Tribunal de première instance, 3 mars 2016, s., i., Véronique DU. c/ La société A. et autres

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Responsabilité civile - Responsabilité médicale - Intervention chirurgicale - Complications - Faute (non) - Soins conformes aux données acquises de la science médicale - Aléa thérapeutique

Résumé🔗

La demanderesse, porteuse depuis l'enfance d'une cardiopathie congénitale opérée à plusieurs reprises, a subi une opération de chirurgie cardiaque à la suite de laquelle elle a connu des complications. Souffrant d'une absence de communication verbale totale, d'une tétraplégie prédominant sur l'hémicorps gauche, de troubles oropharyngés obligeant à une alimentation par sonde gastrique et de mouvements extrêmement réduits sur le côté droit du corps, elle recherche la responsabilité du Centre Cardio Thoracique de Monaco et des médecins l'ayant opérée qui auraient commis une faute dans sa prise en charge et pendant l'acte chirurgical. Cependant, l'expert judiciaire a conclu que l'intervention cardiaque s'était compliquée d'une embolie gazeuse survenue malgré le respect de toutes les précautions opératoires et en l'absence de toute faute ou négligence. Il a également conclu que l'analyse technique des soins donnés à la demanderesse n'a pas permis de mettre en évidence de faute ou de négligence de l'équipe chirurgicale ni avant, ni pendant, ni après l'intervention en cause, ces soins étant conformes aux données acquises de la science médicale. Enfin, il affirme que les lésions neurologiques post-opératoires entrent dans le cadre exact de l'aléa thérapeutique, à savoir des complications connues et identifiées. En conséquence, en l'absence de toute faute imputable aux défendeurs, il convient de débouter la demanderesse de ses demandes.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2014/000489 (assignation du 20 mars 2014)

N° 2014/000671 (assignation du 20 juin 2014)

JUGEMENT DU 3 MARS 2016

En la cause n° 2014/000489 du 20 mars 2014 :

  • s., i., Véronique DU., née le 2 octobre 1970 à La Ferte Mace, de nationalité française, domiciliée chez Mme j. DU., X3, 06410 Biot, France ;

Représentée par ses cotuteurs, M. Jérôme DU., demeurant X 06410 Biot, et Mme Séverine DU., demeurant boutique Les Thes DU. X 06400 Cannes, désignés en cette qualité, en remplacement de Mme j. DU. décédée, par Ordonnance du Juge des Tutelles d'Antibes en date du 9 décembre 2014 ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP LAVISSE BOUAMRIRENE, avocats au Barreau d'Orléans ;

d'une part ;

Contre :

  • La société A., Société Anonyme au capital de 4.000.000 euros, inscrite au Registre du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° X, dont le siège est sis audit Monaco, X1, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • Françoise MO. DO., Anesthésiste, demeurant en cette qualité à la société A. sis à Monaco X1;

  • ja. QU., Chirurgien, demeurant en cette qualité à la société A. sis à Monaco, X1 ;

DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Silvana ORTIZ, avocat au Barreau de Nice ;

  • r. GO., Neurologue, domicilié X2, 06000 Nice, France ;

DÉFENDEUR, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Hervé ZUELGARAY, avocat au Barreau de Nice ;

d'autre part ;

En la cause n° 2014/000671 du 20 juin 2014 :

  • s., i., Véronique DU., née le 2 octobre 1970 à La Ferte Mace, de nationalité française, domiciliée chez Mme j. DU., X3, 06410 Biot, France ;

Représentée par ses co-tuteurs, M. Jérôme DU., demeurant X 06410 Biot, et Mme Séverine DU., demeurant boutique Les Thes DU. X 06400 Cannes, désignés en cette qualité, en remplacement de Mme j. DU. décédée, par Ordonnance du Juge des Tutelles d'Antibes en date du 9 décembre 2014 ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP LAVISSE BOUAMRIRENE, avocats au Barreau d'Orléans ;

d'une part ;

Contre :

  • Françoise MO. DO., Anesthésiste, domiciliée X à Monaco ;

  • ja. QU., Chirurgien Cardio-Pédiatrique au NEW-YORK PRESBYTERIAN MORGAN STANLEY CHILDREN'S HOSPITAL, y domicilié X, New-York, NY, 10032 ÉTAT-UNIS ;

DÉFENDEURS ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Silvana ORTIZ, avocat au Barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 20 février 2014, enregistré (n° 2014/000489) ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 20 juin 2014, enregistré (n° 2014/000671) ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, aux noms de société A., Françoise MO. DO. et de ja. QU. en date des 14 mai 2014, 12 novembre 2014 et du 10 juin 2015;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de r. GO., en date des 26 juin 2014 et du 13 mai 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de s., i., Véronique DU., en date du 19 mars 2014;

À l'audience publique du 7 janvier 2016, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 3 mars 2016 ;

FAITS ET PROCÉDURE

Le 21 février 2009, s. DU. était accueillie à la société A. afin d'y subir une opération de chirurgie cardiaque programmée le 23 février 2009.

