Tribunal de première instance, 19 mai 2016, Mme f. EL HA. SA. c/ La société A

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Abstract🔗

Accident du travail - Refus de prise en charge par l'assureur-loi - Procédure civile - Annulation de l'assignation pour vice de forme - Interruption du cours de la prescription - Prescription de l'action (non) - Recevabilité de l'action (oui)

Résumé🔗

Selon le 3e alinéa de l'article 24 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, « L'action en indemnité prévue par la présente loi se prescrit par un an à dater du jour de l'ordonnance rendue par le juge en application des articles 21 bis, 3ème alinéa, 21 quater, 4ème alinéa et 21 sexies ».

Cet alinéa texte vise également l'ordonnance de non-conciliation rendue par le Juge chargé des accidents du travail en application de l'article 21 quinquies, dernier alinéa de la loi précitée. Par ailleurs, cette prescription est soumise aux règles de droit commun, notamment aux dispositions de l'article 2062 du Code civil.  

La première assignation a été annulée en raison de l'erreur matérielle affectant la désignation de l'assureur-loi. Cette erreur constitue un vice de forme, la salariée ayant bien l'intention d'assigner en justice l'assureur-loi de son employeur. Cet acte a valablement interrompu le cours de la prescription, de sorte que cette dernière n'était pas acquise à la date d'introduction de la présente instance. L'action de la salariée est donc recevable.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 19 MAI 2016

N° 2016/000041 (assignation du 3 août 2015)

En la cause de :

  • Mme f. EL HA. SA., née le 28 juin 1983 à Agadir (Maroc), de nationalité marocaine, équipière, domiciliée X1 06000 NICE,

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La société anonyme de droit français dénommée A, dont le siège est situé X1 69003 Lyon, prise en la personne du Président de son Conseil d'Administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, représentée en Principauté de Monaco par la société anonyme de droit monégasque dénommée B, dont le siège social est X2 98000 Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, domicilié ès-qualités audit siège.

DÉFENDERESSE ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 3 août 2015, enregistré (n° 2016 /000041) ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME A, en date des 11 novembre 2015 et 25 janvier 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de f. EL HA. SA. LA., en date des 17 décembre 2015 et 25 mars 2016 ;

À l'audience publique du 21 avril 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 19 mai 2016 ;

Considérant les faits suivants :

Le 22 octobre 2012, alors qu'elle était employée en qualité d'équipière au sein du restaurant D à Monaco, exploité par la S. A. M. C, f. EL HA. SA. LA. a été victime d'un accident du travail : elle a chuté au sol en heurtant une autre salariée et a présenté une contusion de l'épaule droite.

Plusieurs arrêts de travail s'en sont suivis.

L'assureur-loi de l'employeur ayant refusé la prise en charge des soins et arrêts de travail postérieurs au 27 septembre 2013, le Juge chargé des accidents du travail a, par ordonnance du 16 janvier 2014 ordonné une expertise et désigné le docteur DE PERETTI, avec mission :

  • - d'examiner la victime ;

  • - de décrire ses blessures ;

  • - de dire si les soins et arrêts de travail postérieurs au 27 septembre 2013 sont imputables à l'accident du travail du 22 octobre 2012 et doivent être pris en charge par l'assureur-loi ;

  • - de fournir également tous éléments utiles d'appréciation permettant de déterminer le régime de prise en charge des troubles précités ;

  • - de fixer, le cas échéant, la durée des soins et de l'ITT qui en est résultée ainsi que la date de reprise du travail ;

  • - de dire si la victime peut être actuellement considérée comme consolidée en précisant s'il subsiste des séquelles, ou guérie, dans l'affirmative, de préciser à quelle date.

Le docteur DE PERETTI a établi son rapport à la date du 26 février 2014.

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

« L'accident du travail du 22 octobre 2012 a entraîné une contusion de l'épaule droite qui a été suivie d'un syndrome de Parsonage-Turner ou névralgie amyotrophiante de l'épaule.

