Tribunal de première instance, 6 octobre 2016, Mme f. V veuve DE c/ La Société A
Abstract🔗
Gestion de portefeuilles et autres activités boursières – Mandat de gestion – Obligations – Manquements (oui) – Préjudice (oui)
Résumé🔗
S'agissant de l'obligation d'information, la SAM A oppose qu'il n'était pas nécessaire d'établir un tel profil dès lors que f. V veuve D avait nécessairement de l'expérience pour avoir confié un mandat de gestion à la banque C antérieurement. Cependant, d'une part, la demanderesse a donné à la banque C un mandat de gestion discrétionnaire, laissant celle-ci procéder à la gestion de ses avoirs, ce qui ne prouve pas qu'elle était expérimentée dans la gestion de ses avoirs mobiliers, et d'autre part, la SAM A ne produit aucun document émanant de cet établissement bancaire (notamment le profil de risque établi par celui-ci) de nature à établir que f. V veuve D avait de l'expérience en matière de placements financiers. En conséquence, la SAM A n'a pas respecté l'exigence résultant des articles 5 alinéa 2 de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1917 et 5 de l'ordonnance souveraine n° 13.184 du 16 septembre 1997, d'établir un profil de risque pour f. V veuve D dès le 17 mai 2006.
f. V veuve D n'ayant en définitive, malgré les très nombreux entretiens auxquels elle a assisté, pas compris ce qu'étaient les fonds alternatifs, en raison de l'insuffisance et de l'inexactitude des informations qui lui ont été données par la SAM A, il sera retenu à la charge de celle-ci un manquement à son obligation de conseil et d'information.
f. V veuve D reproche à la SAM A d'avoir effectué des placements en fonds alternatifs, alors qu'il s'agissait de placements à effet de levier interdits par les mandats de gestion. Il a été relevé ci-dessus une absence de contestation par la SAM A de la nature risquée des fonds alternatifs, celle-ci se limitant à indiquer qu'elle n'a jamais utilisé des produits dérivés comme les options ou des futures options ou d'effet de levier en direct, mais seulement des fonds de fonds alternatifs qui font partie de la « palette d'instruments autorisés par les documentations ». Cette dernière assertion n'est nullement étayée et ne saurait en tout état de cause exonérer la défenderesse de l'interdiction stipulée de manière expresse dans les mandats de gestion de recourir aux produits dérivés et à effet de levier. Le non-respect de cette interdiction caractérise une faute contractuelle à la charge de la SAM A.
L'ensemble des avenants stipulent à la suite des allocations d'actifs, la mention suivante « sauf temporairement lorsque le portefeuille a été affecté par des retraits ou des versements ». f. V veuve D a effectué des retraits importants sur le compte « F » (225.000 €), susceptibles d'avoir impacté au moins temporairement, la part des fonds alternatifs dans les portefeuilles. Par ailleurs, le seuil, fixé par les mandats, n'a pas été respecté pour la seule année 2006 au cours de laquelle 15,01 % des actifs du compte F ont été placés en fonds alternatifs, alors que ce placement ne figurait pas parmi les choix de f. V veuve D. Pour les années postérieures, les seuils figurant dans les avenants ont été respectés. Au vu de ces observations, aucune faute de la SAM A ne se trouve caractérisée de ce chef.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000613 (Assignation du 28 mai 2015)
JUGEMENT DU 6 OCTOBRE 2016
En la cause de :
Mme f. V veuve D, née le 2 octobre 1934 à Charleroi (Belgique), de nationalité belge demeurant X1 98000 MONACO,
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
d'une part ;
Contre :
La SOCIÉTÉ A, dont le siège social se trouve X2 98000 Monaco, prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître André BEZINA, avocat au barreau de Nice,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 28 mai 2015, enregistré (n° 2015/000613) ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM dénommée « A », en date des 26 novembre 2015 et 21 avril 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI avocat-défenseur, au nom de f. D, en date du 3 mars 2016 ;
À l'audience publique du 30 juin 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 6 octobre 2016 ;
I. FAITS. PROCÉDURE. PRÉTENTIONS DES PARTIES
En 1998, Monsieur et Madame D ont confié la gestion de leur portefeuille à la banque de gestion C située en Principauté (C), où leurs avoirs étaient déposés. Monsieur FE., salarié de la banque C, était le gestionnaire de leurs comptes. Le baron D est décédé le 30 mai 2005.
Le 17 mai 2006, f. V veuve D a signé trois mandats de gestion discrétionnaire avec la SAM B, autrement dénommée A, société créée et dirigée par Monsieur FE. :
un mandat rattaché au compte « F » n° 4091000, ouvert dans les livres de la banque C à Monaco,
un mandat rattaché au compte « B » n° 3583000 ouvert dans les livres de la banque C à Monaco,
un mandat rattaché au compte « D » n° 8535000 ouvert dans les livres de la banque C à Monaco.
Ces trois mandats ont fait l'objet d'avenants les 17 mai 2007, 15 septembre 2008 et 1er avril 2009.
Le 5 novembre 2009, Madame f. V veuve D a par lettre recommandée mis fin aux mandats de gestion.
