Tribunal de première instance, 28 avril 2016, Mlle Lila KN. et autres c/ M. Pierre Issa EL CH.

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Abstract🔗

Succession – Conflits de juridictions – Compétence (non)

Résumé🔗

Aux termes de l'article 263 du Code de procédure civile, dans les cas où le tribunal est incompétent à raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause ; le tribunal sera même tenu de la déclarer d'office. Le présent Tribunal a en application de ce texte, soulevé d'office son incompétence au visa des articles 3.3° du Code de procédure civile, (les tribunaux de la Principauté de Monaco connaissent « des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté de Monaco, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit d'une demande entre cohéritiers ; et pendant deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire) » et 83 du Code civille lieu où la succession s'ouvre est celui du domicile du défunt »).

Nonobstant le fait que l'action concerne la propriété des avoirs détenus sur le compte joint n° 11017500001 ouvert le 30 mai 2011 par Mme Lilas BA. et M. EL CH. auprès de la banque A., il convient de retenir prioritairement la nature successorale du litige introduit par les héritiers de la titulaire décédée. La défunte Lilas BA., de nationalité libanaise, est décédée à Beyrouth (Liban) où il n'est pas contesté que se trouvait son dernier domicile et où sa succession a été ouverte ainsi qu'il résulte du jugement du tribunal charié sunnite de Baabda du 16 juillet 1435 de l'hégire correspondant au 15 mai 2014 du calendrier chrétien. En application de la règle de conflit monégasque relative aux successions internationales, attribuant compétence à la juridiction du lieu d'ouverture de la succession, il y a lieu de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2015/000098 (assignation du 23 septembre 2014)

JUGEMENT DU 28 AVRIL 2016

En la cause de :

  • 1. Mlle Lila KN., de nationalité française, née le 14 mars 1994 à BEYROUTH (Liban) ;

  • 2. Mlle Léa KN., de nationalité française, née le 15 mai 1995 à BEYROUTH (Liban) ;

  • 3. Mlle Rola KN., de nationalité française, née le 1er juillet 1998 à BEYROUTH (Liban), mineure, représentée par sa mère, Mme R. S., tutrice légale en vertu d'une ordonnance du Juge religieux du Liban en date du 16 mai 2014 ;

  • 4. Mlle Aya KN., de nationalité française, née le 1er juillet 1998 à BEYROUTH (Liban), mineure, représentée par sa mère, Mme R. S., tutrice légale en vertu d'une ordonnance du Juge religieux du Liban en date du 16 mai 2014 ;

Demeurant toutes quatre X1 - BEYROUTH - Liban ;

  • 5. M. Mohammed Salameh BA., né en Syrie le 1er juillet 1941 demeurant à MAZZA (Syrie), H612016 ;

  • 6. Mme Hyam BA., née à DAMAS en 1932, demeurant à DAMAS, (Syrie), X3;

  • 7. Mme Inaya BA., née à AKKA en 1924 demeurant à DAMAS (Syrie), X2 ;

DEMANDEURS, ayant tous élus domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • M. Pierre Issa EL CH., né le 1er janvier 1960 à KOBAYAT EL ZOUK, de nationalité libanaise, demeurant X BEYROUTH, (Liban),

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 23 septembre 2014, enregistré (n° 2015/000098) ;

Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Lila KN., Léa KN., Rola KN., Aya KN., Mohammed BA., Hyam BA. et Inaya BA., en date du 10 février 2016 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de Pierre Issa EL CH., en date du 3 mars 2016 ;

À l'audience publique du 10 mars 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 28 avril 2016 ;

FAITS, PROCÉDURE, PRETENTIONS DES PARTIES

Le 30 mai 2011, Mme Lilas BA. et M. Pierre Issa EL CH. ont ouvert un compte joint n° 11017500001 auprès de la banque A..

Mme Lilas BA. est décédée le 26 avril 2014 à Beyrouth (Liban) et a laissé pour lui succéder :

  • ses quatre petites filles issues de son fils unique décédé Khaled Patrick KN. : Mesdemoiselles Lila, Léa, Rola et Aya KN.,

  • son frère et ses deux sœurs : M. Mohamed BA., Mesdames Hyam et Hinaya BA..

Le 30 avril 2014, M. Pierre Issa EL CH. a transmis à la banque A. un ordre de virement de la somme de 400.000 $ américains sur le compte dont il est titulaire auprès de la banque B. à Beyrouth (Liban). L'ordre de virement a été exécuté.

Le 10 mai 2014, M. Pierre Issa EL CH. a transmis à la banque A. un ordre de transfert de 495 onces d'or sur son compte de la banque B. au Liban. Cet ordre n'a pas été exécuté.

