Tribunal de première instance, 15 décembre 2016, M. a. MO. et la SARL A c/ La SAM B

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Abstract🔗

Contrat – Banque – Impossibilité légale d'exécution (oui)

Résumé🔗

En l'espèce, il n'est pas contesté que les demandeurs ont commis un manquement à l'obligation contractuelle stipulée aux articles 14 et 12 des conditions générales des conventions de compte concernant leur statut fiscal ; et plus largement, ils affirment ne pas avoir régularisé leur situation fiscale. Admettant que le non-respect de l'obligation contractuelle concernant leur statut fiscal ne permet pas le maintien de la relation contractuelle, ils réclament le transfert de la quasi-totalité de leurs avoirs vers deux comptes ouverts dans les livres de la société C, située aux Bahamas. La SAM B n'est pas opposée à la restitution des fonds des demandeurs (de sorte que les avoirs d a. MO. et de la SARL A ne sont pas séquestrés), mais elle refuse d'opérer un transfert des fonds vers des comptes ouverts dans les livres d'une banque située aux Bahamas, exigeant de procéder à une telle opération vers des comptes bancaires ouverts dans un établissement situé dans un pays membre de l'OCDE ou ayant signé un accord de coopération fiscale avec le Maroc. Cette exigence de l'établissement bancaire résulte des manquements précités d a. MO. et de la SARL A: car l'opération qu'ils sollicitent tend à contourner l'absence de mise en conformité de leur situation fiscale. Au surplus, la position de la banque répond à une légitime préoccupation de sécurité juridique des opérations accomplies sous sa responsabilité. C'est donc bien à défaut pour a. MO. et la SARL A d'avoir respecté leurs engagements contractuels concernant leur statut fiscal, et plus largement à défaut d'avoir régularisé leur situation fiscale, que l'établissement bancaire se trouve dans l'impossibilité de fournir la prestation requise. a. MO. et la SARL A seront donc déboutés de leurs demandes, la défenderesse étant bien fondée à refuser d'exécuter les transferts de fonds requis.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2016/000507 (assignation du 22 mars 2016)

JUGEMENT DU 15 DÉCEMBRE 2016

En la cause de :

  1. M. a. MO., né le 1er janvier 1951 à Mrirt, de nationalité marocaine, exerçant la profession de gérant de société, demeurant X1, 10080 Rabat (Maroc) ;

  2. La SARL A, dont le siège social se trouve X1 10080 Rabat (Maroc), agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, M. a. MO., demeurant en cette qualité audit siège ;

DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La SAM B, dont le siège social se trouve « X2 », X2 à Monaco, immatriculée au registre du commerce et de l'industrie sous le numéro XX, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 mars 2016, enregistré (n° 2016/000507) ;

Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM B, en date du 19 mai 2016 ;

À l'audience publique du 20 octobre 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 15 décembre 2016 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Le 19 juin 2009, a. MO., de nationalité marocaine a ouvert dans les livres de la SAM B un compte personnel ainsi qu'un compte au nom de la SARL A, ayant son siège au Maroc ;

Par courriel en date du 28 novembre 2014, l'établissement bancaire a demandé à a. MO. des informations concernant ses démarches de conformité fiscale relatives aux comptes ouverts dans ses livres ;

L'intéressé a répondu qu'il cherchait une solution afin de régulariser sa situation et celle de sa société ;

Les 16 octobre 2015, puis 28 octobre et 10 novembre 2015, a. MO. a sollicité de la banque, le transfert de la somme de 450.000 euros du compte de la SARL A et de 30.000 euros de son compte personnel sur des comptes ouverts dans les livres de la société C aux Bahamas ;

Par courrier en date du 16 novembre 2016, la banque a expressément refusé de réaliser cette opération au motif que a. MO. et la SARL A ne s'étaient pas conformés aux dispositions de la loi de finance marocaine de 2014 relative à la contribution libératoire qui vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales ayant la qualité de résident marocain et détenant des avoirs à l'étranger ;

