Tribunal de première instance, 23 mars 2017, M. j., f. LI. c/ La la SARL A et la SCI B

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Abstract🔗

Agent immobilier - Manquement à l'obligation d'information (oui) - Préjudice subi par l'acheteur (non) - Commission due (oui)

Résumé🔗

L'agent immobilier a manqué à ses obligations en donnant une information erronée sur la superficie du bien vendu. Cependant, l'acheteur, qui a négocié une baisse du prix avec le vendeur, ne justifie pas du préjudice invoqué. Il doit régler la commission convenue à l'agent immobilier.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2015/000441 (assignation du 23 mars 2015)

N° 2015/000472 (assignation du 27 mars 2015)

JUGEMENT DU 23 MARS 2017

En la cause de :

  • M. j., f. LI., de nationalité néerlandaise, né le 12 août 1952 à Utrecht, administrateur de sociétés, demeurant X1 à Monaco (98000) ;

DEMANDEUR, dans l'instance enrôlée sous le n° 2015/441,

DÉFENDEUR, dans l'instance enrôlée sous n° 2015/472, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • 1. La société dénommée « A », société à responsabilité limitée, au capital de XXX €, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de la Principauté de Monaco, sous le n°XX, dont le siège social est sis X2, 98000 Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, dans l'instance enrôlée sous le n° 2015/441,

DEMANDERESSE, dans l'instance enrôlée sous le n° 2015/472, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au barreau de Nice ;

  • 2. La SCI B, société civile particulière, immatriculée au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles de Monaco, sous le n°YY, dont le siège social est sis c/o X3, 98000 Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, M. j. LI., né le 12 août 1952 à Utrecht (Pays-Bas), de nationalité néerlandaise, sans profession, demeurant X1, 98000 Monaco ;

INTERVENANTE VOLONTAIRE à l'instance enrôlée sous le n° 2015/000441,

DÉFENDERESSE, dans l'instance enrôlée sous le n° 2015/000472, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 23 mars 2015, enregistré (n° 2015/000441) ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 27 mars 2015, enregistré (n° 2015/000472) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SARL A, en date des 13 mai 2015, 15 juillet 2015, 29 octobre 2015, 25 février 2016, 1er juin 2016 et 7 décembre 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de j. LI. et de la SCI B, en date des 16 juin 2015, 30 juillet 2015, 12 novembre 2015, 26 janvier 2016, 17 mai 2016, et 9 novembre 2016 ;

À l'audience publique du 26 janvier 2017, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 23 mars 2017 ;

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL A s'est vue confier par la SCI C la vente d'un local à usage de bureau n° 425 situé au 4ème étage de l'immeuble X5, X5, 98000 MONACO, ainsi que de trois emplacements de parking portant les n° 348, 349 et 350 au troisième sous-sol dudit immeuble moyennant le prix initial de 6.800.000 euros ;

Le 11 décembre 2014, la SARL A a fait visiter à Monsieur j. LI., de nationalité hollandaise, lesdits locaux ;

Le 12 décembre 2014, une offre d'achat à hauteur de 5.000.000 euros sous condition suspensive a été émise par j. LI. stipulant notamment : « Le solde du prix d'achat sera payé, de même que les frais de notaire, les frais d'enregistrement et les frais de l'agence immobilière de c. OL. s'élevant à 100.000 € plus TVA, par l'acheteur à la date de réalisation. » ;

Le 13 décembre 2014, cette offre a été acceptée par la Société Civile Immobilière C, propriétaire du bien ;

Une contestation a été soulevée par j. LI. relativement au nombre de mètres carrés du bureau tel que mentionné dans l'offre d'achat, à savoir 220 m² au lieu de 196 m² ;

Le vendeur ayant accepté de baisser le prix à concurrence de la somme de 120.000 euros, la vente a été finalisée le 18 décembre 2014 en l'Etude de Maître h. RE. Notaire à Monaco, au prix net de 4.880.000 euros au profit de la société civile immobilière B, constituée spécialement pour les besoins de cet achat ;

