Tribunal de première instance, 19 janvier 2017, La Société A c/ M. a. B et Mme r. T
Abstract🔗
Procédure civile - Assignation introductive d'instance - Nullité (oui) - Omission de mention de l'organe représentant la personne morale - Vice de forme - Possibilité de régularisation par conclusions (non) - Nécessité d'un grief (non) - Article 966 ancien du Code de procédure civile applicable
Résumé🔗
L'exploit introductif d'instance mentionne qu'il est délivré à la requête de la SA « prise en la personne de son représentant légal en exercice », sans autre précision. Cette formule générique est, à elle seule, insuffisante à satisfaire aux prescriptions des articles 136, 2° et 141 du Code de procédure civile. Ce vice de forme ne peut être régularisé par les conclusions postérieures. Ce moyen de nullité de l'assignation obéit aux dispositions de l'ancien article 966 du Code de procédure civile, qui fait obligation aux juridictions de prononcer les nullités dès lors seulement qu'elles sont encourues, et sans avoir à vérifier simultanément l'existence des griefs pouvant éventuellement en résulter pour la partie qui s'en prévaut.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000269 (assignation du 2 décembre 2014)
JUGEMENT DU 19 JANVIER 2017
En la cause de :
La société anonyme A, inscrite au RCS de Paris sous le n° X, dont le siège social est à Paris (75), X2, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
M. a. B, né le 3 juin 1970 à Nice (06), de nationalité française, demeurant actuellement X1, « X1 », X1, 06200 Nice ;
DÉFENDEUR, COMPARAISSANT EN PERSONNE,
Mme r. T, demeurant « X2 », X2 à Menton (06500) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire par décision du bureau n° 116 BAJ 15 en date du 9 avril 2015,
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sophie MARQUET, avocat-stagiaire, près cette même Cour ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 2 décembre 2014, enregistré (n° 2015/000269) ;
Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de r. T, en date des 9 juillet 2015, 25 février 2016, et 12 mai 2016 ;
Vu les notes valant conclusions d a. B en date des 12 novembre 2015, 19 janvier 2016 et 29 mai 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur au nom de la société A en date des 14 janvier 2016 et 18 avril 2016 ;
Vu les conclusions du Ministère Public en date du 4 octobre 2016 ;
À l'audience publique du 10 novembre 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, a. B, en ses explications et le Ministère public en ses observations, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 19 janvier 2017 ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 27 décembre 2006, la banque C a consenti à a. B et r. T, alors concubins, un prêt immobilier d'un montant de 210.000 euros, avec le cautionnement de la société A.
Les emprunteurs ayant manqué à leur obligation de remboursement, la banque a prononcé la déchéance du terme et le A a, en sa qualité de caution, réglé les sommes dues au prêteur, lequel lui a délibéré quittances subrogatives.
Par exploit d'huissier délivré le 2 décembre 2014, la société anonyme de droit français A a fait assigner a. B et r. T afin de voir déclarer exécutoire en Principauté de Monaco le jugement rendu le 24 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Nice, les ayant solidairement condamnés à lui payer la somme de 209.582,38 euros en principal, avec intérêts, outre la somme accessoire de 800 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle expose que :
- les courriers RAR de mise en demeure adressés aux défendeurs les 4 février et 11 mai 2011, sont demeurés sans effet ;
- la SA A a donc fait assigner a. B et r. T devant le Tribunal de grande instance de Nice aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer les sommes de 215.423,58 euros en principal, outre intérêts au taux contractuel et accessoires, et 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile français ;
- par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, en date du 24 mai 2012, le TGI de Nice a fait partiellement droit à ses demandes en lui allouant la somme de 209.582,38 euros, augmentée des intérêts au taux contractuel échus du 28 mai 2010 au 13 mai 2011 et des intérêts légaux à compter du 13 mai 2011, ainsi que la somme de 800 euros en application du texte français susvisé, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
- cette décision a été régulièrement signifiée par exploit d'huissier du 4 juillet 2012 et elle est devenue définitive, ainsi que cela ressort du certificat de non-appel délivré le 29 août 2012 par le Greffier en Chef de la Cour d'appel d'Aix en Provence.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans le dernier état de ses écritures, la SA A sollicite, outre l'exequatur de la décision française susmentionnée, la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de 2.500 euros chacun, à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
En droit, la partie demanderesse fait valoir, à l'appui de sa demande principale :
que l'article 18 de la Convention relative à l'entraide judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco du 21 septembre 1949 prévoit que « les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le Tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie » ;
que l'article 473 du Code de procédure civile monégasque dispose :
« L'exécution des jugements étrangers sera autorisée sans examen au fond, si la réciprocité est admise par la loi du pays où le jugement a été rendu.
