Tribunal de première instance, 23 mars 2017, M. p. f. SM. c/ M. ph. SM. et la SARL A

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Abstract🔗

Procédure civile - Bâtonnement des écritures

Contrat - Dol - Cession de parts sociales - Nullité (oui) - Dommages et intérêts

Résumé🔗

Le dol empêche la validité du consentement et l'article 971 du Code civil précise qu'il est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé. Le dol étant constitutif d'une fraude, les juges du fond peuvent avoir égard pour le caractériser à tous moyens de preuve (Cour de révision, 10 mai 1976, P.c. dame G.M.). Ainsi, la décision de relaxe ou de non-lieu à poursuite, qui n'exclut pas l'existence d'un dol civil, est à cet égard dépourvue d'autorité de chose jugée.

En l'espèce, M. p. SM. a constitué la société en commandite simple (SCS), dénommée B, avec ses deux fils, g. et ph., avec la répartition suivante : p. SM. et son fils g. en étaient les associés commanditaires, ph. SM. était l'associé commandité et le gérant. La SCS a été transformée en SARL et les parts sociales entre p. SM. et ph. SM. n'ont pas été modifiées. Après trois cessions de parts, ph. SM. est devenu titulaire de la totalité du capital social. Dès lors, M. p. SM. a déposé plainte pour faux et usage de faux concernant ces trois cessions. Celle-ci ayant été classée sans suite, il a déposé au Tribunal de Première Instance, une plainte avec constitution de partie civile contre X des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance pour laquelle une ordonnance de non-lieu a été rendue. Enfin, il a fait assigner ph. SM. et la SARL A devant le Tribunal de Première Instance, pour notamment annuler ces trois cessions de parts sociales.

Le Tribunal prononce la nullité des trois actes de cession de la SARL A détenues par p. SM. au profit de ph. SM. En effet, M. ph. SM. a profité de l'existence des projets d'actes de cession élaborés à des fins successorales sur les conseils d'un notaire et de la transformation de la forme sociale de la SCS B en SARL, pour obtenir le consentement de son père à la signature des trois actes de cession de parts litigieux, en arguant de la nécessité de faire correspondre les projets d'actes avec la nouvelle forme sociale de la société, le trompant sur la réalité de son engagement. Il a demandé ensuite à l'expert-comptable de la société de mentionner son identité en qualité de cessionnaire sur les deux actes litigieux laissant cette rubrique en « blanc », et a apposé la même date sur les trois documents litigieux. Ainsi, le consentement de p. SM. aux actes de cession litigieux a donc été surpris par dol.

En outre, il n'y a pas lieu au bâtonnement des écritures de p. SM., car les propos qu'il a employé ne portent pas atteinte à l'honneur ou à la réputation du défendeur dès lors qu'il est établi que ph. SM. a usé des actes signés en blanc au-delà de ce qui avait été convenu entre les parties. Enfin, le Tribunal condamne ph. SM. à verser à p. SM. la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, du fait d'avoir subi un préjudice, ayant été dépouillé par son fils du seul patrimoine qu'il possédait pendant plus de sept années. Corrélativement, le Tribunal déboute M. ph. SM. de sa demande de dommages et intérêts qui apparaît comme infondée, dès lors que le demandeur a triomphé dans son action.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2014/000655 (assignation du 16 juin 2014)

JUGEMENT DU 23 MARS 2017

En la cause de :

  • M. p. f. SM., retraité, demeurant à Monaco, (Principauté), X1, divorcé, de nationalité française, né à Monaco (Principauté), le 12 novembre 1937 ;

DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Florent ELLIA, avocat au Barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

  • M. ph. SM., né le 12 février 1964 à Monaco, de nationalité française, exerçant la profession de gérant de société, demeurant X2 à Monaco ;

En présence de :

  • La Société à responsabilité limitée de droit monégasque A, inscrite au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le numéro XX, dont le siège social est situé au X3, 98000 Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, M. ph. SM. ;

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 16 juin 2014, enregistré (n° 2014/000655) ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de ph. SM. et de la SARL A, en date des 8 octobre 2014, 26 mars 2015, 14 octobre 2015, 10 février 2016, 23 juin 2016 et 9 novembre 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de p. SM., en date des 14 janvier 2015, 10 juin 2015, 13 janvier 2016, 20 avril 2016 et 5 octobre 2016 ;

