Tribunal de première instance, 17 mars 2016, Madame sa. CA. c/ Monsieur th. CA.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure civile - Article 324 du Code de procédure civile - Conditions de validité des attestations -Minorité - Droit de garde - Union libre - Père monégasque - Mère de nationalité suédoise - Accord entre les parties - Retour de l'enfant en Suède (non) - Violation de son droit de garde de la mère (non) - Intérêt de l'enfant

Résumé🔗

Un certificat de scolarité ne constitue pas une attestation de témoin au sens de l'article 324 du Code de procédure civile. Il n'est donc pas nécessaire qu'il respecte les conditions prescrites par ce texte à peine de nullité. En revanche, les témoignages de l'assistante sociale et de la cheffe de service du « Centre pour femmes en crise » de Göteborg relatant des faits destinés à venir au soutien des allégations de la mère de l'enfant doivent respecter ses dispositions. Or, ils ne mentionnent pas tous les éléments d'identification des témoins, ne précisent pas qu'ils sont établis en vue de leur production en justice et ne sont pas accompagnés d'une pièce d'identité de leur auteur. Ils sont donc déclarés nuls et écartés des débats. Il en va de même pour l'attestation de moralité établie par l'ancien employeur de la mère dès lors qu'elle ne mentionne pas avoir été établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait à des sanctions pénales. Il n'y a toutefois pas lieu d'écarter la dernière attestation critiquée, initialement rédigée en suédois, mais ensuite traduite en langue française.

Le père, de nationalité monégasque, et la mère, de nationalité suédoise, s'opposent sur le droit de garde de leur enfant mineur. Une décision définitive du juge tutélaire de Monaco avait fixé chez le père la résidence habituelle de l'enfant et organisé un mode de résidence alterné. Il a également expressément interdit à la mère de s'établir avec l'enfant en Suède et de le déplacer sans l'accord exprès du père. Immédiatement après, les parties ont conclu un accord suspendant provisoirement cette décision.

L'examen des termes de cet accord, signé des deux parents, démontre qu'ils n'ont pas entendu transférer durablement la résidence habituelle de l'enfant en Suède et que leur commune intention était de permettre à l'enfant de vivre provisoirement dans le pays d'origine de sa mère, afin d'en découvrir la culture et la langue, d'y créer des attaches, avant son retour en Principauté et sa scolarisation à l'école élémentaire. Cet accord provisoire n'a pas modifié la résidence habituelle de l'enfant, fixée judiciairement à Monaco. La mère se trouve ainsi mal fondée à invoquer une violation de son droit de garde, au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et elle ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant à voir ordonner le retour de l'enfant en Suède.

Le Tribunal relève que le père a ramené l'enfant de Suède en totale contradiction avec l'intérêt de l'enfant et au mépris des prérogatives de la mère. Ce comportement s'inscrit dans un contexte de dysfonctionnement parental dans lequel les parties méconnaissent les décisions de justice prises dans l'intérêt de l'enfant en alternant accords transactionnels et « coups de force ». Une telle attitude est parfaitement préjudiciable à l'intérêt de l'enfant, âgé de sept ans, qui ne s'est pas vu offrir la nécessaire stabilité que ses parents sont pourtant tenus de lui garantir.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

JUGEMENT DU 17 MARS 2016

En la cause de :

  • Madame sa. CA., née le 23 septembre 1977 à Fassberg (Suède), de nationalité suédoise, domiciliée à Kobbegarden X (Suède) ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • Monsieur th. CA., né le 16 mars 1974 à Monaco, de nationalité monégasque, domicilié X1 à Monaco ;

DÉFENDEUR ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et substituée pour les plaidoiries par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur en cette même Cour ;

d'autre part ;

En présence de :

  • M. le Procureur Général près la Cour d'appel de Monaco, élisant domicile en son Parquet, Palais de Justice, audit Monaco, rue Colonel Bellando de Castro ;

PARTIE JOINTE, à qui la procédure a été communiquée en application des dispositions de l'article 184 du code de procédure civile ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 23 décembre 2016, enregistré (n° 2016/000269) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de th. CA., en date du 21 janvier 2016 ;

Vu les conclusions du Ministère public, en date du 3 février 2016 ;

À l'audience du 11 février 2016, tenue hors la présence du public, les conseil des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, le Ministère public en ses observations et à l'issue de laquelle le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé le 14 avril 2016 et prononcé par anticipation ce jour le 17 mars 2016, les parties ayant été avisées par le Président ;

EXPOSÉ DU LITIGE :

De l'union libre entre th. CA., ressortissant monégasque, et sa. CA., ressortissante suédoise, est issu l'enfant :

lo. CA., né à Monaco, le 17 mars 2009.