Par acte d'huissier du 28 mai 2015, elle a fait assigner la SAM A devant le Tribunal de première instance de Monaco, à l'effet d'obtenir, sur le fondement de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1997 et de l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, la réparation du préjudice résultant des fautes de l'intéressée (manquements à ses obligations de renseignement, d'information, de conseil, et non-respect du mandat), et sa condamnation au paiement des sommes de :
812.832 € au titre de son préjudice financier, outre intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 3 novembre 2014, et jusqu'à parfait paiement,
50.000 € au titre de son préjudice moral.
f. V veuve D soutient que :
1. La SAM A devait respecter les obligations suivantes :
l'obligation précontractuelle de renseignement sur son expérience, sa situation financière et ses attentes :
elle devait s'enquérir de l'expérience de son client en matière d'investissement et de sa situation financière avant la signature du mandat (article 5 de l'ordonnance du 16 septembre 1997) ; or, les profils ont été établis non en 2006 mais le 17 mai 2007 : la SAM A n'a pas respecté son obligation et les profils de risque établis ne traduisent aucune recherche d'information sur ses connaissances en matière d'investissement, ils ne contiennent aucune indication des données quant au pourcentage desdits actifs par rapport à la composition du patrimoine et quant à la connaissance du client ; il est précisé que dans le passé, elle a eu recours à la gestion discrétionnaire, ce qui laisse présumer ses connaissances limitées en matière d'investissement; les diligences accomplies par la banque C ne se substituent pas à celles qui auraient dû être effectuées par la SAM A ;
l'obligation précontractuelle d'information :
les trois profils de risque ne précisent pas l'état des risques représentés par certaines opérations, notamment les investissements en fonds alternatifs/hedge funds ; ces produits ne sont pas décrits par le formulaire et les documents intitulés « stratégie personnalisée » figurant aux avenants ne permettent pas de pallier cette lacune ;
l'obligation de conseil :
à compter de 2007, la part des fonds alternatifs dans ses portefeuilles a considérablement augmenté (après le 15 septembre 2008, date de signature de trois avenants, cette part a été multipliée par 1,6 sur le compte « F », par 2 sur le compte « D » et par 10 sur le compte « B ») sans qu'aucun conseil ne lui ait été donné sur la pertinence et l'adéquation de ces investissements par rapport à son profil et à ses objectifs, et sur l'opportunité et la signification des changements de stratégie ; les fonds alternatifs ne sont pas liquides, alors que les comptes « B » et « D » devaient être liquides afin de permettre le règlement de factures ; trois avenants du 1er avril 2009 stipulaient le remboursement intégral des rétrocessions transactionnelles éventuellement perçues par la SAM A, et le réinvestissement du produit des remboursements de fonds alternatifs en obligations ; sur le relevé de portefeuille détaillé du 9 juillet 2009 (« F »), plusieurs mentions manuscrites signées de Monsieur FE. indiquent que le capital investi dans les fonds alternatifs était garanti à 100 % ; elle a ainsi été trompée sur la véritable nature de ces fonds, dans lesquels elle a investi près d'un million d'euros ; enfin, aucun élément ne confirme la prétendue bonne tenue des produits alternatifs depuis « 15 ans » ;
l'interdiction d'investir sur des produits à effet de levier :
l'article 6 de l'ordonnance n° 13.184 impose un accord spécial et express du mandant ; les profils de risque interdisaient ce type d'investissement alors que les prospectus des fonds Turquoise et Gems progressive prévoient expressément le recours à des produits financiers faisant appel aux mécanismes de l'effet de levier ;
la violation des seuils fixés par le mandat :
la pondération maximale autorisée dans le contrat était de 25 % dans le portefeuille « F », alors que la part des actions était de près de 30 % ;
aveu de responsabilité de la SAM A :
elle a offert le recouvrement de la somme de 937.570,59 investie dans des fonds alternatifs ;
2. Les placements antérieurs effectués par la banque C ne doivent pas être pris en compte :
La SAM A prétend que la qualité de certaines obligations/sous-jacents étaient plus que douteuses, alors que Monsieur FE. a participé à la gestion du portefeuille ; la reprise du portefeuille constitué par un tiers ne dispense pas pour autant la SAM A de respecter ses obligations légales lors de la fusion et de l'exécution de mandat de gestion discrétionnaire ;
3. La SAM A ne peut s'exonérer de sa responsabilité :
la clause invoquée par la SAM A est inopérante et doit être écartée en cas de faute lourde ; les graves manquements commis par la SAM A constituent une faute lourde ;
les lettres d'approbation de la situation patrimoniale et les situations de compte éditées par la banque C n'exonèrent pas la SAM A ;
4. Aucune immixtion dans la gestion ne peut lui être reprochée :
si elle a retiré entre le 31 mai 2006 et le 17 août 2009, les sommes de 350.000 € sur le compte « D » et 225.000 € sur le compte « F » (ses besoins mensuels s'élevaient en moyenne à 15.000 €), il convient de relever que la SAM A ne l'a pas informée ni conseillée sur la manière de composer ses portefeuilles alors qu'il lui appartenait, en sa qualité de professionnel, d'affecter à chaque portefeuille des actifs suffisamment liquides pour répondre à l'objectif recherché, à savoir la perception de revenus stables pour faire face à son entretien quotidien en Principauté et à la rénovation de son appartement à B ;
la SAM A est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend qu'elle lui a imposé de garder la position en actions Fortis ; elle ne produit aucune instruction de sa part et ne justifie pas davantage lui avoir conseillé de se défaire de ses titres ; ayant une gestion discrétionnaire, elle n'avait pas besoin de consulter sa cliente sur ce point ;
5. Elle subit un préjudice ainsi ventilé :
un préjudice financier : la somme de 937.570,59 euros a été investie sur des fonds alternatifs, certains titres ne sont désormais plus liquides et ne peuvent plus faire l'objet de la moindre transaction ; elle a perçu les sommes de 61.598,87 euros (remboursement de liquidation des parts du fonds Aris multi stratégy offshore) et de 63.139,69 euros (remboursement de liquidation des parts du fonds turquoise) ; son préjudice s'élève donc à 812.832 € après déduction de ces remboursements ;
un préjudice moral : le comportement de la SAM A l'a affectée, car elle avait pleinement confiance en Monsieur FE., celui-ci ne l'a jamais informée sur les produits.