En ce cas, les juges se borneront à examiner :
1° Si le jugement est régulier en la forme ;
2° S'il émane d'une juridiction compétente d'après la loi locale, sans qu'il y ait opposition avec la loi monégasque ;
3° Si les parties ont été régulièrement citées et à même de se défendre ;
4° Si le jugement est passé en force de chose jugée et s'il est exécutoire dans le pays où il est intervenu ;
5° S'il ne contient rien de contraire à l'ordre public. » ;
- qu'en l'espèce le jugement dont l'exequatur est sollicité réunit l'ensemble de ces conditions.
En défense, a. B, qui comparaît en personne, conclut au rejet de la demande d'exequatur, pour deux motifs ;
- dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement dont l'exequatur est requise, ses droits ont été méconnus en ce qu'il n'a pas eu connaissance d'une quelconque citation à comparaître et n'a pas reçu signification de la décision litigieuse ;
- le prix de la vente amiable du bien immobilier pour lequel le crédit a été souscrit n'a pas été déduit du montant de la condamnation à paiement prononcée par le TGI de Nice ; la caution ayant en effet été partiellement désintéressée par la perception du produit de cette vente, les emprunteurs ne lui restent redevables que d'une somme de 39.282,32 euros.
r. T soulève in limine litis l'exception de nullité de l'assignation aux motifs que :
- elle méconnaît les dispositions de l'article 141 alinéa 1er du Code de procédure civile en ce qu'elle ne précise pas l'identité du représentant légal en exercice de la SA A, se bornant à énoncer que cette dernière est « prise en la personne de son représentant légal en exercice » ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 136 du Code de procédure civile en ce qu'elle lui a été délivrée à une adresse erronée.
Subsidiairement, elle demande au Tribunal de surseoir â statuer en faisant valoir :
- qu'elle fait l'objet en France d'une procédure de Surendettement des particuliers à laquelle elle a été admise par décision de la Commission éponyme en date du 30 septembre 2014 ;
- que cette décision entraîne la suspension et l'interdiction des procédures d'exécution pendant la durée de la procédure et pour deux ans maximum ;
- que cela a d'ailleurs été admis par le Juge de Paix de ce siège qui, par ordonnance du 12 juin 2015, a donné mainlevée de la saisie-arrêt précédemment ordonnée au profit de la banque C sur ses salaires ;
- que par ordonnance du 19 juin 2015, le Tribunal d'instance de Nice a conféré force exécutoire à la recommandation de « rétablissement personnel sans liquidation judiciaire » formulée par la Commission de surendettement à son bénéfice ;
- que cette décision entraîne l'effacement de toutes ses dettes non professionnelles et subséquemment l'anéantissement du jugement dont l'exequatur est réclamé ;
- que ledit jugement étant devenu caduc par l'effet du rétablissement personnel prononcé au profit de r. T, la présente action aux fins d'exequatur se heurte à un risque de contrariété de décision ;
- que c'est pourquoi, elle doit être suspendue, pour permettre à la défenderesse de solliciter auprès des juridictions monégasques l'exequatur du jugement du 19 juin 2015 par lequel le Tribunal d'instance de Nice a reconnu son état de surendettement et confirmé l'apurement de ses dettes.
Très subsidiairement et sur le fond, r. T conclut au rejet de la demande au motif que, pour les raisons sus énoncées, une décision d'exequatur du jugement de condamnation à paiement rendu le 24 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Nice serait inconciliable avec la décision du Tribunal d'instance de Nice ayant effacé sa dette.