Le couple a vécu à Monaco et s'est séparé courant 2011.

Saisi par sa. CA. d'une requête tendant à se voir autorisée à retourner vivre en Suède avec l'enfant commun, le Juge tutélaire de ce siège a, par ordonnance du 21 avril 2011 :

  • - ordonné avant dire droit une enquête sociale et l'examen psychiatrique des deux parents ;

  • - provisoirement fixé chez la mère la résidence habituelle de l'enfant, avec interdiction de lui faire quitter le territoire monégasque sans l'accord du père ;

  • - accordé au père un droit de visite diurne les mercredis et fins de semaine ;

  • - fixé à 500 euros la contribution mensuelle du père à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

Saisi à nouveau par th. CA., le Juge tutélaire a, par décision du 30 mai 2011, ordonné la remise du passeport de l'enfant auprès de la Sûreté publique et dit que les parties ne pourraient le retirer qu'avec l'autorisation écrite expresse de l'autre parent.

Suite au dépôt des rapports d'enquête sociale et d'expertise psychiatrique, le Juge tutélaire a, par ordonnance du 16 avril 2012 :

  • - refusé d'homologuer l'accord de médiation aux termes duquel les parents avaient convenu d'un mode de résidence alterné par quinzaines entre Monaco et la Suède ;

  • - fixé chez le père la résidence habituelle de l'enfant ;

  • - accordé à la mère un droit de visite et d'hébergement s'exerçant une semaine sur deux, du vendredi 18h au vendredi suivant 18 h ;

  • - fait interdiction à la mère de s'établir avec l'enfant en Suède et de le déplacer sans l'accord exprès du père ;

  • - fixé à 500 euros la contribution mensuelle du père à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

Par suite d'un accord amiable intervenu postérieurement entre les parties, sa. CA. est retournée s'établir en Suède, avec l'enfant lo., qu'elle y a scolarisé.

En août 2015, à l'occasion d'une visite rendue à son fils en Suède, th. CA. a ramené celui-ci à Monaco et l'y a scolarisé jusqu'à ce jour.

En application des dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, sa. CA. a, par l'intermédiaire des autorités suédoises, saisi l'Autorité centrale monégasque, en la personne du Directeur des Services judiciaires, d'une demande de retour de l'enfant.

Par courrier du 27 octobre 2015, le Directeur des Services judiciaires de la Principauté de Monaco a rejeté la demande, considérant que le caractère illicite du déplacement de l'enfant lo. CA. n'était pas établi.

Parallèlement, th. CA. a, par requête du 6 octobre 2015, saisi le Juge tutélaire de ce siège afin de solliciter l'attribution à son profit de l'exercice exclusif de l'autorité parentale, l'octroi à la mère d'un droit de visite ne devant s'exercer que sur le territoire monégasque et la suppression de sa contribution à l'entretien et à l'éducation.

Reconventionnellement, sa. CA. a formé une demande de retour de l'enfant en application de la convention susmentionnée.

Par ordonnance du 17 décembre 2015, le Juge tutélaire s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de première instance.

Par exploit d'huissier délivré le 23 décembre 2015, sa. CA. a fait assigner th. CA. devant le Tribunal de première instance au visa de l'article 168 du code de procédure civile.

En application des dispositions des Conventions de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, elle demande au tribunal d'ordonner la remise de l'enfant lo. CA. à sa mère ou à toute personne digne de confiance en vue de son retour immédiat en Suède, sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Elle fait valoir que :

  • - en application des conventions internationales susmentionnées, le déplacement d'un enfant est illicite à la double condition qu'il constitue une violation du droit de garde et que ce droit de garde soit exercé de manière effective ;

  • - au sens de ces textes, le droit de garde est le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence, de sorte qu'un parent est réputé titulaire d'un « droit de garde » dès lors qu'il a le droit de s'opposer au changement de résidence de l'enfant ;

  • - en France, la jurisprudence de la Cour de Cassation définit la notion de résidence habituelle comme étant « le lieu où l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » ;

