Tribunal de première instance, 19 mai 2016, La SAS A c/ Madame f. MA.
Abstract🔗
Contrats et obligations - Contrats commerciaux - Preuve des contrats de vente (oui)
Résumé🔗
Aux termes de l'article de l'article 74 du Code de commerce, les contrats commerciaux se constatent par facture acceptée, par la correspondance, par les livres des parties. En l'espèce, la preuve est apportée de la fourniture de bijoux fantaisie à la commerçante. Le fournisseur produit des documents comptables, ainsi que les bons de livraisons avec tampon de la commerçante et les chèques établis par la commerçante dans le cadre d'un lettrage de l'encours client.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2015/000221 (assignation du 28 novembre 2014)
JUGEMENT DU 19 MAI 2016
En la cause de :
La SAS A, immatriculée au R. C. S. de PARIS n° X, dont le siège social est X1 75009 PARIS, poursuites et diligences de son Directeur général délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
d'une part ;
Contre :
Madame f. MA., immatriculée X - exerçant sous l'enseigne X1 - X1 - sous -escalator du 1er à MONACO (98000),
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 28 novembre 2014, enregistré (n° 2015/000221) ;
Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de Madame f. MA., en date des 12 février 2015, 8 juillet 2015, 13 janvier 2016 et 3 mars 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT avocat-défenseur, au nom de la SAS A, en date des 7 mai 2015, 27 novembre 2015 et 10 février 2016 ;
À l'audience publique du 24 mars 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour le 19 mai 2016 ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Par acte en date du 28 novembre 2014, la société par actions simplifiée de droit français A (A) faisait citer f. MA., exerçant le commerce à l'enseigne « X1 » en sollicitant sa condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement d'une somme de 28.052,71 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2014 au titre de factures demeurées impayées, outre 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Suite à l'introduction de l'instance, la demanderesse a conclu les 7 mai et 30 novembre 2015 et le 10 février 2016. Aux termes de ses dernières écritures, elle maintenait ses demandes en paiement initiales, outre le fait qu'il soit fait injonction à la défenderesse de communiquer sa comptabilité pour les années 2012, 2013 et 2014, en lien avec le présent contentieux.
À l'appui de ses demandes, la société A indique être en relation d'affaires avec f. MA. depuis octobre 2012 dans le cadre de la vente de bijoux fantaisies notamment et qu'aux termes d'un relevé de compte client de son service comptable en date du 25 avril 2014, un solde débiteur ressortirait pour un montant de 28.052,71 euros. Malgré plusieurs relances, aucun paiement n'était intervenu.
En l'absence de bons de livraison signés par la défenderesse pour démontrer l'existence de sa créance, la société demanderesse affirme que les commandes étaient réalisées de façon simplifiée, vu les relations de confiance, la plupart du temps par la voie téléphonique.
f. MA. aurait de plus bénéficié d'avoirs de la société A au titre de divers articles finalement restitués, si bien qu'elle ne pourrait valablement nier les livraisons effectuées.
En outre, un échange de courriers électroniques le 29 mars 2013 démontrerait l'existence de relations d'affaires et donc la réception de marchandises. Il y serait question de règlement par chèques et nullement d'émission de chèques « de garantie » comme le soutiendrait à tort la défenderesse.
Un état des ventes, marque par marque démontrerait de plus le détail des marchandises vendues à f. MA..
Enfin, par communications de pièces liées à ses dernières écritures, la société A fournissait des éléments relatifs à des bons de livraison de février et avril 2013. Elle explique qu'elle ne conservait par devers elle, sous forme informatique, que les seuls bons de livraison pour une période d'une année, sauf réclamation entre temps de la part du destinataire ce qui n'avait pas été le cas.
En défense, f. MA. a conclu les 12 février 2015, 8 juillet 2015, 13 janvier 2016 et 3 mars 2016. Elle sollicitait, alternativement et selon l'appréciation souveraine que le Tribunal voudrait opérer :
- qu'il soit enjoint à la société A de communiquer, dans le délai d'un mois du jugement à intervenir, les bons de commande qu'elle avait dû recevoir de sa part et les bons de livraison qu'elle avait dû signer au titre de la marchandise dont le règlement est réclamé dans le cadre de la présente instance,
- soit que la société A soit déboutée d'emblée de ses demandes, fins et conclusions, faute de fournir ces bons de commande et de livraison signés,
- en tout état de cause, la condamnation de la société A au paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réservait le droit de conclure au fond.
