Tribunal de première instance, 21 avril 2016, M. b. RE. c/ La Société B. et la Société C.
Abstract🔗
Accident du travail - Rejet de la demande de nouvelle expertise - Contestation des conclusions de l'expert judiciaire - Défaut de prise en compte des antécédents - Preuve rapportée (non)
Résumé🔗
Le demandeur, vaisselier au sein d'un hôtel, a présenté un épisode lombo-sciatalgique aiguë en transportant une poubelle. Contestant les conclusions de l'expert désigné par le juge chargé des accidents du travail, il a saisi le Tribunal de première instance afin de voir ordonner une nouvelle expertise au motif que l'expert n'a pas tenu compte de ses précédents accidents du travail. Cependant, le rapport d'expertise reprend les antécédents évoqués par la victime et ses doléances, ainsi que les bilans radiographiques et les certificats médicaux qu'elle a produits. En conséquence, en l'absence d'erreur ou de lacune de la part de l'expert dans le cadre de l'analyse clinique objective de l'état de santé de la victime, il convient d'entériner son rapport ayant conclu qu'une anomalie congénitale générant des lésions dégénératives avec listhésis ne pouvait être imputée à l'accident du travail litigieux et de rejeter la demande.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 21 AVRIL 2016
N° 2016/000199 (assignation du 12 novembre 2015)
En la cause de :
M. b. RE., demeurant X1, 06300 NICE,
Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail,
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
1. La société anonyme de droit français dénommée B., dont le siège social est sis X2 à Paris (75009), agissant poursuites et diligences de son représentant en Principauté de Monaco, la société anonyme monégasque D., dont le siège social est sis X3 à Monaco, ladite société prise en la personne de son Directeur particulier et Courtier en Principauté de Monaco, Mme P. H., demeurant en cette qualité audit siège,
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
2. La société anonyme C., dont le siège social est X4, 92727 NANTERRE CEDEX, prise en la personne de son représentant en Principauté de Monaco, la société anonyme monégasque D., ayant son siège social X3 à Monaco, ladite société prise en la personne de son Président délégué en exercice, M. H. H., domicilié en cette qualité audit siège ;
INTERVENANTE VOLONTAIRE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 12 novembre 2015, enregistré (n° 2016 /000199) ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SA B. et de la SA C., en date du 13 janvier 2016;
À l'audience publique du 25 février 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 21 avril 2016;
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 31 mai 2015, M. b. RE. qui exerce la fonction de vaisselier au sein de l'hôtel de Paris a présenté un épisode lombo sciatalgique aigu au cours d'un effort de soulèvement (transport d'une poubelle).
Un arrêt de travail du 31 mai 2015 au 28 juin 2015 était prescrit, avec une prolongation jusqu'au 2 août 2015, puis du 3 août 2015 au 24 septembre 2015.
Par ordonnance en date du 24 août 2015, le juge chargé des accidents du travail désignait le docteur TOUBOUL en qualité d'expert, lequel déposait son rapport le 17 septembre 2015.
Monsieur RE. contestait les conclusions expertales et le juge chargé des accidents du travail rendait une ordonnance de non conciliation le 6 octobre 2015.
Par acte en date du 12 novembre 2015, M. b. RE. assignait la SA B. devant le tribunal de première instance afin de voir ordonner une nouvelle expertise avec la même mission que celle confiée par le juge chargé des accidents du travail.
Monsieur RE. fait valoir que :
- l'expert a fait une totale abstraction des précédents accidents du travail, alors que le docteur BORGIA, désigné en qualité d'expert à la suite de l'accident du travail du 11 septembre 2007 et l'épisode du 19 novembre 2007 (rechute du précédent accident du travail) avait bien mis en évidence « la parfaite concordance des tableaux cliniques et paracliniques »,
- le docteur p. FR., chirurgien à l'IM2S, qui l'a reçu en consultation de neurochirurgie a constaté que « l'IRM confirme la lyse et montre une discopathie L5S1, avec signes de déchirure annulaire récente »,
-le docteur TOUBOUL n'a pas pris en compte l'ensemble des lésions et doléances pour estimer que l'intervention chirurgicale ne visait qu'à réparer l'instabilité liée à une anomalie congénitale et devait être prise en charge au titre de la maladie et qu'il ne subsistait aucune séquelle.