  • - en l'espèce, malgré la décision du Juge tutélaire ayant fixé chez le père la résidence habituelle de l'enfant, les parties ont amiablement convenu que la résidence effective de lo. serait établie chez sa mère, en Suède ;

  • - c'est ainsi que par attestation du 19 mars 2012, th. CA. a certifié que l'enfant résidait régulièrement avec sa mère sur le territoire suédois ;

  • - par une attestation postérieure du 15 mai 2012, il a réitéré son accord et autorisé sa. CA. à s'établir à Göteborg en Suède avec leur fils, pour une période de deux ans, un retour définitif à Monaco étant prévu en août 2014 ;

  • - cet accord, initialement d'une durée déterminée, a été renouvelé de manière indéterminée jusqu'à l'enlèvement de l'enfant en août 2015 ;

  • - il en résulte que la situation de droit résultant de la fixation judiciaire de la résidence de lo. chez son père a Monaco s'est trouvée modifiée par des éléments factuels dont il convient de tirer les conséquences ;

  • - c'est avec une mauvaise foi caractérisée que th. CA. tente de fonder son refus du retour de l'enfant sur une ordonnance du Juge tutélaire qu'il a lui-même refusé d'appliquer durant trois ans et demi ;

  • - contrairement à ce qui est allégué en défense, lo., alors âgé de six ans, n'a pu que vivre comme un « arrachement » son brusque déplacement dans un autre pays après avoir passé trois ans et demi aux côtés de sa mère en Suède ;

  • - en exigeant, pour caractériser le déplacement illicite, que le droit de garde doive être exercée de manière effective, la Convention de La Haye implique que la résidence de fait doit primer sur la résidence de droit ;

  • - en l'espèce, au moment du déplacement de l'enfant, le parent gardien qui s'en occupait réellement et lui donnait les soins était sa mère ;

  • - th. CA. avait consenti à cet état de fait, en contribuant à l'installation en Suède de la mère et de l'enfant et en rendant visite à son fils sur place à plusieurs reprises ;

  • - pendant ces années passées en Suède, l'enfant s'est épanoui, a tissé des liens avec sa famille maternelle, s'est fait des amis et a continué à pratiquer sa langue maternelle dans une école française en Suède ;

il en résulte que l'installation de lo. en Suède n'était ni temporaire ni occasionnelle mais s'inscrivait dans la durée et traduisait une intégration dans un environnement social et familial, ce qui caractérise la résidence habituelle au sens de la Convention de La Haye ;

  • - en procédant unilatéralement à un déplacement de l'enfant depuis la Suède vers Monaco, th. CA. a violé le droit de garde dont est titulaire sa. CA. et qu'elle exerçait effectivement, caractérisant ainsi le déplacement illicite qu'il convient de faire cesser en ordonnant le retour de lo. auprès de sa mère en Suède ;

  • - contrairement à ce qui est allégué en défense, le retour de l'enfant ne l'exposerait aucunement à une situation de danger ;

  • - c'est ainsi que le docteur BENICHOU, expert psychiatre commis par le Juge tutélaire pour procéder à l'examen des parents, n'a pas constaté chez la mère « d'inaptitude patente à assurer l'éducation de l'enfant » mais a, en revanche, relevé que le père présentait un « équilibre psychologique fragilisé par une problématique borderline », ainsi qu'une « certaine immaturité » ;

  • - par les attestations qu'elle verse aux débats, sa. CA. démontre qu'elle est une bonne mère et que son fils lo. était parfaitement épanoui et heureux à ses côtés en Suède ;

  • - elle rapporte par ailleurs la preuve de ce que th. CA. a, pour sa part, adopté une attitude irresponsable et dangereuse, en ce qu'il n'a cessé de la harceler, au point qu'elle a fait appel aux services sociaux suédois qui l'ont prise en charge, fin 2015, dans un centre d'accueil pour « femmes en crise » à Göteborg.

En défense, th. CA. demande le rejet des pièces adverses n° :

  • - 11, 21, 23 et 27, s'agissant d'attestations ne respectant pas les conditions prévues à peine de nullité par l'article 324 du code de procédure civile ;

  • - 25, s'agissant d'un document non traduit en langue française.

