Tribunal de première instance, 25 février 2016, La société A. c/ La SAM B

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Abstract🔗

Action en justice - Recevabilité - Dissolution de la personne morale - Action intentée dans l'année de la radiation

Faillites - Procédure collective - Cessation des paiements (oui)

Résumé🔗

En application de l'article 553 du Code de commerce, le demandeur qui a fait assigner la société dissoute dans l'année de sa radiation est toujours recevable à voir constater sa cessation des paiements.

Il ressort des pièces de la procédure que la société défenderesse est débitrice de sommes importantes conformément aux sentences arbitrales définitives ayant reçu force exécutoire. S'agissant d'une dissolution anticipée avec liquidateur amiable, et à défaut d'ouverture d'une procédure collective jusqu'à ce jour, il n'existait pas pour la société demanderesse d'obligation de déclarer sa créance dans un quelconque délai légal. Ce passif important est très largement supérieur au boni de liquidation. Au vu de ces éléments, il apparaît que la société défenderesse n'est pas en mesure de faire face avec son actif disponible à l'ensemble de son passif exigible. En conséquence, il y a lieu de constater la cessation des paiements conformément aux dispositions de l'article 408 du Code de commerce et de fixer provisoirement la date de cette cessation des paiements à la date de l'exequatur des sentences arbitrales.


Motifs🔗

TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

N° 2015/000207 (assignation du 21 novembre 2014)

JUGEMENT DU 25 FÉVRIER 2016

En la cause de :

  • La société A., société de droit panaméen, dont le siège est sis X1, Panama, République du Panama, agissant poursuite et diligences de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

  • La SAM B, société en liquidation, enregistrée au RCI sous le n°X, dont le siège social était sis X2, représentée par M. André GARINO, ès-qualités d'administrateur ad hoc, commis pour occuper ces fonctions suivant ordonnance rendue par Mme le Président du Tribunal de Première Instance en date du 23 octobre 2014, domicilié en cette qualité X, 98000 Monaco ;

DÉFENDERESSE, comparaissant en personne par M. André GARINO, ès-qualités d'administrateur ad hoc, présent lors de l'audience du 28 juillet 2015 ;

  • Mme g. ER., née le 13 novembre 1957 à Gênes (Italie), de nationalité italienne, demeurant X3, 98000 Monaco, ès-qualités de liquidateur de la SAM B ;

INTERVENANTE VOLONTAIRE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Valérie BOTHY, avocat au barreau de Marseille ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL,

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 21 novembre 2014, enregistré (n° 2015/000207) ;

Vu les conclusions de M. André GARINO, ès-qualités d'administrateur ad hoc de la SAM B, en date du 13 janvier 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la société A., en date du 8 juillet 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de g. ER., en date du31 juillet 2015;

À l'audience publique du 17 décembre 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 25 février 2016 ;

FAITS ET PROCÉDURE

La société A, en qualité de vendeur, a souscrit trois contrats de vente de navires vraquiers «Crown 58 » de type Handymax avec la SAM B, qui s'est ensuite substituée, trois sociétés panaméennes distinctes :

  • - la société C suivant protocole d'accord daté du 22 juin 2007 modifié par avenant du 19 janvier 2009 portant sur la vente et l'achat du navire dénommé HULL 3005 ;

  • - la société D suivant protocole d'accord daté du 12 septembre 2007 modifié par avenant du 10 octobre 2007 portant sur la vente et l'achat du navire dénommé HULL DY 3025 ;

  • - la société E suivant protocole d'accord daté du 20 juin 2007 pour la vente et l'achat d'un troisième navire dénommé HULL 3029.

Dans chacun de ces contrats, la SAM B, (dont l'administratrice et détentrice de 95 % des parts sociales est Madame g. ER.) demeurait garante des obligations de chacune des sociétés.