Suivant courrier en date du 18 décembre 2014, le conseil de j. LI., la société E, a sollicité auprès du notaire le blocage à titre conservatoire de la somme de 120.000 euros sur les fonds qui ont ou qui seront versés dans sa comptabilité ;

Suivant courrier en date du 9 janvier 2015, le conseil de j. LI. a mis en demeure la SARL A de lui régler sous huitaine la somme de 554.550 euros correspondant à l'indemnisation totale de son préjudice financier ;

Par correspondance en date du 27 février 2015, la SARL Aa mis en demeure j. LI. d'avoir à lui régler sous quarante-huit heures la somme de 120.000 euros correspondant au montant de sa commission ;

C'est dans ces conditions que par acte d'huissier en date du 23 mars 2015, j. LI. a fait assigner la la SARL A aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de voir :

  • - constater que la SARL A, agent immobilier professionnel, a manqué à ses obligations d'information et de conseil en communiquant des renseignements inexacts relatifs à la superficie des locaux à usage de bureaux situés dans l'immeuble dénommé « X5 », X5 à Monaco ;

  • - constater que la SARL A a manqué à ses obligations d'information et de conseil en omettant de donner des informations précises relatives à la superficie des locaux à usage de bureaux situés dans l'immeuble dénommé « X5 », X5 à Monaco ;

  • - dire et juger que la SARL A a engagé sa responsabilité professionnelle du fait de ses divers manquements à ses obligations ;

En conséquence,

  • - condamner la la SARL A à réparer intégralement le préjudice financier occasionné à j. LI. en lui payant la somme de 554.550 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2015, date de la mise en demeure,

  • - condamner la la SARL A à payer à j. LI. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

Cette première instance a été enrôlée sous le n° 2015/000441.

Suivant exploit d'huissier du 27 mars 2015, la la SARL A a parallèlement fait assigner j. LI. et la SCI B en paiement de la somme de 120.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2015 représentant le montant de ses frais et honoraires, outre 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Cette instance a été enrôlée sous le n° 2015/000472 ;

Par conclusions du 26 janvier 2016, j. LI. a notamment réduit à 532.368 euros le montant de sa demande de dommages et intérêts et la SCI B est intervenue volontairement aux débats en demandant qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle reprenait pour son compte les termes et les demandes de l'assignation du 23 mars 2015.

Dans le dernier état de leurs écritures (conclusions récapitulatives du 9 novembre 2016), j. LI. et la SCI B demandent au Tribunal de :

  • À titre principal :

    • - ordonner la jonction de la présente instance avec celle engagée à l'encontre de la la SARL A SARL par assignation en date du 27 mars 2015 et enrôlée sous le numéro 2015/000472,

    • - déclarer j. LI. recevable et bien fondé en son action diligentée à rencontre de la la SARL A,

    • - débouter la la SARL A de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

    • - constater que la la SARL A, agent immobilier professionnel, a manqué à ses obligations d'information et de conseil en communiquant des renseignements inexacts relatifs à la superficie des locaux à usage de bureaux, dans l'immeuble dénommé « X5 »,

    • - constater que la la SARL A a manqué à ses obligations d'information et de conseil en omettant de donner des informations précises relatives à la superficie des locaux à usage de bureaux, dans l'immeuble dénommé « X5 »,

    • - dire et juger que la la SARL A a engagé sa responsabilité professionnelle du fait de ses divers manquements à ses obligations,

    • - condamner en conséquence la la SARL A à réparer intégralement le préjudice financier occasionné à j. LI. en lui payant la somme de 532.368 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2015, date de la mise en demeure, au titre du préjudice financier,

    • - condamner la la SARL A à payer à j. LI. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires,

  • À titre subsidiaire :

    • - déclarer recevable la SCI B en son intervention volontaire au bénéfice des dispositions des articles 383 et 384 du Code de procédure civile,

    • - lui donner acte de ce qu'elle reprend pour son compte les termes et les demandes de l'assignation du 23 mars 2015 ainsi que les écritures judiciaires du 30 juillet 2015 et les présentes écritures judiciaires,

  • Par voie de conséquence :

    • - condamner la la SARL A à réparer intégralement le préjudice financier occasionné à la SCI B en lui payant la somme de 532.368 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2015, date de la mise en demeure, au titre du préjudice financier,