  • Sur le fond, il conclut au rejet des prétentions adverses, en soutenant que :

  • - la partie demanderesse procède à une lecture de mauvaise foi des accords intervenus entre les parties ;

  • - c'est ainsi que l'acte sous seing privé du 15 mai 2012 stipule que th. CA. autorise sa. CA. à s'établir en Suède avec lo., pour une période de deux ans, avec retour définitif de l'enfant à Monaco en août 2014, pour la rentrée scolaire ;

  • - ce même acte prévoit qu'en contrepartie de l'autorisation ainsi consentie, sa. CA. reconnait la compétence de la juridiction monégasque et l'ordonnance du 16 avril 2012, dont elle renonce à interjeter appel ;

  • - du reste, au moment de la signature de cet accord, th. CA. et sa. CA. étaient de nouveau en couple, et tentaient de reprendre une vie familiale, ainsi qu'en atteste un témoin (pièce n° 9) ;

  • - il en résulte que la présence de lo. en Suède n'avait, d'un commun accord entre les parties, qu'un caractère provisoire et que l'application de l'accord susmentionné n'a pas modifié le droit de garde ni la résidence habituelle de lo., judiciairement fixée chez son père ;

  • - d'ailleurs, lorsque th. CA. a réalisé que sa. CA. n'entendait plus respecter les termes de leur accord, il a déposé plainte pour non-présentation d'enfant (pièce n° 6) ;

  • - bien plus, les parties ont régularisé auprès de la Direction de l'Education Nationale de la Principauté de Monaco une demande de dérogation scolaire aux fins d'inscrire lo. à l'école de Fontvieille pour la rentrée scolaire 2015 ;

  • - le 13 novembre 2015, sa. CA. a elle-même proposé à th. CA. de s'établir à Monaco et d'opter pour un mode de résidence alterné de l'enfant (pièce n° 4) ;

  • - c'est à tort qu'elle soutient que l'enfant aurait le centre permanent et habituel de ses intérêts en Suède ; en réalité, lo. a toujours vécu entre la Suède et Monaco, effectuant des allers-retours réguliers ;

  • - c'est ainsi qu'il n'a pas vécu son déplacement vers Monaco comme un arrachement et qu'il y est parfaitement épanoui, ainsi qu'en attestent plusieurs personnes de son entourage actuel ;

  • - ainsi qu'en attestent le rapport d'enquête sociale du 27 juillet 2011, l'ordonnance du juge tutélaire du 16 avril 2012 et les attestations versées aux débats, th. CA. entretient avec son fils une relation saine et aimante et ne présente aucun danger pour lui ;

  • - au contraire, reproduisant ainsi le scénario de sa propre histoire familiale, sa. CA. met tout en oeuvre pour couper le lien père-enfant, en ne respectant pas ses propres engagements ;

  • - enfin, son mode de vie constitue un danger pour l'enfant, en ce qu'il ressort des échanges entre th. CA. et des proches de sa. CA. que cette dernière fume, consomme des stupéfiants et fréquente un individu précédemment incarcéré « dans une affaire de drogue » ;

  • - au vu de ces éléments, il convient subsidiairement, dans l'hypothèse où le caractère illicite du déplacement serait retenu, de faire application de l'article 13 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 qui prévoit que :

« l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant lorsque la personne (¿) qui s'oppose au retour établit qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. »

En tant que de besoin, th. CA. suggère que le Tribunal ordonne une enquête sociale.

En tout état de cause, il sollicite l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Le Ministère public conclut au rejet de la demande de retour de l'enfant, au motif que le déplacement litigieux ne saurait être considéré comme illicite au sens des conventions internationales susmentionnées, en ce que :

  • - suivant ordonnance du juge tutélaire du 16 avril 2012, la résidence habituelle de lo. a été fixée au domicile du père à Monaco ;

  • - l'accord intervenu entre les parents le 15 mai 2012 a été conclu pour une durée déterminée jusqu'en août 2014 et s'est ensuite prolongé tacitement ;

  • - les parents ont matérialisé leur volonté commune de se conformer à leur accord et à la décision judiciaire du 16 avril 2012 en établissant un formulaire d'inscription de l'enfant à l'école de Fontvieille pour l'année scolaire 2015-2016 ;

  • - il en ressort que le déplacement de lo. en Suède n'était que temporaire selon la volonté des parents, de sorte qu'il ne saurait s'analyser en un changement d'attribution du droit de garde et de la résidence habituelle de l'enfant, tels que fixés judiciairement ;

  • - sa. CA. ne disposant pas du droit de garde sur l'enfant, les conditions de mise en ¿uvre de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ne sont pas réunies en l'espèce.

À l'audience du 11 février 2016, le conseil de sa. CA. a entendu répliquer oralement à la demande adverse de rejet de pièces.