Ces trois sociétés dont Madame g. ER. était également la bénéficiaire économique, ont failli à leurs obligations de paiement et la société A a initié des procédures d'arbitrage aux fins d'obtenir la condamnation de ses cocontractantes.

Suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 18 décembre 2013, les actionnaires de la SAM B ont pris la décision de prononcer la dissolution anticipée de la société à l'effet du 31 décembre 2013 en application de l'article 18 des statuts et de nommer Madame g. ER., en qualité de liquidateur.

Suivant deux sentences arbitrales définitives du 8 janvier 2014 rendues à Londres par M. Mark TEMPLEMAN QC, la SAM B, en sa qualité de garante de la société C et de la société Da été condamnée à payer à la société A la somme de 9.397.959,31 USD et la somme de 1.442.773,48 GPB, outre les intérêts et dépens pour ne pas avoir honoré le paiement des navires dénommés respectivement HULL 3005 et HULL DY 3025.

Par courrier recommandé en date du 9 juin 2014, la société A a mis en demeure la SAM B de lui régler les sommes dues au titre de ces sentences.

Par procès-verbal du 30 juillet 2014, l'assemblée générale extraordinaire de la SAM B a pris acte de la clôture des opérations de liquidation et formulé une demande de radiation au registre du commerce et des sociétés. La publicité en a été faite au journal officiel le 1er août 2014 et la radiation au RCI a été inscrite le 2 septembre 2014

Par exploit du 22 août 2014, la société A, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 19 août 2014, a procédé à la saisie-arrêt des comptes bancaires de la SAM B auprès de l'établissement bancaire F et de l'établissement bancaire G (Monaco) à concurrence de 9.000.000 d'euros. Seule l'établissement bancaire F a déclaré détenir une somme de 130,21 euros.

Selon ordonnance présidentielle du 23 octobre 2014, Monsieur GARINO a été désigné en qualité d'administrateur ad hoc de la SAM B avec pour mission d'assurer sa représentation notamment en justice et de poursuivre les opérations de liquidation.

Par acte d'huissier en date du 21 novembre 2014, la société A a assigné la SAM B devant le tribunal de première instance de Monaco, représentée par Monsieur GARINO administrateur ad hoc aux fins de prononcer la cessation des paiements en application de l'article 408 du code de commerce avec toutes conséquences de droit.

Selon deux ordonnances du 23 juin 2015, la présidente du tribunal de première instance de Monaco a déclaré les deux sentences arbitrales rendues à Londres le 8 janvier 2014 exécutoires sur le territoire de la Principauté.

Par conclusions en date du 13 janvier 2015, Monsieur GARINO ès-qualités d'administrateur ad hoc a précisé que le personnel de la société a été licencié ainsi que ses locaux restitués et a indiqué que la clôture des opérations de liquidation amiable faisait apparaître un boni de 20.775,91 euros en l'état de la renonciation de l'actionnaire principal à son compte courant, le seul passif étant éventuellement constitué par les sommes dont se prévaut la société A aux termes des sentences arbitrales du 8 janvier 2014.

Par conclusions du 8 juillet 2015, la société A reprend les termes de son assignation, sollicitant le prononcé de la cessation des paiements de la société B représentée par son administrateur ad hoc.

Par conclusions du 31 juillet 2015, Madame g. ER. est intervenue volontairement à la procédure.

À titre principal, elle demande au tribunal de débouter la société A de l'intégralité de ses demandes.

Subsidiairement, elle lui demande de :

  • - constater qu'elle a agi en toute bonne foi et n'a pas failli dans sa mission de liquidateur amiable de la société B ;

  • - constater que la société A ne justifie pas avoir subi un quelconque préjudice en l'état de l'absence totale d'actif à réaliser.

