Tribunal de première instance, 14 avril 2016, La Sarl A. c/ La société B.
Abstract🔗
Astreinte – Liquidation (oui)
Résumé🔗
La société B. n'a valablement déféré à l'injonction qui lui avait été adressée par le jugement du 30 septembre 2014 qu'à la date du 8 juillet 2015, alors même qu'aucun obstacle n'existait à la communication des pièces pertinentes, s'agissant de la description de prêts gagés, des modalités et dates de leur remboursement pour des périodes situées entre 2007 et 2009. En conséquence, c'est à bon droit que la société A. sollicite la liquidation de l'astreinte, pour la période du 17 décembre 2014 au 8 juillet 2015, soit 10.150 euros (50 euros pendant 203 jours).
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
N° 2013/000607 (assignation du3 juillet 2013)
JUGEMENT DU 14 AVRIL 2016
En la cause de :
La Société à Responsabilité Limitée A., SARL au capital de 8.000 euros inscrite au RCS DE CANNES sous le n° X dont le siège social est X1 à 06400 CANNES, représenté par son Gérant en exercice, M. a. NI. ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Alain LUCIANI, avocat au Barreau de Grasse ;
d'une part ;
Contre :
La société B., société anonyme au capital de 5.355.000 euros, inscrite au RCI de MONACO sous le numéro X, dont le siège social est sis, X2 98000 PRINCIPAUTE DE MONACO, pris en la personne de son Président Délégué, M. j-p. TO., domicilié en cette qualité audit siège ;
DÉFENDEUR ayant élu domicile en l'Étude de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 3 juillet 2013, enregistré (n° 2013/000607) ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 30 septembre 2014 ayant renvoyé la cause et les parties à l'audience du 10 décembre 2014 ;
Vu le jugement avant-dire-droit de ce Tribunal en date du 11 juin 2015 ayant renvoyé la cause et les parties à l'audience du 8 juillet 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Etienne LEANDRI, avocat-défenseur, au nom de la SAM B., en date des 8 juillet 2015 et 10 décembre 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de la SARL A., en date du 29 octobre 2015 ;
À l'audience publique du 11 février 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 14 avril 2016 ;
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL A., exploitant un fonds de commerce d'horlogerie de luxe à CANNES, a été victime de faits constitutifs du délit pénal « d'abus de confiance » commis par m. AZ..
Celui-ci s'est fait remettre 15 montres de valeur en prétendant qu'il allait les présenter à de riches clients susceptibles de les acheter, alors qu'en réalité, il a déposé 14 d'entre elles auprès de la société B. pour obtenir des prêts sur gage.
Au cours de l'information judiciaire conduite en France, les montres ont été placées sous séquestre et la société B. désigné en qualité de gardien de 6 montres demeurant en sa possession.
Selon jugement du Tribunal correctionnel de GRASSE en date du 30 mars 2012, m. AZ. a été déclaré coupable des délits d'abus de confiance en récidive qui lui étaient reprochés et condamné à la peine de 3 ans d'emprisonnement et à une amende de 10.000 euros, ainsi qu'au paiement de la somme de 286.000 euros à la SARL A. qui s'était constituée partie civile devant cette Juridiction en réparation du préjudice matériel subi.
La société A. a par ailleurs été déboutée de sa demande tendant à la restitution par la société B. des 6 montres demeurées en sa possession et subséquemment de celle en levée du séquestre les concernant, au motif que cette demande avait été adressée à une personne qui n'était pas dans la cause.
Le jugement du Tribunal correctionnel a été confirmé en toutes ses dispositions tant pénales que civiles par un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence en date du 11 septembre 2012.
Maître Alain LUCIANI, conseil de la SARL A. a adressé quatre courriers en la forme recommandé, les 7 novembre, 21 novembre, 11 décembre et 17 décembre, 2012, restés sans réponse, à la société B. aux fins d'obtenir la restitution des 6 montres demeurées en possession de l'établissement de prêt sur gage.
Le 22 octobre 2012, le Procureur Général de Monaco indiquait au directeur de la société B. que les juridictions pénales françaises ayant définitivement statué sur les poursuites engagées à l'encontre de m. AZ. du chef d'abus de confiance, la société B. était autorisé à procéder à la vente des 6 montres saisies entre ses mains et dont il avait été institué gardien dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire B27/09.
Le 5 décembre 2012, les six montres ci-après décrites, d'une valeur de 126.400 euros, demeurées en possession de la société B., ont été vendues aux enchères publiques :
- ROLEX Daytona 116519 cadran granit bordeaux or blanc/ cuir et diamant,
- CHOPARD H Lady diamonds - or blanc sur cuir,
- CARTIER tonneau XL, Collection privée platinium sur cuir,
- AUDEMARS PIGUET, quantième perpétuel, 25820 BA00944 BA 02, or jaune,
- CHOPARD Happy sport sertie de diamants,
- JAEGER LECOUTRE, Reverso, or rose.