Au soutien de ses prétentions, f. MA. indique que la demanderesse se bornait à verser aux débats des factures et non des bons de commande ou des bons de livraison détaillés, qu'elle lui avait pourtant réclamés avant que la société A n'introduise la présente instance.
Une telle production serait pourtant nécessaire à la création d'un débat contradictoire loyal, au sens de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, chacune des parties devant participer à l'oeuvre de justice. Il ne pourrait en conséquence être fait droit aux demandes de la société A, qui ne saurait valablement se constituer des preuves à elle-même et s'en prévaloir par des éléments, même comptables, dont elle est l'auteur exclusif.
Aucune conséquence en termes de dettes ne pourrait en outre être tirée d'un échange de courriers électroniques versés aux débats par la demanderesse, dans la mesure où la discussion ne serait relative qu'à des chèques « de garantie », en vue de livraisons futures qui pourraient intervenir.
En tout état de cause, f. MA. indique que son activité commerciale se limitait à la vente au détail de bijoux fantaisies et de montres en plastique exclusivement de marque I. Or, parmi les demandes en paiement présentées par la société A, figurerait des sommes relatives à la livraison de bijoux et de montres de marques de prestige, en acier, or ou argent.
Enfin les dernières communications des pièces de la société A ne permettraient nullement d'identifier quelle marchandise aurait été livrée à f. MA., les prétendus « bons de livraison » par une société de transport ne comportant qu'un cachet commercial mais aucune signature et aucun détail du contenu livré.
SUR QUOI :
Attendu que la demande principale dans le cadre de la présente instance est relative à un reliquat de factures prétendument demeurées impayées, pour un montant de de 28.052,71 euros ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la société A était en relations d'affaires avec f. MA. depuis le mois d'octobre 2012, et qu'un compte de tiers client existe donc en conséquence dans la comptabilité de la société commerciale française demanderesse ;
Que f. MA., dans des locaux sis X1 à Monaco, exerce le commerce à l'enseigne « X1 » dans le domaine de la « vente au détail de bijoux fantaisie, vente de montres en plastique exclusivement de la marque I et d'accessoires de mode fantaisie ; onglerie avec prestation d'épilation limitée aux sourcils, achat et vente de produits cosmétiques ainsi que d'accessoires liés à l'activité » ;
Attendu qu'aux termes de l'article de l'article 74 du Code de commerce, les contrats commerciaux, à l'exception des cas où la loi exige la rédaction d'un écrit, se constatent : [...] par facture acceptée ; par la correspondance ; par les livres des parties ; [...] ;
Attendu qu'en l'espèce la société A verse aux débats un relevé de compte émanant de son service comptabilité retraçant ses relations avec f. MA. du 12 avril 2013 au 3 février 2014 duquel il ressort un solde de 28.052,71 euros ;
Qu'en l'espèce, la société A produit les factures récapitulées dans le relevé de compte dont elle tire sa demande en paiement ; que ces factures ne portent pas de mention d'acceptation de f. MA. si bien qu'il ne peut être considéré que la preuve serait administrée en l'espèce par facture acceptée ;
Qu'aux termes de l'article 1177 du Code civil, « les livres des marchands font preuve contre eux ; mais celui qui veut en tirer avantage ne peut les diviser en ce qu'ils contiennent de contraire à sa prétention » ;
Qu'en application de ce texte, la juridiction saisie peut, si elle acquiert la conviction de la réalité de prestations, par des éléments produits aux débats ou en appréciation des circonstances de l'espèce, se fonder sur des éléments comptables émanant du demandeur, qui n'auraient pas été établis pour les seuls besoins de la cause, pour statuer sur les prétentions des parties ;
Qu'il convient de rappeler en effet que le principe général selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même invoqué par la défenderesse, a pour effet d'interdire la constitution en vue d'une instance d'un élément émanant du seul demandeur, ce qui n'est pas le cas d'éléments comptables qu'une société commerciale peut ou doit être tenu de réaliser (ce qui est le cas en l'espèce, s'agissant de comptes de tiers, ou d'état de ventes par marques fournies aux débats) ;
Qu'encore, ce principe général n'a pour effet que d'interdire que le seul élément de preuve retenu émane de celui qui s'en prévaut, en d'autres termes, l'auteur d'un élément de preuve est autorisé à l'invoquer, surtout donc en matière commerciale, mais celui-ci doit être corroboré par d'autres éléments empreints d'une plus grande neutralité ;