À l'audience publique du 26 janvier 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 23 mars 2017;

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Le 1er février 1989, p. SM. a constitué la société en commandite simple SCS C, dénommée B, avec ses deux fils, g. et ph. ; p. SM. et son fils g. en étaient les associés commanditaires, tandis que ph. SM. en était l'associé commandité et le gérant ;

Le capital social était réparti comme suit : p. SM. était titulaire de 1.520 parts sociales et ses deux fils disposaient chacun de 40 parts sociales ;

Le 3 décembre 1999, g. SM. a cédé ses 40 parts sociales à son frère ph. SM. ;

Suivant acte notarié en date du 30 novembre 2005, p. SM. a transmis à ph. SM., dans le cadre d'une donation irrévocable entre vifs, 498 parts sociales, évaluées forfaitairement à la somme de 75.920,10 euros ;

Le 4 novembre 2008, la société en commandite simple SCS C a été transformée en société à responsabilité limitée (SARL A) ; la répartition des parts sociales entre p. SM. et ph. SM. n'a pas été modifiée : le premier est resté titulaire de 1.022 parts tandis que le second a conservé 578 parts ;

Le 16 juin 2009, aux termes de trois cessions de parts, ph. SM. est devenu titulaire de la totalité du capital social de la SARL A ;

Le 22 octobre 2009, p. SM. a déposé auprès de la Sûreté Publique une plainte pour faux et usage de faux concernant ces trois cessions de parts ;

Cette plainte ayant été classée sans suite, p. SM. a déposé le 7 décembre 2010, entre les mains du Juge d'instruction du Tribunal de Première Instance de Monaco, une plainte avec constitution de partie civile contre X des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance ;

Le 3 février 2014, le Juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont il n'a pas été interjeté appel ;

Par acte d'huissier en date du 16 juin 2014, p. SM. a fait assigner ph. SM. et la SARL A devant le Tribunal de Première Instance aux fins :

  • - à titre principal, d'annulation des trois cessions de parts sociales de ladite société, numérotées 1 à 1.022, en date du 16 juin 2009, pour dol et subsidiairement absence de cause en raison de la vileté du prix de cession,

  • - à titre subsidiaire, de résolution des trois cessions de parts pour défaut de paiement du prix par le cessionnaire,

  • - en tout état de cause, de condamnation de ph. SM. au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Dans ses écritures récapitulatives et responsives en date du 5 octobre 2016, p. SM. a réitéré ses demandes initiales, conclu au débouté de ph. SM. de l'ensemble de ses prétentions et sollicité à titre infiniment subsidiaire, la désignation d'un expert afin d'évaluer la valeur d'une part de la SARL A à la date des cessions litigieuses ;

En défense, dans leurs conclusions récapitulatives en date du 9 novembre 2016, ph. SM. et la SARL A ont conclu :

À titre principal :

  • au débouté du demandeur de ses prétentions afférentes à l'annulation des actes de cession,

  • à l'irrecevabilité des prétentions du demandeur afférentes à la résolution des cessions de parts sociales,

  • au débouté du demandeur de ses demandes de dommages et intérêts et de désignation d'un expert,

  • au batônnement des écritures du demandeur en date du 14 janvier 2015, concernant les termes suivants en page 3 : « il s'agit purement et simplement d'un abus de blanc-seing » ;

À titre subsidiaire : à l'irrecevabilité des prétentions du demandeur afférentes à la résolution des cessions de parts sociales ;

À titre infiniment subsidiaire : au débouté du demandeur de ses prétentions afférentes à la résolution des cessions de parts sociales ;

En tout état de cause, ph. SM. et la SARL A ont réclamé la condamnation de p. SM. à leur verser la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

SUR CE,

  • Sur la nullité des cessions de parts sociales ayant pris effet le 16 juin 2009

Selon l'article 964 du Code civil, il n'y a point de consentement valable, s'il n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ;

Aux termes de l'article 971 du même code, le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ;

Il ne se présume pas et doit être prouvé ;

Aux termes de l'article 1200 du Code civil, les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ;

Le dol étant constitutif d'une fraude, les juges du fond peuvent avoir égard pour le caractériser à tous moyens de preuve (Cour de révision 10 mai 1976 P. c. dame G. M.) ;

Il s'ensuit que la décision de relaxe ou de non-lieu à poursuite, qui n'exclut pas l'existence d'un dol civil, est à cet égard dépourvue d'autorité de chose jugée ;