Par acte d'huissier du 15 juillet 2014, M. Pierre Issa EL CH. a fait sommation à la banque A. d'exécuter l'ordre transmis le 10 mai 2014, de procéder au virement par débit du compte dont il est titulaire de 495 onces d'or sur le compte de la banque B. au Liban, agence de Beyrouth.

Par lettre du 8 juillet 2014, réitérée par notification d'huissier du 24 juillet 2014, Mesdemoiselles Lila, Léa, Rola et Aya KN., M. Mohamed BA., Mesdames Hyam et Hinaya BA. ont fait interdiction à la SAM A. d'opérer toutes les opérations sur le compte n° 110175 qui seraient demandées par le cotitulaire, M. Pierre Issa EL CH..

La société A. a répondu à M. Pierre Issa EL CH. que le transfert n'était pas possible en raison de la notification par Maître Henri REY, Notaire, d'une interdiction d'avoir à se dessaisir des valeurs, ce au nom des héritiers de Mme Lilas BA..

Par acte d'huissier du 5 août 2014, M. Pierre Issa EL CH. a fait assigner la SAM A. au contradictoire de Mesdemoiselles Lila, Léa, Rola et Aya KN., M. Mohamed BA., Mesdames Hyam et Hinaya BA., devant le Président du Tribunal de première instance de Monaco statuant en référé, afin de dire que l'opposition pratiquée par l'hoirie KN. ne saurait avoir pour effet de bloquer l'intégralité des avoirs et valeurs figurant sur le compte joint dont il est cotitulaire, d'ordonner le cas échéant la mainlevée de l'opposition du 24 juillet 2014 et de lui faire injonction de virement, et subsidiairement, à l'effet de cantonner cette opposition à hauteur de la moitié des sommes, valeurs et titres figurant sur le compte joint n° 110175.

Par ordonnance du 17 juin 2015, le juge des référés a débouté M. Pierre Issa EL CH. de ses demandes de mainlevée d'opposition et d'injonction de virement, et s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de cantonnement.

Par acte d'huissier du 23 septembre 2014, Mesdemoiselles Lila, Léa, Rola et Aya KN., M. Mohamed BA., Mesdames Hyam et Hinaya BA. ont, sur autorisation du Président du Tribunal de première instance donnée par ordonnance du 15 septembre 2014, fait assigner à bref délai M. Pierre Issa EL CH. devant le Tribunal de première instance de Monaco, à l'effet :

  • de dire que le compte Crédit Suisse n° 110175 a été alimenté par les seuls avoirs de Mme Lilas BA. à hauteur de la somme de 2.260.000 $ suivant virement du 20 septembre 2012,

  • en l'absence de tout apport par M. Pierre Issa EL CH., de dire que ce dernier est infondé à former des réclamations sur les avoirs du compte joint litigieux,

  • d'obtenir la condamnation de M. Pierre Issa EL CH. à leur restituer la somme de 400.428,17 dollars outre intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014 et ce jusqu'à parfait paiement, et à leur payer la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis,

  • le tout avec exécution provisoire.

Par jugement du 17 décembre 2015, le Tribunal de première instance a ordonné la réouverture des débats aux fins que les parties présentent leurs observations sur la compétence matérielle de la juridiction pour connaître de cette cause.

Les observations des parties sur la compétence du présent Tribunal sont les suivantes :

  • Mesdemoiselles Lila, Léa, Rola et Aya KN., M. Mohamed BA., Mesdames Hyam et Hinaya BA. :

    • le litige oppose deux titulaires d'un compte joint, dont l'un est représenté par ses ayants droits ; le litige porte non sur la succession du cotitulaire décédé du compte joint, mais exclusivement sur l'exécution du contrat d'ouverture du compte joint, la détermination du propriétaire des fonds et avoirs de ce compte,

    • l'article 56 des conditions générales du Crédit Suisse applicables au fonctionnement de ce compte, stipule que la convention de compte joint est régie par la loi monégasque et que les tribunaux de la Principauté sont seuls compétents pour connaître de tout litige pouvant survenir quant à l'interprétation ou l'exécution de la présente convention ou de l'une quelconque de ses annexes, et plus généralement de tout document qui s'y rapporterait directement ou indirectement,

    • en application de l'article 3-2 du Code de procédure civile, les tribunaux de la Principauté sont compétents pour statuer sur les actions fondées sur les obligations nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté ; ainsi en est-il de la convention de compte joint souscrite à Monaco auprès d'une banque y ayant un établissement,

    • cette compétence doit être retenue nonobstant la donation invoquée par M. Pierre Issa EL CH., sur la base d'un document dont l'original n'a jamais été produit, et nul car entaché de vices de forme et de fond ; si cette donation n'était pas nulle, elle ne saurait concerner la succession car seule une disposition testamentaire peut concerner la succession,