La SA B. et la SA C. qui intervient volontairement aux débats demandent au tribunal de :
- mettre hors de cause la SA B. qui couvre le risque incendie, assignée à tort,
- donner acte à la SA C., réel assureur loi, de son intervention volontaire,
- débouter monsieur b. RE. de ses demandes,
- homologuer le rapport d'expertise du docteur TOUBOUL.
Elles soutiennent à l'appui de leurs prétentions que :
- le rapport du docteur TOUBOUL fait parfaitement état des antécédents de monsieur RE.,
- l'expert a étudié l'ensemble du dossier médical de la victime et analysé minutieusement les comptes rendus de ses examens médicaux,
- il a parfaitement argumenté ses conclusions pour conclure à l'existence d'une « anomalie du rachis lombaire avec une souffrance discale chronicisée au niveau du rachis lombaire inférieur »,
- cette instabilité du rachis lombaire est donc ponctuée d'épisodes douloureux (accidents du travail),
- postérieurement au 2 août 2015, les arrêts de travail et soins entrepris sont relatifs à une intervention chirurgicale visant à réparer l'instabilité liée à cette anomalie congénitale et relevant du régime maladie,
- c'est ce que confirme le docteur FR., neurochirurgien, ayant opéré la victime le 21 octobre 2015. Ce médecin explique que l'arthrodèse lombaire pratiquée est clairement liée à l'instabilité lombaire congénitale de monsieur RE., laquelle a été révélée par l'ensemble des bilans radiographiques et IRM, bien antérieurs à l'accident du travail du 31 mai 2015,
- les constatations médicales du docteur TOUBOUL sont en tous points identiques à celles du docteur KE., médecin conseil de l'assureur loi qui a examiné la victime et déposé son rapport le 9 juillet 2015. Il a conclu, tout comme le docteur TOUBOUL, à une absence d'IPP en lien direct et certain avec l'accident du travail du 31 mai 2015,
- Monsieur RE. n'invoque aucun élément susceptible de remettre en cause les conclusions du rapport d'expertise du docteur TOUBOUL.
SUR CE :
Sur la mise hors de cause de la SA B.
La SA C. intervient volontairement aux débats en soutenant qu'elle est le réel assureur loi de la société A..
Il convient dès lors de prendre en considération cette intervention volontaire et de mettre hors de cause la SA B..
Sur le fond
M. RE. conteste les conclusions du docteur TOUBOUL qui n'aurait pas tenu compte de ses précédents accidents du travail.
Les conclusions du docteur TOUBOUL sont les suivantes :
« Il convient de préciser que monsieur b. RE. présente un long passé de lombo sciatalgie avec 3 accidents du travail notés en 2007, 2010 et 2014. Par ailleurs, les divers bilans radio-IRM pratiqués ont mis en évidence une lyse isthmique congénitale L5 associée à un spina bifida avec antélisthésis de L5 sur S1 et arthrose interapophisaire postérieure (discopathie et déshydratation discale à l'étage L4-L5 et L5-S1 sans conflit foraminal patent). Il s'agit d'une anomalie congénitale entraînant une instabilité du rachis lombaire avec souffrance discale chronicisée au niveau du rachis lombaire inférieur.
Les soins et arrêts de travail prescrits par le médecin traitant de la victime postérieurement au 02/08/2015 ne sont pas imputables à l'accident du travail du 31/05/2015 et ne doivent pas être pris en charge par l'assureur loi (état antérieur avec anomalie congénitale et évolution dégénérative y afférente).
Postérieurement au 02/08/2015, les arrêts de travail et soins entrepris relèvent d'un cadre « maladie » (intervention chirurgicale programmée visant à réparer l'instabilité liée à une anomalie congénitale).
Dans le cadre des lésions imputables aux suites de l'accident du travail en date du 31/05/2015, la durée des soins s'est étendue du 31/05/2015 au 02/08/2015 inclus.
La durée de l'ITT peut être fixée du 31/05/2015 au 02/08/2015 inclus. La reprise du travail ne sera pas effective le 03/08/2015 (arrêt « cadre » maladie en cours).
Monsieur RE. peut être considéré comme consolidé de l'AT du 31/05/2015 à la date du 02/08/2015.
Il ne subsiste pas de séquelles (retour à l'état antérieur, IPP=0%).