Pour solliciter l'annulation des cessions de parts litigieuses, p. SM. soutient avoir été trompé par son fils ph. SM. avec l'aide de l'expert-comptable de la société, y. BE., lesquels auraient usé de manœuvres consistant à reproduire un procédé déjà mis en œuvre du temps de la SCS B consistant en l'établissement de cessions de parts sociales « en blanc » dans le but d'en organiser la dévolution successorale à son décès ; il affirme qu'il n'aurait jamais signé les actes litigieux, s'il avait su que leur signature entrainerait son dépouillement immédiat au profit de l'un de ses fils ; que telle n'a jamais été sa volonté ;

Il estime que les manœuvres frauduleuses sont notamment caractérisées par la rédaction des différents actes de cession litigieux, qui mentionnent l'identité du cessionnaire tantôt de manière dactylographiée, tantôt de manière manuscrite ;

Il souligne qu'en 2005, un notaire était intervenu pour l'établissement des cessions de parts « en blanc », mais qu'une telle intervention lui a été refusée en 2009 ;

Il fait valoir que si son fils a donné instruction à l'expert-comptable de porter son nom en qualité de cessionnaire des actes laissés en blanc, son accord n'a jamais été recueilli sur ce point ;

p. SM. soutient également que l'ordonnance de non-lieu n'a pas autorité de la chose jugée sur l'absence de dol ;

Pour prétendre à l'absence de dol, ph. SM. fait valoir que les éléments constitutifs ne sont pas réunis, le demandeur ayant signé en connaissance de cause les actes de cession en blanc ; que l'ordonnance de non-lieu relève l'absence de stratagème de sa part, ainsi que de celle de y. BE. pour recueillir la signature de p. SM. sur les actes litigieux ;

Le défendeur expose que son père a fait le choix de lui céder ses parts de son vivant, car il était le seul associé en charge de la gestion de la SARL A ; que p. SM. en a lui-même fixé le prix et les modalités de paiement ; que depuis 1991, celui-ci a reçu des versements au titre du rachat de ses parts sociales ; que par les trois actes de cession objets du litige, il a finalisé et régularisé le rachat de la société, conclu entre les parties en 1991 et formalisé dans l'acte du 4 janvier 1994; qu'en 2005, son père avait déjà signé à son profit des actes de cession sans indication du nom du bénéficiaire ; qu'il s'agissait de la date à laquelle le rachat de la société par lui devait s'achever conformément à l'acte du 5 janvier 1994 ; que l'établissement des actes de 2005 devant notaire démontre le consentement éclairé de son père quant à sa volonté de lui céder ses parts sociales; que le changement de forme sociale de la SARL A a nécessité la rédaction de nouveaux actes de cession, objets du litige ; qu'il ne pouvait qu'être le cessionnaire, puisqu'en cas de cession à un tiers, une délibération des associés aurait été nécessaire ;

ph. SM. soutient que le revirement de p. SM. après la signature des actes litigieux s'explique par son refus de voir sa belle-fille intégrer la SARL A, puisqu'à la suite des cessions, intervenues entre son père et lui, il a cédé à son épouse 400 parts afin de régulariser le nombre d'associés ;

En l'espèce, il ressort des pièces et des débats que :

Les trois cessions de parts litigieuses ont été signées par p. SM. le même jour dans le courant du premier trimestre 2009, avec pour l'une, la mention de sa main « bon pour quittance de la somme de 19040 euros » et pour les deux autres, la mention de sa main « bon pour quittance de la somme de 31360 euros » ;

L'un des actes de cession de parts sociales contenait, lors de sa signature par p. SM., les stipulations dactylographiées afférentes à l'identité du cessionnaire, à savoir ph. SM., au nombre de parts (238) et au prix de cession (19.040 euros), mais ne comportait aucune date, laquelle a été écrite ultérieurement de la main d'y. BE., expert-comptable de la SARL A, à la demande de ph. SM. ;

Les deux autres actes de cession contenaient lors de leur signature par p. SM. les stipulations dactylographiées afférentes au nombre de parts (392) et au prix de cession (31.360 euros), mais ne comportaient aucune date, ni mention relative à l'identité du cessionnaire, lesquelles ont été ajoutées ultérieurement de la main d'y. BE., à la demande de ph. SM. ;