L'affaire a été mise en délibéré à la date du 14 avril 2016, laquelle a répliqué au 17 mars 2016, selon avis donné aux parties par le greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

  • Sur la demande de rejet de pièces :

  • Pièce n° 11 :

Il s'agit d'un certificat de scolarité relatif à l'enfant lo., établi par la directrice de l'école Tröllangskolan de Göteborg et non d'une attestation de témoin au sens de l'article 324 du code de procédure civile, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que le document critiqué respecte les conditions prescrites par ce texte à peine de nullité.

Il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats.

  • Pièces n° 23 et 27 :

Il en va autrement des pièces n° 23 et 27, par lesquelles l'assistante sociale et la chef de service du « Centre pour femmes en crise » de Göteborg témoignent des conditions dans lesquelles sa. CA. a été prise en charge par les services sociaux.

Ces deux témoignages, au demeurant univoques au bénéfice de la partie demanderesse, relatent des faits destinés à venir au soutien des allégations de sa. CA. et doivent en conséquence respecter les prescriptions de l'article 324 du code de procédure civile.

Tel n'est pas le cas, en ce qu'ils ne mentionnent pas tous les éléments d'identification des témoins, ne précisent pas qu'ils sont établis en vue de leur production en justice et ne sont pas accompagnés d'une pièce d'identité de leur auteur.

Ils ne pourront donc qu'être déclarés nuls et écartés des débats.

  • Pièce n° 21 :

Cette attestation de moralité établie par l'ancien employeur de sa. CA. en Suède a été partiellement régularisée en pièce 21 bis, par l'ajout d'une copie de la pièce d'identité de son auteur et de sa signature.

Il y manque cependant la mention selon laquelle elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait à des sanctions pénales.

Elle encourt donc la nullité de ce chef et sera également écartée des débats.

  • Pièce n° 25 :

Cette attestation, initialement communiquée en suédois a ensuite fait l'objet d'une traduction en langue française, de sorte qu'elle peut être accueillie aux débats.

  • Sur le fond :

Aux termes des Conventions de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux « aspects civils de l'enlèvement international d'enfants » (article 3) et du 19 octobre 1996 concernant « la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants » (article 7, 2°), auxquelles la Principauté de Monaco et la Suède sont toutes deux parties :

« Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite :

lorsqu'il y a eu violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels évènements n'étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. »

L'article 5 de la Convention du 25 octobre 1980 précise que « le droit de garde » comprend « le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ».

Le présent litige porte sur la détermination du droit de garde dont chacun des parents prétend avoir été le titulaire immédiatement avant le déplacement de l'enfant lo. en août 2015, étant précisé que le caractère unilatéral de ce déplacement n'est pas contesté, th. CA. ayant ramené l'enfant à son domicile à Monaco, à l'insu de la mère, à l'occasion d'une visite qu'il rendait alors à son fils en Suède.

S'opposant sur le caractère licite ou illicite du déplacement litigieux, chacune des parties revendique le fait que la résidence habituelle de l'enfant commun se trouvait, soit en droit, soit en fait, fixée à son domicile.

Il est admis en jurisprudence que le droit de garde dont la violation est invoquée par le demandeur au retour peut aussi bien résulter d'une décision de justice ou d'une attribution de plein droit que d'un accord homologué par le juge ou d'un accord purement privé, même tacite.

En l'espèce, les parties sont en l'état d'une décision du Juge tutélaire de ce siège - définitive, en ce que sa. CA. s'est désistée de l'appel qu'elle en avait interjeté - ayant fixé chez le père la résidence habituelle de l'enfant, tout en organisant un mode de résidence alterné, et ayant expressément interdit à la mère de s'établir avec l'enfant en Suède et de le déplacer sans l'accord exprès du père.

Immédiatement après, les parties ont entendu suspendre provisoirement les effets de cette décision, par l'accord qu'elles ont conclu le 15 mai 2012 (pièce en demande n° 6).

L'examen des termes de cet accord, signé des deux parents, démontre qu'ils n'ont pas entendu transférer durablement la résidence habituelle de l'enfant en Suède.