    • - condamner la la SARL A à payer à la SCI B la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires,

    • - ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en application de l'article 202 du Code de Procédure Civile ;

Ils font valoir in fine en substance à l'appui de leurs demandes qui ont évolué en cours de procédure que :

  • j. LI. est recevable en ses demandes au motif que c'est à lui personnellement que la partie défenderesse a réclamé le paiement de sa facture le 19 décembre 2014 en tant que débiteur puisque c'est lui qui a personnellement souscrit l'engagement litigieux,

  • la visite de bureaux plutôt que celle d'un appartement avec des pièces à un usage précis rendait plus difficile l'appréhension de la surface réelle des lieux,

  • la valeur d'un bureau par rapport à un autre bureau s'apprécie par rapport « ... à sa localisation, sa surface et les mètres courants de façade (fenêtres) »,

  • j. LI. n'a pu remettre en cause la réalisation de la vente, la vente étant parfaite entre les parties, ni le paiement du prix de vente du vendeur,

  • la SCI B devra être déclarée recevable en son intervention volontaire si le Tribunal venait à considérer que le défaut de conseil et d'information qui est reproché à la la SARL A a causé un préjudice à la SCI B,

  • j. LI., « ressortissant hollandais et novice en la matière, n'avait aucune raison de douter de la non véracité des informations fournies par un professionnel de l'immobilier » et qu'il ne fait donc aucun doute que la surface réelle du bureau mentionnée dans l'annonce publiée sur le site internet de la SARL Aet reprise dans la lettre d'offre rédigée par la SARL Aétait bien de 220 m2,

  • j. LI., ayant visité les lieux en seulement quelques minutes juste avant les vacances de Noël et étant très occupé pendant cette période, « a signé l'offre d'achat sur le rapport m²/prix uniquement »,

  • l'écart de surface de 10 % est avéré et non contesté ni par le vendeur qui a accepté une ultime diminution du prix ni par l'agence immobilière qui n'a pas revu à la baisse sa commission,

  • le métrage prétendument établi selon la loi Carrez n'est pas applicable en Principauté de Monaco,

  • le courriel adressé par la la SARL A à j. LI. le 16 décembre 2014 constitue une preuve à soi-même et n'établit pas que le vendeur lui aurait refusé une visite des lieux,

  • contrairement à la jurisprudence citée par la la SARL A (arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 4 juin 2002), j. LI. a, dès la première visite, cherché à connaître la superficie des lieux, la contre-visite qu'il a demandée lui ayant été refusée,

  • s'agissant de Monsieur s. KA., qui a fait visiter les locaux à j. LI., celui-là ne saurait déclarer qu'il n'a aucun lien avec les parties alors que c'est lui qui s'est fait remettre les clés des locaux et qu'il les a fait visiter à j. LI.,

  • l'évaluation de la valeur vénale des bureaux réalisée par la SARL F le 28 septembre 2015 et communiquée par la la SARL A a été sollicitée pour les seuls besoins de la cause,

  • l'action engagée par j. LI. est une action en responsabilité dirigée contre l'agence immobilière qui a manqué à ses obligations résultant de sa mission d'intermédiaire,

  • l'agent immobilier est tenu à une obligation de vérifier la conformité du bien vendu à la description qu'elle a pu faire aux futurs acquéreurs mais aussi à celle de vérifier l'exactitude des informations qu'elle donne aux parties,

  • la partie défenderesse croit pouvoir se décharger de toute responsabilité aux motifs que le vendeur a consenti au dernier moment et juste avant la signature de l'acte authentique une ultime diminution du prix à hauteur de la somme de 120.000 euros alors qu'elle omet de préciser que le vendeur a lui-même sollicité que l'agence immobilière revoie le montant de sa commission à la baisse par courriel du 18 décembre 2014,

  • j. LI. a toujours adopté un comportement parfaitement transparent quant à son refus de payer la commission de la la SARL A,

  • au regard des fautes commises par la la SARL A dans l'exécution de ses obligations, elle ne peut prétendre au paiement ni de sa commission ni d'une compensation de sommes.