En l'absence d'indication de la date sur ces trois actes de cession de parts sociales et de l'identité du cessionnaire sur deux d'entre eux, se pose la question de la portée du consentement de p. SM. à l'opération litigieuse ;

En effet s'il avait été de la commune intention des parties que p. SM. cède toutes ses parts à son fils et à la même date, un seul acte de cession au bénéfice de ph. SM. était nécessaire, éventuellement « en blanc » quant à la date, sauf à ce que la formalisation de trois actes revête un intérêt particulier pour les parties ou réponde à des exigences spécifiques ;

Or selon les déclarations effectuées par y. BE., leur rédacteur, tant devant les enquêteurs de la Sûreté Publique que devant le magistrat instructeur, les actes de cession de parts litigieux ont été établis sous cette forme afin de remplacer ceux rédigés en 2005 qui ne correspondaient plus à la nouvelle forme sociale de la société adoptée le 4 novembre 2008 ;

En effet en 2005, il avait été formalisé par le notaire des parties concomitamment à la donation du 30 novembre 2005, deux projets d'actes sous seing privé portant sur la cession des parts sociales de la SCS B détenues par le demandeur, l'un « en blanc » concernant l'identité du cessionnaire, le nombre de parts, le prix de cession et la date de l'acte, et l'autre au profit de ph. SM. pour 1.000 parts sociales mais sans indication du prix de cession et ni de la date de l'acte ;

Cependant d'après le notaire et sans préciser les intentions ayant spécialement animé les parties, ce procédé permettait de faire obstacle à la dissolution automatique d'une société en cas de décès d'un associé prévue par les anciennes dispositions de l'article 1703 du Code civil, et l'acte de cession de parts sociales laissé « en blanc » quant à l'identité du cessionnaire avait pour objet d'éviter l'annulation du contrat de société pour absence de pluralité d'associés ;

Compte tenu de la conservation de ces deux projets d'actes par ph. SM. dans leur état initial jusqu'en 2009, il faut considérer comme le suggère le notaire que le montage élaboré en 2005 n'a été envisagé qu'en vue de contourner les dispositions légales en cas de décès d'un associé et non en vue de départir p. SM. de son patrimoine au profit de ph. SM. sans date précise ;

Il en résulte que si les documents litigieux ont été tels qu'établis en 2009 pour remplacer les projets d'actes de 2005, alors il faut considérer que p. SM. n'a donné son consentement qu'à une opération visant à organiser la dévolution successorale de ses parts après son décès, et non à céder l'intégralité de celles-ci à son fils ph. de son vivant ;

Son consentement à l'opération critiquée ne saurait davantage être déduit du document intitulé « Rachat SCS B au capital de 3.000.000 FRS », en date du 5 janvier 1994, signé de sa main, comme le prétend le défendeur ;

En effet, ce document, peu compréhensible à sa lecture, laisse entendre que des versements avaient été effectués depuis 1991 par ladite société et, que des paiements devaient être effectués par elle jusqu'en 2005, pour qu'elle soit dégagée de ses obligations ;

Même si les mentions contenues dans ce document ne permettent pas de comprendre au profit de qui les paiements ont été et devaient être faits, ni de quelles obligations la SARL A était tenue, les parties ont admis qu'il s'agissait, à l'époque, d'un accord en vue de la cession des parts du demandeur au profit du défendeur à échéance en 2005 ;

Or, cet accord de 1994 n'a manifestement pas été maintenu entre les parties, sans quoi la donation du 30 novembre 2005 régulièrement passée devant notaire, et qui n'a jamais souffert d'aucune contestation, aurait été sans objet ;

Il y a lieu d'en déduire que depuis la donation du 30 novembre 2005, p. SM. n'a plus manifesté la volonté expresse de céder l'intégralité de ses parts sociales à son fils, et en une seule fois ;

Ainsi, ph. SM. a profité de l'existence des projets d'actes de cession élaborés en 2005 à des fins successorales (sur les conseils d'un notaire) et de la transformation de la forme sociale de la SCS B en SARL, pour obtenir le consentement de son père à la signature des trois actes de cession de parts litigieux (stipulés selon des formes équivalentes à ceux de 2005), en arguant de la nécessité de faire correspondre les projets d'actes avec la nouvelle forme sociale de la société, trompant ainsi celui-ci sur la réalité de son engagement. Il a demandé ensuite à l'expert-comptable de la société de mentionner son identité en qualité de cessionnaire sur les deux actes litigieux laissant cette rubrique en « blanc », et d'apposer la même date sur les trois documents litigieux ;

Le consentement de p. SM. aux actes de cession litigieux a donc été surpris par dol ;

En conséquence, il convient de prononcer la nullité des trois actes de cession des parts sociales de la SARL A détenues par p. SM. au profit de ph. SM., en date du 16 juin 2009 ;

  • Sur le batônnement des écritures de p. SM.

