Tribunal de première instance, 19 mai 2016, La société A c/ La société B

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Abstract🔗

Contrats et obligations - Contrat d'entreprise - Preuve rapportée de l'exécution du contrat - Condamnation au paiement des factures

Résumé🔗

L'artisan paysagiste justifie de la réalisation des travaux qui lui ont été confiés, de sorte que sa demande de paiement doit être accueillie, hormis pour une prestation de débroussaillage confiée à une autre entreprise par la société cliente.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2015/000368 (assignation du 11 février 2015)

JUGEMENT DU 19 MAI 2016

En la cause de :

  • La société A, société par actions simplifiée à associé unique, dénommée « A », dont le siège est sis 06510 Gattières, X1, prise en la personne de son Président et Associé Unique, Renaud SA. LE., domicilié ès-qualités au siège de la société ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

  • La société B, SARL exploitant sous l'enseigne « C », dont le siège est sis à Monaco, X1, prise en la personne de ses co-gérants en exercice, b. BO. et g. BO., tous deux domiciliés ès-qualités au siège de la société :

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 11 février 2015, enregistré (n° 2015/000368) ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SARL B, en date des 15 mai 2015, 27 octobre 2015 et 13 janvier 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la société A, en date des 25 juin 2015 et 26 novembre 2015 ;

À l'audience publique du 17 mars 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 19 mai 2016 ;

FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Dans le cadre du chantier Éden Roc situé à Roquebrune Cap Martin, la SARL B a les 21 et 25 novembre 2013 confié à Renaud SA. LE., artisan paysagiste, l'abattage d'une trentaine d'arbres, le broyage et l'incinération des branches, la coupe et l'évacuation du bois.

Pour ce même chantier, Renaud SA. LE. a exécuté en 2014 sur la demande de la SARL B d'autres travaux, ainsi que pour la villa dénommée Fossignana la taille de la cime de pins au-dessus de la construction.

Sept factures en date des 17 décembre 2013, 16 février 2014, 4 et 16 mars 2014, 24 juin 2014, 23 juillet 2014 et 18 août 2014 ont été réglées par la SARL B.

À compter du 1er septembre 2014, Renaud SA. LE. a poursuivi son activité sous la forme d'une société par actions simplifiée dénommée SAS A, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Grasse.

Le 22 décembre 2014, Renaud SA. LE. a en vain mis en demeure la SARL B de lui payer quatre factures impayées des 6 juin, 8 octobre, 1er et 12 novembre 2014, représentant un montant total de 37.320 euros.

Par acte d'huissier du 11 février 2015, la SAS A a fait assigner la SARL B devant le Tribunal de première instance de Monaco à l'effet d'obtenir sur le fondement notamment des articles 74 du code de commerce, 989, 1229 et 1230 du Code civil, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire sa condamnation à lui payer la somme de 37.320 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014, ainsi que la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts.

La SAS A fait valoir en substance à l'appui de ses prétentions que :

  • les factures des 6 juin 2014, 8 octobre 2014 et 1er novembre 2014 concernent le chantier Eden Roc tandis que la facture du 12 novembre 2014 concerne le chantier Monte-Carlo Palace/Beausoleil ;

  • elle n'a été en relation professionnelle qu'avec la SARL B qui exploite sous l'enseigne C et sous la signature de l. CO. ; en matière commerciale, la preuve est libre ; aucune des factures réclamées n'a été payée et n'est incluse dans des factures antérieures, les travaux correspondant aux factures des 6 juin 2014, 8 octobre 2014 et 1er novembre 2014 ayant été réalisés après l'émission de celles-ci ;

  • la facture du 6 juin 2014, d'un montant de 1.560 € TTC, correspond à des travaux demandés par la SARL B ; celle du 8 octobre 2014 correspond à des interventions effectuées en urgence en septembre 2014 (déplacement de 40 stères de bois, l'ayant contrainte à recourir à des intérimaires) ; ces deux factures des 6 juin 2014 et 8 octobre 2014 ne font pas double emploi avec des factures déjà réglées, la SARL B ne payant jamais à l'avance un travail non encore exécuté, et les travaux étant distincts de ceux facturés antérieurement ; la SARL B qui sollicite de manière habituelle l'intervention de ses prestataires de services en urgence, n'établit pas d'ordre de service écrit avant l'exécution des travaux ;

  • la facture du 1er novembre 2014 correspond à des travaux effectués en urgence et ne fait pas double emploi avec une autre facture ; la SARL B, qui n'a jamais retourné le devis signé, a donné instruction par son mandataire, Monsieur CO. ;

  • la facture du 12 novembre 2014 concerne des travaux de débroussaillage en urgence, de coupe des arbres et de broyage de l'ensemble des déchets ; elle a été mandatée par la SARL B, un ordre de service du 12 septembre 2014 a été signé par l. CO., son mandataire, et envoyé par courriel (pièce 25) ; la facture est due par la SARL B et non par l'entreprise D, avec laquelle elle n'a pas traité, le marché invoqué ne lui étant pas opposable ;

  • le préjudice engendré par le défaut de trésorerie est amplifié car elle est une petite entreprise à associé unique ;

  • à ce titre, l'exécution provisoire est justifiée ;

  • la SARL B étant de mauvaise foi, sa demande de dommages-intérêts doit être rejetée.