Ce syndrome de Parsonage-Turner, survenu après un traumatisme, est en relation avec le traumatisme.

L'ensemble de la littérature rapporte comme cause possible du syndrome de Parsonage-Turner un traumatisme, quel que soit son intensité. Il s'agit néanmoins d'un syndrome d'origine mystérieuse.

Les soins et arrêts de travail prescrits par le médecin traitant de la victime postérieurs au 27 septembre 2013 sont imputables à l'accident du travail du 22 octobre 2012 et doivent être pris en charge par l'assureur-loi.

La patiente est toujours en arrêt de travail pour son accident du travail. Elle ne peut pas reprendre son travail car elle présente des séquelles pour l'instant très importantes.

La patiente ne peut pas être considérée comme consolidée car elle a besoin de soins et de nombreuses séances de rééducation. »

L'assureur-loi ayant contesté ces conclusions, le Juge chargé des accidents du travail a, par ordonnance du 2 mai 2014 constaté la non-conciliation des parties et renvoyé l'affaire devant le Tribunal de première instance.

Par exploit d'huissier délivré le 22 avril 2015, f. EL HA. SA. LA. a fait assigner la société anonyme de droit français E aux fins d'homologation du rapport d'expertise.

La compagnie requise ayant soulevé la nullité de l'acte introductif d'instance, f. EL HA. SA. LA. a fait délivrer, aux mêmes fins, une nouvelle assignation le 3 août 2015, à la société anonyme de droit français A ; tel est l'objet de la présente procédure.

Par jugement du 12 novembre 2015, devenu définitif, le tribunal de céans a déclaré nul l'exploit d'assignation du 22 avril 2015, au motif que la demanderesse avait fait citer la S. A. E, à son siège social, sis X à Lyon, alors qu'elle entendait en réalité attraire la société A, sise à Lyon, X, laquelle se trouve être l'assureur-loi de son employeur.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

En défense, la compagnie d'assurance A soulève in limine litis la prescription de l'action et subséquemment son irrecevabilité, aux motifs suivants :

l'article 24 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 prévoit que :

« L'action en indemnité prévue par la présente loi se prescrit par un an à dater du jour :

  • 1° soit de l'accident, si aucune déclaration n'a été faite par la victime, ses représentants ou ses ayant-droits selon les dispositions de l'article 14, b ;

  • 2° soit de paiement de l'indemnité temporaire ;

  • 3° soit de l'ordonnance rendue par le juge en application des articles 21 bis, 3ème alinéa, 21 quater, 4ème alinéa et 21 sexies » ;

  • - il est de jurisprudence constante que le 3° de ce texte vise également l'ordonnance de non-conciliation rendue par le Juge chargé des accidents du travail en application de l'article 21 quinquies, dernier alinéa de la loi précitée ;

  • - en l'espèce, l'ordonnance de non-conciliation a été rendue le 2 mai 2014 et l'assignation a été délivrée le 3 août 2015, soit plus d'un an après, ce dont il suit que la prescription se trouve acquise.

f. EL HA. SA. LA. conclut au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, en faisant valoir que :

  • - ainsi qu'en dispose le dernier alinéa de l'article 24 de la loi n° 636, « la prescription ainsi instituée est soumise aux règles du droit commun » ;

  • - or l'article 2062 du Code civil prévoit que :

« La demande en justice interrompt la prescription.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine est annulé par l'effet d'un vice de forme » ;

  • - en l'espèce, le jugement du 12 novembre 2015 a annulé l'acte d'assignation du 22 avril 2015, pour vice de forme ;

  • - la prescription s'est donc trouvée interrompue par l'assignation du 22 avril 2015, de sorte que la présente action, introduite le 3 août 2015, n'est nullement prescrite ;

  • - subsidiairement, la prescription n'a pas pu courir valablement au profit de la société A dans la mesure où celle-ci n'a pas été valablement désignée dans l'ordonnance de non-conciliation rendue le 2 mai 2014 par le Juge chargé des accidents du travail ;