L'article 23 de la loi 1047 du 28 juillet 1982, sur l'exercice des professions d'avocat-défenseur et d'avocat, dispose que les avocats-défenseurs et avocats ne peuvent avancer aucun fait grave contre l'honneur ou la réputation des parties à moins que la cause ne l'exige et qu'ils n'aient reçu mandat exprès et par écrit de leurs clients ;

La juridiction saisie de la cause peut ordonner la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires ;

Par ailleurs, selon l'article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, « ni les discours ou plaidoiries prononcés, ni les écrits produits devant les tribunaux, ni le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ne donnent lieu à action en diffamation, injures, outrages, atteintes à la vie privée. Les juges saisis de la cause et statuant sur le fond peuvent néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires relatifs aux faits de la cause et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. Les faits diffamatoires étrangers à la cause peuvent donner ouverture soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur ont été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers » ;

ph. SM. reproche à p. SM. d'avoir, en page 3 de ses conclusions en date du 14 janvier 2015, employé les termes suivants : « Il s'agit purement et simplement d'un abus de blanc-seing » ;

Il estime que ces propos affirment de manière péremptoire et excessive un fait grave portant atteinte à son honneur et à sa réputation, ainsi qu'à celle d'y. BE., et ce alors qu'une ordonnance de non-lieu concernant ces mêmes faits a été rendue à son profit dont le demandeur n'a pas interjeté appel ;

En l'espèce, les propos employés ne portent pas atteinte à l'honneur ou à la réputation du défendeur dès lors qu'il est établi que ph. SM. a usé des actes signés en blanc au-delà de ce qui avait été convenu entre les parties ;

Il n'y a donc pas lieu au batônnement des écritures de p. SM. ;

  • Sur les demandes de dommages et intérêts

  • Sur la demande de p. SM.

Pour demander la condamnation de ph. SM. à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, p. SM. fait valoir qu'il a subi un préjudice, ayant été dépouillé par son fils du seul patrimoine qu'il possédait ;

En défense, ph. SM. prétend que le demandeur ne rapporte pas la preuve de son préjudice et que les parts sociales litigieuses ne constituent pas le seul patrimoine de son père, lequel perçoit également une pension de retraite de la Société des Bains de Mer ;

En l'espèce, quand bien même p. SM. ne percevait aucun dividende de la SARL A et dispose d'une pension de retraite, il n'en demeure pas moins qu'il a été dépossédé d'une partie de son patrimoine pendant plus de 7 années ;

Cette dépossession illégitime lui a nécessairement causé un préjudice justifiant son indemnisation ;

Il en convient, en conséquence, de condamner ph. SM. à lui verser la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

  • Sur la demande reconventionnelle de ph. SM.

Celui qui triomphe même partiellement dans sa prétention ne peut être condamné pour avoir abusé de son droit d'agir en justice ;

Ainsi, p. SM. ayant triomphé dans en son action, la demande du défendeur tendant à le voir condamner à payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts est infondée ;

Il sera donc débouté de sa prétention de ce chef;

  • Sur les dépens

ph. SM., partie perdante, supportera la charge des dépens en application de l'article 231 du code de procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Dit que le consentement de p. SM. aux actes de cession au profit de son fils, ph. SM., de ses parts de la SARL A en date du 16 juin 2009 a été surpris par dol ;

En conséquence,

Prononce la nullité des trois actes de cession des parts de la SARL A numérotées de 1 à 1.022 en date du 16 juin 2009 détenues par p. SM. au profit de ph. SM. ;

Condamne ph. SM. à payer à p. SM. la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts;

Déboute ph. SM. de ses demandes reconventionnelles en bâtonnement des écritures de p. SM. et en dommages et intérêts pour procedure abusive;

Le condamne aux dépens avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame f. e DORNIER, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 23 MARS 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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