Par ordonnance en date du 16 mars 2016, le juge des référés du Tribunal de Première Instance de Monaco, saisi à la requête de a. MO. et de la SARL A, a débouté les requérants de leurs demandes tendant à voir ordonner à la SAM B, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir, de procéder à la clôture des comptes n° WW et TT et au transfert immédiat :

  • de la somme de 46.876,36 euros figurant au crédit du compte personnel d a. MO. sur le compte ouvert par ce dernier dans les livres de la banque société C aux Bahamas sous le n° 2002919 01 ;

  • de la somme de 465.789,76 euros figurant au crédit du compte professionnel de la SARL A sur le compte ouvert par cette personne morale dans les livres de la société C aux Bahamas sous le n° ZZ ;

Par acte d'huissier en date du 22 mars 2016, a. MO. et la SARL A ont fait assigner la SAM B devant le Tribunal de Première Instance de Monaco afin de voir :

  • Constater l'illégitimité du refus opposé par la banque SAM B de procéder à la clôture des comptes dont s'agit ouverts dans ses livres et de la remise concomitante de leurs avoirs ;

  • Ordonner à la SAM B de procéder immédiatement à la clôture des comptes n° WW et TT ouverts au nom des requérants ;

  • Ordonner à la défenderesse de procéder au transfert immédiat de la somme de 465.789,76 euros à partir du compte n° WW sur le compte personnel de a. MO. n° ZZ ouvert dans les livres de la société C (Bahamas), ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à venir ;

  • Ordonner à la défenderesse de procéder au transfert immédiat de la somme de 46.876,36 euros à partir du compte n° TT sur le compte de SARL A n° 2.002914.01 ouvert dans les livres de la société C (Bahamas), ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à venir.

En défense, la SAM B conclut à l'irrecevabilité des demande de a. MO. et de la SARL A et au débouté de leurs demandes, fins et conclusions ;

À titre subsidiaire, elle sollicite du Tribunal de :

  • Dire et juger qu'elle est en droit de refuser d'exécuter les instructions de a. MO. et de la SARL A ;

  • En conséquence, débouter les requérants de leurs demandes, fins et conclusions.

MOTIFS

  • Sur la recevabilité de l'action de a. MO. et la SARL A

Selon l'article 278-1 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer la demande irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, une déchéance, une forclusion, la prescription ou la chose jugée ;

Pour soutenir que les demandes de a. MO. et la SARL A sont irrecevables, la SAM B fait valoir que les demandeurs n'ont pas d'intérêt à agir, puisque leur action consiste à obtenir un profit qui n'est pas légal : se soustraire aux lois de leur pays d'origine ainsi qu'au système d'échange automatique d'informations en Europe ;

Les demandeurs n'ont développé aucune argumentation pour contester ce moyen de défense ;

En l'espèce, force est de constater que les arguments invoqués par la défenderesse ne relèvent pas d'une fin de non-recevoir mais d'un moyen de fond, a. MO. et la SARL A ayant un intérêt légitime à solliciter la restitution de fonds remis dans le cadre d'un contrat de dépôt ;

La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir sera donc rejetée ;

  • Sur le fond

Selon l'article 989 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ;

Elles doivent être exécutées de bonne foi ;

Aux termes de l'article 1754 du Code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature ;

Selon l'article 14 des conditions générales du contrat d'ouverture de compte liant la SAM B à a. MO., « le client déclare être informé des obligations fiscales qui s'imposent à lui par son statut. En tout état de cause, le client s'engage à communiquer à la banque tous renseignements nécessaires à la détermination de son statut fiscal »;

L'article 12 des conditions générales du contrat d'ouverture de compte liant la banque à la SARL A est rédigé dans les mêmes termes ;