La SAM A conclut au rejet de l'intégralité des prétentions formulées par f. V VEUVE D, et à titre reconventionnel, sollicite sa condamnation à lui payer la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts. Elle fait valoir que :
1. Sur ses obligations :
elle était tenue à une obligation de moyens et non de résultat, ne devant en aucun cas apporter la garantie d'un rendement sur les titres portefeuille donnés, et n'étant pas responsable des fluctuations et/moins-values éventuelles de la valeur du rendement du portefeuille ; elle n'a commis aucune faute, en 2006 il a été décidé un changement stratégique avec pour objectif de se positionner sur des fonds bien diversifiés qui en cas de problème, résisteraient mieux que les autres classes d'actifs, et f. V VEUVE D a validé l'ensemble des investissements (article 1830 du Code civil) ; elle a parfaitement satisfait à ses obligations :
Sur l'obligation précontractuelle de renseignement et d'information :
f. V VEUVE D qui avait consenti des mandats de gestion de ses avoirs à la banque C depuis plusieurs années disposait donc d'une certaine expérience en la matière ;
Sur l'obligation de conseil :
pour préserver le patrimoine, elle a pris un soin particulier à diversifier les placements et éliminer les produits à risques évidents, avec le souci constant de réduire progressivement le risque; les portefeuilles proposés correspondaient parfaitement à l'approche risques demandé par la cliente ; elle a toujours tenu informée f. V VEUVE D de la situation générale et du positionnement des comptes, elle a minutieusement construit le portefeuille afin de résister au mieux en cas de choc financier majeur, ce fut le cas en 2008 2009 ; les trois dossiers « F », « D » et « B » ont été gérés en tenant compte du risque global (la performance agrégée est meilleure que chacune des classes actifs qui composaient les trois portefeuilles), et au contradictoire de f. V VEUVE D, les pourcentages attribués à la construction des portefeuilles étant proposés et décidés en sa présence avec signature des avenants (il y a eu plus de 50 entretiens couverts par sa signature) ;
- le dossier « F », assurait une capitalisation à long terme, et a été géré de manière patrimoniale classique, avec une évolution vers une réduction générale du risque et une diminution des actions, le seuil maximal de tolérance ayant diminué de 40 à 25 % ;
- la structure du portefeuille « D » n'a jamais été modifiée ; il était destiné à assurer les dépenses personnelles de f. V VEUVE D ;
- celle du dossier « B » n'a pas été fondamentalement modifiée, la dominante en obligations a été portée de 70,5 % à 88,5 %, avec arbitrage de certains placements peu qualitatifs et achats d'obligations plus sûres ; il assurait des revenus à f. V VEUVE D et des placements à hauteur de 400.000 € ;
- le 17 mai 2007, f. V VEUVE D a signé trois avenants aux mandats de gestion discrétionnaire intitulés « stratégie personnalisée-orientation médium » qui ont introduit la personnalisation suivante :
- 1° « F », actions entre 10 et 40 %, obligations entre 30 et 60 %, fonds d'investissement alternatif 0 à 20 %, classe d'actifs autres et liquidités pour le surplus ;
- 2° « D », actions 0 à 35 %, obligations 0 à 50 %, fonds alternatifs 0à 20 %, commodities + OPCVM + divers 0 à 15 % ;
- 3° « B », obligations 0 à 100 %, placements divers 0 à 20 %, liquidités de 0 à 20 % ;
- le 15 septembre 2008, f. V VEUVE D a signé trois avenants faisant évoluer la gestion ainsi qu'il suit :
- 1° « F », actions entre 0 à 20 %, obligations entre 0 et 35 %, fonds d'investissement alternatif 0 à 40 %, commodities 0 à 15 pour cent, divers 0 à 10 pour cent, liquidités 0 à 50 % ;
- 2° « D », actions 0 à 35 %, obligations 0 à 50 %, fonds alternatifs 0 à 40 %, commodities 0 à 15 % ; divers 0 à 10 %, liquidités 0 à 100 % ;
- 3° « B », actions 0 à 10 %, obligation 0 à 100 %, fonds alternatifs 0 à 10 %, placements divers 0 à 10 %, liquidités de 0 à 100 % ;
- le 1er avril 2009, f. V VEUVE D a signé trois avenants faisant évoluer la gestion ainsi qu'il suit :
- 1° « F », actions entre 0 à 25 %, obligations entre 0 et 75 %, fonds d'investissement alternatif 0 à 40 %, divers 0 à 10 %, liquidités 0 à 100 % ;
- 2° « D », actions 0 à 35 %, obligations 0 à 100 %, fonds alternatifs 0 à 40 %, commodities 0 à 15 % ; divers 0 à 10 %, liquidités 0 à 100 % ;
- 3° « B », actions 0 à 10 %, obligations 0 à 100 %, fonds alternatifs 0 à 10 %, placements divers 0 à 10 %, liquidités de 0 à 100 % ;
Elle n'a utilisé dans sa gestion que des « funds of hedge funds », (fonds de fonds alternatifs) ayant eu depuis plus de 15 ans un bon comportement boursier et dont f. V VEUVE D a accepté de porter la tolérance maximale à 40 % le 15 septembre 2008 ; elle a vendu une partie des positions obligataires peu qualitatives ;
En ce qui concerne les produits à effet de levier, f. V VEUVE D avait avec la banque C, déjà des fonds placés en fonds de fonds alternatifs ; le mandat présente une case « pas de produits », elle n'a jamais utilisé de produits dérivés comme des options ou des futures options ou d'effet de levier en direct; le seul cas dans lequel le gestionnaire peut avoir recours à des produits dérivés et des produits à effet de levier est l'utilisation de fonds de fonds alternatifs dans la mesure où ils font partie des instruments autorisés par les documentations ; les produits choisis n'ont perdu qu'entre 4 et 10 % (3/4) de leur valeur, le produit « Gems » en a même gagné malgré la crise de 2008 ;