C'est ainsi qu'il y est stipulé que :

  • - th. CA. autorise sa. CA. à s'établir en Suède à Göteborg avec l'enfant commun lo. « pour une période de deux ans à compter de ce jour », « un retour définitif à Monaco étant prévu en août 2014 pour la rentrée scolaire 2014 » ;

  • - en contrepartie de cette autorisation, sa. CA. prend les engagements suivants :

    • envoyer l'enfant à Monaco chez son père à l'occasion des vacances scolaires suédoises, sauf les vacances de Noël et d'été à partager par moitié ;

    • elle « reconnaît la compétence du tribunal de Monaco dans cette procédure et reconnaît le jugement du 16 avril 2012 de ce même tribunal » ;

    • th. CA. « a toute liberté de venir en Suède lorsqu'il a le désir de voir son fils » ;

    • sa. CA. se rendra « à Monaco une semaine toutes les cinq semaines ».

Il en ressort qu'en plus d'être limité dans le temps, cet accord prévoit expressément l'acceptation par les deux parents des dispositions de l'ordonnance du 16 avril 2012.

Bien plus, l'accord se conclut ainsi :

« Cette décision, qui m'appartient, est faite car je considère que lo. doit avoir une connaissance de son pays d'origine et du suédois afin de pouvoir communiquer avec sa famille maternelle et qu'il est important qu'il le fasse avant de commencer son cursus scolaire qu'il serait contraignant de couper plus tard. »

C'est dire que la commune intention des parties était de permettre à lo. de vivre provisoirement dans le pays d'origine de sa mère, afin d'en découvrir la culture et la langue, d'y créer des attaches, avant son retour en Principauté et sa scolarisation à l'école élémentaire.

À cet égard, le seul fait que th. CA. ait tacitement accepté que l'enfant demeure en Suède pour une année supplémentaire, en ne réclamant pas son retour dès le mois d'août 2014, ne suffit pas, à lui seul à caractériser une quelconque renonciation aux droits qu'il détenait en application de l'Ordonnance du 16 avril 2012.

Au contraire, la commune intention des parties de faire revenir l'enfant à Monaco pour y être scolarisé résulte de la demande conjointe de dérogation scolaire qu'ils ont tous deux signée et transmise le 24 février 2015 à la Direction de l'Éducation Nationale de la Principauté (pièce en défense n° 5).

Aucun motif ne peut justifier le fait que sa. CA. ait accepté de signer ce document, destiné à l'inscription de lo. à l'école de Fontvieille, si elle n'avait pas l'intention de se conformer à l'accord du 15 mai 2012.

Elle ne démontre ni même n'allègue y avoir été contrainte pas plus qu'elle n'a été contrainte de conclure l'accord susmentionné.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la résidence habituelle de l'enfant, judiciairement fixée à Monaco chez son père, n'a pas été modifiée par l'accord postérieur des parties, de sorte que sa. CA. se trouve mal fondée à invoquer une violation de son droit de garde, au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980.

Elle ne pourra en conséquence qu'être déboutée de sa demande tendant à voir ordonner le retour de lo. en Suède, et ce sans préjudice de toute demande qu'elle pourrait par ailleurs former auprès du Juge tutélaire, seul compétent pour statuer sur les mesures relatives à l'autorité parentale.

À cet égard, le tribunal entend relever que bien que non qualifié d'illicite au sens juridique, le déplacement intervenu en août 2015, à l'initiative de th. CA. l'a été en totale contradiction avec l'intérêt de l'enfant et au mépris des prérogatives de la mère.

Il s'inscrit dans un contexte de dysfonctionnement parental, au sein duquel sa. CA. et th. CA. méconnaissent les décisions de justice prises dans l'intérêt de lo., en alternant, au gré de leurs ruptures et réconciliations successives, accords transactionnels et « coups de force ».

Une telle attitude est parfaitement préjudiciable à l'intérêt de lo., qui âgé de seulement sept ans, ne s'est pas vu offrir la nécessaire stabilité que ses parents sont pourtant tenus de lui garantir.

  • Sur l'exécution provisoire :

La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 prévoyant, en son article 2, que la demande de retour doit être traitée en urgence, il convient d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

  • Sur les dépens :

Compte tenu de la nature familiale du présent litige, il sera ordonné la compensation totale des dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,

Écarte des débats les pièces n° 21, 23 et 27 communiquées par sa. CA. ;

Déboute sa. CA. de sa demande de retour de l'enfant lo. CA., né à Monaco, le 17 mars 2009 sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux aspects civils de l'enlèvement international d'enfants ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Ordonne la compensation totale des dépens ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Patricia HOARAU, Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 17 MARS 2016, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF