préjudice ni du lien de causalité.

Sur la demande adverse de rejet de ses pièces, la SARL A répond que :

  • - les pièces critiquées sont, pour l'essentiel, des relevés de compte, établis par la banque elle-même, principalement composés de chiffres et de noms propres, de sorte que leur traduction assermentée n'est pas nécessaire ;

  • - en toute hypothèse, la plupart de ces pièces ont fait l'objet d'une traduction assermentée communiquée en cours d'instance ;

  • - quant aux articles de presse dont le rejet est sollicité, ils ont vocation à éclairer le tribunal sur le comportement peu scrupuleux de la SAM B et n'ont pas à être écartés des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

  • Sur les demandes de rejet de pièces :

  • Sur la demande de rejet des pièces n° 32 à 37, 91 et 92 communiquées en demande :

À l'appui de son argumentation, la SARL A verse aux débats divers articles de presse relatifs à ce qu'elle considère comme un manque de probité de la part du groupe B dans son ensemble et de la SAM B en particulier.

Si certains de ces articles concernent certes des entités tierces au présent litige, cela ne constitue nullement un motif de rejet des débats, le tribunal ayant tout loisir d'en apprécier la pertinence et la valeur probante, sur le fond.

La partie défenderesse sera donc déboutée de sa demande de rejet des pièces adverses n° 32, 33, 34, 35, 36, 37, 91 et 92.

  • Sur les demandes de rejet de pièces ne faisant pas l'objet de traduction assermentée :

En vertu de l'article 8 de la Constitution, aux termes duquel la langue française est la langue officielle de l'Etat de Monaco, les débats devant les juridictions monégasques doivent être menés dans cette langue et les pièces produites en langue étrangère dument traduites.

Il n'existe en revanche aucun texte exigeant une traduction par expert assermenté, de sorte que les traductions libres peuvent être admises, sous réserve que leur véracité et leur fidélité au texte original ne soient pas mises en cause.

En l'espèce, la partie demanderesse conteste la fiabilité de la traduction libre (pièce n° 19 bis) de la page de garde des « états financiers consolidés et rapport des commissaires aux comptes de la société F », communiquée en langue anglaise par la SAM B (pièce n° 19).

La pièce n° 19, non traduite en français et la pièce n° 19 bis, faisant seulement l'objet d'une traduction libre, doivent être écartés des débats, le tribunal n'étant pas en mesure de s'assurer de la fidélité de la traduction.

Les pièces n° 1, 15 et 18 produites en demandes sont des relevés de compte, dont la traduction assermentée n'est pas requise dans la mesure où :

- elles comportent uniquement des chiffres et des noms propres ;

- elles émanent de la banque elle-même ;

- de sorte que celle-ci ne saurait valablement en contester la fiabilité.

Il n'y a donc pas lieu de les écarter des débats.

S'agissant de courriers et de mails, les pièces n° 3, 9 et 10, versées en demande, nécessitent en revanche une traduction assermentée, laquelle a été produite en cours d'instance, sous les numéros 3 bis, 38 bis à 75 bis, 10 bis.

Les pièces critiquées seront en conséquence écartées des débats, étant précisées qu'elles ont fait l'objet d'une régularisation postérieure.

Sur la demande de communication de pièces :

La SARL A demande au tribunal d'ordonner la communication par la partie adverse de l'intégralité des relevés du compte courant et du portefeuille, comportant les avis d'opéré et le détail des opérations intervenues sur le compte n°VV, pour la période du 13 décembre 2010 (date du placement sous séquestre judiciaire) au 19 février 2015 (date de clôture du compte).

La période postérieure à la mainlevée du séquestre ne fait pas l'objet de contestation dans le cadre du présent litige, de sorte que la demande est sans objet après le 1er août 2013.

De même, le compte courant ne fait pas l'objet de contestation dans le cadre du présent litige, de sorte que la demande est sans objet le concernant.

S'agissant du portefeuille, qui fait l'objet du présent litige, la partie demanderesse communique elle-même :

  • - l'intégralité des relevés du compte du 30 novembre 2010 au 31 juillet 2012 (pièce n° 27) ;

  • - l'intégralité des relevés du compte du 29 septembre 2012 au 1er août 2013 (pièce n° 28) ;

  • - de sorte qu'elle est en possession de l'ensemble des relevés pour la période du séquestre, étant précisé que lesdits relevés ne sont pas édités mensuellement par la banque mais tous les deux ou trois mois.