Sur la violation des seuils fixés par le mandat, le dépassement de l'ordre de 2 % en valeur absolue de l'allocation fonds de fonds alternatifs ne constitue pas une faute violant les termes du mandat, les variations mécaniques et mathématiques ayant été engendrées par la valorisation fluctuante des instruments, par l'évolution des classes d'actifs les unes par rapport aux autres et par la multiplication des fortes variations depuis le début des années 2000 pour la quasi-totalité des classes d'actifs financiers ; aucun préjudice ne peut être établi, le portefeuille pouvant vivre jusqu'à 27,5 % sans intervention et sans mise en péril du profil de risque du client ; si elle n'avait pas pratiqué ainsi, la SAM A aurait dû multiplier les opérations d'ajustement comptable augmentant les frais bancaires sans aucune valeur ajoutée sur la performance du portefeuille ; de plus, elle a été légèrement en dehors des fourchettes du mandat donné à la suite de nombreux retraits effectués par f. V VEUVE D (il faut entre 90 et 180 jours pour rectifier l'allocation d'actifs en cas de demande de rachat), et lors d'un transfert de portefeuille contenant 28,6 % d'actions demandé par f. V VEUVE D sur le compte « D » dans le premier trimestre 2007 (elle a construit la position en funds of hedge funds en vendant une partie des actions) ;
2. Elle n'est pas responsable de la gestion effectuée par la banque C :
sa préoccupation majeure ayant été de réduire les risques des portefeuilles reçus de la Banque C et de correspondre davantage à la volonté de la cliente et de réduire la volatilité du capital ; en effet, le portefeuille F (3.107.000 € au 11 mai 2006) contenait des actions Fortis (faillite en 2009) à concurrence de 8,88 % de son portefeuille, et les 49 % investis en obligations étaient de qualité médiocre ; le portefeuille B (427.000 € 2006) était composé d'obligations Casino à concurrence de 7,06 %, très volatiles et insécurisantes, d'obligations Lehman Brothers à concurrence de 9,77 % (faillite en 2008) et d'obligations Fortis finance à concurrence de 13,22 % du portefeuille (faillite en 2008) ; les titres du portefeuille Baron D (539.000 € le 11 mai 2006) étaient tous dangereux ; elle a donc liquidé l'ensemble de ces instruments dangereux et risqués pour les remplacer par des produits mieux diversifiés dont les fonds de fonds alternatifs, les fonds d'actions et les fonds obligataires, et aucun d'entre eux n'a fait faillite ;
3. Elle doit être exonérée de sa responsabilité car :
f. V VEUVE D a pris connaissance des conditions d'exécution de chaque ordre (et notamment l'article 6) et les opérations effectuées l'ont été sur ses instructions données contradictoirement lors de plus de 50 entretiens parachevés par sa signature, de plus, pour chaque évolution des trois mandats consentis, des stratégies personnalisées ont été mises en place ; elle n'a pas contesté les décisions prises dans le délai contractuel de 30 jours car jusqu'à la lettre du mois de novembre 2009, non motivée, aucune réclamation n'a été faite contre les relevés, les avis d'opérés et les situations de portefeuille ; il y a donc une présomption de régularité des opérations et pour combattre cette présomption, elle doit prouver le préjudice causé et ne peut critiquer formellement sans fondement et tardivement sa gestion ;
f. V veuve D a retiré 575.000 €, soit plus de 12 % de la valeur initiale des comptes, du compte « D » à concurrence de 350.000 €, et du compte « F » à concurrence de 225.000 € ce qui a impacté les allocations d'actifs ; elle a imposé de garder la position en actions Fortis malgré le conseil de vendre une grande partie de la position,
4. f. V VEUVE D ne justifie d'aucun préjudice :
générer un revenu ne suppose pas n'avoir que des obligations, il peut y avoir un revenu fixe avec des DAT et des obligations avec coupon, un revenu variable avec des dividendes actions, des plus-values obligataires, des plus-values d'actions réalisées, des plus-values de fonds d'actions, de fonds obligataires, de fonds diversifiés, de fonds de fonds alternatifs, etc., ce qui transforme la plus-value en revenu réalisé pour faire face aux besoins en liquidités ; elle a appliqué une gestion graduelle des instruments ; elle a effectué un travail de gestion remarquable sur l'ensemble du patrimoine de la demanderesse ; aucune remarque n'a été faite par les commissions de surveillance saisies par f. V VEUVE D ;
5. Elle sollicite reconventionnellement la condamnation de f. V VEUVE D à lui payer la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts, pour lui avoir retiré sans ménagement la gestion de ses comptes en 2009 et avoir saisi de façon injustifiée les commissions de contrôle des activités financières et de surveillance du secteur financier au Luxembourg et à Monaco ainsi que la commission bancaire financière des assurances ; elle a subi injustement un préjudice d'image sur les places bancaires.
II. DÉCISION
1) Sur la demande principale de f. V VEUVE D.
Les trois mandats de gestion des comptes « F », « D » et « B » ont été confiés à la SAM A par f. V VEUVE D le 17 mai 2006. Il convient donc de faire application de la loi n° 1.194 du 9 juillet 1997 relative à la gestion de portefeuilles et aux activités boursières assimilées et l'ordonnance n° 13.184 du 16 septembre 1997, textes en vigueur à l'époque de la souscription de ces contrats.
f. V veuve D estime avoir subi un préjudice car la SAM A lui aurait fait croire que ses avoirs étaient investis sur des produits sans grand risque, alors qu'elle a fait évoluer ses profils de gestion d'un profil obligataire vers un profil d'investissement largement plus agressif, focalisé notamment sur les « fonds alternatifs », également dénommés « Hedge Funds », qui font appel aux mécanismes dits à « effet de levier » et présentent un risque de perte de l'intégralité du capital investi.
