Tribunal de première instance, 4 février 2016, M. A c/ La Sci B et M. C
Abstract🔗
Succession - Administration provisoire - Société civile particulière monégasque - Désignation d'un administrateur provisoire (oui)
Résumé🔗
Il y a lieu d'accéder à la demande de désignation d'un administrateur provisoire d'une société civile particulière monégasque, propriétaire d'un appartement dont le loyer a été fixé en dernier lieu à la somme de 5.500 euros, constituée à parts égales par deux conjoints et dépendant, après le décès de l'épouse, de leurs cinq enfants et du mari dès lors que ce dernier est également le gérant de cette société et l'occupant de l'appartement en cause, au titre duquel il estime ne devoir aucun loyer. Un tel positionnement est contraire à l'intérêt social et constitue une menace pour la survie de la société qui se trouve privée de ressources par la volonté unilatérale de son gérant actuel. Par ailleurs, ce dernier ne conteste pas s'être abstenu de convoquer l'assemblée générale contrairement à ce qui avait été décidé lors de la précédente assemblée. La succession de l'épouse n'a donc pas pu prendre connaissance des comptes de la société et exercer son contrôle sur son fonctionnement. Ce manquement du gérant entraîne une paralysie des organes sociaux qui justifie également la demande de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire. Le moyen tiré de l'obligation alimentaire prévue à l'article 174 du Code civil est inopérant puisque le patrimoine de ses enfants, qui seraient les débiteurs de l'obligation alimentaire, ne se confond pas avec celui de la société, dont la succession est associée pour moitié. Par ailleurs, le montant des loyers à recouvrer excèdera la rémunération de l'administrateur provisoire, eu égard à l'importance des sommes dues.
Motifs🔗
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
JUGEMENT DU 4 FÉVRIER 2016
En la cause de :
M. A, né le 27 mai 1946 à Monaco (98000), de nationalité monégasque, demeurant à Monaco (98000), Stade X agissant en qualité d'administrateur provisoire de la succession de Mme l. MA., née le 6 octobre 1928 à Pian-Camuno (Italie), décédée à Monaco le 4 juin 2002, nommé à cette fonction par le jugement du Tribunal de Première Instance de la Principauté de Monaco en date du 9 janvier 2003 ;
DEMANDEUR, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris ;
d'une part ;
Contre :
La Société Civile Immobilière B, société civile particulière monégasque immatriculée au Registre spécial des Société Civiles sous le numéro 88 SC 05459, ayant son siège X1 à Monaco-Condamine (98000), prise en la personne de son gérant en exercice, M. C domicilié X2 « X » à MONACO (98000) ;
M. C, né le 16 février 1923 à Malegno (Italie), de nationalité italienne, demeurant X2 « X » à Monaco (98000), pris tant en sa qualité de gérant de la société civile B qu'en sa qualité d'associé de ladite société ;
DÉFENDEURS, ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gérard BAUDOUX avocat au barreau de Nice ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL,
Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 22 mai 2015, enregistré (n° 2015/000618) ;
Vu les conclusions de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de La SCI B et de Monsieur C, en date du 22 septembre 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur A, en date du 29 octobre 2015 ;
À l'audience publique du 10 décembre 2015, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et le jugement a été mis en délibéré pour être prononcé ce jour 4 février 2016 ;
FAITS ET PROCÉDURE
l. GI. épouse MA. est décédée à Monaco le 4 juin 2002, laissant pour lui succéder son époux Monsieur C et leurs cinq enfants.
Par jugement du 9 janvier 2003, le Tribunal de première instance de Monaco a désigné Monsieur A en qualité d'administrateur provisoire à la succession de l. GI. épouse MA. avec mission de :
- dresser un inventaire actif et passif de cette succession, en procédant notamment à l'inventaire de tous les biens mobiliers et immobiliers composant la succession après avoir fait procéder, si nécessaire, à la levée des scellés,
- pourvoir à la gestion de l'actif et du passif de celle-ci en payant toutes dettes, frais, charges ou droits de succession et en recouvrant toutes créances de la succession,
- effectuer tous actes d'administration nécessaires à la conservation de l'actif et du passif exigible, et notamment assister aux assemblées générales,
- établir les comptes de la succession afin de faciliter la réalisation des opérations de liquidation partage,
- représenter la succession, tant en demande qu'en défense, dans les instances judiciaires relatives à son administration,
- accomplir, d'une manière générale, tous actes d'administration utiles à la succession avec les pouvoirs les plus étendus à cet effet, en se rapprochant notamment des établissements bancaires, caisses de retraite ou autres bureaux de poste.