La demande de communication de pièces est donc sans objet dans son ensemble et sera rejetée.

  • Sur la demande en remboursement de la somme de 40 973 euros :

L'article 1162 du code civil dispose :

  • « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à la banque de rapporter la preuve des instructions données par son client et de leur exécution, ce qu'elle a fait en l'espèce, puisque la SAM B a transmis les échanges de messages entre la SARL A et son « gestionnaire de relation » via le réseau intranet à l'abonnement duquel la demanderesse avait souscrit.

Réciproquement, il incombe à la SARL A de rapporter la preuve de la mauvaise exécution qu'elle invoque, s'agissant du virement litigieux de la somme de 40.973 euros.

En l'espèce, il ressort de l'examen des pièces communiquées de part et d'autre les faits suivants :

  • - par mail du 12 juillet 2010 la SARL A a demandé à son gestionnaire de compte de procéder au virement de la somme de 40.918 USD au bénéfice de la société H, basée à Hong Kong, sur un compte détenu auprès de la société G ;

  • - en réponse, ledit gestionnaire lui a demandé le lendemain, 13 juillet 2010, de lui « envoyer de toute urgence la banque correspondante » afin qu'il puisse exécuter l'ordre de virement (pièce en demande n° 10 bis) ;

  • - puis, le 16 juillet 2010 - et non quelques semaines plus tard, comme allégué à tort par la demanderesse - la SAM B a procédé au virement de la somme de 40.973 euros, au profit de la société H à partir du compte n°WW détenu par la SARL A (pièce en demande n° 2).

Tels sont les faits avérés, sans contestation possible.

Pour le reste, il n'est pas rapporté avec certitude la preuve que :

  • - la banque requise aurait fait état d'une quelconque impossibilité technique de procéder au virement sollicité ;

  • - l'ordre de virement donné le 12 juillet 2010 aurait, de ce fait, été annulé, soit par la SAM B soit par le client ;

  • - ce virement aurait finalement été effectué par un autre établissement bancaire requis par la SARL A, de sorte que cette dernière aurait été débitée deux fois du même montant.

La SARL A n'a en effet produit aucune pièce démontrant l'existence du second virement qu'elle allègue, et ce malgré les demandes réitérées de la SAM B, qui, en réponse à ses réclamations, lui demandait d'en justifier, de même qu'elle lui demandait de justifier des éventuelles démarches réalisées auprès du bénéficiaire pour obtenir remboursement du paiement reçu en double.

Cela ressort des courriers de la banque à sa cliente en dates des 16 novembre 2010, 18 novembre 2010, 1er avril 2011 et 5 avril 2011, (pièces en défense n° 9).

Par ailleurs, la lecture attentive des échanges de mails qui ont eu lieu entre la SAM B et la SARL A, dans les jours qui ont suivi l'ordre de virement du 12 juillet 2010, ne permet pas de comprendre si les parties se sont entendues sur une annulation de cet ordre avant qu'il n'intervienne effectivement le 16 juillet 2010 (pièce en demande n° 10 bis).

Du reste, la banque n'a jamais reconnu son erreur quant à la passation de cet ordre de virement sans instruction.

Il est en revanche parfaitement établi qu'elle a commis une erreur quant à la devise puisque l'ordre de virement, libellé en dollars, a été exécuté en euros.

Du reste, le gestionnaire de relation de la SAM B l'a reconnu immédiatement, dans un mail du 21 juillet 2010, dans lequel il écrit :

« Vous avez raison, je vais demander la restitution. Je dépends donc de la restitution de la banque réceptrice, je vous tiens au courant ? Nous pouvons en parler de vive voix. En principe, je suis d'accord en ce qui concerne l'erreur vs USD. »

S'en sont suivis plusieurs échanges de mails entre les parties et le 28 septembre 2010, la banque a écrit à la SARL A :

« Cher Monsieur,

Nous avons envoyé par erreur 40 918 EUR à la place de 40 918 USD.

Le taux de change à ce jour était 1 258.

Par conséquent l'erreur est 10 557 USD (le montant que nous vous avons dit ci-dessus était incorrect)

  • 40 918 * 1 258 = 51 475

  • 51 475 - 40 918 = 10 557 USD.

Je confirme que le compte sera crédité cette semaine, je vais bien sûr envoyer un e-mail confirmant ce crédit très prochainement.