Dans ses écritures en date du 1er juin et 7 décembre 2016, la SARL A demande au Tribunal de :

  • - ordonner la jonction des deux instances ;

À titre principal,

  • - dire et juger que l'action de j. LI. est irrecevable à défaut d'intérêt personnel et légitime à agir ;

  • - dire et juger que j. LI. est irrecevable à demander que la SCI B soit déclarée recevable en son intervention volontaire dans la présente instance ;

À titre subsidiaire,

  • - débouter j. LI. de ses demandes en ce qu'elles sont mal fondées ;

  • - débouter la SCI B de ses demandes en ce qu'elles sont mal fondées ;

À titre encore plus subsidiaire,

  • - ordonner la compensation de la commission due par j. LI. à la la SARL A avec toute somme au paiement de laquelle la la SARL A pourrait être condamnée en faveur de j. LI. ;

En tout état de cause,

  • - condamner j. LI. à verser à la la SARL A la somme de 10.000 Euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de la résistance abusive et de la parfaite mauvaise foi dont il a fait preuve ;

Elle soutient pour l'essentiel, à titre principal, que :

  • - le débiteur de la commission est j. LI. pour avoir personnellement souscrit l'offre d'acquisition, le bien immobilier litigieux ayant été acquis par la SCI B,

  • - dès lors, j. LI. ne peut prétendre avoir subi directement et personnellement un quelconque préjudice en raison d'un prétendu défaut de conseil et d'information ;

Elle argue, à titre subsidiaire, que :

  • - selon ses propres déclarations, j. LI. s'était déjà forgé une première impression sur la superficie des locaux lors de la première visite et que s'il avait un doute sur son exactitude, il lui appartenait de faire le nécessaire avant la conclusion de la vente,

  • - si le doute émis par j. LI. était si handicapant pour lui, il n'aurait pas dû émettre d'offre d'acquisition ni précipiter la vente,

  • - j. LI. a accepté l'aléa résultant de l'incertitude existant sur la superficie réelle des locaux en signant en pleine connaissance de cause, ce qu'il ne saurait reprocher maintenant à l'agence immobilière,

  • - les différents emails échangés entre la la SARL A et j. LI., avant la réalisation de la vente, démontrent que l'agence immobilière a répondu à toutes ses demandes relatives à la superficie des locaux sans jamais tenter de lui laisser croire que les 220 m² annoncés dans l'annonce publicitaire étaient garantis par un quelconque métrage ferme et définitif,

  • - j. LI. n'est pas un novice ou un apprenti en matière immobilière et comprend parfaitement le français,

  • - l'évaluation faite par la SARL F est conforme à la réalité du marché de l'immobilier et à celle faite par le créancier du vendeur qui, par définition, n'a aucun intérêt à surévaluer les actifs de son débiteur,

  • - j. LI. a réalisé une bonne affaire en achetant le bien litigieux 4.880.000 euros au lieu de 6.800.000 euros estimés et proposés initialement à la vente,

  • - les locaux étant vendus tels quels, il n'y avait pas lieu d'organiser une nouvelle visite pour vérifier leur superficie,

  • - tant j. LI. que la SCI B ne peuvent invoquer aucun préjudice direct ou indirect consécutif à cette acquisition dans la mesure où j. LI. aurait pu se retirer de la vente à tout moment et sans risque,

  • - si j. LI. et la SCI B ont toutefois décidé d'acheter le bien immobilier, c'est parce qu'ils savaient pertinemment qu'ils faisaient, en tant que « marchand de biens », une excellente affaire qu'ils cherchent à rendre encore plus fructueuse en tentant de faire l'économie de la commission due à l'agence immobilière mais aussi en demandant une indemnisation exorbitante alors qu'ils ont accepté les conditions de la vente et ont acquis en pleine connaissance de cause.