De son vivant, l. GI. épouse MA. avait constitué avec son époux Monsieur C une société civile particulière monégasque dénommée « Société civile immobilière B », dont ils étaient les deux associés à parts égales.
Cette société, créée par statuts du 4 janvier 1988, est propriétaire d'un appartement trois-pièces, avec parking et cave, sis à Monaco, 1 rue des Genêts, immeuble « X », qu'elle a donné à bail aux époux MA., par acte sous seing privé du 1er mars 1997, moyennant paiement d'un loyer annuel de 18.000 euros.
Suivant assemblée générale en date du 25 janvier 1995, Monsieur C a été nommé en qualité de gérant de la Société civile immobilière B.
Après le décès de son épouse, celui-ci s'est maintenu dans l'appartement du X, qui constitue l'ancien domicile conjugal.
Par exploit d'huissier délivré le 22 mai 2015, Monsieur A, agissant ès-qualités d'administrateur provisoire à la succession de l. GI. épouse MA., a fait assigner la Société civile immobilière B ainsi que Monsieur C, tant en sa qualité de gérant qu'en sa qualité d'associé de ladite société, aux fins de désignation d'un administrateur provisoire, avec mission de :
- gérer la SCI B aux lieu et place du gérant actuel,
- se faire remettre par l'actuel gérant la documentation comptable, juridique et bancaire de la société,
- faire établir la comptabilité de la société,
- assurer la gestion active et passive de la société,
- prendre toute mesure utile à la gestion des biens de la société,
- intenter toute procédure nécessaire à l'encaissement des loyers et charges dus à la société par M. C, et ce y compris toute mesure d'expulsion de l'occupant actuel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
À l'appui de sa demande de désignation d'un administrateur provisoire, Monsieur A fait valoir que :
- à ce jour, le capital de la SCI B se trouve partagé par parts égales entre la succession de l. GI. épouse MA., d'une part, et Monsieur C, d'autre part ;
- depuis plusieurs années, Monsieur C manque à ses obligations de gérant en ce qu'aucune comptabilité de la société n'est tenue, aucune assemblée générale n'est plus réunie et que les loyers, dont il est personnellement débiteur en sa qualité d'occupant du bien d'habitation, ne sont pas réglés ;
- pourtant, une décision d'assemblée générale de la SCI B, tenue le 1er octobre 2009 à la demande de Monsieur A, a, d'une part, fixé le montant du loyer mensuel à la somme de 4.000 euros à compter du 4 juin 2002 et à 5.500 euros à compter du 1er mai 2009 et a, d'autre part, chargé le cabinet ADEC de la mise à jour des états financiers pour les exercices 2002 à 2008, à charge pour le gérant de réunir une nouvelle assemblée générale devant approuver ces états financiers à réception ;
- malgré les multiples courriers de rappels qui lui ont été adressés par Monsieur A, Monsieur C n'a ni convoqué d'assemblée générale ni réglé les loyers ;
- dans le cadre d'une autre SCI, dénommée « LA PALAZZINA », constituée en France entre les époux MA. et dont Monsieur C était le gérant, le Président du tribunal de grande instance de Nice, également saisi à la requête de Monsieur A, a, par ordonnance du 25 septembre 2014, désigné un administrateur provisoire pour des motifs identiques à ceux qui président à l'introduction de la présente instance ;
- enfin, Monsieur C, l'un des héritiers de l. GI. épouse MA., ayant vocation à percevoir une quote-part des loyers, se trouve être un majeur incapable, dans une situation financière précaire.
En défense, la Société civile immobilière B et Monsieur C concluent au rejet de la demande de désignation d'un administrateur provisoire, aux motifs que :
- Monsieur C est, à lui seul, propriétaire de la moitié de la SCI B ;
- il a financé en intégralité l'acquisition du bien d'habitation qu'il occupe et qui constituait le domicile conjugal des époux MA. ;
- en application des dispositions de l'article 174 du Code civil, qui prévoit l'obligation alimentaire des descendants envers leur père et mère et de la succession envers l'époux pré-décédé et en l'état de ses difficultés financières, Monsieur C est bien fondé à occuper gratuitement le bien immobilier litigieux, sans qu'aucun loyer ne puisse lui être réclamé ;
- dans ces conditions, la désignation d'un administrateur judiciaire provisoire, chargé notamment de l'encaissement des loyers, ne présente aucun intérêt ;
- enfin, une telle mesure ne pourrait avoir pour conséquence que d'aggraver les comptes de la succession.