Cordialement. »

En réponse, la SARL A a fait connaître sa satisfaction en ces termes :

  • « Je me réjouis de votre confirmation, avec un rapport détaillé sur les compensations de débit et crédit, liés à cette transaction. Merci et salutations. » (pièce en demande n° 10 bis - page 20).

Plus tard, dans un mail à la SAM B, daté du 3 mars 2011, la SARL A ne faisait référence qu'à l'erreur de devise, en écrivant :

« Par ailleurs, merci de bien vouloir transmettre à M. a. h. P. les informations qu'il m'a demandées il y a quelques mois concernant le contact en Chine de la société qui a reçu un virement de la part de la SAM B, suite à un ordre de la SARL A, en euros et non en USD comme indiqué dans une demande d'instruction écrite transmise via votre site Internet au mois de juillet 2010.

(...)

En outre, nous vous informons que le montant dû à la date de l'ordre de paiement s'élevait à 40 800 USD. Cependant la SAM B a réglé par erreur un montant de 40 800 EUROS, occasionnant une perte sur le compte de la SARL A, du fait de la différence de taux de change USD/EUR. Il semble probable que la SARL A obtienne remboursement de la différence de change versée, par erreur, par la SAM B.

Nous vous remercions de bien vouloir nous aider à obtenir le montant nécessaire pour clore ce regrettable incident. » (pièce en défense n° 6).

Au demeurant, la SAM B a tenté, en vain, d'obtenir du bénéficiaire du virement litigieux le remboursement de la différence entre le montant en euros et celui en dollars, ainsi que cela ressort d'un courrier de sa part à l'adresse d'une dénommée GO. en date du 1er avril 2011 (pièce en défense n° 9 - dernière page).

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le seul manquement avéré de la banque à son obligation de bonne exécution des ordres donnés par sa cliente est l'erreur de devise qui, en raison du taux de change euros/dollar, a préjudicié à la SARL A, à hauteur de 10.557 USD, ainsi que la défenderesse l'a elle-même calculé.

La SAM B ne saurait valablement soutenir qu'elle n'est pas redevable de cette somme, alors qu'elle a commis une erreur grossière, qu'elle a elle-même admise à l'occasion de divers échanges avec sa cliente.

Pour le reste, la demanderesse ne rapporte pas la preuve suffisante d'une exécution sans ordre du virement litigieux et du préjudice qu'elle aurait prétendument subi à raison d'un double débit, la preuve du second virement n'ayant jamais été faite.

La SAM B sera donc condamnée à rembourser à la SARL de droit panaméen A la somme de 10.557 USD et la demande sera rejetée pour le surplus, sans qu'il y ait lieu de déterminer si les dispositions invoquées du Code monétaire et financier français ou celles relatives au contrat de dépôt, seraient applicables au présent litige.

  • Sur la demande en paiement de la somme de 798.663,95 euros :

  • Sur le cadre juridique :

Il ressort des éléments, parcellaires, transmis à ce tribunal et tirés de la procédure d'information judiciaire, que le blocage du compte détenu par la SARL A auprès de la SAM B est intervenu à la requête des enquêteurs de la Sûreté publique, sur commission rogatoire du Juge d'instruction.

Cela ressort du procès-verbal de réquisition au directeur de l'établissement, daté du 10 décembre 2010, prescrivant le « blocage au débit des avoirs détenus par les titulaires de ce compte » (n° client VV), au visa de la commission rogatoire n°UU datée du 9 décembre 2010.

La commission rogatoire susdite n'est pas versée aux débats et la réquisition du 10 décembre 2010 ne donne aucune précision quant aux obligations de la banque qui se trouve, par là même, instituée en qualité de gardien.

Dans son arrêt du 27 juin 2013, par lequel elle en a ordonné la mainlevée, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel de Monaco a qualifié le blocage du compte précité de « séquestre », sans que cette qualification ne soit débattue dans le cadre de la présente instance.

Il s'ensuit que les obligations de la SAM B, dont les manquements sont ici invoqués, doivent s a. lyser du point de vue, tant de sa qualité de partie à la convention de compte du 19 mars 2007, que de sa qualité de séquestre judiciaire.

Il est par ailleurs établi que le contrat conclu entre les parties le 19 mars 2007 est une convention de Réception Transmission d'ordre, sans mandat de gestion (pièce en défense n° 2).

Ainsi que le stipulent ses Conditions générales, à la clause n° 31 intitulée « Droit applicable et for », il est expressément soumis au droit monégasque (pièce en défense n° 5).