Elle précise que sont concernés les comptes « F » et « B » et que la somme perdue de 937.570,59 euros a été investie sur les fonds alternatifs suivants : IRONGATE STRATEGY FUND LTD, FIDAM CAPITAL GROWTH FUND, GEMS PROGRESSIVE FUND LTD-LOW VOLATILITY, GEMS PR LOW VOLATILITY RESERVE POOL, GOLDEN PEAK-ALTERNATIVE STRATEGIES, qu'ayant perçu néanmoins la somme de 61.598,87 euros + 63.139,69 euros, provenant du remboursement de deux fonds, son préjudice s'élève à la somme de 812.832 €.
Il y a lieu dès lors de déterminer si la SAM A a respecté ses obligations légales et contractuelles et si f. V veuve D a subi un préjudice résultant d'un éventuel manquement auxdites obligations.
Si la SAM A soutient certes avoir géré les trois comptes de manière globale, il convient néanmoins d'examiner de manière plus précise les comptes concernés par les pertes revendiquées, soit les comptes « F » et « B ».
a. Sur les manquements reprochés à la SAM A.
L'obligation de moyens à laquelle était tenue la défenderesse n'étant pas contestée, il appartient à f. V veuve D d'établir les fautes contractuelles commises par SAM A.
La demanderesse se prévaut de manquements de la société de gestion à ses obligations d'information, de conseil, et du non-respect des stipulations des mandats de gestion.
Sur l'obligation d'information.
Aux termes de l'article 5 alinéa 2 de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1917, « les sociétés agréées doivent s'enquérir de la situation financière de leurs clients, de leur expérience en matière d'investissement et de leurs attentes en matière de services et communiquer de manière appropriée les informations utiles dans le cadre des négociations avec leurs clients ».
L'article 5 de l'ordonnance souveraine n° 13 184 du 16 septembre 1997 dispose que « préalablement à la signature de la gestion, la société doit s'enquérir des objectifs, de l'expérience en matière d'investissement et de la situation financière du mandant. Les prestations proposées doivent être adaptées à la situation financière de ce dernier ».
L'article 6 de cette ordonnance ajoute que « le mandat de gestion doit comporter au minimum les mentions suivantes : les objectifs de la gestion et les catégories d'instruments financiers que peut comporter le portefeuille ».
Le 17 mai 2006, trois avenants ont été établis pour les comptes « F », « D » et « B », dûment signés par f. V veuve D avec remise d'un exemplaire à chaque partie, contenant les stipulations suivantes :
dossier F (36) : choix de f. V veuve D d'une stratégie d'investissement-orientation médium, avec une allocation d'actifs répartis ainsi qu'il suit : actions entre 10 et 40 %, obligations entre 30 et 60 %, fonds d'investissement alternatifs pouvant représenter jusqu'à 20 %, exclusivement réalisés au travers de fonds de fonds diversifiés, actifs autres (commodities, real estate, private equity) et liquidités pour le surplus.
dossier B (35) : choix de f. V veuve D d'une stratégie d'investissement personnalisé-orientation obligataire, comportant des obligations de 50 à 80 %, des fonds d'investissements alternatifs pouvant représenter jusqu'à 20 %, d'« autres produits » pouvant représenter jusqu'à 10 % et des liquidités pour le surplus.
dossier D (34) : choix de f. V veuve D d'une stratégie d'investissement personnalisé-orientation obligataire, comportant 50 à 80 % d'obligations, des fonds d'investissements alternatifs pouvant représenter jusqu'à 20 % et d'autres produits pouvant représenter jusqu'à 10 % et des liquidités pour le surplus.
Ces avenants précisaient la répartition des actifs souhaités par f. V veuve D. Les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 16 septembre 2007 ont donc été respectées.
Par ailleurs s'agissant des renseignements pris par la SAM A relativement à l'expérience et aux attentes de sa cliente, il est constant que les profils de risque ont été établis et signés par f. V veuve D le 17 mai 2007, dans les termes suivants :
1. Dossier F :
structure patrimoniale de 2 à 5 MM,
composition actuelle : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, fonds monétaires, fonds alternatifs/hedge funds, commodities, métaux précieux,
impératif de liquidité du portefeuille : case « non » renseignée,
objectif retenu par le client pour la gestion de ses avoirs : gérer un revenu provenant d'un investissement de minimum 50 % d'obligations, dépôts à terme et liquidités. Ce revenu pourra varier à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution d'actifs caractérisés par la distribution variable des revenus. Ces actifs présentent en effet la caractéristique d'une plus grande volatilité et par conséquent un risque plus important de plus ou moins-value. Cette distribution variable du revenu ne sera que partiellement compensée par la présence d'obligations, dépôts à terme et liquidités,
répartition du portefeuille entre les différentes classes d'actifs retenues conformément à l'avenant au mandat de gestion : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires, fonds alternatifs/hedge funds, commodities,
politique en matière de produits dérivés et à effet de levier : la cliente a coché la case « n'autorise en aucun cas le recours à ces produits ».
2. Dossier B :
structure patrimoniale non précisée,
composition actuelle : obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires,
impératif de liquidité du portefeuille : la case « oui » est cochée par la cliente,
objectif retenu par celle-ci pour la gestion de ses avoirs : gérer un revenu stable compte tenu d'un niveau de risque de volatilité faible (investissements réalisés principalement d'obligations, dépôts à terme et liquidités),
répartition du portefeuille entre les différentes classes d'actifs retenues conformément à l'avenant au mandat de gestion : obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires,
politique en matière de produits dérivés et à effet de levier : la cliente a coché la case : « n'autorise en aucun cas le recours à ces produits ».