Madame g. ER. fait valoir :

  • - qu'elle n'a pas été partie à la médiation des arbitres concernant les sociétés C, D et E, mais entendue comme simple témoin ;

  • - que la société B qu'elle administrait a décidé sa dissolution anticipée dès le 18 décembre 2013 en raison de l'importance de son passif social, avant même que soient rendues les deux décisions arbitrales de Londres à son encontre le 8 janvier 2014 ;

  • - que la procédure de liquidation amiable s'est déroulée régulièrement avant sa clôture le 30 juillet 2014 ;

  • - que la société A a attendu 6 mois avant de porter à la connaissance de la SAM B les sentences arbitrales dont elle ne justifie pas de la bonne réception ;

  • - que les créances n'ont pas été déclarées aux liquidateurs dans les délais légaux ;

  • - que rien n'autorise la demanderesse à solliciter l'admission de sa créance, l'exequatur des décisions arbitrales du 8 janvier 2014 n'ayant pas été sollicité avant le 15 juin 2015.

Par conclusions du 8 juillet 2015, la société A reprend les termes de son assignation, sollicitant le prononcé de la cessation des paiements de la société B représentée par son administrateur ad hoc.

Elle fait valoir :

  • - qu'elle est toujours recevable à solliciter la cessation des paiements en application de l'article 553 du code de commerce, son assignation ayant été délivrée dans l'année de la dissolution de la société ;

  • - que la clôture de la liquidation de la SAM B lui est inopposable, en l'état de sa créance impayée ;

  • - que Madame g. ER., liquidateur amiable, a tenté par ce biais d'échapper à ses obligations ;

  • -qu'elle avait parfaitement connaissance de la procédure d'arbitrage en cours concernant les 3 sociétés dont elle était bénéficiaire économique et de la procédure d'arbitrage concernant la SAM B en sa qualité de garante des sommes dues ;

  • - qu'à ce jour les décisions arbitrales du 8 janvier 2014 sont définitives et exécutoires en Principauté de Monaco selon ordonnances présidentielles du 23 juin 2015 ;

  • - que la SAM B n'ayant pas l'actif disponible pour y faire face se trouve en état de cessation des paiements.

SUR CE :

  • Sur la recevabilité de l'action

En l'espèce les actionnaires de la SAM B ont pris la décision de prononcer la dissolution anticipée de la société suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 18 décembre 2013 et de clôturer les opérations de liquidation suivant décision du 30 juillet 2014 avec radiation du répertoire du commerce et de l'industrie au 2 septembre 2014.

Cependant, la personnalité morale d'une société dissoute subsiste pour les besoins de sa liquidation jusqu'à la clôture et ladite clôture ne peut être effective tant que les obligations sociales ne sont pas liquidées.

Or en l'espèce, des procédures arbitrales étaient en cours à Londres depuis l'année 2009 entre la société A d'une part et chacune des trois sociétés C, D et E d'autre part, pour lesquels la SAM B s'était portée garante, et ont abouti à sa condamnation suivant deux décisions du 8 janvier 2014, ce qu'elle ne pouvait pas ignorer.

En effet, Madame g. ER. administrateur et actionnaire principale de la SAM B a été amenée à témoigner personnellement au cours des procédures d'arbitrage ayant débuté en 2009.

De plus, il ressort d'une des sentences arbitrales du 8 janvier 2014 concernant la société C que la SAM B a été informée par le cabinet d'avocat Davis and Co, dès le 2 juillet 2013, de la procédure engagée à son encontre en sa qualité de garante.

Les droits du créancier ayant pour gage le patrimoine social, la clôture de la liquidation amiable décidée par procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2014 ne peut donc lui être opposée et ce tant que les droits et obligations n'ont pas été liquidés.

C'est d'ailleurs en ce sens, que la Présidente du tribunal de première instance de Monaco a désigné Monsieur GARINO en qualité de mandataire ad hoc afin de poursuivre les opérations de liquidation et d'assurer la représentation sociale de la SAM B.