Au moment de sa conclusion, le texte en vigueur était la loi n° 1194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées ainsi que l'ordonnance souveraine n° 13 184 du 16 septembre 1997 prise pour son application.

En vertu du principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, ce sont donc ces dispositions qui sont applicables au présent litige, à l'exclusion de celles issues de la loi n° 1338 du 7 septembre 2007 qui, bien que d'ordre public, ne prévoit pas son application aux contrats en cours.

  • Sur le manquement à l'obligation de restitution :

L'article 1801 du Code civil dispose :

« L'établissement d'un gardien judiciaire produit, entre le saisissant et le gardien des obligations réciproques. Le gardien doit apporter, pour la conservation des objets saisis, les soins d'un bon père de famille.

Il doit les représenter, soit à la décharge du saisissant pour la vente, soit à la partie contre laquelle les exécutions ont été faites, en cas de mainlevée de la saisie. (...) »

L'article 1802 alinéa 2 prévoit que « celui auquel la chose a été confiée est soumis à toutes les obligations qu'emporte le séquestre conventionnel. »

Le séquestre conventionnel est défini à l'article 1795 comme « le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige à la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir », ce qui renvoie aux dispositions relatives au contrat de dépôt.

L'article 1766 impose au dépositaire d' « apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. »

L'article 1771 lui fait par ailleurs obligation de « rendre identiquement la chose même qu'il a reçue » et précise que « le dépôt des sommes monnayées doit être rendu dans les mêmes espèces qu'il a été fait, soit dans les cas d'augmentation, soit dans le cas de diminution de leur valeur. »

Il est admis que le séquestre doit conserver et, le cas échéant, administrer les biens séquestrés dans la mesure que commandent la nature même de ceux-ci et l'étendue de sa mission.

Ses pouvoirs sont essentiellement provisoires et doivent être strictement limités à la conservation de la chose séquestrée.

S'il est exact que le séquestre peut et doit prendre toutes mesures utiles à la conservation de la chose séquestrée, les actes de disposition lui sont interdits.

C'est ainsi que le séquestre d'une somme d'argent, chargé d'en faire l'emploi en une série de titres déterminés et d'en remettre les revenus au propriétaire, n'est pas tenu aux mêmes soins qu'il pourrait apporter à la gestion d'un portefeuille lui appartenant.

Il ne lui appartient pas de prendre des risques de hausse ou de baisse des valeurs mobilières pour le compte du saisi.

Le dépositaire, comme le séquestre, est tenu de rendre la chose séquestrée elle-même, en respectant sa nature et l'affectation qui lui a été donnée.

S'il s'agit de choses fongibles, il doit les restituer en quantité et qualité égales à celles reçues.

Il n'est en l'espèce pas contesté qu'après la mainlevée du séquestre judiciaire, la SARL A a obtenu restitution de l'intégralité du montant des liquidités se trouvant sur son compte courant à la date du blocage ; ce point n'est pas en litige.

S'agissant des titres financiers composant son portefeuille de valeurs mobilières, elle ne saurait valablement prétendre à leur restitution en valeur, alors qu'à raison de leur nature même, les actions, obligations et fonds communs de placement sont soumis à des variations boursières quotidiennes.

En sa qualité de dépositaire comme en sa qualité de séquestre judiciaire, la SAM B n'était donc tenue à restitution de titres qu'en nombre et en nature.

Or il ressort de l'examen comparé de la composition du portefeuille de la société demanderesse, avant et après la mesure de séquestre, qu'à l'exception de quelques regroupements, échanges ou ventes obligatoires d'actions - sur lesquels la banque s'explique, sans être utilement contredite sur ce point (actions la société D, de la société F, de la société E) - il y a identité de titres, en nature et en nombre.

SAM B a donc satisfait à son obligation de restitution.

C'est par ailleurs en vain que la SARL A lui reproche de n'avoir pas géré ses avoirs en bon père de famille, alors que :

  • - les parties n'étaient pas liées par un mandat de gestion ;

  • - e. TE., bénéficiaire économique, avec son épouse, de la SARL A, avait toujours géré lui-même son portefeuille ;

  • - la banque n'a pas été missionnée en ce sens par l'autorité judiciaire qui l'a simplement requise de procéder au blocage des avoirs ;

  • - si elle avait procédé à des ventes de titres pendant la durée du séquestre, elle aurait, d'une part, excédé ses obligations contractuelles et elle aurait, d'autre part, contrevenu à la mesure de séquestre judiciaire, lui interdisant tout acte de disposition.