Pour contester lesdites conclusions, M. RE. fait état de l'analyse du docteur BORGIA, désigné en qualité d'expert à la suite de l'accident du travail du 11 septembre 2007 et de l'épisode du 19 novembre 2007 (rechute) qui avait mis en évidence « la parfaite concordance des tableaux cliniques et paracliniques ».
Le rapport de ce médecin n'étant pas produit, l'argumentation développée par le demandeur à ce titre ne peut pas être retenue.
Ce dernier se fonde encore sur les constatations du docteur FR. qui a procédé une intervention chirurgicale sur monsieur RE. le 21 octobre 2015 sous la forme d'une arthrodèse lombaire de type TLIF.
Ce médecin indique :
« Discussion pré opératoire :
Il s'agit d'un patient, vaisselier à la société A., qui souffre de douleurs lombaires chroniques, habituellement irradiées à gauche depuis au moins une dizaine d'années, plus récemment irradiées aussi à droite. L'irradiation ne dépasse pas le genou. La marche est préservée, mais la douleur la limite après une dizaine de minutes sous la forme de lombalgies et d'une impression de pesanteur dans le genou.
Plusieurs traitements ont déjà été tentés depuis le début des douleurs. Il est en traitement chronique par Doliprane. L'Ixprime a été stoppé car peu efficace et la kiné n'apporte pas de soulagement. La patient a perdu 10 kg et a repris le sport (vélo), mais les douleurs restent présentes à un niveau incompatibles avec une activité normale.
La douleur est présente au travail mais aussi dans la vie de tous les jours et limite le patient même pendant ses vacances. A noter un probable conflit avec la médecine de l'assurance qui peut influencer négativement les plaintes.
Le bilan radiologique montre une lyse isthmique de L5 avec un listhésis de grade I L5S1 et une spina bifida de L5. Il y a peut-être une légère évolution défavorable entre les radiographies de 2008 et les radiographies actuelles.
L'IRM confirme la lyse et montre une discopathie L5S1 avec signes de déchirure annulaire récente.
Vu la longue évolution des douleurs, un traitement chirurgical a été recommandé, sous la forme d'une arthrodèse lombaire de type TLIF qui me semble la plus à même de traiter définitivement les douleurs rachidiennes et radiculaires de ce patient, clairement liées à l'instabilité lombaire ».
M. RE. produit également un certificat du docteur LE. qui prescrit une prolongation d'arrêt de travail jusqu'à la programmation chirurgicale. Ce praticien ajoute que « l'examen clinique retrouve un lasèque bilatéral à 25°/30° environ La raideur lombaire s'est majorée depuis 2 mois ».
Le tribunal relève que le docteur TOUBOUL reprend dans son rapport les antécédents évoqués par la victime, ses doléances, ainsi que les bilans radiographiques et les certificats des docteurs FR. et LE.
À cet égard, l'expert, se référant aux IRM en sa possession et aux certificats médicaux communiqués a estimé qu'il s'agissait d'une anomalie congénitale générant des lésions dégénératives avec listhésis ne pouvant être imputées à l'accident du travail en date du 31 mai 2015 constituant un élément ponctuel (post effort) légitimant une dolorisation temporaire qui peut être admise jusqu'au 2 août 2015.
Il s'avère ainsi que le médecin expert a pris en compte tant les antécédents de la victime que les douleurs actuelles mises en évidence par les IRM pratiquées et n'a commis ni erreur, ni lacune, dans le cadre de l'analyse clinique objective de l'état de santé de la victime ou à l'occasion de ses constatations et déductions.
M. RE. ne produit de son côté aucun élément permettant de contester objectivement les conclusions expertales.
Il s'en suit que les conclusions du docteur TOUBOUL doivent être entérinées et M. RE. sera débouté de sa demande de nouvelle expertise.
M. RE., partie succombante, doit supporter les dépens de l'instance, par application des dispositions de l'article 231 du Code de procédure civile.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
Met hors de cause la SA B.,
Constate l'intervention volontaire de la SA C. assureur loi de la société A.,
Homologue avec toutes conséquences de droit le rapport d'expertise du docteur TOUBOUL en date du 17 septembre 2015,
Condamne M. b. RE. aux dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Michel SORIANO, Premier Juge, Madame Sophie LEONARDI, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 21 AVRIL 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.