Étant porteuse depuis l'enfance d'une cardiopathie congénitale opérée à plusieurs reprises, elle devait subir un remplacement valvulaire aortique selon la technique dite de Ross, consistant en la réimplantation d'artères coronaires. s. DU. avait également des antécédents de narcolepsie et d'épilepsie, troubles pour lesquels elle était sous traitement.

Le 23 février 2009, s. DU. connaissait des complications post opératoires, à savoir un réveil avec syndrome épileptique convulsif et constitution d'une hémiplégie gauche massive.

Le 3 avril 2009, elle était transférée vers la clinique médicale de Vence « les cadrans solaires » pour bénéficier d'une prise en charge neurologique et kinésithérapique.

Son état neurologique ne s'est pas modifié. Elle souffre d'une absence de communication verbale totale, d'une tétraplégie prédominant sur l'hémicorps gauche et de troubles oropharyngés obligeant à une alimentation par sonde gastrique. Ces mouvements sont en outre extrêmement réduits sur le côté droit du corps.

Le 24 mai 2009, elle était hospitalisée au centre hospitalier universitaire de Nice l'Archet 2 dans l'unité de soins des cérébrolésés.

Depuis le mois d'avril 2010, s. DU. vit chez sa mère, j. DU., qui a été désignée en qualité de tutrice de sa fille depuis le 23 septembre 2009.

Par exploit du 13 février 2012, s. DU. représentée par sa tutrice a assigné en référé la société A. afin d'obtenir l'organisation d'une mesure d'expertise médicale et l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 15.000 euros.

Par ordonnance du 19 septembre 2012, le juge des référés a ordonné l'expertise médicale de s. DU., désigné à cet effet le Docteur Laurent INGLEZAKIS, neurologue et rejeté la demande de provision.

Suivant ordonnance en date du 14 mars 2013, le juge chargé des opérations d'expertise a autorisé le Docteur INGLEZAKIS à s'adjoindre le Professeur Jean-François OBADIA en qualité de sapiteur en chirurgie cardiaque et accordé à l'expert un délai supplémentaire pour déposer son rapport au 30 janvier 2014. Ce délai a été à nouveau prorogé par ordonnance du 4 février 2014 jusqu'au 30 mars 2014.

Le 20 février 2014, la demanderesse a sollicité du juge des référés qu'il déclare commune aux docteurs MO., QU. et GO. les opérations d'expertise. Le juge des référés a rejeté cette demande par ordonnance en date du 26 novembre 2014 au motif que le rapport avait déjà été déposé.

Parallèlement une procédure a été diligentée devant le tribunal de grande instance de Nice tendant à voir déclarer les opérations d'expertise du docteur INGLEZAKIS communes au docteur GO. ou à voir désigner à nouveau ce même expert. Suivant ordonnance en date du 29 juillet 2014, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Nice a rejeté la demande à cette fin formée par s. DU..

Par acte d'huissier en date du 20 février 2014, s. DU. représentée par sa tutrice j. DU., a assigné la société A., le Docteur MO. DO., le Docteur ja. QU. et le Docteur r. GO. aux fins de voir dire qu'ils ont commis une faute dans la prise en charge pré et / ou post opératoire et / ou pendant l'acte chirurgical effectué et d'obtenir leur condamnation in solidum au paiement d'une somme de 400.000 euros en réparation de ses préjudices à parfaire au vu du rapport d'expertise à venir, outre 50.000 euros à titre de provision.

Cette procédure a été enrôlée au greffe sous le n° 2014/000489.