Le grief tiré de la prétendue inertie fautive de la banque sera donc écarté, de même que le prétendu manquement à l'obligation de restitution.

  • Sur le manquement à la bonne foi et la déclaration de soupçon :

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

La bonne foi est toujours présumée.

La déclaration de soupçon est prévue à l'article 18 de la loi n° 1362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, qui dispose :

« Les organismes et les personnes visés à l'article premier et au chiffre 3° de l'article 2 (qui comprend les établissements bancaires) sont tenus de déclarer au Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers, en considération de leur activité, toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations qui pourraient être liées au blanchiment de capitaux, au financement du terrorisme ou à la corruption.

Cette déclaration effectuée sur la base de raisons suffisantes de soupçonner, doit être accomplie par écrit, avant que l'opération soit exécutée et préciser les faits qui constituent les indices sur lesquels lesdits organismes ou les personnes se fondent pour effectuer la déclaration (...) »

L'article 29 alinéa 2 et 3 précise que :

« Aucune action en responsabilité civile ne peut être intentée, ni aucune sanction professionnelle prononcée contre un organisme ou une personne visés aux articles premier et 2, ses dirigeants ou ses préposés habilités, qui font de bonne foi une telle déclaration.

Ces dispositions sont applicables même lorsque la preuve du caractère délictueux des faits qui ont suscité la déclaration n'est pas rapportée ou lorsque ces faits ont fait l'objet d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. »

En vertu de ces dispositions, seule une déclaration de soupçon formée de mauvaise foi est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur et il appartient à celui qui invoque une déclaration fautive de rapporter la preuve de cette mauvaise foi.

En l'espèce, la SARL A ne prouve nullement que la SAM B aurait fait preuve de mauvaise foi en effectuant sa déclaration de soupçon relative au compte ouvert en ses livres au nom de la SARL A, se contentant d'alléguer, sans le démontrer que :

  • - cette déclaration aurait été faite par la banque, dans une intention malveillante, en représailles de la réclamation élevée par sa cliente au sujet du virement litigieux de la somme de 40.973 euros ;

  • - au moment où elle a effectué sa déclaration de soupçon, la banque ne disposait d'aucun indice pour ce faire et connaissait l'origine, non délictueuse, des fonds ayant alimenté le compte ouvert au nom de la demanderesse ;

  • - en contravention avec les exigences de l'article 18 rappelé ci-dessus, la déclaration de soupçon litigieuse n'aurait pas été formée à l'occasion d'une opération particulière ;

  • - étant précisé qu'aucune des parties ne précise dans ses écritures, la date à laquelle la déclaration contestée est intervenue.

Ces allégations sont manifestement insuffisantes à caractériser la mauvaise foi de nature à engager la responsabilité de SAM B au titre de la déclaration de soupçon formée à l'encontre du compte litigieux.

  • Sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil :

Même en l'absence de mandat de gestion, l'établissement dépositaire de titres et qui exécute les ordres données par un client pour la gestion de son portefeuille, est tenu, à l'égard de celui-ci d'une obligation générale d'information et de conseil.

Le devoir de non-ingérence imposé à la banque, qui lui interdit seulement de refuser d'exécuter des ordres clairs et précis de son client ou d'effectuer des opérations sans instruction de celui-ci, ne saurait l'exonérer de son obligation d'information et de conseil, ni limiter celle-ci aux cas où elle contesterait un comportement irrationnel.

La banque est au contraire tenue, lors de l'ouverture du compte, d'une obligation générale d'informer le client des risques inhérents à l'acquisition de valeurs boursières et aux différentes opérations auxquelles les titres peuvent donner lieu, et de le conseiller utilement, notamment en ce qui concerne la composition de son portefeuille au regard de ses objectifs et de sa situation patrimoniale d'ensemble.

Cette obligation générale d'information et de conseil ne se limite pas à l'ouverture du compte mais subsiste pendant toute la durée de la relation contractuelle.

Elle ne disparaît pas mais son étendue se trouve atténuée en présence d'un investisseur averti, la preuve de cette qualité étant à la charge de la banque.