En réplique, Monsieur A soutient que :
- le moyen de défense tiré de l'obligation alimentaire est dépourvu de pertinence en ce que le patrimoine de la SCI est distinct de celui de ses associés ;
- au contraire d'aggraver les compte de la succession, la désignation d'un administrateur provisoire a précisément pour objectif de recouvrer des loyers dont la succession est créancière ;
- les défendeurs ne fournissent aucune explication quant à la défaillance dans la gérance de la SCI B.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La désignation judiciaire d'un administrateur provisoire d'une personne morale est une mesure exceptionnelle qui est subordonnée à l'existence d'un conflit ou d'une mésentente grave entre associés, entraînant une paralysie des organes sociaux ou constituant une menace pour la survie même de la société.
En l'espèce, la succession de l. GI. épouse MA., dont Monsieur A est le représentant, détient la moitié des parts de la SCI B, dont l'actif est constitué par l'appartement que Monsieur C occupe gratuitement.
Il en résulte qu'elle se trouve de facto dépourvue de ressources, et ce alors que le bail du 1er mars 1997, modifié par la décision d'assemblée générale du 1er octobre 2009, stipulait le paiement d'un loyer par l'occupant.
En sa qualité d'associé de la SCI B, la succession a donc nécessairement intérêt à procéder au recouvrement des loyers impayés.
Or ce recouvrement relève des prérogatives du gérant en application des statuts du 4 janvier 1988, modifiés le 25 janvier 1995, lesquels stipulent, en leur article 13, que :
« La société sera gérée et administrée par un ou plusieurs gérants.
En conséquence, les acquisitions, recouvrements, quittances pourront être réalisés ou effectués valablement par le ou les gérants ».
En l'espèce, il ressort des termes mêmes de ses conclusions en défense que Monsieur C, gérant de la SCI B, se trouve être également occupant du bien immobilier et estime n'être redevable d'aucun loyer envers la société.
Un tel positionnement est contraire à l'intérêt social et constitue une menace pour la survie de la SCI B, laquelle se trouve ainsi privée de ressources par la volonté unilatérale de son gérant actuel.
Au surplus, Monsieur C ne conteste pas s'être abstenu de convoquer l'assemblée générale contrairement à ce qui avait été décidé lors de la précédente assemblée en date du 1er octobre 2009.
Dans ces circonstances, son co-associé, la succession de de l. GI. épouse MA., représentée par Monsieur A, n'a pas été en mesure de prendre connaissance des comptes de la société et d'exercer son contrôle sur son fonctionnement.
Ce manquement du gérant entraîne une paralysie des organes sociaux qui fonde de plus fort la demande de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire.
C'est en vain que les parties défenderesses invoquent le moyen tiré de l'obligation alimentaire prévue à l'article 174 du Code civil car, à supposer démontré l'état de besoin de Monsieur C - ce qui n'est nullement le cas en l'absence de toute pièce communiquée - le patrimoine de ses enfants, qui seraient les débiteurs de l'obligation alimentaire, ne se confond pas avec celui de la SCI B, dont la succession est associée pour moitié.
Ce moyen est donc parfaitement inopérant.
Enfin, s'il est exact que la rémunération de l'administrateur judiciaire viendra au passif de la société, le montant des loyers à recouvrer l'excèdera en tout état de cause, eu égard à l'importance des sommes dues.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que Monsieur A, agissant ès-qualités d'administrateur provisoire à la succession de l. GI. épouse MA., sollicite du tribunal la désignation d'un administrateur provisoire de la Société civile immobilière B.
Les parties succombantes seront condamnées aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant contradictoirement et en premier ressort,
Désigne en qualité d'administrateur provisoire de la société civile particulière monégasque dénommée « Société civile immobilière B » : Moniseur B. avec mission de :
- gérer la SCI B aux lieu et place du gérant actuel,
- se faire remettre par l'actuel gérant la documentation comptable, juridique et bancaire de la société,
- faire établir la comptabilité de la société,
- assurer la gestion active et passive de la société,
- prendre toute mesure utile à la gestion des biens de la société,
- intenter toute procédure nécessaire à l'encaissement des loyers et charges dus à la société par Monsieur C, et ce y compris toute mesure d'expulsion de l'occupant actuel ;
Condamne solidairement la Société civile immobilière B et Monsieur C aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Rose-Marie PLAKSINE, Premier Juge, Madame Léa PARIENTI, Magistrat référendaire, qui en ont délibéré conformément à la loi assistées, lors des débats seulement, de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier ;
Lecture du dispositif de la présente décision a été donnée à l'audience du 4 FEVRIER 2016, dont la date avait été annoncée lors de la clôture des débats, par Madame Martine COULET-CASTOLDI, Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Isabelle TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur Général, et ce en application des dispositions des articles 15 et 58 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.