La SARL B conclut au débouté de la SAS A de l'ensemble des prétentions formulées à son encontre et sollicite reconventionnellement sa condamnation au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle invoque à ces diverses fins en réplique les arguments suivants :

  • les factures des 6 juin et 8 octobre 2014 ne sont pas dues ; en effet, les factures émises les 17 décembre 2013, 16 février, 4 mars, 24 juin, 23 juillet et 18 août 2014 comprenaient déjà l'abattage d'arbres avec destruction ou évacuation du bois coupé ; toutes ces factures ont été réglées ; les factures réclamées font double emploi car sur le même chantier, il n'y a eu qu'une seule campagne de travaux ;

  • au surplus, il n'existe ni devis accepté ni ordre de service ;

  • on ne peut lui reprocher d'être mauvais payeur alors que le règlement des factures est effectué de manière diligente, sauf à compter du mois de mars 2014, date à compter de laquelle il a été nécessaire de vérifier la correspondance entre les travaux réalisés et les factures émises ;

  • il est normal qu'elle ne paye pas un travail non exécuté;

  • les indications relatives à l'exécution de travaux après émission de factures, au recours à des sociétés d'intérim en raison de l'urgence, et à la sollicitation systématique de ses prestataires en urgence sans délivrance d'ordres de services écrits, ne sont que des assertions ;

  • l'abattage d'un olivier faisant l'objet de la facture du 1er novembre 2014 a déjà été facturé le 17 décembre 2013 ;

  • les travaux d'abattage et débroussaillage figurant dans la facture du 12 novembre 2014 n'ont jamais été commandés par elle ; en qualité de maître d'ouvrage délégué, elle a confié le lot comprenant notamment les terrassements à la SAS D ; aucun devis accepté n'est produit ;

  • elle doute de l'authenticité de l'attestation de l. CO., non établie conformément à l'article 324 du Code de procédure civile et qui doit être écartée des débats : elle ne porte aucun en-tête, est entièrement dactylographiée, et fait apparaître un montage à l'emplacement de la signature et du nom du signataire ; le courriel de l. CO. n'authentifie pas le document ; ce dernier était chargé d'une mission d'OPC ne comprenant pas celle de choisir une entreprise, il n'avait pas le pouvoir de commander de prestations à la société A au nom de la SARL B ;

  • elle n'avait pas intérêt à solliciter la société A, alors que l'entreprise D a été chargée des travaux de nettoyage comprenant notamment l'arrachage ou l'abattage et le dessouchage des arbres, et l'évacuation.

SUR QUOI :

  • Sur la régularité de l'attestation établie par M. CO. :

La SARL B demande que l'attestation de Monsieur CO. soit écartée des débats car elle ne respecte pas les exigences de l'article 324 du Code de procédure civile.

Les dispositions de ce texte imposent que l'attestation à peine de nullité, soit écrite, datée et signée de la main de son auteur, que soient mentionnés les noms, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, qu'il soit précisé si son auteur a quelque intérêt au procès, qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal, et enfin qu'elle soit accompagnée d'un document officiel justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature.

Le document établi par l. CO. le 12 septembre 2014 (pièce 22) est signé mais en premier lieu, n'est pas écrit de la main de son auteur car dactylographié, en second lieu, ne comporte aucune des mentions relatives à son identité, son adresse, sa profession, son intérêt au procès et sa connaissance des sanctions pénales encourues, et en dernier lieu, n'est pas accompagné d'un document officiel permettant de vérifier sa signature. En conséquence, ce document qui constitue la pièce n° 22 de la communication de la société A doit être annulé.

  • Sur les demandes principale et accessoire de la société A à l'encontre de la SARL B :

  • Sur la demande principale :

Au soutien de sa contestation, la SARL B indique que les factures ne sont pas dues car elles ne sont pas précédées d'un devis signé ou d'un ordre écrit. Cependant, il n'apparaît pas que des devis ont été signés ou que des ordres ont été écrits au titre des travaux facturés par la SAS A avant le mois de juin 2014, qu'elle reconnaît pourtant avoir payés. L'absence de tels documents ne saurait dès lors suffire à écarter la demande de la SAS A en l'état de la pratique antérieure des parties.

En ce qui concerne les factures des 6 juin et 8 octobre 2014, celles-ci mentionnent les travaux en premier lieu, d'abattage de 2 pins de 40 cm de diamètre et de 4 petits pins, de coupe du bois en 1m et stockage sur place, de broyage des branches, et en second lieu, de déplacement de 40 stères de bois.