    • en outre, le juge de l'action relative à la propriété des avoirs du compte joint, est également le juge de l'exception,

  • M. Pierre Issa EL CH. :

    • le Tribunal ne peut se considérer comme saisi d'une action en liquidation d'une succession car les requérants invoquent la qualité d'héritiers au visa d'un jugement libanais alors que celui-ci n'a pas été déclaré exécutoire dans les conditions des articles 472 et suivants du Code de procédure civile ;

    • le Tribunal est saisi d'une demande de condamnation à restituer la somme de 400.428,17 dollars et de celle de 20.000 € à titre de dommages-intérêts ; il doit déterminer la qualité du bénéficiaire des avoirs figurant sur le compte bancaire et statuer sur la mainlevée d'une mesure conservatoire ou provisoire considérée comme irrégulière ;

    • au visa de l'article 3.9 du Code de procédure civile, le Tribunal doit se déclarer compétent en raison de la matière ;

DÉCISION

Aux termes de l'article 263 du Code de procédure civile, dans les cas où le tribunal est incompétent à raison de la matière, cette incompétence pourra être opposée en tout état de cause ; le tribunal sera même tenu de la déclarer d'office.

Le présent Tribunal a en application de ce texte, soulevé d'office son incompétence au visa des articles 3.3° du Code de procédure civile, (les tribunaux de la Principauté de Monaco connaissent « des actions relatives à une succession ouverte dans la Principauté de Monaco, jusqu'au partage définitif, s'il s'agit d'une demande entre cohéritiers ; et pendant deux années à compter du décès, s'il s'agit de demandes formées par des tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire) » et 83 du Code civille lieu où la succession s'ouvre est celui du domicile du défunt »).

Les parties concluent à la compétence du Tribunal de première instance de Monaco, les demandeurs au visa de l'article 3-2° du Code de procédure civile les tribunaux de la Principauté sont compétents pour statuer sur « les actions fondées sur les obligations nées ou qui doivent être exécutées dans la Principauté », le défendeur au visa de l'article 3-9° du Code de procédure civile (les tribunaux de la Principauté sont compétents pour statuer sur les demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires).

Il convient de qualifier l'action dont est saisie la présente juridiction, et de déterminer si elle relève :

  • de la matière des successions imposant la compétence du tribunal du lieu d'ouverture de la succession,

  • de celle des obligations imposant la compétence du tribunal du lieu de naissance et d'exécution des obligations,

  • ou d'une demande ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires rendant compétent le tribunal du lieu d'exécution desdites mesures.

En premier lieu l'opposition pratiquée par les demandeurs suivant acte notifié le 24 juillet 2014 ne saurait relever des dispositions de l'article 3.9 du Code de procédure civile, les mesures provisoires ou conservatoires au sens de ce texte étant celles ordonnées en justice.

En second lieu, si le compte joint litigieux a bien été ouvert à Monaco, il convient d'observer que les demandeurs ont introduit l'action en leur qualité d'héritiers de Mme Lilas BA..

M. Pierre Issa EL CH. est irrecevable à soutenir que leur qualité d'héritiers n'est pas opposable car le jugement du Tribunal charié sunnite de Baabda du 16 juillet 1435 de l'hégire correspondant au 15 mai 2014 du calendrier chrétien n'a pas été déclaré exécutoire. En effet, d'une part, il les a qualifiés « d'hoirie KN. » dans le cadre de la procédure de référé qu'il a introduite à l'encontre de la Société générale, et d'autre part, il est constant qu'un jugement étranger établissant la qualité d'héritier d'une personne et dont une mise à exécution forcée n'est pas requise, produit une effet de titre ne nécessitant pas l'exequatur.

Nonobstant le fait que l'action concerne la propriété des avoirs détenus sur le compte joint n° 11017500001 ouvert le 30 mai 2011 par Mme Lilas BA. et M. EL CH. auprès de la banque A., il convient de retenir prioritairement la nature successorale du litige introduit par les héritiers de la titulaire décédée.

La défunte Lilas BA., de nationalité libanaise, est décédée à Beyrouth (Liban) où il n'est pas contesté que se trouvait son dernier domicile et où sa succession a été ouverte ainsi qu'il résulte du jugement du tribunal charié sunnite de Baabda du 16 juillet 1435 de l'hégire correspondant au 15 mai 2014 du calendrier chrétien.

En application de la règle de conflit monégasque relative aux successions internationales, attribuant compétence à la juridiction du lieu d'ouverture de la succession, il y a lieu de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Se déclare incompétent en raison du caractère successoral de l'action ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Condamne les demandeurs aux dépens, en ce compris ceux réservés par le jugement du 17 décembre 2015, avec distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier Stagiaire ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 28 AVRIL 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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