  • - cette ordonnance mentionne en effet, de manière erronée, l'assureur-loi comme étant « la compagnie A (Cabinet B) » ;

  • - du reste, il ne ressort du serveur français « INFOGREFFE » aucune dénomination sociale au seul nom de la société A, mais trois sociétés, dénommées « E », « A » et « société G », enseigne « société F », nom commercial « A » ;

  • - à titre infiniment subsidiaire, la prescription n'a pas pu courir valablement au profit de la société A en raison de la carence fautive de l'employeur, d'une part, et de l'assureur-loi, d'autre part ;

  • - l'article 2055 du Code civil dispose en effet que :

« La prescription ne court pas ou est suspendue à l'égard de celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure » ;

  • - la jurisprudence française considère que l'obstacle au cours de la prescription est constitué dès lors que l'inaction du titulaire du droit a pour origine la carence fautive de la partie adverse, notamment les manœuvres dolosives destinées à induire en erreur et à retarder l'action ;

  • - en l'espèce, aucun des documents remis à la salariée par l'employeur ne mentionne la compagnie A ;

  • - c'est ainsi que, tant le contrat de travail de f. EL HA. SA. LA., que la déclaration d'accident, effectuée par l'employeur le 23 octobre 2012, mentionnent « CABINET B » comme étant la compagnie garantissant les accidents du travail, sans aucune mention d'A, et ce en méconnaissance des dispositions de l'article 14 de la loi n° 636 qui fait obligation à l'employeur de préciser dans sa déclaration d'accident, la compagnie d'assurance garantissant sa responsabilité ;

  • - pour sa part, le courtier en assurance a également induit la victime en erreur, en ce qu'aucun des courriers adressés à f. EL HA. SA. LA. par le cabinet B ne fait apparaître la société A ;

  • - ce n'est qu'à la faveur des conclusions en défense, déposées le 25 juin 2015, dans le cadre de la première instance, que f. EL HA. SA. LA. a eu connaissance de la véritable dénomination de l'assureur-loi de son employeur ;

  • - il s'ensuit que la prescription de l'article 24 de la loi n° 636 ne saurait lui être opposée.

En réplique, la société A soutient que :

  • - la législation relative aux accidents du travail présente un caractère d'ordre public, de sorte qu'il ne peut être dérogé à ses dispositions, lesquelles doivent même être soulevées d'office s'agissant de la prescription ;

  • - la nullité de l'assignation du 22 avril 2015 n'a pas été prononcée pour vice de forme mais à raison du défaut de qualité de la société citée, laquelle n'était pas l'assureur-loi de l'employeur, ce qui constitue une fin de non-recevoir, au sens de l'article 278-1 du code de procédure civile, et non une simple nullité de forme ;

  • - il s'ensuit que l'article 2062, alinéa 2 du Code civil n'est pas applicable en l'espèce et que l'assignation du 22 avril 2015 n'a pas interrompu le cours de la prescription ;

  • - c'est par ailleurs à la victime de l'accident du travail, et non au Juge chargé des accidents du travail, d'effectuer les recherches nécessaires pour attraire à l'instance la bonne personne morale, correctement dénommée ;

  • - du reste, les informations dont fait état la demanderesse et qu'elle a pu recueillir sur INFOGREFFE auraient dû l'alerter, la conduire à de plus amples recherches et, en tant que de besoin, à faire assigner les trois entités comportant le nom « A » ;

  • - de même, afin de lever toute difficulté, il appartenait à la demanderesse de faire également assigner son employeur, lequel aurait ensuite été mis hors de cause et, dans cette hypothèse, le véritable assureur-loi serait volontairement intervenu à la procédure ;

  • - enfin, il n'appartient pas au défendeur de pallier la carence de son adversaire et c'est en vain que f. EL HA. SA. LA. invoque une prétendue impossibilité d'agir à raison de la carence fautive de l'assureur-loi alors qu'il lui appartenait, là encore, d'assigner son employeur par précaution, ce qui aurait permis de régulariser la procédure.