SUR CE,

  • Sur la jonction des procédures :

Les deux instances introduites par j. LI., d'une part, et la SARL A, d'autre part, opposent les mêmes parties prises en la même qualité et ont entre elles un lien de connexité tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice qu'elles soient jugées ensemble ;

Il y a donc lieu d'en ordonner la jonction et de statuer sur les demandes des parties par un seul jugement ;

  • Sur le défaut d'intérêt et de qualité à agir de j. LI. :

La la SARL A conteste la qualité et l'intérêt à agir de j. LI., arguant de ce qu'il n'a pas signé personnellement l'acte authentique de vente qui a été conclu au profit de la SCI B qu'il représentait et que dès lors, il ne disposait pas d'un intérêt personnel et légitime à agir pour la sauvegarde d'un droit et pour la réparation d'un préjudice financier ;

j. LI. réplique qu'il a lui-même formalisé l'offre d'achat du 12 décembre 2014 tout en prévoyant une clause de substitution et qu'il ne fait ainsi aucun doute que l'engagement a été pris, au travers de la personne morale, par la personne physique bénéficiaire réelle de l'opération : il est donc l'ayant-droit économique de la SCI B uni d'intérêts avec cette société ;

Par ailleurs, pour éviter toute éventuelle difficulté procédurale, il rappelle que la SCI B est intervenue volontairement en fin d'instance ;

Il ressort des pièces versées aux débats qu'après avoir effectué une seule visite du bien immobilier litigieux mis à la vente au prix de 6.800.000 euros, j. LI. a formulé le 12 décembre 2014 une offre d'achat de 5.000.000 euros qui a été acceptée par le propriétaire ;

Outre le fait que cette offre d'achat mentionne une commission de 100.000 euros hors TVA due à l'agence immobilière payable par l'acheteur, il est précisé que l'acheteur est j. LI. « agissant à son compte ou pour le compte de toute personne ou entreprise à laquelle il décide de se substituer » ;

Or, lors de la signature de l'acte authentique le 18 décembre 2014, c'est la SCI B, spécialement constituée pour les besoins de cet achat, qui s'est substituée à j. LI. ;

En droit processuel, l'action est autonome de l'instance mais ces deux notions n'en entretiennent pas moins des liens étroits. En effet, les conditions d'intérêt et de qualité à agir interviennent activement dans la détermination de la qualité de partie à l'instance ;

Les parties à l'instance agissent en justice pour défendre un intérêt qui leur est propre. Sans cet intérêt personnel et direct, il ne peut y avoir d'action et, partant de débat judiciaire ;

À la démonstration d'un intérêt personnel et direct s'ajoute la qualité à agir, notion procédurale distincte de l'intérêt ;

Or cette qualité à agir permet tout à la fois de refuser le droit d'action à des personnes qui justifieraient d'un intérêt et, réciproquement, d'ouvrir ce droit à des personnes qui n'ont pas d'intérêt personnel et direct à l'action ;

En l'espèce, même si c'est j. LI. qui a fait une offre d'achat minorée et qui a négocié le jour de la signature de l'acte avec le vendeur une nouvelle baisse du prix arguant d'une superficie desdits lieux inférieure à 220 m², force est de constater que c'est la SCI B qui en est officiellement l'acquéreur en vertu de la clause de substitution prévue dans l'offre d'achat ;

Même si l'acte de vente mentionne expressément sous le vocable « l'acquéreur », (page 2) « la SCI B et son représentant », il n'en reste pas moins qu'il s'agit de deux entités distinctes ;

En conséquence, j. LI. n'a pas qualité pour agir et seule la SCI B en dispose ;

Cette dernière est toutefois intervenue volontairement aux débats et a repris à son compte les demandes formées par j. LI. et l'argumentation développée par celui-ci.

Il convient dès lors en définitive de déclarer j. LI., faute de qualité pour agir, irrecevable en ses demandes en l'encontre de la SARL A et de recevoir la SCI B en son intervention volontaire ;

  • Sur les obligations d'information et de conseil de l'agent immobilier :

j. LI. reproche à la la SARL A d'avoir mentionné une superficie inexacte des locaux à usage de bureaux de 220 m² au lieu de 196 m² et d'avoir refusé de procéder à une contre-visite pour vérification de la surface réelle ;