S'il est exact que l'établissement dépositaire n'est pas tenu de dispenser en permanence une information détaillée concernant chacun des titres composant le portefeuille de son client, ni de prodiguer d'office ses conseils, il lui appartient en revanche d'informer son client en temps utile de tout évènement qui risque de lui causer un préjudice et qui concerne notamment l'évolution de la situation financière de l'émetteur du titre.

En l'espèce, la qualité d'investisseur averti d e. TE., bénéficiaire économique de la SARL A et interlocuteur de la banque teneur du compte, n'est pas sérieusement contestée ; elle résulte principalement du fait que depuis l'entrée en relation des parties, il avait toujours géré seul ses avoirs et était un client aguerri aux opérations boursières.

Il s'ensuit que dans ce contexte, l'obligation d'information de la banque s'en trouve atténuée.

Pour autant, cette obligation existe et n'a pas été mise à néant ou suspendue par l'effet de la mesure de séquestre judiciaire.

Au contraire, dans la mesure où son client, bien qu'avisé et non signataire d'un mandat de gestion, s'est trouvé privé de la faculté d'agir sur ses comptes, par suite du blocage judiciairement ordonné, la SAM B avait d'autant plus l'obligation d'exercer sur les avoirs dont elle était dépositaire un devoir de vigilance et d'alerte.

Or il est établi qu'elle a non seulement manqué à cette obligation mais qu'elle a délibérément privé sa cliente de l'accès à l'information sur son compte.

C'est ainsi que pendant les deux ans et demi qu'a duré la mesure de séquestre, aucun mail ni courrier d'alerte n'a été adressé à la SARL A par la SAM B, alors que cette dernière ne pouvait ignorer le contexte boursier défavorable et la baisse subséquente de valeurs des titres composant le portefeuille litigieux.

C'est en vain que la banque tente de s'exonérer en invoquant la signature par la cliente, lors de l'ouverture du compte titre, des « Termes et conditions spécifiques relatifs à la souscription de fonds d'investissement externes / de produits spéculatifs - marchés émergents » (pièce en défense n° 12), alors que ce type de document contractuel, au contenu général, est insuffisant à la remplir de son obligation d'information et de conseil.

Bien plus, la SAM B a unilatéralement et sans préavis mis fin à l'abonnement souscrit par la SARL A aux « Services bancaires par internet », en bloquant son accès à l'intranet par le moyen duquel e. TE. consultait ses comptes et dialoguait avec son gestionnaire de relation.

C'est en vain qu'elle tente de soutenir que cette mesure a été prise en vue de se conformer à la mesure de séquestre judiciaire, afin d'éviter tout risque de détournement des avoirs saisis, alors que :

  • - l'accès intranet n'a pas été bloqué en même temps que le compte litigieux, puisqu'il n'est intervenu que courant mars 2011, soit plus de trois mois après la réquisition aux fins de séquestre ;

  • - la lecture des échanges de mails entre la SARL A et la banque, entre mars et mai 2011, démontre que la première n'a pas été informée immédiatement par la seconde du blocage de son accès intranet ;

  • - c'est ainsi que, pendant plusieurs semaines, en réponse aux réclamations de sa cliente, qui se plaignait de ne pas réussir à se connecter à l'intranet de la SAM B, son gestionnaire de relation a tenté à plusieurs reprises de rétablir son accès, avant que, par message du 3 mai 2011, le responsable juridique de la banque ne l'informe finalement de ce que son compte était bloqué par décision judiciaire et qu'il lui fallait désigner un avocat pour toute aide ou information (pièces en demande n° 51, 54, 59, 71) ;

  • - contrairement à ce qui est soutenu en défense, l'examen des termes du contrat d'abonnement aux « Services bancaires par internet », souscrit lors de l'ouverture du compte, fait apparaître que l'accès du client à son compte par ce mode ne lui permet pas la réalisation d'opérations quelconques mais lui donne uniquement accès à l'information en temps réel ;

  • - les « Conditions générales applicables aux services bancaires par internet » stipulent en effet au paragraphe 1 intitulé « Types de Services disponibles » :

« Le Service Bancaire en Ligne vous permet notamment :

  • d'obtenir des soldes de comptes et renseignements consolidés sur les comptes sélectionnés pour le lien à la clôture de l'activité le jour ouvrable précédent,

  • d'examiner les informations sur les transactions au cours des trois derniers mois,

  • d'échanger des communications/messages sécurisés par courrier électronique avec votre directeur de relations ;

  • d'accéder à vos derniers relevés de compte électroniques,

  • d'accéder à vos avis de débit/crédit,

  • de relier ensemble les comptes Internet locaux et d'en avoir une vue globale. » (pièce en défense n° 14) ;