Qu'en l'espèce, f. MA. se borne à indiquer que les livraisons de marchandises litigieuses ne seraient pas démontrées ;
Que cependant la réalité de livraisons fréquentes est attestée par la production, certes tardive, mais réelle, de bons de livraison du transporteur mandaté par la société A ; Que f. MA. ne peut se borner à indiquer que les tampons portant son enseigne commerciale, l'adresse du lieu de son activité et ses numéros de téléphone professionnels auraient pu être imités, sans même d'ailleurs arguer ces pièces de faux ;
Que certes, ces pièces constituent la preuve de livraison mais ne contiennent pas de détail, mais que leurs dates sont pertinentes en l'espèce (3, 5, 12, 15, 22 et 27 février 2013 et 19 avril 2013) ;
Qu'en effet, la société demanderesse verse également aux débats un courrier électronique adressé à f. MA. en date du 29 mars 2013 indiquant que dans le cadre d'un « lettrage de l'encours », elle était invitée à envoyer huit chèques, avec des encaissements différés en fin des mois suivants, de mars à octobre ; qu'une préposée de f. MA. répondait « les chèques partent aujourd'hui pour A » ;
Qu'à cet égard, et dans le cadre de la preuve commerciale par la correspondance, cet élément est convaincant s'agissant de la réalité de livraison ; qu'en effet, le lettrage est une opération comptable consistant à rapprocher une facturation d'un paiement, ce que f. MA. ne contestait pas au moment de l'écriture du courrier électronique en réponse ;
Que d'autre part, elle ne peut être suivie quand elle allègue que les chèques sollicités et leur montant seraient des garanties pour des livraisons à venir ; Qu'en effet, si la pratique détournée du chèque, instrument de paiement, en outil de garantie est courante dans les rapports entre commerçants, c'est à celui qui se prévaut d'un tel usage détourné d'en rapporter la preuve, ce en quoi f. MA. est défaillante, et ce d'autant plus que l'analyse du montant des chèques (notamment octobre : 4.705,52 euros) se rattache naturellement plus à un solde qu'à une garantie de livraison à venir, dont il conviendrait alors à f. MA. de fournir les détails ;
Attendu enfin que l'objectivisation des éléments de preuve émanant des livres de la société commerçante demanderesse est renforcée en l'espèce par l'émission de très nombreux avoirs (en date de comptabilisation du 31 janvier 2014), preuve de la prise en compte par la société A de marchandises restituées ou douteuses, sur lesquelles f. MA. ne fournit pas d'éléments détaillés ; Que la défenderesse, qui a conclu à quatre reprises, ne peut comme elle le fait dans ses dernières écritures, solliciter que lui soit réservée la possibilité de conclure au fond, alors qu'elle l'a, de fait, envisagé dans ses conclusions ;
Attendu en conséquence de ces constatations et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner la production d'éléments complémentaires, il y a lieu de faire droit à la demande principale en paiement de la société A pour une somme de 28.052,71 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, seule pouvant être valablement prise en compte en l'espèce puisque les mises en demeures préalables produites aux débats portent sur des sommes qui ont été par la suite reconsidérées par la demanderesse ;
Attendu que la société A triomphe en sa demande principale, la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts sera donc rejetée ;
Attendu que le droit à se défendre de f. MA. n'a pas dégénéré en abus, la demande de dommages et intérêts pour une somme de 3.000 euros présentée à son encontre par la société A sera donc rejetée ;
Attendu qu'aucune urgence, au sens de l'article 202 du Code de procédure civile, ne justifie le prononcé de l'exécution provisoire de la présente décision, cette demande sera rejetée ;
Attendu que f. MA., qui succombe, sera condamnée aux dépens, en application de l'article 231 du Code de procédure civile ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Dit n'y avoir lieu à ordonner des productions de pièces complémentaires, ni à réouverture des débats ;
Condamne f. BE. divorcée MA. à payer à la société A la somme de 28.052,71 euros, au titre de factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2014, date de l'assignation valant mise en demeure ;
Rejette la demande en paiement d'une somme de 3.000 euros présentée par la société A ;
Déboute f. BE. divorcée MA. de sa demande en paiement d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne f. BE. divorcée MA., aux dépens, avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Monsieur Michel SORIANO, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi ou assistées, lors des débats seulement, de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 MAI 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.