La la SARL A se défend de tout manquement à ses obligations faisant valoir notamment que c'est j. LI., professionnel en la matière, qui a pris seul la décision de signer l'offre d'achat alors qu'il avait un doute sur la superficie réelle des lieux préférant renégocier le prix de vente à la baisse. Il lui appartenait donc d'avoir des informations sûres sur ce point avant la conclusion de la vente, d'autant que les différents mails échangés entre eux, avant la réalisation de la vente, démontrent bien qu'elle a répondu à toutes les demandes de précision du futur acquéreur et qu'elle n'a jamais tenté de lui faire croire que les 220 m² annoncés dans l'annonce publicitaire étaient garantis par un quelconque métrage ferme et définitif ;

Elle conteste également avoir surévalué ledit bien le prix de vente proposé correspondant à l'évaluation faite par la société G en novembre 2014 à hauteur de 6.300.000 euros, ce qui démontre que l'acquéreur a réalisé une très bonne affaire en l'achetant au prix de 4.880.000 euros ;

En sa qualité de professionnel de l'immobilier, l'agent immobilier est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil à l'égard de son mandant qui lui impose de fournir des informations loyales ;

La responsabilité de l'agent immobilier obéit donc aux règles du droit commun de la responsabilité contractuelle et suppose, pour être engagée, que soient démontrés l'inexécution d'une obligation prévue au contrat, un dommage subi par le mandant et un lien de causalité entre la faute et le dommage ;

La violation du devoir de conseil, simple obligation de moyens laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond, s'apprécie en fonction des circonstances de la cause et, en particulier de la volonté, de la situation et des connaissances des parties . Par conséquent, si l'acquéreur dispose d'une expérience du monde des affaires, il lui appartient de veiller à la défense de ses intérêts et l'agent immobilier ne faillit pas à son devoir de conseil ;

C'est par ailleurs à la partie qui conteste être redevable de la commission qu'il appartient de prouver les circonstances pour lesquelles cette commission ne serait pas due ;

  • S'agissant de la faute :

Il résulte des éléments objectifs de la présente instance que l'annonce de vente du local à usage de bureau et de ses trois emplacement de stationnement mentionne un prix de 6.800.000 euros pour une superficie de 220 m² ;

Si dès la première visite, j. LI. a immédiatement émis des doutes sur la réalité de la superficie annoncée, il a cependant fait une offre d'achat dès le lendemain à 5.000.000 euros sans attendre d'avoir obtenu une certitude à cet égard : offre valable jusqu'au 13 décembre 2014 à midi, qu'il a prorogée le 13 décembre 2014 jusqu'à 20 heures, en réitérant son engagement de payer les frais d'agence dans les termes suivants :

  • « Je confirme prolonger jusqu'à 20 h mon offre qui était valable jusqu'à 12 h.

  • Je comprends que votre mention manuscrite vaut acceptation de mon offre.

  • Je dois payer les frais d'agence (100.000 + tva) et les droits de mutation qui ne sont pas inclus dans les 5.000.000 euros ».

Puis, invoquant devant le notaire rédacteur de l'acte de vente une superficie inférieure à celle indiquée dans l'offre d'achat, l'acquéreur a encore bénéficié d'une baisse de 120.000 euros acceptée par le vendeur ;

Ce n'est que lorsque la vente a été réalisée que l'acquéreur a refusé de régler la commission d'un montant de 120.000 euros TTC à la la SARL A préférant la verser dans la comptabilité du notaire ;

Il produit à l'appui de ce refus un courrier du vendeur adressé à c. OL. le 18 décembre 2014, jour de la signature de l'acte de vente, et rédigé dans les termes suivants :

  • « c., en tant qu'agent et intermédiaire entre deux parties, un des rôles importants que vous aviez à jouer était le transfert d'informations précises d'une partie à l'autre. Vous êtes celle qui a fourni les mauvaises informations à l'acheteur concernant la surface du bureau de 220 m².

  • Je vous ai dit que pour cette désinformation et cette erreur nous devions accorder une remise à l'acheteur.

  • Considérant que l'acheteur est une personne très correcte, j'ai accepté de lui accorder une remise de 120.000 euros afin d'aider à maintenir l'affaire. Veuillez noter que je ne fais ceci que parce que vous avez fait une grosse erreur et je vous suggère de reconsidérer votre bénéfice, prenant en compte le peu d'efforts et de flexibilité que vous avez manifestés pour accepter et partager le problème que vous avez créé.