Dans ses dernières écritures, f. EL HA. SA. LA. répond que :

  • - le moyen adverse tiré du caractère d'ordre public de la loi n° 636 est inopérant alors que celle-ci prévoit, en son article 24 dernier alinéa que : « la prescription ainsi instituée est soumise aux règles du droit commun » ;

  • - le nouvel article 278-1 du Code de procédure civile, instituant les fins de non-recevoir, invoqué par la partie adverse, est inapplicable à la présente instance, pour être issu d'une loi entrée en vigueur postérieurement à son introduction ;

  • - de plus, il ressort des termes mêmes du jugement du 12 novembre 2015, que l'assignation du 22 avril 2015 a été annulée sur le fondement des articles 136, 141 et 155 du Code de procédure civile, c'est-à-dire pour vice de forme ;

enfin, c'est avec une particulière mauvaise foi que la compagnie d'assurance reproche à la victime d'avoir omis d'attraire son employeur, en prétendant que dans cette hypothèse, la société A serait volontairement intervenue à l'instance, alors qu'elle pouvait intervenir à ladite instance même en l'absence de l'employeur, ce dont elle s'est abstenue, à seule fin d'échapper à ses obligations.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 24 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 prévoit que :

« L'action en indemnité prévue par la présente loi se prescrit par un an à dater du jour :

  • 1° soit de l'accident, si aucune déclaration n'a été faite par la victime, ses représentants ou ses ayant-droits selon les dispositions de l'article 14, b ;

  • 2° soit de paiement de l'indemnité temporaire ;

  • 3° soit de l'ordonnance rendue par le juge en application des articles 21 bis, 3ème alinéa, 21 quater, 4ème alinéa et 21 sexies ».

Il est de jurisprudence constante que le 3° de ce texte vise également l'ordonnance de non-conciliation rendue par le Juge chargé des accidents du travail en application de l'article 21 quinquies, dernier alinéa de la loi précitée.

Ainsi qu'en dispose le dernier alinéa de l'article 24 de la loi n° 636, « la prescription ainsi instituée est soumise aux règles du droit commun ».

Or l'article 2062 du Code civil prévoit que :

« La demande en justice interrompt la prescription.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine est annulé par l'effet d'un vice de forme ».

En l'espèce, l'ordonnance de non-conciliation a été rendue le 2 mai 2014 et la première assignation a été délivrée le 22 avril 2015.

Celle-ci a été annulée par jugement définitif du 12 novembre 2015, au visa des articles 136, 2° et 141 du Code de procédure civile, relatifs aux mentions devant figurer dans l'assignation et aux modalités de désignation des sociétés commerciales.

Or il s'agit d'exigences tenant à la forme d'un acte de procédure.

Ainsi que le tribunal l'a en effet relevé dans les motifs de son jugement du 12 novembre 2015, f. EL HA. SA. LA. avait bien l'intention d'assigner en justice l'assureur-loi de son employeur.

Ce n'est que par l'effet d'une erreur matérielle qu'elle a, dans un premier temps, fait assigner à tort la compagnie E aux lieu et place d'A.

Cette erreur constitue bien un vice de forme, au sens où elle n'a pas remis en cause l'intention, claire et manifeste, du titulaire du droit de s'en prévaloir.

L'acte introductif d'instance délivré le 22 avril 2015 ayant été annulé pour vice de forme, au sens de l'article 2062 du Code civil, il a valablement interrompu le cours de la prescription.

Celle-ci n'étant donc pas acquise à la date d'introduction de la présente instance, soit le 3 août 2015, f. EL HA. SA. LA. est recevable en son action.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et avant dire droit au fond,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société anonyme A ;

Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience du 16 juin 2016 à 9h00;

Enjoint à la société anonyme A de conclure sur le fond pour cette date ;

Réserve les dépens en fin de cause.

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Michel SORIANO, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 19 MAI 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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