Le 4 mars 2014, l'expert judiciaire transmettait son pré-rapport aux parties, puis déposait son rapport d'expertise le 3 avril 2014 (réception au greffe le 8 avril 2014) aux termes duquel il concluait ainsi :

  • l'analyse technique des soins donnés à s. DU. constitue l'essentiel des rapports de l'expert et du sapiteur. Ceux-ci n'ont retrouvé aucune faute de négligence dans ces soins, avant, pendant et après l'intervention du 23 février 2009. Ces soins étaient conformes aux données acquises de la science médicale,

  • avant l'intervention, s. DU. suivait un traitement antiépileptique qui lui a été donné jusqu'à la veille incluse de l'intervention. Cet antécédent est étranger à tous les évènements survenus au cours et après l'intervention chirurgicale,

  • les lésions neurologiques post-opératoires entrent dans le cadre exact de l'aléa thérapeutique : survenue de complications connues et identifiées, et ce en dépit du respect de toutes les précautions recommandées et de l'expérience de l'équipe chirurgicale.

Suivant acte du 20 juin 2014, l'assignation du 20 février 2014 a été dénoncée au Docteur MO. DO. et au Docteur ja. QU. qui n'avaient pu être touchés par la première citation, ces derniers n'exerçant plus à la société A..

La procédure a été enrôlée au greffe sous le n° 2014/000671.

Suivant ordonnance rendue le 9 décembre 2014 par le Juge des Tutelles d'Antibes, Jérôme DU. et Séverine DU., ont été désignés en qualité de cotuteurs de leur sœur s. DU. en remplacement de leur mère j. DU. décédée le 19 novembre 2014.

Par conclusions en date du 19 mars 2015, s. DU. représentée par ses cotuteurs, demande au tribunal :

À titre principal :

  • d'ordonner avant dire droit la réouverture des opérations d'expertise au contradictoire de toutes les parties en cause à savoir la société A., le Docteur MO. DO., le Docteur ja. QU. et le docteur GO. afin que l'expert, avec le concours de son sapiteur, justifie de ce que la technique de purge des cavités a été correctement exécutée par le chirurgien l'ayant opérée ;

À titre subsidiaire :

  • - ordonner la nullité du rapport d'expertise versé aux débats eu égard à la violation manifeste du principe du contradictoire,

  • - désigner un nouvel expert et lui confier la mission précédemment confiée à l'expert INGLEZAKIS,

  • - dire que cette nouvelle expertise aura lieu au contradictoire de toutes les parties en la cause ;

À titre éminemment subsidiaire :

  • condamner la société A., le Docteur MO. DO., le Docteur ja. QU. et le Docteur r. GO. à lui payer la somme de 50.000 euros à titre d'indemnité provisionnelle dans l'hypothèse où un jugement avant dire droit ordonnant le sursis à statuer serait rendu dans l'attente du rapport d'expertise à venir ;

La demanderesse soutient :

  • - que l'expert judiciaire a violé le principe du contradictoire, en déposant son rapport dans des circonstances confuses et précipitées,

  • - qu'à la suite du pré-rapport qui lui a été adressé le 4 mars 2014, elle lui avait adressé un dire lui rappelant qu'il avait omis d'étudier l'incidence de ses antécédents de narcolepsie, seul élément qu'elle pouvait mettre en avant sans l'aide de conseils médicaux,

  • - qu'elle lui avait également adressé une télécopie le 26 mars 2014 sollicitant une prolongation de délai afin de disposer du temps nécessaire à la réponse aux conclusions en prenant l'avis de médecins spécialistes ; qu'une procédure était en cours devant le juge des référés afin d'étendre les opérations d'expertise aux médecins concernés,

  • - que le docteur INGLEZAKIS a pourtant déposé son rapport définitif de manière abrupte et déloyale sans soumettre aux parties sa réponse à son dire,

  • - que ce rapport comporte des imprécisions,

  • - qu'en effet si le docteur INGLEZAKIS et son sapiteur en chirurgie cardiaque le docteur OBADIA, indiquent que les causes des complications post-opératoires qu'elle a subies sont dues à une embolie gazeuse causée par des bulles d'air s'étant introduites dans la circulation artérielle lors de la remise en charge du cœur, aucun d'entre eux n'explique clairement en quoi consiste la technique des purges des cavités ni si cette technique a en l'espèce été correctement exécutée par le chirurgien l'ayant opérée,

  • - que l'expert ne peut donc affirmer qu'aucune faute de négligence n'a été commise par le chirurgien ;

Par conclusions en date du 10 juin 2015, la société A. demande au tribunal d'homologuer le rapport du docteur INGLEZAKIS en date du 3 avril 2014 et de débouter s. DU. de l'ensemble de ses demandes.