Au soutien de leurs prétentions, a. MO. et la SARL A reconnaissent ne pas avoir procédé à la régularisation de leur situation fiscale, ni avoir communiqué à la banque, dans les délais impartis, leur déclaration de conformité fiscale ;

Ils estiment toutefois que l'inexécution de cette obligation, considérée par la banque comme essentielle au maintien de la relation contractuelle, si elle l'autorisait certes à suspendre partiellement ses prestations, ne peut justifier le blocage de leurs avoirs, et ce en l'absence de base légale, le dépôt ou la gestion, en Principauté de Monaco, d'avoirs non déclarés dans le pays d'origine n'ayant rien d'illicite ou d'illégal ;

Ils soutiennent que les banques monégasques, lorsque leurs clients n'ont pas déclaré leurs avoirs dans leur pays d'origine, doivent résilier la relation contractuelle et clôturer les comptes mais ne peuvent en revanche séquestrer les avoirs ou créer des avoirs en déshérence ;

La SAM B invoque l'exception d'inexécution compte tenu :

  • d'abord, de l'absence de communication par les demandeurs de document ou d'information confirmant la régularisation de leur situation fiscale qui constitue selon elle une violation des conditions générales des comptes,

  • ensuite, de l'absence de communication par les demandeurs de nouvelles coordonnées bancaires ;

Elle justifie son exigence de transfert des avoirs de a. MO. et de la SARL A sur un compte bancaire ouvert dans un pays de l'OCDE ou ayant signé un accord de coopération fiscale avec le Maroc par son double souci d'exécuter son obligation de restitution des avoirs déposés et de ne pas se rendre complice d'une opération à des fins fiscalement illicites ;

En l'espèce, il n'est pas contesté que les demandeurs ont commis un manquement à l'obligation contractuelle stipulée aux articles 14 et 12 des conditions générales des conventions de compte concernant leur statut fiscal ; et plus largement, ils affirment ne pas avoir régularisé leur situation fiscale ;

Admettant que le non-respect de l'obligation contractuelle concernant leur statut fiscal ne permet pas le maintien de la relation contractuelle, ils réclament le transfert de la quasi-totalité de leurs avoirs vers deux comptes ouverts dans les livres de la société C, située aux Bahamas ;

La SAM B n'est pas opposée à la restitution des fonds des demandeurs (de sorte que les avoirs d a. MO. et de la SARL A ne sont pas séquestrés), mais elle refuse d'opérer un transfert des fonds vers des comptes ouverts dans les livres d'une banque située aux Bahamas, exigeant de procéder à une telle opération vers des comptes bancaires ouverts dans un établissement situé dans un pays membre de l'OCDE ou ayant signé un accord de coopération fiscale avec le Maroc ;

Cette exigence de l'établissement bancaire résulte des manquements précités d a. MO. et de la SARL A: car l'opération qu'ils sollicitent tend à contourner l'absence de mise en conformité de leur situation fiscale ;

Au surplus, la position de la banque répond à une légitime préoccupation de sécurité juridique des opérations accomplies sous sa responsabilité ;

C'est donc bien à défaut pour a. MO. et la SARL A d'avoir respecté leurs engagements contractuels concernant leur statut fiscal, et plus largement à défaut d'avoir régularisé leur situation fiscale, que l'établissement bancaire se trouve dans l'impossibilité de fournir la prestation requise ;

a. MO. et la SARL A seront donc déboutés de leurs demandes, la défenderesse étant bien fondée à refuser d'exécuter les transferts de fonds requis ;

Ayant succombé à l'instance, ils supporteront la charge des dépens en application de l'article 231 du Code procédure civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort,

Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir ;

Déboute a. MO. et la SARL A de l'intégralité de leurs prétentions ;

Les condamne solidairement aux dépens avec distraction au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Geneviève VALLAR, Premier Juge, Madame Séverine LASCH, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Carole FRANCESCHI, Greffier stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 15 DECEMBRE 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Carole FRANCESCHI, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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