Il s'ensuit que la mise sous séquestre du compte litigieux n'imposait nullement le blocage de l'accès internet, qui constituait jusque-là le mode d'information privilégiée de la cliente sur l'évolution de son portefeuille, et ce d'autant que les bénéficiaires économiques du compte, résidents au Brésil, ne se trouvaient pas sur place et avaient opté pour la conservation des relevés en agence ;

S'il est par ailleurs exact que l'article 14 des « Conditions générales applicables aux services bancaires par internet » prévoit : « la SAM B peut annuler votre accès Bancaire En Ligne sans préavis s'il n'y a pas eu d'activité Bancaire En Ligne pendant une durée de 3 mois consécutifs ou pour n'importe quelle raison », encore faut-il que cette faculté de résiliation unilatérale laissée à la banque soit mise en œuvre de bonne foi et sans abus de sa part ;

Or il ressort de ce qui précède que la SAM B a en l'espèce agi envers sa cliente avec une particulière déloyauté.

En privant la SARL A de son accès à l'intranet, sans motif valable et dans des conditions contestables, la banque a manqué à son obligation d'information ainsi qu'à son obligation de bonne foi contractuelle.

Là encore, c'est en vain qu'elle tente de s'exonérer en faisant valoir qu'elle a dument conservé les relevés de compte à la disposition de sa cliente, alors que :

  • - cela est insuffisant à la remplir de son obligation d'information ;

  • - il ressort des échanges de courriers, des relances et de la sommation du 8 mars 2012, qu'elle a tardé à les fournir lorsque la demande lui en a été faite (pièces en demande n° 8, 13, 14, 16, 17).

Au total, il est établi que SAM B a failli à son obligation d'information et de conseil vis-à-vis de la SARL de droit panaméen A, en la privant de son accès à l'intranet de la banque et en s'abstenant de l'alerter sur la diminution de valeur de ses titres dans un contexte boursier à la baisse.

  • Sur le préjudice :

Les deux autres griefs invoqués n'étant pas retenus, le préjudice allégué par la SARL A ne peut résulter que du manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil.

Dans ces conditions, le préjudice ne peut en aucun cas correspondre au montant intégral de la perte en valeur du portefeuille.

Il ne peut consister qu'en une perte de la chance d'avoir été alertée en temps utile et d'avoir pu ainsi saisir l'autorité judiciaire aux fins de se voir autorisée à prendre toute disposition de nature à garantir la préservation de tout ou partie des avoirs.

La SARL A est en conséquence mal fondée en sa demande en paiement de la somme de 798.663,95 USD (et non 798.663,95 EUROS, ainsi qu'elle le formule par erreur dans ses conclusions).

Au vu de l'aléa inhérent, tant à la nature spéculative des fonds placés, qu'au contexte boursier défavorable et à l'intervention judiciaire, le préjudice lié à la perte de chance subie par la demanderesse sera justement compensé par l'allocation à son profit d'une somme de 150.000 USD.

  • Sur la demande accessoire en paiement de dommages-intérêts :

La SARL A ne justifie d'aucun chef de préjudice, distinct de celui qui est par ailleurs indemnisé au titre de la perte de chance.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande accessoire en paiement de la somme de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts.

  • Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts :

Dans la mesure où il est fait partiellement droit à la demande adverse, la partie défenderesse est mal fondée en sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; elle en sera déboutée.

  • Sur les dépens :

La partie défenderesse, qui succombe, même partiellement, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Écarte des débats les pièces n° 3, 9 et 10 versées par la SARL de droit panaméen A ;

Écarte des débats les pièces n° 19 et 19 bis versées par SAM B ;

Déboute SAM B de sa demande de rejet des débats des pièces adverses n° 1, 15, 18, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 91 et 92 ;

Déboute la SARL de droit panaméen A de sa demande de communication de pièces ;

Condamne SAM B à payer à la SARL de droit panaméen A la somme de 10.557 USD ;

Condamne SAM B à payer à la SARL de droit panaméen A la somme de 150.000 USD ;

Déboute la SARL de droit panaméen A du surplus de ses demandes principales ;

Déboute la SARL de droit panaméen A de sa demande accessoire en dommages-intérêts ;

Déboute SAM B de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts ;

Condamne SAM B aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 30 MARS 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabel DELLERBA, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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