Il fait valoir :

  • - que s. DU. ne démontre nullement un manquement de l'expert permettant de solliciter la réouverture des opérations d'expertise ou de prononcer la nullité du rapport,

  • - que l'expert judiciaire a répondu de manière très circonstanciée au dire de j. DU. portant sur l'antécédent de narcolepsie de s. DU.,

  • - que le courrier de j. DU. en date du 26 mars 2014 sollicitant une prorogation de délai notamment pour la mise en cause de différents praticiens, n'a pas été adressé à l'expert mais au juge chargé des opérations d'expertise, lequel n'a pas prorogé à nouveau le délai, ni décidé qu'il soit sursis au dépôt du rapport,

  • - que le dépôt tardif du rapport ne constitue pas une irrégularité susceptible d'entraîner la réouverture des opérations d'expertise ou la nullité du rapport,

  • - que l'expert a précisément répondu à l'ensemble des points de sa mission, y compris ceux concernant la purge des cavités cardiaques,

  • - qu'aucun manquement n'a été retenu à son encontre,

  • - que les experts n'ont relevé aucune faute ou négligence dans les soins prodigués avant, pendant et après l'intervention du 23 février 2009 lesquels étaient conformes aux données acquises de la science médicale.

Par conclusions en date du 10 juin 2015, le Docteur MO. DO., anesthésiste et le Docteur ja. QU., chirurgien, demandent au tribunal de débouter s. DU. représentée par ses cotuteurs de l'ensemble de ses demandes.

Reprenant l'argumentation développée par la société A., ils soutiennent que l'expert judiciaire a parfaitement respecté le principe du contradictoire et ne s'est nullement montré déloyal, que le rapport d'expertise est précis et indique clairement qu'aucun manquement ne peut leur être reproché dans la prise en charge de la patiente, chacun dans leur domaine.

Par conclusions du 13 mai 2015, le Docteur r. GO. demande au tribunal, au vu du rapport des docteurs INGLEZAKIS et OBADIA de :

  • débouter s. DU. représentée par ses cotuteurs de l'ensemble de ses demandes,

  • en tant que de besoin, le mettre hors de cause,

  • condamner la demanderesse représentée par Jérôme et Séverine DU. à lui verser une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il expose :

  • qu'il exerce l'activité principale de neurologue en libéral et n'intervient auprès du centre cardio thoracique qu'en qualité de consultant pour interpréter des scanners et IRM ou donner son avis après consultation des patients,

  • qu'il n'est en l'espèce intervenu que postérieurement à l'opération du 23 février 2009 pour interpréter les clichés et examiner s. DU. et s'est contenté de poser un diagnostic sur des séquelles dont l'irréversibilité était déjà acquise quelques heures après l'intervention,

  • que la prise en charge neurologique de s. DU. en post-opératoire est exempte de toute critique,

  • que le débat portant sur la réouverture des opérations d'expertise ou la nullité du rapport lui étant totalement étranger, il doit être mis hors de cause.

SUR CE :

  • - sur la jonction des instances

Dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 2014/000489 et 2014/000671 dans la mesure où elles concernent les mêmes parties et ont le même objet et la même cause.

  • - sur la demande de réouverture des opérations d'expertise

s. DU. sollicite la réouverture des opérations d'expertise au contradictoire de toutes les parties en cause afin que l'expert, avec le concours de son sapiteur, justifie de ce que la technique des purges des cavités a été correctement exécutée.

  • - sur l'extension à toutes les parties

Force est de constater que l'expert judiciaire INGLEZAKIS a été missionné depuis le 19 septembre 2012 et son sapiteur le professeur OBADIA depuis le 14 mars 2013.

Or ce n'est que par assignation du 20 février 2014, que s. DU. représentée par sa tutrice, a sollicité du juge des référés de Monaco que les opérations d'expertise soient déclarées communes aux docteurs MO. DO., QU. et GO. et ce, alors même que l'expert judiciaire, après avoir obtenu de nombreuses prorogations de délai, était sur le point de déposer son rapport.

La dernière ordonnance du juge chargé des expertises en date du 4 février 2014 autorisait en effet une prorogation de délai jusqu'au 30 mars 2014.

Le rapport ayant été déposé le 3 avril 2014, soit quasi immédiatement après l'expiration de ce délai, le juge des référés de Monaco a estimé par ordonnance en date du 26 novembre 2014 que la demande d'extension était dépourvue d'objet.