Aux termes des dispositions de l'article 553 du code de commerce, « lorsqu'une personne morale a été dissoute, la saisine du tribunal doit intervenir au plus tard dans l'année de la radiation de l'inscription au répertoire du commerce et de l'industrie (RCI) ou au répertoire des sociétés civiles ».

La SAM B ayant été radiée du RCI le 2 septembre 2014, la société A, qui a fait délivrer l'acte introductif d'instance le 21 novembre 2014, est donc toujours recevable à voir constater sa cessation des paiements.

  • Sur la demande de cessation des paiements

En application des dispositions de l'article 408 du code de commerce, l'état de cessation des paiements est constaté par jugement du tribunal de première instance rendu sur déclaration du débiteur ou sur assignation d'un créancier ou même d'office.

L'état de cessation des paiements est constaté lorsque la société se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que la SAM B est débitrice des sommes totales cumulées de 9.397.959,31 USD et de 1.442.772,43 GPB, outre intérêts et dépens, à l'égard de la société A conformément aux sentences arbitrales définitives rendues à son encontre le 8 janvier 2014, ayant reçu force exécutoire en Principauté de Monaco suivant ordonnances présidentielles du 23 juin 2015.

S'agissant d'une dissolution anticipée avec liquidateur amiable, et à défaut d'ouverture d'une procédure collective jusqu'à ce jour, il n'existait pas pour la société A d'obligation de déclarer sa créance dans un quelconque délai légal.

Force est de constater qu'il existe bien un passif important constitué par la créance de la société A (soit des sommes cumulées de 9.397.959,31 USD et de 1.442.772,43 GPB, outre intérêts et dépens).

Or il résulte des conclusions de Monsieur GARINO, ès-qualités d'administrateur ad hoc de la société défenderesse, que le boni de liquidation, arrêté au 30 juillet 2014 par l'assemblée générale des actionnaires est de 20.775,91 euros.

En outre la saisie-arrêt diligentée sur les comptes bancaires de la SAM B est quasi infructueuse puisque l'établissement bancaire F a déclaré que ladite société était créditrice d'une somme de 130,21 euros.

Au vu de ces éléments, il apparaît que la société défenderesse n'est pas en mesure de faire face avec son actif disponible à l'ensemble de son passif exigible.

En conséquence, il y a lieu de constater la cessation des paiements conformément aux dispositions de l'article 408 du code de commerce et de fixer provisoirement la date de cette cessation des paiements au 23 juin 2015, date de l'exequatur des sentences arbitrales en principauté de Monaco.

S'agissant des demandes subsidiaires de Madame g. ER. en sa qualité d'intervenante volontaire, il n'y a pas lieu de statuer dans le cadre de la présente instance sur d'éventuelles fautes commises dans le cadre de sa mission de liquidateur amiable, ce point n'étant nullement l'objet de la présente procédure.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare recevable l'action formée par la société A à l'encontre de la SAM B, société en liquidation, représentée par Monsieur GARINO, ès-qualités d'administrateur ad hoc ;

Reçoit l'intervention volontaire de Madame g. ER. ;

Constate avec toutes conséquences de droit l'état de cessation des paiements de la SAM B dont le siège social était sis 13 boulevard des Moulins à Monaco ;

Fixe provisoirement au 23 juin 2015, la date de cessation des paiements ;

Prononce également la liquidation des biens de cette société ;

Nomme Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, en qualité de juge commissaire ;

Désigne Monsieur André GARINO, expert-comptable en qualité de syndic ;

Dit que le présent jugement sera exécutoire sur minute et par provision en application de l'article 572 du code de commerce et soumis à la publicité prévue par l'article 415 dudit code ;

Rejette le surplus des demandes ;

Ordonne l'enrôlement les dépens en frais privilégiés de procédure collective ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Sébastien BIANCHERI, Premier Juge, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, qui en ont délibéré conformément à la loi assistés, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;

Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 25 février 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Michèle HUMBERT, Premier Juge chargé des fonctions de Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

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