3. Dossier D :
structure patrimoniale de 750.000 €,
composition actuelle : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, des dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires, l'impératif de liquidité du portefeuille est expressément retenu par la cliente qui a porté une croix dans la case correspondante.
objectif retenu par le client pour la gestion de ses avoirs : gérer un revenu provenant d'un investissement de minimum 50 % d'obligations, dépôts à terme et liquidités. Ce revenu pourra faire l'objet de variation à la hausse comme à la baisse en fonction de l'évolution d'actifs caractérisés par une distribution variable des revenus. Ces actifs présentent en effet la caractéristique d'une plus grande volatilité et par conséquent un risque plus important de plus ou moins-value. La répartition du portefeuille entre les différentes classes d'actifs retenues pour la gestion du présent portefeuille conformément à l'avenant au mandat de gestion : actions, fonds d'actions, obligations, fonds d'obligations, dépôts à terme, liquidités, fonds monétaires, fonds alternatifs/hedge funds, commodities,
politique en matière de produits dérivés et à effet de levier : la cliente « n'autorise en aucun cas le recours à ces produits ».
Ces documents ne contiennent aucune information relative à l'expérience de la demanderesse ; il n'est pas contesté au demeurant qu'aucun profil de risque n'a été établi au début des relations contractuelles le 17 mai 2006.
La SAM A oppose qu'il n'était pas nécessaire d'établir un tel profil dès lors que f. V veuve D avait nécessairement de l'expérience pour avoir confié un mandat de gestion à la banque C antérieurement.
Cependant, d'une part, la demanderesse a donné à la banque C un mandat de gestion discrétionnaire, laissant celle-ci procéder à la gestion de ses avoirs, ce qui ne prouve pas qu'elle était expérimentée dans la gestion de ses avoirs mobiliers, et d'autre part, la SAM A ne produit aucun document émanant de cet établissement bancaire (notamment le profil de risque établi par celui-ci) de nature à établir que f. V veuve D avait de l'expérience en matière de placements financiers.
En conséquence, la SAM A n'a pas respecté l'exigence résultant des articles 5 alinéa 2 de la loi n° 1.194 du 19 juillet 1917 et 5 de l'ordonnance souveraine n° 13.184 du 16 septembre 1997, d'établir un profil de risque pour f. V veuve D dès le 17 mai 2006.
Sur l'obligation de conseil.
f. V veuve D estime que la SAM A n'a pas satisfait à son obligation de conseil. Cette obligation impose à la société de gestion, notamment si elle procède à l'achat d'instruments spéculatifs et à risque, d'avoir préalablement expliqué à son client en quoi consistaient les instruments concernés, ainsi que les risques encourus.
f. V veuve D soutient qu'il ne lui a été donné aucune information sur la pertinence et l'adéquation des investissements en fonds alternatifs à son profil et à ses objectifs, ni sur l'opportunité et la signification des changements de stratégie ; elle ajoute qu'elle ne pensait pas que les fonds alternatifs n'étaient pas liquides alors qu'elle souhaitait au contraire que les comptes « B » et « D » le soient afin de permettre le règlement de factures.
Sa demande portant sur les pertes concernant les seuls comptes « F » et « B », il n'y a pas lieu d'examiner l'évolution du compte « D ». De même, il n'y aura pas lieu d'examiner les placements autres que les fonds alternatifs, non remis en cause par f. V veuve D, et en particulier, les développements des parties relatifs aux titres FORTIS et LEHMAN BROTHERS.
L'examen des avenants successivement signés par f. V veuve D fait apparaître pour le compte « B », une baisse de l'objectif en fonds d'investissement alternatifs (la mention « jusqu'à 20 % » figurant sur l'avenant de 2006, a disparu en 2007, puis a été réintroduite à concurrence de « 0 à 10 % » en 2008, et maintenue en 2009).
Il révèle en revanche, une importante augmentation pour le compte F. En effet, les fonds d'investissement alternatifs ne figuraient pas parmi les choix d'actifs effectués par f. V veuve D en 2006, mais une part de 0 à 20 % a été fixée en 2007, pour atteindre en 2008 de 0 à 40 %, et être maintenue à ce niveau en 2009.
Les fonds alternatifs figurant donc parmi les actifs autorisés, il convient de déterminer si f. V veuve D a reçu une information claire et suffisante sur la nature de ces placements et les risques de perte les concernant, et si en signant les avenants, les profils de risque et les situation des portefeuilles de 2006 à 2009, elle a justement mesuré les risques engendrés par l'augmentation de la part des fonds alternatifs notamment dans le compte F.
La SAM A fait valoir qu'antérieurement à sa gestion, les portefeuilles de f. V veuve D contenaient déjà des fonds alternatifs. S'il résulte de l'examen d'un document dénommé « portefeuille au 8 mars 2005 », et datant de la période à laquelle la gestion était effectuée non par la SAM A mais par la banque C, que le compte « F » comportait une part de gestion alternative cette part était néanmoins peu importante (5,18 %), et ne saurait être qualifiée de « significative » ainsi qu'elle le prétend.
En tout état de cause, il importe surtout d'examiner les accords pris entre les parties sur ce point et de déterminer si f. V veuve D a donné un consentement éclairé lorsqu'elle a accepté que la part des fonds alternatifs augmente sur le compte F jusqu'à atteindre une part de 40 %.
Il y a lieu d'observer que les profils de risque des deux comptes « F » et « B », mentionnent la possibilité d'effectuer des placements en « fonds alternatifs/hedge funds », mais aussi de manière contradictoire, l'interdiction expresse de recourir à une politique en matière de produits dérivés et à effet de levier.