La demande de réouverture des opérations d'expertise est en l'espèce tardive.

  • - sur l'imprécision du rapport

À l'appui de sa demande, s. DU. représentée par ses cotuteurs, soutient encore que le rapport du docteur INGLEZAKIS est insuffisamment précis sur la technique de purge des cavités et sa réalisation par le chirurgien l'ayant opérée.

Cependant, il ressort du rapport établi par le Professeur Jean-François OBADIA, chirurgien cardio-vasculaire près des hôpitaux de Lyon et sapiteur du docteur INGLEZAKIS que « les lésions cérébrales constatées en post-opératoire, s'expliquent de manière la plus vraisemblable par l'hypothèse d'une embolie gazeuse lors de la remise en charge du cœur. Les cavités cardiaques lors de toute chirurgie cardiaque sont ouvertes donc remplies d'air et en fin d'intervention le chirurgien doit bien vider l'air selon la technique des purges des cavités ». Il précise que : « cela a été le cas puisqu'il est bien décrit que l'aspiration d'air a été réalisée à travers l'aorte et le ventricule gauche ».

Le professeur OBEDIA indique encore qu'il existe un risque plus élevé d'embolie gazeuse dans les cas de réopération, ce qui est le cas de s. DU. opérée une première fois en 1993, car le cœur est collé au péricarde donc non disséqué et ne peut être massé de manière aussi efficace.

Ces explications sont claires et détaillées et permettent de comprendre l'origine des séquelles neurologiques survenues après l'opération.

En outre, l'analyse du contre rendu opératoire effectuée par le professeur OBADIA et reprise par l'expert INGLEZAKIS dans son rapport, démontre que le chirurgien a bien procédé aux gestes requis afin de vider l'air des cavités.

Dès lors, l'expert judiciaire ayant complètement répondu à sa mission et la demanderesse n'apportant aucun élément médical susceptible de remettre en cause ses conclusions, il n'y a pas lieu d'ordonner la réouverture des opérations d'expertise.

  • - sur la demande tendant à voir prononcer la nullité de l'expertise judiciaire

s. DU., sollicite que soit prononcée la nullité de l'expertise judiciaire, estimant que le principe du contradictoire n'a pas été respecté par l'expert, qui a déposé son rapport précipitamment, alors même qu'elle avait sollicité une prorogation de délai par courrier du 26 mars 2014.

Cependant il ressort des pièces versées aux débats que l'expert judiciaire a transmis aux parties en télécopie son pré-rapport le 4 mars 2014 en les invitant à formuler leurs observations avant le 31 mars 2014.

j. DU., représentante légale de sa fille à l'époque, a formulé un dire le 26 mars 2014, afin de connaître l'avis de l'expert sur le rôle joué par l'antécédent de narcolepsie dans la survenance de l'accident vasculaire cérébral subi par s. DU..

L'expert INGLEZAKIS a répondu à ce dire par une argumentation détaillée.

S'il est exact qu'un courrier a été adressé au juge chargé des expertises le 26 mars 2014 sollicitant la prorogation du délai octroyé au docteur INGLEZAKIS afin d'obtenir des avis médicaux et tenter d'assigner les deux praticiens ayant quitté le centre cardio thoracique, force est de constater qu'aucune réponse ne lui a été adressée par le juge avant le 18 avril 2014.

Aussi, l'expert judiciaire, qui était parvenu au terme du délai qui lui avait été octroyé pour accomplir sa mission et qui n'avait pas été destinataire d'une ordonnance de sursis à statuer ou de nouvelle prorogation de délai, était tenu de procéder au dépôt de son rapport, étant précisé que la tardiveté relative de ce dépôt, lequel a été effectué seulement le 8 avril 2014, ne préjudiciait pas en l'espèce aux droits des parties.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'ordonner la nullité du rapport judiciaire.

  • - sur la demande d'homologation de l'expertise judiciaire

Le rapport judiciaire du docteur INGLEZAKIS et de son sapiteur le docteur OBADIA est très circonstancié, étayé par des éléments médicaux, contient l'historique de la situation de la patiente et le descriptif de son examen clinique. Il ne comporte aucune lacune, erreur ou contradiction.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise judiciaire et le rapport du docteur INGLEZAKIS devra être homologué.