  • La façon dont vous agissez, nous pousser pour recevoir des deux parties la commission désirée quoi qu'il arrive, de mon côté, cela veut dire que plus jamais je ne ferai affaire ou coopérerai avec votre bureau. ».

Mais également un relevé topographique établi par la société H, le 7 octobre 2015, faisant état d'une superficie globale de 196 m², murs et cloisons intérieures inclus, étant précisé que tout métrage réalisé selon la méthode française dite « Loi Carrez » n'est pas applicable en Principauté de Monaco ;

Par ailleurs, si la législation monégasque n'impose pas à l'agent immobilier d'informer préalablement l'acquéreur de la superficie des locaux, il n'en reste pas moins que les juridictions monégasques peuvent être amenées à le sanctionner en cas de manquement avéré de son obligation de conseil ;

Si l'erreur de superficie est établie, encore faut-il démontrer la faute de la la SARL A. En l'espèce, il ressort des différents éléments de la procédure que cette information erronée a été fournie par l'agence immobilière et non par le vendeur qui a accepté immédiatement une diminution du prix proposé, étant pressé de réaliser la vente ;

Ce dernier a d'ailleurs écrit à j. LI. dès le 13 décembre 2014 en ces termes :

  • « Peu importe le fait que nous signons ou non un accord, je tenais à vous remercier pour votre offre.

  • Ayant entendu nombre de commentaires positifs sur votre personne, il m'a semblé nécessaire de vous faire part de certains détails me concernant. Pour être tout à fait honnête, je suis un homme d'affaires.

  • Pour des raisons personnelles, il est important que je vende ce bien rapidement. J'espère que vous accepterez mon offre à 5.290.000 euros (nets) étant donné qu'une offre à 5 M m'occasionnerait une perte d'un million. Je suis convaincu que les caractéristiques de ce bureau (210 m², 3 emplacements de parking et un aménagement flambant neuf) sont très raisonnables pour une entreprise de Monaco.

  • Je tiens une nouvelle fois à vous remercie pour votre offre. J'espère que nous parviendrons à un accord et nous rencontrerons dans un avenir proche. ».

De surcroît, en l'absence d'indication de superficie dans le précédent acte de vente concernant le bien immobilier litigieux, il appartenait à l'agence immobilière de se renseigner auprès du vendeur (lequel pensait que la superficie du bureau était de 210 m²) ou encore de faire procéder à un relevé topographique, avant de rédiger et diffuser l'annonce de mise en vente, afin de donner des informations précises aux futurs acquéreurs sur la superficie du bien concerné, étant rappelé que celle-ci est un élément important du prix de vente ;

Enfin, eu égard au doute émis par j. LI., une autre visite des lieux était nécessaire et aurait dû être organisée avant la signature de l'acte de vente prévue six jours plus tard seulement ;

Dès lors, la la SARL A a commis une faute en donnant une information erronée et en n'interrogeant le notaire sur la superficie réelle que le 16 décembre 2014, alors que la vente était prévue le 18 décembre 2014 ;

  • S'agissant du dommage subi par l'acquéreur :

En premier lieu, il y a lieu de constater que, contrairement aux déclarations de j. LI. qui se dit « apprenti » ou « novice » en la matière, ce dernier est en réalité gérant de sociétés spécialisées dans la promotion immobilière de logements ; il évolue en conséquence dans le secteur d'activités du BTP et de la construction et connaît parfaitement à ce titre le monde de l'immobilier ;

En second lieu, j. LI. passe sous silence le fait que le précédent propriétaire, la SCI C, a acquis le bien le 4 décembre 2013, soit un an auparavant, moyennant le prix de 4.850.000 euros, auquel s'ajoute la commission, soit 120.000 euros, et les frais de notaire, soit 5 %, et a ensuite investi la somme de 800.000 euros dans sa rénovation ;

C'est la raison pour laquelle, le bien a été estimé par la société G à 6.300.000 euros un an plus tard en novembre 2014, évaluation confirmée par la SARL F en septembre 2015 ;