Tout en relevant que les « funds of hedge funds » autrement dénommés fonds de fonds alternatifs ont eu depuis plus de 15 ans un bon comportement boursier et qu'en diversifiant ainsi les portefeuilles de f. V veuve D, elle a assuré une gestion parfaite et prudente et a considérablement réduit les risques de perte, la SAM A ne conteste cependant pas que les « fonds alternatifs/hedge funds » figurant dans les profils de risque qu'elle a soumis à la signature de f. V veuve D, sont des « fonds d'investissement qui réalisent des opérations hautement spéculatives. L'objectif du fonds est d'obtenir une rentabilité élevée, décorrellée de la performance des indices boursiers traditionnels, au moyen le plus souvent des produits dérivés, et en utilisant l'effet de levier (il engage un volume de capitaux inférieur à ses capitaux propres » (pièce 23 produite par f. V veuve D, extrait de « Money guide, le guide votre argent »).
Elle ne conteste pas davantage qu'en 2009, l'ensemble des fonds placés à concurrence de la somme de 937.570,59 euros (et visés dans une lettre du 30 octobre 2009, pièce 10 de f. V veuve D) ont perdu toute liquidité à l'exception des deux remboursements effectués à concurrence de 61.598,87 euros (parts du fonds Aris multi stratégy offshore) et de 63.139,69 euros (parts du fonds turquoise).
Enfin, elle ne justifie pas que les fonds litigieux (Irongate strategy fund Ltd, Fidam capital growth fund, Gems progressive fund Ltd-low volatility, Gems pr low volatility reserve pool, Golden peak-alternative strategies) étaient non des fonds alternatifs/hedge funds mais des fonds de fonds alternatifs et dans quelle mesure ces derniers placements ne seraient pas des placements à risque, à l'inverse des fonds alternatifs/hedge funds.
Et surtout, il convient de relever que sur le document « portefeuille détaillé » établi à la date du 9 juillet 2009 (pièce 15 de f. V veuve D) et concernant les fonds alternatifs du compte « F », figurent la signature et l'écriture de Monsieur FE. indiquant « 100 % capital garanti entre 2010 et 2013 », la mention étant reliée par une flèche à une ligne ainsi libellée « total fonds alternatifs » suivie de la mention en euros « 683.840 », de l'indication du pourcentage « 33.11 % », et enfin de la mention manuscrite « 780 » non expliquée. La demanderesse fait valoir à bon droit qu'elle a été induite en erreur par la mention « 100 % capital garanti entre 2010 et 2013 » et qu'elle a pu en déduire que les capitaux placés en fonds alternatifs étaient garantis à 100 %, et ne présentaient donc aucun risque.
Au vu de ce document et des profils de risque contenant une contradiction interne sur le choix de fonds alternatifs/hedge funds et l'interdiction des produits à effet de levier, il n'est pas établi que f. V veuve D a véritablement compris ce que recouvrait la notion de fonds alternatifs et appréhendé les risques de perte attachés à ce type de placement.
Au demeurant, la SAM A ne justifie pas avoir remis à la demanderesse les fiches de documentation des fonds alternatifs suivants : Irongate strategy fund Ltd, Fidam capital growth fund, Gems progressive fund Ltd-low volatility, Gems pr low volatility reserve pool, Golden peak-alternative strategies.
Néanmoins, la SAM A se prévaut de l'acceptation présumée de f. V veuve D car celle-ci n'a jamais contesté les différentes orientations prises, et qu'au contraire, son accord a été donné suite à de nombreux entretiens (entre 28 et 50 selon les écritures).
Il résulte en effet de l'article 6 des mandats de gestion que « le client s'engage à examiner l'état de la situation du portefeuille, à faire les vérifications qu'il jugera nécessaires et à faire valoir ses observations éventuelles à la société de gestion dans les 30 jours de la réception. Si aucune réclamation n'a été faite à l'expiration de ce délai, les opérations de gestion seront présumées acceptées et il ne lui sera plus possible de faire valoir une quelconque contestation quant à la gestion opérée, sauf en cas de faute lourde ou dol de la société de gestion ».
Cependant en l'espèce, la SAM A n'établit pas avoir clairement expliqué à f. V veuve D la nature des fonds alternatifs, la persuadant au contraire que les capitaux étaient garantis. Les indications figurant sur le document daté du 9 juillet 2009 sont en effet mensongères, le capital ne pouvant être garanti pour ce type de placement.
La SAM A a ainsi gravement manqué à son obligation, et une faute lourde doit être retenue à sa charge. En conséquence, la présomption d'acceptation attachée à l'absence de contestation de f. V veuve D sur les orientations successives portées à sa connaissance ne doit pas être retenue.
Au surplus, la SAM A a indiqué à f. V veuve D par courrier du 13 novembre 2009 qu'« en ce qui concerne les fonds alternatifs, nous vous joignons une copie des contrats que vous avez signés avec notre société de gestion, ainsi que les situations de vos différents comptes, pour lesquelles vous aviez marqué votre accord. Néanmoins il est évident qu'il y a une mauvaise interprétation sur la nature des produits, et afin d'éviter tout malentendu, nous vous confirmons les propos tenus lors de notre entretien avec Monsieur Bernini le 9 octobre 2009... pour autant que vous ne confirmiez le mandat de gestion sur le dossier des fonds alternatifs, nous vous certifions par la présente, le remboursement, au 31/12/2013, au minimum de la somme initialement investie, soit 937.570 €. Il est entendu que vous n'interviendrez en aucune façon dans la gestion de ce dossier. En cas de résiliation de votre part, nous vous demandons également de bien vouloir accepter une pénalité de 1 % par an, au prorata temporis de la période restant à courir jusqu'à l'échéance du 31/12/2013 ».
Les termes de ce courrier établissent que la défenderesse a reconnu la mauvaise compréhension par f. V veuve D de la nature des fonds alternatifs. Cette mauvaise compréhension révèle la mauvaise information apportée par la société de gestion. La proposition consécutive de la SAM A de rembourser le montant investi constitue une reconnaissance de sa responsabilité, nonobstant la proposition annexe de poursuivre la gestion du dossier, étant observé que cette proposition a été rejetée par la demanderesse.