En réplique aux moyens de nullité de l'assignation soulevés par r. T, la SA A soutient que :
- il ressort de l'extrait K Bis de la société demanderesse que cette dernière est valablement représentée par j V de sorte que son représentant légal en exercice au sens de l'article 141 alinéa 1er du Code de procédure civile, est parfaitement identifié ;
- outre qu'il lui appartenait de faire connaître son changement d'adresse à la SA A, r. T a été valablement assignée à sa dernière adresse connue, laquelle ressort tant du contrat de prêt que du jugement dont l'exequatur est requis ;
- dans tous les cas, l'intéressée n'a subi aucun grief de ce chef, et ce alors que depuis la loi n° 1.423 du 2 décembre 2015, la nullité d'un acte de procédure ne peut être prononcée qu'à la condition de démontrer qu'elle a causé un grief.
Sur la demande de sursis à statuer, la SA A répond que :
- par acte du 8 septembre 2015, elle a formé tierce opposition à l'ordonnance du 19 juin 2015, par laquelle le Tribunal d'instance de Nice a conféré force exécutoire à la recommandation de « rétablissement personnel sans liquidation judiciaire » au bénéfice de r. T ;
- l'audience sur tierce opposition a été fixée au 1er décembre 2015 et le jugement sera rendu le 2 février 2016 ;
- en tout état de cause, cette décision à intervenir sera dépourvue de toute incidence sur la présente instance en exequatur.
Le Ministère Public conclut n'y avoir lieu à surseoir à statuer et ne s'oppose pas à l'exequatur du jugement rendu le 24 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Nice.
S'agissant de la demande de sursis à statuer, il estime en effet que « la procédure de surendettement dont bénéficie r. T ne saurait faire obstacle à l'exequatur du jugement du 24 mai 2012 dans la mesure où l'exequatur confèrera un titre à la société A indépendamment de sa mise à exécution ultérieure. ».
Sur le fond, il estime remplies les conditions posées par l'article 473 du Code de procédure civile, notamment au regard de l'absence de contrariété à l'ordre public monégasque.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 136, 2° du Code de procédure civile « tout exploit contiendra le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie requérante et de la partie à laquelle l'exploit sera signifié, ou du moins une désignation précise de l'une et de l'autre ».
En outre l'article 141 du même code dispose que « les sociétés de commerce seront désignées par leur raison sociale ou par l'objet de leur entreprise et représentées conformément aux règles du droit commercial ».
Ce texte n'impose pas une identification de la personne physique représentant la société mais il implique que soit désigné l'organe de représentation de la société.
En l'espèce, l'exploit introductif d'instance du 2 décembre 2014 mentionne qu'il est délivré à la requête de la SA A « prise en la personne de son représentant légal en exercice », sans autre précision.
Cette formule générique est, à elle seule, insuffisante à satisfaire aux prescriptions susmentionnées.
Le fait que les conclusions postérieures déposées par la société demanderesse précisent le nom et la qualité de « directeur général » de son représentant n'est pas de nature à régulariser le vice de forme affectant l'acte d'assignation.
Enfin, la présente instance ayant été introduite par acte du 2 décembre 2014, le moyen de nullité soulevé par r. T obéit aux dispositions de l'ancien article 966 du Code de procédure civile, qui dispose qu'aucune des nullités prévues par ledit code n'est comminatoire, ce qui fait obligation aux juridictions de les prononcer dès lors seulement qu'elles sont encourues, et sans avoir à vérifier simultanément l'existence des griefs pouvant éventuellement en résulter pour la partie qui s'en prévaut.
Le nouvel article 264 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.423 du 2 décembre 2015, qui dispose qu' « aucune nullité pour vice de forme d'exploit introductif d'instance ou d'autres actes de procédure ne pourra être prononcée que s'il est justifié que l'inobservation de la formalité à l'origine du vice a causé un grief à la partie l'ayant invoquée », ne saurait en effet être invoqué en l'espèce puisque cette réforme n'est aux termes de son article 8, applicable qu'aux instances introduites après son entrée en vigueur.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'accueillir l'exception soulevée par r. T et de constater la nullité de l'assignation délivrée le 2 décembre 2014 par la société anonyme de droit français A.
Celle-ci sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Constate la nullité de l'exploit introductif d'instance délivré le 2 décembre 2014 à la requête de la société anonyme de droit français A ;
Condamne la société anonyme de droit français A aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 JANVIER 2017, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Carole FRANCESCHI Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.