Or, alors que j. LI. estimait la superficie du bureau à 180 m² ( mail du 16 décembre 2014), par acte authentique de Maître h. RE. en date du 18 décembre 2014, la SCI B représentée par son gérant, j. LI., a acquis ce bien au prix de 4.880.000 euros auquel s'ajoutent les frais de notaire et la somme de 120.000 euros, montant de la commission toujours détenue à ce jour par le notaire ;

Il résulte des différents mails échangés entre le vendeur et la la SARL A que celui-ci voulait céder très rapidement son bien immobilier espérant trouver un acheteur payant comptant et envisageant même pour y parvenir de « baisser le prix légèrement » (mail du 2 décembre 2014) ;

Ainsi en homme d'affaire avisé informé des préoccupations du vendeur, j. LI. a refusé dans un premier temps la proposition du vendeur à 5.290.000 euros nets puis a sollicité le jour de la signature de l'acte une nouvelle baisse du prix de 120.000 euros ;

Compte tenu des circonstances de la vente réalisée dans un temps très court mais aussi de la qualité de professionnel de l'immobilier de j. LI., il n'est pas démontré que ce dernier, qui a bénéficié d'une compensation importante en imposant ses volontés à un vendeur pressé par le temps, ait subi un préjudice financier consécutivement à la faute commise par l'agence immobilière ;

Si la superficie du bureau était un élément déterminant pour lui, il lui appartenait de retarder la vente pour en obtenir la mesure exacte mais il a préféré négocier avec le vendeur ;

En conséquence, en l'absence de préjudice, aucune responsabilité ne peut être retenue à l'encontre de la la SARL A et la SCI B sera déboutée de sa demande de ce chef ;

  • Sur le paiement de la commission :

Tant dans son offre d'achat du 12 décembre 2014 que dans son mail du 13 décembre 2014, j. LI., gérant de la SCI B, s'est engagé à payer les frais d'agence à hauteur de 100.000 euros hors taxes sur la base d'une vente à hauteur de 5.000.000 euros ;

Il a de plus consigné la somme de 120.000 euros entre les mains du notaire rédacteur de l'acte de vente qui en est toujours le détenteur ;

Peu importe que le vendeur ait demandé à l'agence immobilière de baisser ses propres honoraires en raison du non-respect de son obligation de conseil, cette démarche n'engageant que lui ;

En conséquence, la SCI B sera condamnée à payer à la la SARL A la somme de 120.000 euros TTC représentant le montant de ses honoraires ;

  • Sur la demande de dommages et intérêts complémentaires :

L'article 234 du Code de procédure civile énonce qu'indépendamment des dépens, des dommages et intérêts peuvent être demandés et alloués conformément aux dispositions de l'article 1229 du Code civil, ce qui suppose la double preuve d'un préjudice et d'une faute ;

La SCI B, succombant dans ses demandes, n'est pas fondée à obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive ;

  • Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par la la SARL A :

L'exercice d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol ;

La la SARL A, qui n'indique pas en quoi les demandeurs auraient initié abusivement une procédure, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

  • Sur l'exécution provisoire :

Les conditions de l'article 202 alinéa 1er du Code de procédure civile n'étant pas réunies en l'espèce, l'exécution provisoire du présent jugement ne sera pas ordonnée.

  • Sur les dépens :

En vertu des dispositions de l'article 235 du Code de procédure civile, la SCI B, qui succombe, supportera les dépens du présent jugement avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 2015/000441 et 2015/000472 ;

Dit que j. LI. n'a pas qualité pour agir ;

Le déclare en conséquence irrecevable en ses demandes à l'encontre de la la SARL A ;

Reçoit la SCI B en son intervention volontaire ;

La déboute de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice financier ;

Condamne la SCI B à payer à la la SARL A la somme de 120.000 euros TTC augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2015 représentant le montant de sa commission ;

Déboute la SCI B de sa demande de dommages et intérêts complémentaires ;

Déboute la la SARL A de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la SCI B aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOE-BENSA, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés ou assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 23 MARS 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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