  • - sur la responsabilité des défendeurs et les demandes d'indemnisation du préjudice

Aux termes du rapport précité, l'expert judiciaire a conclu que l'épilepsie antérieure et la narcolepsie dont souffrait s. DU. n'ont joué aucun rôle dans la survenue des complications neurologiques post-opératoires ; que l'intervention cardiaque s'était compliquée d'une embolie gazeuse survenue malgré le respect de toutes les précautions opératoires et en l'absence de toute faute ou négligence (fréquence de survenue inférieure à 1%).

Il a également conclu que l'analyse technique des soins donnés à la demanderesse n'a pas permis de mettre en évidence de faute ou de négligence de l'équipe chirurgicale ni avant, ni pendant, ni après l'intervention du 23 février 2009, ces soins étant conformes aux données acquises de la science médicale.

Enfin, il affirme que les lésions neurologiques post-opératoires entrent dans le cadre exact de l'aléa thérapeutique : survenue de complications, connues et identifiées

Au vu de ces éléments et en l'absence de démonstration contraire apportée par la demanderesse, il apparait en définitive que ni le Centre Cardio- Thoracique de Monaco, ni les docteurs MO. DO., QU. et GO. n'ont commis de faute lors de l'opération chirurgicale de s. DU. le 23 février 2009 et de son suivi per et post opératoire.

Le docteur GO. n'est pour sa part intervenu qu'en qualité de consultant postérieurement à l'opération et alors que les séquelles neurologiques étaient irréversibles.

En l'absence de faute imputable aux défendeurs, il y a lieu de rejeter les demandes d'indemnisation du préjudice subi par s. DU. tant à titre de provision qu'au fond.

sur la demande de dommages et intérêts formée par le Docteur GO.

L'assignation à l'encontre du Docteur r. GO. a été délivrée alors que le rapport d'expertise judiciaire n'avait pas encore été déposé.

La mission de l'expert était de déterminer si s. DU. s'était vu prodiguer des soins conformes aux données acquises de la science médicale ou si une faute avait été commise par l'équipe de praticiens pendant les phases pré, per ou post-opératoires.

Or s'il est certain que le docteur GO. n'a pas participé à l'opération chirurgicale, il est bien intervenu dans les jours qui ont suivi l'opération afin d'examiner s. DU. et de donner un avis neurologique sur son état.

Aussi, la demanderesse a pu légitimement se méprendre sur son implication.

En conséquence, le docteur GO. ne démontre pas le caractère abusif de l'action engagée à son encontre par s. DU. représentée par ses tuteurs successifs.

Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

  • - sur les dépens

s. DU., représentée par ses cotuteurs Jérôme et Séverine DU., partie perdante, sera condamnée aux dépens de l'instance, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire du docteur INGLEZAKIS, lesquels seront distraits au profit de Maître Joelle PASTOR-BENSA et Maître Patricia REY, avocats-défenseurs chacun pour ce qui les concerne.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 2014/000489 et 2014/000671 ;

Constate que Jérôme DU. et Séverine DU. désignés en qualité de cotuteurs de leur sœur s. DU. par décision du Juge des Tutelles d'Antibes en date du 9 décembre 2014 représentent valablement la demanderesse à la présente procédure ;

Déboute s. DU. de sa demande de réouverture des opérations d'expertise judiciaire ;

Déboute s. DU. de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'expertise judiciaire ;

Déboute s. DU. représentée par ses cotuteurs de sa demande de désignation d'un nouvel expert ;

Homologue avec toutes conséquences de droit le rapport d'expertise judiciaire du docteur INGLEZAKIS et de son sapiteur le docteur OBADIA déposé le 3 avril 2014 et reçu au greffe le 8 avril 2014 ;

Dit que les défendeurs n'ont commis aucune faute dans la prise en charge pré et/ou post opératoire et/ou pendant l'acte chirurgical pratiqué sur la personne de s. DU. ;

Déboute s. DU. représentée par ses cotuteurs de ses demandes tendant à obtenir l'indemnisation de ses divers préjudices ;

Déboute le Docteur r. GO. de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne s. DU., représentée par ses cotuteurs Jérôme et Séverine DU. aux dépens de l'instance, qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire du docteur INGLEZAKIS, lesquels seront distraits au profit de Maître Joelle PASTOR-BENSA et Maître Patricia REY, avocats-défenseurs chacun pour ce qui les concerne ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame i. TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 3 mars 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame i. TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

  • Consulter le PDF