Par la suite le 30 octobre 2009, Philippe FE. administrateur de SAM A a écrit à f. V veuve D pour lui confirmer l'engagement suivant : « nous garantissons qu'à l'échéance de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, votre compte F ter récupérera la somme totale de 937.570,59 euros correspondant aux fonds suivants ». Cet engagement est suivi d'un tableau mentionnant les deux comptes n° 4091000, correspondant au compte « F », et n° 3583000, correspondant au compte « B », le libellé des fonds, leur position, le prix d'achat et le « Cap investi », le total s'élevant à 935.570,59 euros.
f. V veuve D n'ayant en définitive, malgré les très nombreux entretiens auxquels elle a assisté, pas compris ce qu'étaient les fonds alternatifs, en raison de l'insuffisance et de l'inexactitude des informations qui lui ont été données par la SAM A, il sera retenu à la charge de celle-ci un manquement à son obligation de conseil et d'information.
Sur le respect du mandat de gestion.
1°. L'interdiction de recourir à des placements à effet de levier.
f. V veuve D reproche à la SAM A d'avoir effectué des placements en fonds alternatifs, alors qu'il s'agissait de placements à effet de levier interdits par les mandats de gestion. Il a été relevé ci-dessus une absence de contestation par la SAM A de la nature risquée des fonds alternatifs, celle-ci se limitant à indiquer qu'elle n'a jamais utilisé des produits dérivés comme les options ou des futures options ou d'effet de levier en direct, mais seulement des fonds de fonds alternatifs qui font partie de la « palette d'instruments autorisés par les documentations ».
Cette dernière assertion n'est nullement étayée et ne saurait en tout état de cause exonérer la défenderesse de l'interdiction stipulée de manière expresse dans les mandats de gestion de recourir aux produits dérivés et à effet de levier.
Le non-respect de cette interdiction caractérise une faute contractuelle à la charge de la SAM A.
2°. Le non-respect des seuils fixés par les mandats.
L'ensemble des avenants stipulent à la suite des allocations d'actifs, la mention suivante « sauf temporairement lorsque le portefeuille a été affecté par des retraits ou des versements ».
f. V veuve D a effectué des retraits importants sur le compte « F » (225.000 €), susceptibles d'avoir impacté au moins temporairement, la part des fonds alternatifs dans les portefeuilles.
Par ailleurs, le seuil, fixé par les mandats, n'a pas été respecté pour la seule année 2006 au cours de laquelle 15,01 % des actifs du compte F ont été placés en fonds alternatifs, alors que ce placement ne figurait pas parmi les choix de f. V veuve D. Pour les années postérieures, les seuils figurant dans les avenants ont été respectés.
Au vu de ces observations, aucune faute de la SAM A ne se trouve caractérisée de ce chef.
b. Sur le préjudice subi par f. V veuve D.
Le préjudice financier.
Il incombe à la demanderesse d'établir que la perte subie est la conséquence directe et exclusive des fautes commises par la SAM A. Elle évalue son préjudice à la somme de 937.570,59 euros, investie sur des fonds alternatifs, dont il convient de déduire les sommes de 61.598,87 euros et de 63.139,69 euros, correspondant au remboursement de la liquidation des parts du fonds Aris multi stratégy offshore et du fonds Turquoise.
Sur le lien de causalité, le défaut d'établissement du profil en 2006 rectifié le 17 mai 2007, date à laquelle la SAM A a établi le profil de risque de f. V veuve D, l'a été de manière insuffisante puisque ne mentionnant pas l'expérience de l'intéressée en matière de placements financiers. f. V veuve D n'ayant pas pu indiquer son manque d'expérience, les divers placements choisis par la SAM A l'ont été sans tenir compte de ses éventuelles déclarations sur ce point et sont directement à l'origine de son préjudice.
De même, il y a lieu de retenir que le placement d'une partie des avoirs de f. V veuve D en fonds alternatifs, placements dont elle n'a pu mesurer les risques qui en outre étaient contraire à certaines des dispositions contractuelles souscrites, sont directement à l'origine de son préjudice.
Sur le montant du préjudice, le courrier du 13 novembre 2009 aux termes duquel la SAM A a certifié le remboursement 31 décembre 2013 de la somme de 937.570 € constitue une reconnaissance expresse par celle-ci du montant du préjudice subi par la demanderesse.
Il convient en conséquence de fixer à la somme de 937.570,59 € - (61.598,87 € + 63.139,69 €) = 812.832 € le préjudice de f. V veuve D. Dès lors, la SAM A doit être condamnée à payer à la demanderesse la somme de 812.832 € outre intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2014, avec capitalisation des intérêts échus par année entière à compter de cette dernière date.
Le préjudice moral.
f. V veuve D ne produit aucun document de nature à établir un préjudice distinct de son préjudice matériel ci-dessus indemnisé. La demande de ce chef sera donc rejetée.
2) Sur la demande reconventionnelle de la SAM A.
La SAM A ayant été reconnue responsable du préjudice subi par f. V veuve D, sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ne pourra qu'être rejetée.
La SAM A qui succombe, doit supporter les entiers dépens de la présente procédure.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Déclare la SAM A responsable de l'entier préjudice subi par f. V veuve D et ce consécutivement au non-respect par cet établissement de gestion de ses obligations contractuelles;
Condamne la SAM A à payer à f. V veuve D la somme de 812.832 € outre intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2014, avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1009 du Code civil, ce au terme d'une année entière à compter de cette dernière date ;
Déboute f. V veuve D de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral ;
Déboute la SAM A de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ;
La condamne aux entiers dépens du présent jugement, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit ;
Ordonne que lesdits dépens soient provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, Monsieur Michel SORIANO, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 6 OCTOBRE 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.