Selon exploit en date du 3 juillet 2013, la SARL A. a fait assigner la SAM B. à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 126.400 euros correspondant à la valeur des six montres qui auraient dû, selon elle, lui être restituées, outre 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'absence de réponse à ses correspondances ainsi que par la vente aux enchères publiques des montres dont elle était demeurée le légitime propriétaire.
Elle demandait en outre au Tribunal d'enjoindre à la société B., sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 7ème jour suivant la signification dudit jugement, de justifier du devenir des autres montres qui lui avaient été confiées par m. AZ. et plus précisément, de préciser si elles avaient été restituées à ce dernier après remboursement du prêt ou si elles avaient été vendues aux enchères publiques et dans l'affirmative d'indiquer la date de la vente et le prix obtenu.
Aux termes de conclusions subséquemment déposées les 19 décembre 2013 et 27 février 2014, la SARL A. sollicitait également du Tribunal qu'il ordonne à la SAM B. de verser aux débats :
- la lettre adressée au Procureur Général qui a donné lieu au courrier du 22 octobre 2012,
- les justificatifs du produit de la vente de chaque montre et du montant du crédit sur gage qui restait à régler afin de vérifier l'existence d'un excédent éventuel susceptible de revenir au vendeur.
La société B. a conclu principalement au débouté des demandes de la société A. et à sa condamnation reconventionnelle au paiement d'une somme de 35.000 euros, à titre de dommages et intérêts.
Le Tribunal de première instance de Monaco, par jugement du 30 septembre 2014 régulièrement signifié le 31 octobre 2014 et non frappé d'appel, a débouté la société A. de sa demande principale en paiement de la somme de 126.400 euros, représentant la valeur des six montres demeurées en la possession de la société B. vendues aux enchères publiques le 5 décembre 2015, ordonné à ce dernier de communiquer à la société A. les justificatifs du montant des sommes versées à m. AZ. au titre des prêts sur gage et du produit des ventes de toutes les montres appartenant à la société A. et gagées par m. AZ., dans les huit jours à compter de la signification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et sursis à statuer sur les demandes principales et reconventionnelles en dommages et intérêts.
Par jugement en date du 11 juin 2015, ce Tribunal liquidait l'astreinte prononcée par le jugement du 30 septembre 2014, à la somme de 2.000 euros, pour la période du 8 novembre 2014 au 17 décembre 2014 et condamnait la société B. à payer à la société A. ladite somme. Il ordonnait le renvoi de l'affaire à l'audience du 8 juillet 2015 pour communication des pièces, objet de l'injonction du Tribunal, et conclusions des parties.
Le 8 juillet 2015, la société B. communiquait des pièces complémentaires sous les numéros 16 et 17-1 à 17-7.
Par conclusions en date du 29 octobre 2015, la société A. demandait qu'il soit pris acte de ce que la société B. avait versé aux débats dans la communication du 8 juillet 2015, des documents datant de 2008 et 2009, qu'elle était dès lors en mesure de produire en temps utile. Elle sollicitait la liquidation de l'astreinte provisoire, calculée du 17 décembre 2014 au 8 juillet 2015 et la condamnation à ce titre de la société B. au paiement de la somme de 10.500 euros (soit 50 euros par jour).
La société A. indiquait qu'aux termes de sa communication du 14 octobre 2014, la société B. avait versé des documents relatifs au résultat de la vente aux enchères du 5 décembre 2012, notamment les factures des six montres en objet mais qu'elle n'avait pas justifié du devenir des autres montres qui lui avaient été confiées et qui n'étaient plus en sa possession au moment de la commission rogatoire internationale.
Ce n'était qu'à travers de la communication du 8 juillet 2015 qu'il était démontré que ces montres avaient été restituées à m. AZ., du fait du remboursement de prêts consentis. Or, ces documents datant de 2008 ou 2009, il aurait été loisible à la société B. de les communiquer préalablement. En conséquence, la demande, résiduelle, de liquidation d'astreinte, serait justifiée.
Par d'ultimes conclusions en date du 10 décembre 2015, la société B. sollicitait qu'il lui soit donné acte de ce qu'il avait satisfait aux prescriptions des jugements des 30 septembre 2014 et 11 juin 2015, que la société A. soit déboutée de l'ensemble de ses demandes et qu'elle soit reconventionnellement condamnée au paiement d'une somme de 35.000 euros pour procédure abusive et vexatoire.
La défenderesse indiquait qu'à son sens elle avait déjà satisfait à toutes les prescriptions judiciaires par une communication de pièces du 14 octobre 2014 mais qu'en tout état de cause, sa communication du 8 juillet 2015 confirmait bien que les montres qui n'avaient pas été vendues le 5 décembre 2012 avaient été dégagées par m. AZ..
Il n'y aurait donc plus lieu de laisser subsister d'astreinte, dont celle ordonnée de 2.000 euros, qui pourrait être supprimée ou déduite du montant de 35.000 euros réclamé à titre de dommages et intérêts.
Cette dépossession des 8 autres montres, affirmée dès l'origine, justifiait à l'évidence que la société défenderesse ne pouvait connaitre de leur sort. L'action de la société A. serait donc bien abusive.