La SARL B fait valoir qu'une seule campagne de travaux a été réalisée alors qu'il résulte des factures des 17 décembre 2013, 16 février 2014, 4 mars 2014, 24 juin 2014, 23 juillet 2014 et 18 août 2014 que les travaux réglés et non contestés d'abattage, de coupe, de broyage et d'évacuation de bois ont eu lieu sur une période de huit mois. La facture du 6 juin 2014 se rapporte à des travaux d'abattage, de coupe, de stockage et de broyage résiduels car ils n'ont concerné que 6 pins, alors que la campagne n'était pas terminée.

La facture du 8 octobre 2014 vise le déplacement de 40 stères de bois. La SARL B indique que cette prestation a consisté dans une évacuation déjà facturée le 17 décembre 2013. Elle ne peut cependant valablement prétendre que cette prestation a été facturée antérieurement et payée alors qu'elle soutient dans le même temps qu'elle ne règle jamais des prestations non exécutées ; l'explication relative à l'intervention du voisin n'est pas pertinente dès lors qu'au contraire, l'absence de récupération du bois par ce dernier a nécessité une prestation de déplacement. Enfin, la mention dans la facture de la société d'intérim du 30 septembre 2014 de travaux à des dates partiellement différentes de celles mentionnées dans la facture du 8 octobre 2014 est indifférente dès lors que la facture du 30 septembre 2014 concerne les deux chantiers Éden roc et Monte-Carlo palace, et qu'il n'est pas prétendu que seuls des intérimaires ont effectué le déplacement des 40 stères de bois.

Au vu de ces observations, la réclamation concernant les sommes de 1.560 € + 2.880 € est fondée. La SARL B sera donc condamnée à payer à la SAS A la somme de 4.440 €, outre intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014, date de la mise en demeure.

En ce qui concerne la facture du 1er novembre 2014, consistant dans un élagage destiné à dégager la vue mer (abattage d'un olivier et taille d'arbuste), la SARL B fait valoir que cet abattage a déjà été facturé le 17 décembre 2013. Cependant, les deux factures du 17 décembre 2013 ne mentionnent pas de telles précisions et il ne peut être établi que la prestation a été d'ores et déjà réglée.

La réclamation de la SAS A à ce titre est également justifiée et la SARL B sera ainsi condamnée à lui payer la somme de 480 € outre intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014, date de la mise en demeure.

En ce qui concerne la facture du 12 novembre 2014, consistant dans le débroussaillage en urgence de tout le périmètre du terrain pour permettre le relevé des géomètres, la coupe des arbres et le broyage de l'ensemble des déchets sur le chantier du Monte-Carlo Palace situé à Beausoleil, la SARL B expose avoir en qualité de maître d'ouvrage délégué, confié le lot comprenant notamment les terrassements à la SAS D travaux spéciaux.

Il résulte du marché de travaux privés du 8 août 2014, que la SARL B a confié à la SAS D travaux spéciaux, le lot 01 comprenant l'installation du chantier, la mise en place de la grue, les démolitions, terrassements et soutènement. Le dossier de consultation des entreprises de septembre 2014, lot numéro 01, précise que les ouvrages consistent notamment dans le nettoyage du terrain. Ledit nettoyage est mentionné à l'article II.2.1, et comprend l'arrachage ou l'abattage et le dessouchage des arbres, arbustes, taillis et haies non conservés, le désherbage, le débroussaillage, l'évacuation à la décharge ou la destruction sur place des produits des opérations précédentes.

La SAS D travaux spéciaux étant chargée de réaliser ou de faire réaliser les travaux de débroussaillage, de destruction sur place et d'évacuation du chantier Monte Carlo Palace, la SAS A n'est pas fondée à réclamer à la SARL B paiement de la facture du 12 novembre 2014. La demande à ce titre formée à l'encontre de la défenderesse doit être en conséquence rejetée.

  • Sur la demande accessoire en dommages et intérêts :

En l'absence de justification par la demanderesse d'un préjudice distinct de celui indemnisé par les intérêts moratoires, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts de la SAS A.

  • Sur la demande reconventionnelle de la SARL B :

Nonobstant le rejet d'une partie de sa demande, la procédure introduite par la SAS A était justifiée pour le surplus si bien que le caractère abusif de l'action engagée par cette dernière n'est pas établi. En conséquence la SARL B sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Les parties succombant toutes deux partiellement en leurs prétentions, il y a lieu d'ordonner la compensation totale des dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare nulle l'attestation établie par M. CO. constituant la pièce n° 22 de la communication de la SAS A ;

Condamne la SARL B à payer à la SAS A les sommes de 4.440 € et de 480 € avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014, date de la mise en demeure ;

Déboute la SAS A de sa demande en paiement de la facture du 12 novembre 2014 ainsi que de sa demande de dommages et intérêts ;

Déboute la SARL B de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Ordonne la compensation totale des dépens.

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de SA.-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 MAI 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de SA.-Charles, assistée de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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