SUR QUOI :
Sur la demande principale en liquidation de l'astreinte :
Attendu qu'en l'état du caractère définitif des jugements mixtes des 30 septembre 2014 et 11 juin 2015 ce Tribunal n'est désormais plus saisi que d'une demande de liquidation d'astreinte et d'une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts ;
Attendu que si la demande principale en paiement d'une somme de 126.400 euros présentée par la société A. a été rejetée par jugement du 30 septembre 2014, force est de constater que la société demanderesse, au moment de son exploit introductif d'instance pouvait légitimement s'interroger sur le produit de la vente aux enchères du 5 décembre 2012, compte tenu de l'absence de réponse par la société B. aux courriers préalables adressés par son conseil ;
Qu'en effet, en vertu de l'article 16 du cahier des charges de la concession concernant les opérations de prêt sur gage immobilier signé le 23 novembre 1977 : « les oppositions formées à la vente des objets non dégagés n'empêcheront pas la vente sauf aux opposants à faire valoir leur droit à l'excédent qui pourrait revenir à l'emprunteur », si bien que la société A. pouvait envisager bénéficier d'un droit sur l'excédent que lui aurait dissimulé la société B. ;
Que ce n'est que par communication du 14 octobre 2014, en cours d'instance, qu'il a été démontré que les sommes dues par m. AZ. au titre des prêts sur gage afférents aux six montres citées dans l'exposé du litige s'élevaient à 69.972,39 euros et que le produit de la vente aux enchères de ces six montres s'était élevé à 66.300 euros seulement (58.700 euros pour 5 montres et une sixième adjugée à la société B. et vendue de gré à gré pour un prix de 7.600 euros) ;
Que de plus, 8 autres montres ont été remises par m. AZ. à la société B. à compter de l'année 2007, et s'il n'est nullement contesté que l'établissement défendeur n'en était plus en possession, là encore, la société A. pouvait légitimement solliciter des justificatifs de leur restitution à m. AZ. pour s'assurer que celles-ci n'avaient pas fait l'objet d'une vente et le cas échéant qu'un excédent pouvant lui revenir en était résulté ;
Attendu que la preuve de la restitution des montres par la société B. à m. AZ. ne résulte que de la communication réalisée par l'établissement défendeur le 8 juillet 2015, contenant le détail précis des prêts consentis et les dates de « dégagement » des montres, démontrant l'absence de toute vente ;
Attendu en conséquence que la société B. ne peut être considéré comme ayant valablement déféré à l'injonction de communication de pièces prononcée par le jugement du 30 septembre 2014, qu'à la date du 8 juillet 2015 ;
Qu'il ne peut être suivi quand il affirme avoir rempli ses obligations dès le 14 octobre 2014 dès lors que le conseil de la demanderesse avait donné décharge des pièces produites selon bordereau à cette date, puisqu'il ne s'agit que de la preuve de la réception de ces pièces, sans préjuger de leur valeur et de l'analyse juridique qui en serait faite par une partie ; Que surtout, le Tribunal, dans une décision non frappée de recours du 8 juin 2015 a d'ores et déjà indiqué que la communication du 14 octobre 2014 était insuffisante ;
Attendu en conséquence que la société B. n'a valablement déféré à l'injonction qui lui avait été adressée par le jugement du 30 septembre 2014 qu'à la date du 8 juillet 2015, alors même qu'aucun obstacle n'existait à la communication des pièces pertinentes, s'agissant de la description de prêts gagés, des modalités et dates de leur remboursement pour des périodes situées entre 2007 et 2009 ;
Qu'en conséquence, c'est à bon droit que la société A. sollicite la liquidation de l'astreinte, pour la période du 17 décembre 2014 au 8 juillet 2015, soit 10.150 euros (50 euros pendant 203 jours) ;
Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts :
Attendu ainsi que l'action engagée par la société A., même si la demanderesse a succombé en sa demande principale, n'est pas abusive en son principe, puisqu'elle pouvait se méprendre sur la portée de ses droits, en l'absence de toute réponse aux multiples sollicitations amiables préalables à l'introduction de la présente instance ; Qu'un abus n'est pas plus caractérisé dans la conduite procédurale de la présente instance, puisqu'au contraire au cours de la procédure la société A. était fondée à solliciter la communication des pièces indispensables à la détermination de l'étendue de ses droits ;
Qu'en conséquence la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société B. ne pourra qu'être rejetée ;
Attendu que chacune des parties succombant respectivement de quelque chef, au sens de l'article 232 du Code de procédure civile, il y a lieu d'ordonner la compensation totale des dépens ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire, et en premier ressort,
Vu les jugements rendus les 30 septembre 2014 et 11 juin 2015 ;
Liquide l'astreinte prononcée par jugement de ce Tribunal en date du 30 septembre 2014, à la somme de 10.150 euros, pour la période du 18 décembre 2014 au 8 juillet 2015 ;
Condamne la société B. à payer à la société A. la somme de 10.150 euros à ce titre ;
Déboute la société B. de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Ordonne la compensation totale des dépens ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Patricia HOARAU, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 14 AVRIL 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.